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10 mars 2019 7 10 /03 /mars /2019 19:26

La sécularisation du mariage (mariage civil), c'est-à-dire la "loi sur le mariage et le divorce" autorisant le divorce en France, fut adoptée le 20 septembre 1792, qui est aussi le jour de la proclamation de la première "république" (!), comme s'il n'y avait rien de plus important que de... légaliser le divorce le jour de la proclamation de la "république". Tout le programme de destruction de la France est là dès le premier jour de la dite "république".

L'intégrisme républicain contre le catholicisme
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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 01:03

Y a-t-il un fascisme de la république dite française ?

« Le fascisme […] promet l'ordre et la force, la prospérité et le renouveau, il exalte la grandeur de la patrie en ranimant les souvenirs de l'Empire romain. Son fondateur, Benito Mussoloni. [...] Son premier programme s'inspire des thèmes du socialisme et du nationalisme. […] C'est […] l'affirmation de la suprématie de l'État, valeur absolue, qui réclame toutes les énergies à son service, fût-ce au mépris des personnes, et qui sollicite tous les moyens, y compris la violence.

 

Benito Mussolini en 1938.

 

Mussolini se présente comme le « sauveur » de l'Italie, le duce, le guide, le chef auquel il faut obéir. Dans la république, il y a aussi cette dimension du leader, du sauveur de la Révolution, depuis Robespierre, en passant par Napoléon Bonaparte à l'homme providentiel, qui n'est jamais que l'homme d'un parti qui devient président de la Ve république.

 

Pie XI

« […] Le Syllabus (de Pie XI en 1864) (39e proposition) avait déjà condamné une telle conception qui fait de l'État l'origine et la source de tous les droits et qui lui reconnaît une autorité sans limites.

 

« […] En mai 1931, il (Mussolini) fait fermer les cercles catholiques de jeunes et il supprime la procession de la fête-Dieu. À Rome et dans toute l'Italie, des escouades fascistes déploient leur violence contre les sièges des œuvres catholiques et contre les adhérents, garçons et filles. Mussoloni couvre lui-même les excès en concluant une interview de façon catégorique : "L'enfant, dès qu'il est en âge d'apprendre, appartient à l'État, à lui seul, sans partage possible."

 

Pie XI décide alors de réagir fermement. Son encyclique du 5 juillet 1931, Non abbiamo bisogno, rédigée en italien, condamne le totalitarisme étatique, repousse "une idéologie qui se résoud en une vraie statolâtrie païenne".

 

« […] Le conflit entre l'Église et le fascisme reprend avec le renversement de la politique italienne et la réalisation de l'Axe Rome-Berlin. […] À la veille du dixième anniversaire des accords du latran, Pie XI s'apprête à dénoncer l'attitude du fascisme à l'égard de l'Église. Mais il meurt le 10 février 1939. » (1)

 

Formule condamnée n°XXXIX du Syllabus : «L’État, étant l’origine et la source de tous les droits, jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune limite.» 

 

Hormis les prétentions de ranimer l'Empire romain et la promesse affichée de la force, cette définition du fascisme correspond étrangement à la république dite française, particulièrement dans la promesse de prospérité (progrès) et de renouveau, dans le culte de l'homme providentiel, la prétention d'éduquer « l'enfant dès qu'il est en âge d'apprendre » (Mussolini), dès 3 ans chez Emmanuel Macron.

 

La promesse de renouveau est celle des politiciens républicains et francs-maçons qui ont une vénération quasi superstitieuse et religieuse pour le mot "changement", depuis Nicolas Sarkozy, sa "France d'après", son "monde nouveau" ("De cette crise va naître un monde nouveau". N. Sarkozy, voeux à la nation 31-12-2008; "Changer le monde" LipDub avec les jeunes de l'UMP en 2009) ; en passant par François Hollande et sa promesse "le changement c'est maintenant", le Nouveau Monde d'Emmanuel Macron. Un côté haineux contre la nature et la Création, qu'il faut changer, recréer. Au final, les naïfs se font systématiquement avoir avec ce type de promesses fallacieuses qu'affectionnent les francs-maçons depuis 1789 avec Rabaut de Saint-Etienne et son "pour rendre le peuple heureux, il faut le renouveler, changer ses idées, changer ses lois, changer ses moeurs, changer les hommes, changer les choses, tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à recréer". (Rabaut-Saint-Etienne cité dans Henri Delassus, La Conjuration antichrétienne, Le Temple maçonnique voulant s'élever sur les ruines de l'Eglise catholique, 1910, rééd. Expéditions pamphiliennes 2007, p. 280). Pour Emmanuel Macron le "Nouveau Monde" fait furieusement penser à l'ancien monde en pire.

 

La conception du pouvoir où (sous couvert de «souveraineté nationale»), l’État est en fait (dans les faits) la source et l'origine de tous les droits via la démocratie dite «représentative» est celle de la république. Pour Jacques Chirac en 1995, «il n'y a pas de loi morale au-dessus de la loi civile» («non à une loi morale qui primerait la loi civile», Jacques Chirac, Journal du Dimanche, avril 1995). Tout est possible, y compris le pire.

 

En 1789 déjà, « "aucune barrière ni droit naturel ni règle constitutionnelle" ne devait s'opposer, selon Mirabeau, à une majorité législative (en l'occurrence issue d'une minorité activiste dans le pays). Ce régime n'est qu'une forme de la tyrannie. Sous l'angle de l'État de droit, elle marque une régression par rapport à la pratique au XVIIIe siècle, de l'Ancien Régime. C'est ce que Hayek appelle une "démocratie illimitée", et ce que Benjamin Constant avait stigmatisé comme une "souveraineté illimitée". » (2)

 

En France, par exemple en 2019, la sécurité de manifestants contre les politiques économiques et sociales du gouvernement, les manifestants pacifiques se retrouvent blessés, éborgnés par des tirs de flashball des forces dites de l'"ordre". Cette force employée à la défense d'institutions qui ne respectent même pas la dignité humaine la plus élémentaire a pu faire l'objet de plaintes auprès de la Cour pénale internationale sur la base de la l'article 7 du "Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale". En réponse, sans viser un pays en particulier, l'Europe et l'ONU ont condamné le 14 février 2019 « l'usage disproportionné de la force par la police. »

 

Source: http://www.lefigaro.fr/international/2019/02/14/01003-20190214ARTFIG00278-l-europe-condamne-l-usage-disproportionne-de-la-force-par-la-police.php

 

Selon les auteurs du communiqué de presse diffusé le 14 par le groupe d'experts des droits de l'homme de l'Onu, «les restrictions imposées aux droits ont également entraîné un nombre élevé d'interpellations et de gardes à vue, des fouilles et confiscations de matériel de manifestants, ainsi que des blessures graves causées par un usage disproportionné d'armes dites "non-létales" telles que les grenades et les lanceurs de balles de défense ou flashballs».

 

Source: https://fr.sputniknews.com/international/201902151040029128-experts-denonciation-restrictions-droits-manifestants-france/

Source: https://fr.sputniknews.com/international/201902151040029128-experts-denonciation-restrictions-droits-manifestants-france/

CONCLUSION. Face à une statolâtrie envahissante et sans limites, et un État prêt à blesser des manifestants pacifiques, il est urgent de retrouver le sens de l'humanité et de remettre de l'humain dans nos institutions.

Add. Le Figaro 6 mars 2019: «Gilets jaunes»: l'ONU réclame à Paris une enquête sur «l'usage excessif de la force».

Dans un discours à Genève, la Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Michelle Bachelet, a mis en cause les conditions du maintien de l'ordre lors des manifestations des «gilets jaunes». Des critiques déjà formulées en février au sein de l'ONU, mais aussi de l'UE et de la CEDH.

Source: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/03/06/01016-20190306ARTFIG00119-gilets-jaunes-l-onu-reclame-a-paris-une-enquete-sur-l-usage-excessif-de-la-force.php

Source: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/03/06/01016-20190306ARTFIG00119-gilets-jaunes-l-onu-reclame-a-paris-une-enquete-sur-l-usage-excessif-de-la-force.php

Notes

 

(1) Paul CHRISTOPHE, 2000 ans d'Histoire de l'Église, Nouvelle Édition Mame Desclée, Paris 2017, p. 1004-1008.

(2) Le Livre noir de la Révolution française, par Pierre CHAUNU, Jean TULARD, Émmanuel LEROY-LADURIE, Jean SÉVILLIA, Cerf, Paris 2008, p. 14.

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6 février 2019 3 06 /02 /février /2019 13:35

 

Dans notre pays, les rois sont héréditaires, cependant en période de troubles il est arrivé qu'un roi soit déposé, et qu'un autre soit élu à sa place pour les services rendus, et ses vertus (Pépin le Bref en 751; Eudes, le sauveur de Paris, en 888; Hugues Capet en 987). 

 

Ainsi en 987, l'archevêque de Reims Adalbéron, acquitté par Hugues Capet, dans son procès contre Lothaire, propose que le duc de France soit nommé roi à titre provisoire. Il soutient que le carolingien Charles de Lorraine n’a pas de droit au trône puisque vassal du roi de Germanie. Il convoque les plus hauts seigneurs de la Francie à Senlis et leur dit « Nous n'ignorons pas que Charles [de Lorraine] a des partisans : ils soutiennent qu'il a des droits à la couronne, transmis par ses parents. Mais on ne doit porter sur le trône qu'un homme exceptionnel par la noblesse du sang et la vertu de l'âme. Or, Charles n'obéit pas à l'honneur, il a perdu la tête au point de s'être remis au service d'un roi étranger Otton II. » [1] Adalbéron de Reims se démarque de l'opinion de son temps en refusant la règle de l'hérédité royale. Ceci va à l'encontre de l'interdiction pontificale qui affirme « d'oser jamais élire à l'avenir un roi d'autres reins » que ceux des Carolingiens. L'archevêque sait que par deux fois, les papes du Xe siècle ont soutenu le carolingien Louis IV contre Hugues le Grand. La thèse d'Adalbéron est la suivante : « Des empereurs de race illustre furent déposés à cause de leur absence de vertu (virtus), ils eurent des successeurs tantôt égaux, tantôt inférieurs par leurs origines » (allusion à Charles le Gros (887) et à Charles le Simple (922)). En bref, si le prétendant est un Carolingien, mais manque de virtus le trône doit revenir à quelqu'un de plus illustre. [2] Il plaide une dernière fois en faveur d'Hugues : « Le trône ne s'acquiert point par droit héréditaire, et l'on ne doit mettre à la tête du royaume que celui qui se distingue par ses qualités. Donnez-vous donc pour chef le duc Hugues, recommandable par ses actions, par sa noblesse et par ses troupes, en qui vous trouverez un défenseur, non seulement de l'intérêt public mais aussi des intérêts privés. » [3] Ainsi Hugues Capet est élu contre le carolingien Charles de Lorraine, en tant que prince national, grâce au soutien de l’archevêque de Reims, Adalbéron. Richer écrit qu'Hugues est couronné et sacré le 1er juin mais Yves Sassier n'imagine pas qu'on puisse à l'époque sacrer le nouveau souverain dix jours seulement après la mort du Carolingien. Il semble plutôt qu'Hugues ait été acclamé roi par l'assemblée de Senlis (peut-être le 3 juin) puis couronné et sacré roi le 3 juillet à Noyon. [4] Mais les sources font également mention d'une cérémonie à Reims, d'où l'idée émise de deux cérémonies : une à Noyon (laïque) et l'autre à Reims (religieuse).

 

Il y avait d’ailleurs une centaine d’années que la Couronne était devenue élective non seulement en France depuis l’agonie des Carolingiens au IXe siècle, avec l’élection d'Eudes en 888, mais en Lotharingie, en Italie, et en Allemagne où elle devait le rester.

Ainsi, en 887, en France, le carolingien Charles III le Gros est déposé pour avoir acheté le départ des Normands au lieu de les combattre, il abdique couvert de honte et est remplacé par Eudes (888-898), fils de Robert le Fort, comte de Paris, élu roi par les Grands à Compiègne en 888 parce qu'il avait sauvé Paris de l'envahisseur viking, lors de l'hiver 885-886. Là aussi, deux cérémonies, déjà, le couronnèrent : une laïque élit Eudes, roi des Francs, à Compiègne, puis une religieuse le sacre à Reims le 13 novembre 888

 

Un peu plus tard, en 922, Robert Ier (922-923), frère d'Eudes, sera élu roi contre Charles III (883-922). Robert Ier est le grand-père d'Hugues Capet, et donc l'ancêtre des Capétiens.

 

Saint David, fils de Jessé

 

En 751, « Pépin partage avec Saül et David le fait de ne pas avoir été appelé à régner par sa naissance. Comme ce dernier il devait recevoir une promesse de pérennité. » [5] Il se fait élire roi par les grands de Soissons et est sacré par Saint Boniface : il devint le premier roi de la dynastie carolingienne (751-887). Les rois mérovingiens étaient héréditaires depuis Clovis.

 

Auparavant encore, en remontant dans le temps, les monarchies gauloises étaient électives, parfois également héréditaires (Ambigat, Bellovèse, Segovèse pour les Bituriges au VIe s. av. J.-C., Luernos, Bituitos, Congentianos pour les Arvernes au IIe s. av. J.-C.). « La légitimité des princes était avant tout généalogique. » [6] « C'était du souvenir de l'unité primitive que s'inspiraient les traditions ou les légendes indigènes. - Elles racontaient que la Celtique avait formé autrefois un seul royaume, et n'ayant qu'un souverain. Ce roi lui était donné par les hommes du Centre, les Bituriges: le chef qui commandait tous les Celtes siégeait au milieu même du pays. On conserva longtemps la mémoire d'un de ces rois, Ambigat. » [7] « Divers auteurs ont cru pouvoir faire remonter l'apparition des Celtes au deuxième millénaire (avant J.-C.). Pour d'autres, on peut la chercher dans les phénomènes complexes qui touchent le domaine nord-alpin au Chalcolithique, au troisième millénaire [Brun 2006] » [8] 

 

Autrement dit, la monarchie sur notre territoire, depuis les Gaulois, a entre quatre et cinq millénaires. La république dite française, à côté, représente, en fait, 3,09% de l'histoire de France et de la Gaule. [9]

Nous sommes de loin la nation la plus vieille d'Europe, grâce à la monarchie.

Notes

 

[1] Richer de Reims, Histoire, IV, en 991-998, cité dans J.-M. LAMBIN, Histoire-Géographie, 5e, Hachette Collèges, Paris, 1992, p. 69.

[2] Y. SASSIER, Royauté et idéologie au Moyen Âge, Colin, Paris, 2000, p. 206-207.

[3] Richer de Reims, Histoire, IV, en 991-998 cité dans J.-M. LAMBIN, Histoire-Géographie, 5e, Hachette Collèges, Paris, 1992, p. 69.

[4] Michel PARISSE, La France de l'an Mil, Seuil, Paris, 1990, p. 38. 

[5] Patrick DUMOUY, Le Sacre du Roi, La Nuée bleue, Place des Victoires, Éditions du Quotidien, Strasbourg 2016, p. 30.

[6] Jean-Louis BRUNAUX, Les Religions gauloises (Ve- Ier siècles av. J.-C.), Biblis Cnrs Editions, Paris 2016, p. 62.

[7] Camille JULLIAN, La Gaule avant César, Editions du Trident, Paris 2012, p. 69;

[8] L'Europe celtique à l'Âge du fer (VIIIe-Ier siècles), sous la direction de Olivier BUCHSENSCHUTZ, Nouvelle Clio, PUF, Mayenne 2015, p. 78.

[9] En comptant 8 ans entre 1792 et 1800 (1ère république), 3 ans entre 1848 et 1851 (2e république), 70 ans entre 1870 et 1940 (3e république), 73 ans entre 1946 et 2019 (4e et 5e républiques), la république a 154 ans d'histoire. Rapporté à 5000 ans de monarchie, cela fait 3,09%.

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5 février 2019 2 05 /02 /février /2019 17:40
À l'intérieur de la caverne sanctuaire de Monte Gargano (Italie) où saint Michel Archange est apparu

Source : À l'intérieur de la caverne-sanctuaire où saint Michel Archange est apparu, Par Billy Ryan - 21 janvier 2019 - Ucatholic.com

(Traduction)

 

C'est l'un des sites de pèlerinage les plus importants depuis le début du Moyen-Âge, visité par les empereurs, les rois, les princes et le plus saint des saints de l'histoire. Aujourd'hui, c'est un site du patrimoine mondial de l'UNESCO, et le site de destination de plus de 2 millions de pèlerins par an. Pourquoi le sanctuaire de Monte Gargano (en italien : Santuario di Monte Sant'Angelo sul Gargano), se retrouve-t-il à travers l'histoire catholique ? La réponse remonte à un millénaire et demi, lors de quatre apparitions célestes.

 

Le Liber de apparitione Sancti Michaelis, latin, "livre sur l’apparition de saint Michel sur le mont Gargano", raconte l’histoire des trois premières apparitions de l’archange dans la grotte de Monte Gargano - aujourd'hui sanctuaire catholique découvert dans la ville de Monte Sant'Angelo, Italie.

 

La première apparition a lieu vers l'an 490 de notre ère. Un homme riche, Garganus, avait perdu un de ses précieux taureaux après s'être séparé de son troupeau. En cherchant partout l'animal, il le trouva au repos à l'embouchure d'une grotte au sommet de la montagne. Irrité qu'il osa quitté le reste du bétail, il tira une flèche empoisonnée sur la bête, flèche qu'il vit seulement se retourner miraculeusement vers lui et le frapper. Il consulta l'évêque de Siponto, qui ordonna trois jours de jeûne et de prière pour chercher des réponses à Dieu. Le dernier jour, l'archange parla à l'évêque dans une vision: "Vous avez bien fait de chercher auprès de Dieu le mystère qui était caché aux hommes; c'est-à-dire un homme frappé par sa propre arme. Car vous devriez savoir que cela a été fait par ma propre volonté. Car je suis Michel Archange, qui reste toujours dans la contemplation du Seigneur. Et décidant de garder cet endroit et ses habitants dans ce pays, je voulais montrer par ce signe que je surveillais cet endroit et tout ce qui s'y passe."

 

Les habitants vivant près de Siponto ont instauré la coutume de prier Dieu et l’archange Saint-Michel près de l’entrée de la grotte.

 

La deuxième apparition (en 492 Ndlr.) intervient lorsque les Napolitains païens commencèrent une guerre contre les Sipontans. L'évêque de Siponto leur demanda une trêve de trois jours afin qu'ils puissent jeûner et prier pendant trois jours pour la protection de saint Michel. La nuit précédant le début du combat, l'archange apparut de nouveau à l'évêque, s'assurant qu'ils trouveraient la victoire dans le combat qui s'ensuivrait.

 

"C'est pourquoi, dans la matinée, heureux et confiants que l'ange apporterait la victoire, tandis que les Napolitains seraient réduits au moyen d'un esprit démoniaque, les chrétiens rencontraient les païens. À la fin de la bataille, le Mont Gargano fut frappé par un immense tremblement de terre. Des éclairs volèrent, et une brume sombre couvrit le sommet de la montagne."

 

Une empreinte de pas a été laissée dans le marbre des grottes-chapelles au nord, un signe que les Sipontans ont pris comme une marque laissée par saint Michel.

 

La troisième apparition eut lieu environ un an plus tard (en 493. Ndlr.), lorsque les Sipontans doutèrent de la pertinence des actions miraculeuses de l'évêque : devaient-ils entrer dans la grotte ou y dédier l'église? L'évêque de Saponto implora le pape pour obtenir une direction, ordonnant à nouveau trois jours de jeûne et de pénitence. Encore une fois, l'archange parla à l'évêque dans une vision le dernier jour:

 

"Ce n'est pas votre travail de dédier l'église que j'ai construite. Car moi, qui l’ai construit, je l’ai également dédiée. Mais entrez dans cet endroit où je suis présent en tant que protecteur et remplissez-le de prières. Et célébrez-y la messe demain et laissez les gens prendre la communion de la manière habituelle; ma prérogative est cependant de montrer de quelle manière, par moi-même, j'ai consacré cet endroit."

 

À l'intérieur, ils trouvèrent de l'eau douce coulant de la pierre du sanctuaire près de l'autel de la chapelle. Les Sipontans l'appelaient "le goutte-à-goutte" et en prenaient après la célébration de l'Eucharistie, car il était connu pour soigner toutes les blessures et les infirmités:

 

"Et par la suite beaucoup ont retrouvé la santé, après avoir longtemps souffert des flammes de la fièvre, il ont été immédiatement rafraîchis par la consommation de cette goutte. Également beaucoup de gens y furent guéris de maladies innombrables et diverses, et de nombreux miracles y sont attestés, ce qui ne pouvait avoir été accompli que par le pouvoir de l'ange."

 

La dernière apparition de l'archange a eu lieu plus de mille ans plus tard, le 25 septembre 1656. La région de Gargano était frappée par la peste qui faisait de nombreuses victimes; l'archevêque Alfonso Puccinelli eut recours à Saint Michel avec trois jours de jeûne et prière. Le dernier jour, l'archange Michael apparut à l'évêque et déclara :

 

"Je suis l'archange Saint Michel, celui qui utilise les pierres de cette grotte sera libéré de la peste; bénissez ces pierres, donnez-leur le signe de la croix et mon nom."

 

Bientôt, ceux de Gargano furent libérés de la peste, et ceux d'ailleurs aussi qui tenaient les pierres, connues aujourd'hui sous le nom de pierres reliques de saint Michel. [Ndlr. "Très rapidement, non seulement la ville fut délivrée de l'épidémie, mais également tous ceux qui invoquaient son intercession étaient guéris." (Gilles Jeanguenin, Le Prince des Anges Saint Michel, Pierre Téqui éditeur, Paris 2002, p. 12-13).]

 

Pierre relique de Saint Michel Archange du Mont Gargano (Italie)

 

Au cours de l'histoire, de nombreux pèlerins ont visité le sanctuaire de Saint-Michel, notamment les saints Thomas d'Aquin, Catherine de Sienne, Bernard et Guillaume de Vercelli. Lorsque Saint François d’Assise s'y rendit en 1221 pour se préparer au carême, la tradition veut qu’il se considéra indigne et qu’il n’entra pas, mais qu’il grava plutôt une croix dans le marbre. En 1987, le pape saint Jean-Paul II visita le sanctuaire de Saint-Michel et prononça une allocution que vous pouvez lire intégralement ici :

 

"Je suis venu ici, comme beaucoup de mes prédécesseurs sur la chaire de Pierre, pour profiter un instant de l'atmosphère propre à ce sanctuaire, une atmosphère de silence, de prière et de pénitence."

 

Lettre grecque tau gravée dans la pierre par saint Francois d'Assise au mont Gargano de saint Michel Archange (Italie)

 

Aujourd'hui, le sanctuaire de Saint-Michel demeure un lieu de pèlerinage chrétien extrêmement populaire. Les pèlerins peuvent recevoir les pierres reliques de saint Michel, considérées comme un puissant sacramental pour invoquer l'intercession de saint Michel Archange.

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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 02:50

Outre que le chant en lui-même de la Marseillaise est un ignoble appel à la tuerie d'autres Français opposants à la révolution, les « traîtres » du couplet 2 (nobles et prêtres réfractaires et tout opposant) parce que leur « sang impur » souillait le sol de la république (!), l'idée d'écrire ces quelques précisions sur le contexte de la création de la Marseillaise nous est venue suite à la volonté des Gilets jaunes de se doter, eux-mêmes, d'une nouvelle hymne. 

 

Fabuleux exemple de fabrication d'une fake new au berceau de la république et aux conséquences incalculables pour les Français (qui le payent encore), voici la coalition d'armées autrichiennes, « des cohortes étrangères », « ces phalanges mercenaires » (couplet 3), qui étaient prêtes à fondre sur le pays, en 1792, pour (soit-disant) enrayer la révolution : 

"Le Départ des Volontaires de 1792", également connue comme "La Marseillaise" : sculpture par François Rude, Arc de Triomphe de l'Etoile, Paris.

"Le Départ des Volontaires de 1792", également connue comme "La Marseillaise" : sculpture par François Rude, Arc de Triomphe de l'Etoile, Paris.

L'école républicaine enseigne encore un mythe qui n'est pourtant plus d'actualité parmi la majorité des historiens. Ce mythe, qui a eu court durant tout le XXe siècle, qui a endoctriné des générations d'écoliers et qui a servi à légitimer la république en 1792 est celui d'une Marseillaise composée en 1792 (de son vrai nom Chant de guerre pour l'armée du Rhin) pour les soldats qui se préparaient à affronter les armées autrichiennes soit-disant prêtes à envahir le pays pour enrayer la révolution et préserver la monarchie en France et dans toute l'Europe. Ceci est un mythe.

 

Et maintenant la vérité historique : Un sang impur souillait le sol de la république

 

Le révolutionnaire anglomane Brissot écrivait aux généraux de sa Révolution:

 

« Il faut incendier les quatre coins de l'Europe, notre salut est là[1]

 

Dans la mystique révolutionnaire, les républicains se prétendaient "régénérés" grâce a la régénération républicaine. Ils se voyaient eux-mêmes pourvus d'un sang purifié. Sur ce thème de la régénération révolutionnaire, il faut lire l'ouvrage du professeur Xavier MARTIN, "Régénérer l'espèce humaine. Utopie médicale des Lumières (1750-1850) (Dominique Martin Morin édition, Mayenne 2008.) On trouve l'origine du thème du sang impur chez les Lumières, en lien au mépris de classe envers les pauvres (les paysans), par exemple chez Voltaire. « Le grand malheur (...) est d'être imbéciles » (Correspondance, t. 12, Paris 1988, p. 69, lettre du 18 mars 1775). « Le petit peuple ne raisonnera jamais », disait Voltaire, « le peuple non pensant », « la multitude sera toujours composée de brutes. » (Voltaire's Notebooks, éd. Bestermann, 2 vol. Genève, 1952,n t. 2, p. 131, 391 et 395.) D'où la haine de la démocratie directe chez les Lumières et les hommes de la Révolution. D'Holbach parlait de « l'homme sans culture, sans expérience, sans raison ». Un tel homme, interrogeait-il, « n'est-il pas plus méprisable et plus digne de la haine (sic) que les insectes les plus vils ou que les bêtes les plus féroces ? » (D'Holbach, Le Bon sens, ou idées naturelles opposées aux idées surnaturelles, 1772, Paris, éd. Rationalistes, 1971, p. 91) 

« À d'Alembert, Voltaire, déjà, ne confiait-il pas que tous chrétiens "fanatiques" sont "pétris" de matière fécale, poussée même au superlatif, puisque "détrempée de sang corrompu" (Lettre du 12 décembre 1757 : "Fanatiques papistes, fanatiques calvinistes, tous sont pétris de la même m... détrempée de sang corrompu". Voltaire, Correspondance, t. 4, p. 1187) : toujours donc, ou déjà, le thème du sang impur. » [2] 

Le mépris tenace de la paysannerie demeurera encore au XIXe siècle un thème tout à fait « progressiste ». Ainsi Fourier, le socialiste, évoquera-t-il « l'âne, emblème du paysan, de son patois ou braiment risible, de sa nourriture chétive. » (Le Nouveau monde industriel et sociétaire, ou Invention du procédé d'industrie attrayante, 1829, Paris 1973, p. 529.)

 

Pour les révolutionnaires, la guerre de la liberté purifie les âmes : 

« La guerre de la liberté est une guerre sacrée, une guerre commandée par le ciel; et comme le ciel elle purifie les âmes. ... Au  sortir des combats, c'est une nation régénérée, neuve, morale; tels vous avez vu les Américains: sept ans de guerre ont valu pour eux un siècle de moralité. ... La guerre seule peut égaliser les têtes et régénérer les âmes. » (Jacques-Pierre Brissot de Warville, discours du 16 décembre 1791). [3]

 

« Nous ferons de la France un cimetière, plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière et de manquer le but que nous nous sommes proposé. » (Jean-Baptiste Carrier) [4]

 

Carrier « purge » la France des asociaux (donc sous-humains) du Bas-Poitou: il annonce qu'il fait massacrer « par centaines » les naïfs qui se rendent. « La défaite des brigands est si complète qu'ils arrivent à nos avant-postes par centaines. Je prends le parti de les faire fusiller... C'est par principe d'humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres... J'invite mon collègue Francastel à ne pas s'écarter de cette salutaire et expéditive méthode. » (Lettre de Carrier à la Convention nationale, 30 frimaire an II, 20 décembre 1793, lue à l'assemblée le 6 nivôse, 26 décembre; Moniteur, n° 98, 8 nivôse, 28 décembre ("à la une") p. 393, col. 1.)

 

Fouché avoue simplement : « Oui, nous devons l'avouer, nous faisons répandre beaucoup de sang impur, mais c'est par humanité, par devoir. » (Lettre de Fouché à la Convention, 27 décembre 1793) [5]

 

Il faut « régénérer l'espèce humaine en épuisant le vieux sang » (Lettre de Le Batteux à Carrier, 21 nivôse an II, 10 janvier 1794.) [6] 

 

« Je ne juge pas, je tue. Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavres» (Saint Just)

 

Les opposants politiques à la révolution sont animalisés : « La  République, en effet, bestialise les insurgés.» Elle « parle de "troupeau", et de "femelles", et de "juger les mâles et les femelles", et d'"animaux à face humaine" (Camille Desmoulins) [7], ou d'"un ramas de cochons, de gens qui n'avaient pas de figure humaine" (Bourdon de l'Oise, au club des Jacobins, le 11 septembre 1793 : Aulard, éd. La Société des Jacobins, t. 5, p. 399), ou qu'elle empile leurs corps "à peu près comme des cochons qu'on aurait voulu saler" (rapporté en l'an III par un républicain d'Anjou, réprobateur : Rapport du citoyen Benaben, p. 81). » [8]

 

Un observateur calviniste protestant contemporain des évènements de 1789, qu'on ne peut pas taxer de sympathie pour la monarchie catholique, Mallet du Pan, dans ses « Considérations sur la nature de la Révolution française », écrit :

 

 

(C'est le girondin) « Brissot qui s'est vanté solennellement d'avoir fait déclarer la guerre, pour avoir l'occasion au premier chef d'accuser le roi de collusion avec les ennemis, et de le précipiter du trône. » [9]

 

Il ne s'agit pas là d'une thèse « complotiste » ni d'une fake new. Cette thèse a été admise aujourd'hui par l'ensemble des historiens.

 

Ainsi, le spécialiste de la Révolution et de l'empire, Patrice Gueniffey, dans La Politique de la Terreur, écrit :

 

« La plupart des historiens s'accordent aujourd'hui pour reconnaître avec Jaurès que la guerre (de 1792), loin d'avoir été provoquée par l'étranger (et le roi), fut déclenchée à l'initiative de la Révolution et qu'elle le fut, non par la nation unanime que célèbre Michelet, mais par les hommes de la Révolution. […] [L]'incendie qui devait mettre le feu à toute l'Europe pendant un quart de siècle résulta des calculs et des intérêts des différents partis. […] Certains historiens ont pu s'appuyer sur cette distinction pour avancer l'idée que la guerre, même voulue par les révolutionnaires en l'absence de toute réelle et pressante menace extérieure, était inéluctable. » [10] 

 

« [L]es Girondins orchestrent la campagne d'opinion destinée à imposer la guerre. » [11]

 

Et dans Histoires de la Révolution et de l'Empire, Patrice Gueniffey ajoute :

 

« Cette crise […] a pour effet de renforcer le parti qui veut renverser la monarchie – les futurs Girondins – et qui, pour y parvenir, conçoit l'idée d'engager la France dans une guerre (celle de 1792) dont ils espèrent qu'elle sera perdue, défaite dont la responsabilité serait rejetée sur le roi. » (!) [12]

 

Parallèlement : 

 

les Girondins qu'on appelait aussi Brissotins du nom de l'anglomane Brissot, stipendié des banques et d'intérêts qui n'étaient pas ceux du peuple... (Cf. Le génocide en Vendée qui a fait entre 180 000 et 300 000 morts civils Français) ont orchestré « à partir de la fin de l'été 1791 une campagne contre les "ennemis de l'intérieur", nobles émigrés et prêtres réfractaires, qui leur permet […] de faire adopter des lois d'exception. » [13] (Comme nos patriot act d'aujourd'hui ou nos lois d'états d'urgence.) 

 

Enfin :

 

« En 1792, la rupture de l'alliance avec l'Autriche avait été décidée par les révolutionnaires en fonction de principes idéologiques et de calculs partisans : les Girondins avaient voulu, en déclarant la guerre à l'Autriche (20 avril 1792) sous prétexte d'une IMAGINAIRE coalition internationale contre la Révolution, non seulement porter un coup fatal à l'alliance forgée par la monarchie, mais attaquer le roi dans ses alliances familiales et démontrer ainsi […] qu'il était […] le représentant et l'allié des ennemis de la Révolution. 'Nous avons besoin de grandes trahisons', avait avoué Brissot, […] en se réjouissant par avance des défaites qui établiraient ainsi la preuve de la trahison royale. » [14] 

 

Ajoutons que l'ultimatum ou « Manifeste de Brunswick », connu à Paris dans la journée du 1er août 1792, et prévoyant de livrer la ville de Paris à « une exécution militaire et à une subversion totale » s'il était fait le moindre outrage au roi et à la reine, est en réalité un faux signé le 25 juillet à Coblence par le duc de Brunswick, « philosophe, franc-maçon » [15]. Ce texte provocateur servit de prétexte à l'insurrection et au coup d'État maçonnique du 10 août 1792 qui renversa la monarchie : « Connu à Paris le 1er aout, le manifeste servit de détonateur, de prétexte à l'insurrection du 10 août », mentionne le Dictionnaire de la Révolution française de Jean Tulard, J.F. Fayard et A. Fierro. [16] Un hasard sans doute ! « Le rédacteur du texte final, écrit l'historien Jean-Christian Petitfils, fut un obscur financier émigré proche de Fersen et de Breteuil, le marquis Geoffroy de Limon, ancien agent d'affaires du duc d'Orléans, renvoyé pour escroquerie. [17] Le duc d'Orléans était le « Grand-Maître du Grand Orient de France » (sic) : un hasard là encore. Louis XVI adressa à l'Assemblée nationale un ferme démenti niant toute collusion avec les puissances étrangères. Le 3 août, Pétion et la Commune présentaient à l'Assemblée une demande de déchéance du monarque...

 

La Marseillaise mettant en scène des soldats engagés sur les frontières contre une coalition imaginaire prête à envahir la France et à renverser la Révolution est donc une imposture qui servit à la république à renverser la monarchie contre l'usure, et aux bourgeois des clubs parisiens à prendre le pouvoir et le donner au capitalisme financier. Le malheur est que l'Europe a connu par la suite 23 années de guerre continue jusqu'en 1815, que la France, en guerre à l'extérieur, a elle-même connu une guerre civile à l'intérieur, simplement pour que la république dite française puisse émerger et que le capitalisme financier puisse tenir le haut du pavé. 

Sources:

(1) Mallett du Pan, Considérations sur la nature de la Révolution, 1793, réed. Editions du Trident, Paris 2007, p. 75 ; (2) Xavier Martin, Sur les Droits de l'Homme et la Vendée, DMM, Niort 1995, p. 64 ; (3) Brissot cité dans Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, p. 71 ; (4) Jean-Baptiste Carrier cité dans G.-A. TRONSON-DUCOUDRAY, La Loire vengée ou recueil historique des crimes de Carrier et du comité révolutionnaire de Nantes, Paris, an III de la République, coll. Hervé de Bélizal, p. 232) ; (5) Fouché cité dans A. GERARD, Par Principe d'humanité..., La Terreur et la Vendée, Paris 1999, p. 25 ; (6) Cité dans J. CRETINEAU-JOLY, Histoire de la Vendée militaire (1840-1842), 4 vol., Paris 1979, t. 2, p. 78 ; (7) Camille Desmoulins, cité dans A. Gérard, La Vendée, 1789-1793, Seyssel, 1992, p. 144 ; (8) Xavier Martin, Sur les Droits de l'Homme et la Vendée, DMM, Niort 1995, p. 52 ; (9) Mallet du Pan, Considérations sur la nature de la Révolution française, 1793, rééd. Editions du Trident, Paris 2007, p. 68 ; (10) Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Tel Gallimard 2000, p. 133; (11) P. Gueniffey, La Politique de la Terreur, ibid., p. 161 ; (12) P. Gueniffey, Histoires de la Révolution et de l'Empire, Tempus Perrin 2011, p. 176 ; (13) P. Gueniffey, Histoires de la Révolution et de l'Empire, ibid., p. 176 ; (14) P. Gueniffey, Histoires de la Révolution et de l'Empire, ibid., p. 670 ; (15) Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin, Lonrai 2012, p. 863 ; (16) J. Tulard, J.-F. Fayard, A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799, Robert Laffont, Paris 2004 ; (17) J.-C. Petitfils, Louis XVI, ibid., p. 863.

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23 janvier 2019 3 23 /01 /janvier /2019 19:52

Au matin du 21 janvier 1793, sur l'ancienne place Louis XV, du nom de son grand-père, celui qui en tant que Roi avait ratifié la Déclaration des Droits de l'Homme a rendez-vous avec son Créateur. Albert Camus dans "l'Homme révolté" écrira "Le 21 janvier avec le meurtre du roi-prêtre s'achève ce qu'on a appelé significativement la Passion de Louis XVI. Certes, c'est d'un répugnant scandale d'avoir présenté comme un grand moment de notre histoire l'assassinat public d'un homme faible et bon. Cet échafaud ne marque pas un sommet, il s'en faut. Il reste au moins que, par ses attendus et ses conséquences, le jugement du roi est à la charnière de notre histoire contemporaine. Il symbolise la désacralisation du Dieu chrétien. Dieu se mêlait jusqu'ici à l'Histoire par les rois. Mais on tue son représentant historique, il n'y a plus de roi. Il n'y a donc plus qu'une apparence de Dieu reléguée dans le ciel des principes." En faisant tomber la tête du roi, gardien de l'ordre social chrétien, on fait aussi tomber la société traditionnelle ! C'était la fin de l'ancienne France et l'avènement d'une ère nouvelle, mère de tous les totalitarismes contemporains et des idéologies "progressistes".

 

Pour "commémorer" la mort du "tyran", le 21 janvier 1794 à Laval, la justice républicaine fait guillotiner 14 "fanatiques", des prêtres qui ont choisi le chemin du martyr à celui de la souillure d'un parjure. L'Eglise les béatifiera. L'arrêté du 22 décembre 1793 les condamnant à mort, illustre ce nouveau monde inspiré des philosophes du XVIIIème siècle. Suivant l'esprit du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, l'Etat tire sa légitimité de la loi, expression de la volonté générale. En l'espèce la Commission judiciaire Volcler se comporte comme Créon, le tyran qui appliquait sans états d'âme la rigueur de la loi : "Par lequel il est prouvé que, requis par la loi de prêter le serment exigé des fonctionnaires publics prêtres, par l'Assemblée constituante, et celui de liberté et égalité exigé pour tous les républicains français, par la Convention nationale, et que, requis encore une fois de prêter devant le tribunal, s'ils s'y sont constamment refusés. Sur ce, considérant que ces individus, par le refus opiniâtre de se conformer aux lois de la République, de les reconnaître et de les observer, sont coupables de conspiration secrète contre la République française, conspiration d'autant plus dangereuse que, présentée sous les couleurs séduisantes de l'hypocrisie et du fanatisme, elle pourrait induire en erreur un peuple crédule, toujours facile à séduire dans ses opinions religieuses, enfin, que les principes que ces hommes professaient ouvertement étaient les mêmes qui avaient allumé dans l'intérieur de la République la guerre désastreuse de la Vendée...."

 

Ce même jour, les Colonnes infernales pénètrent dans la Vendée disparue administrativement devenue le département "Vengé" sur proposition du député aristocrate Antoine Merlin de Thionville. Les "Forces de l'ordre" ne font qu'exécuter les ordres reçus : "Je vous donne l'ordre de brûler tout ce qui peut brûler, de passer à la baïonnettes tous les habitants que vous rencontrerez. Je sais qu'il peut y avoir des patriotes, tant pis : il faut tout sacrifier" ainsi est la mission de la colonne de Grignon.

 

Par une loi du 21 nivôse an III (10 janvier 1795), le 21 janvier devient une "fête révolutionnaire" intitulée fête du "2 pluviôse (21 janvier) ou fête du serment de haine à la Royauté et à l'Anarchie". On y prête alors le serment suivant : "Je jure haine à la Royauté et à l'Anarchie, je jure attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l'an III". L'instituteur breton Hémery compose même une chanson :

Français, c'est aujourd'hui le jour anniversaire



de la mort de Capet, le tyran, le faussaire.



Réjouissons-nous tous, il n'est plus de Tarquin ;



nous devenons républicains (bis).







La voyez-vous là-bas l'hideuse politique ?



menacer le berceau de votre République ;



plus près, le fanatisme éguiser ses poignards



et agiter ses étendards (bis)







Ces monstres infernaux ont des agents perfides



qui, du sang fraternel, sont des Caïns avides ;



défiez-vous, français, ces coquins sont nombreux ;



lisez les noms les plus fameux (bis) :



Dumouriez, La Fayette et Pichegru, ô traitre,



Talmont, Stofflet, Charette, abominables êtres !







Périssent tous les traitres et les rois conjurés,



c'est fait d'eux, vous l'avez juré (bis)



Je vous laisse, courez, volez à la victoire



en chantant ce refrain si digne de mémoire :



"Aux armes, citoyens ! formons nos bataillons,



Marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons !"







Etre suprême, viens, souris à notre fête,



fais briller ton soleil par-dessus nos têtes,



nous te faisons des voeux pour que tous nos guerriers



reviennent, couverts de lauriers (bis),



l'an prochain, célébrer, au temple décadaire,



de la mort de Capet le jour anniversaire



et chanter avec nous, il n'est plus de Tarquin,



le dernier en mourant nous fit républicain.

La Restauration fera du 21 janvier une fête expiatoire mais Louis-Philippe d'Orléans, fils de Philippe-Egalité, régicide, "gardien de l'héritage révolutionnaire" l'abolira. Cruel destin, le Comte de Paris, son descendant, vient de rejoindre en ce jour expiatoire la Maison du Père pour paraître devant le Christ-Roi, son Sauveur.

 

 

 

Source : Lys de france, Nicolas Chotard, Président des Lys de France. Trésorier de la Chouannerie du Maine.

https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1905_num_21_4_1231

https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1905_num_21_4_1231

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23 janvier 2019 3 23 /01 /janvier /2019 07:00
Jeanne d'Arc: Réponses aux falsificateurs de l'histoire de Jeanne d'Arc

En 2007, le journaliste au quotidien L’Est républicain, Marcel Gay, et le latiniste paléographe Roger Senzig, publiaient le livre "L'Affaire Jeanne d'Arc" (Florent Massot, 2007), dont les propos guère innovants, datent comme la presque totalité des pamphlets anticléricaux du XIXe siècle. Dans la tradition des auteurs "survivo-bâtardisants" comme on les appelle, Marcel Gay affirmait que la sainte de Domrémy n’était pas morte sur le bûcher mais dans son lit ; qu’elle aurait été mariée au chevalier lorrain Robert des Armoises. Entre temps, elle fut manipulée par la machiavélique Yolande d’Aragon, qui n’eut aucune difficulté à trouver cette jeune fille puisque, toujours d’après Gay, elle était ni plus ni moins que la fille d’Isabeau de Bavière et du duc d’Orléans ! Bâtarde donc de sang royale… Quelques mois plus tard, la chaîne de télévision Arte diffusait un reportage au cours duquel Marcel Gay fut largement interviewé en situation favorable tandis que la caution universitaire, elle, était cantonnée à l’obscurité des bibliothèques. Au cours de ce docu-fiction, la thèse de monsieur Gay fut largement retenue et exploitée quand celle des historiens fut déformée pour ne pas dire amputée… [1] Indignée par les inepties du livre et le montage du film, l'historienne Colette Beaune, agrégée d'histoire, professeur  émérite à l'université Paris X - Nanterre, qui avait pourtant été consultée par Arte, décida dans Jeanne d'Arc, Vérités et légendes (Perrin, Paris, 2008), de réagir et de répondre point par point aux bêtises qui circulent aujourd'hui sur le compte de la Pucelle. Or le résultat dépasse de loin le simple écrit de circonstances. Au-delà des rectifications nécessaires, le volume constitue une très bonne présentation, à jour, de l'histoire de Jeanne d'Arc et des enjeux dont elle est porteuse pour comprendre la fin du Moyen Age. [2]

 

Fille de Jacques d'Arc et d'Isabelle Rommée, Jeanne d'Arc a été condamnée pour hérésie par un tribunal ecclésiastique acheté par les Anglais en 1431. Prétendre que l'histoire de Jeanne d'Arc est un mythe inventé par l'Église de France à des fins de propagande monarchique est ridicule : c'est oublier que l'Angleterre, à cette époque-là, était également de cette même religion catholique romaine que la France; c'est écarter près de cinq cents ans entre le martyre de Jeanne et sa canonisation (1920) : un peu long pour y voir un "complot" de l'Église ! Et c'est ignorer que le roi Charles VII, ayant reconquis le pays, entreprit à la demande de la famille de Jeanne d'Arc un procès en annulation de la condamnation parce qu'il  n'était pas possible que le roi dut sa couronne à une "hérétique". Ce qui élimine également la thèse du "complot" monarchique.

 

On imagine en outre que Jeanne d'Arc est depuis longtemps l'une des saintes patronnes du pays. En réalité, sa sainteté est récente, elle date du début du XXe siècle. La démarche fut enclenchée en 1874 par l'évêque d'Orléans, Mgr Dupanloup, tandis que Jeanne d'Arc est déjà entrée dans le panthéon des grandes figures de la nation. [3]

 

Jeanne appartient à une famille de cinq enfants : Jeanne, Jacquemin, Catherine, Jean et Pierre. Elle n'était pas bergère, c'est vrai, et elle l'a déclaré elle-même : à Domrémy, elle s'occupait notamment des chevaux que possédait son père - un laboureur, doyen du village -, chevaux qu'elle montait à l'occasion. [4]

 

« Contrairement à ce que pensent nos chers mythographes du XIXe siècle, écrit Colette Beaune, le cheval n'est pas réservé aux nobles. Tous se déplacent ainsi dès que le trajet est un peu long. Destrier et haquenée sont de nobles montures mais le cheval de labour, le mulet ou le bourricot sont en revanche accessibles au plus grand nombre. » [5]

Que les paysans n'auraient pas le droit de monter à cheval « est une invention pure et simple. » [6]

 

Le père de Jeanne, Jacques d'Arc, devait être un laboureur aisé. Il bénéficiait d'une certaine notoriété à Domrémy, où il représenta à plusieurs reprises la communauté des villageois. Il avait été doyen (l'équivalent de maire du village), mais il avait été aussi procureur de celui-ci lors d'affaires évoquées devant Robert de Baudricourt, le capitaine royal de Vaucouleurs [7], forteresse voisine de Domrémy qui faisait partie des Marches de Lorraine (enclave française en terres barroises.) Les parents de Jeanne étaient armagnacs.

 

La légende de la bergère résulte probablement de la volonté des Armagnacs de transmettre cette image (plus symbolique qu'une simple fille de paysan) à des fins de propagande politico-religieuse pour montrer qu'une « simple d'esprit » pouvait aider le chef de la chrétienté du royaume de France et guider son armée, illuminée par la foi. [8]

 

De l'autre côté, se trouvaient les Bourguignons. « Aucun de ces deux ensembles mythiques n'est ni plus vrai ni plus rationnel que l'autre, contrairement à ce que croient les mythographes d'aujourd'hui, acharnés à détruire l'imaginaire armagnac mais prêts à gober tout ce que racontent les Bourguignons. » [9]

 

Jeanne, habitait à Vaucouleurs, qui appartenait au Royaume de France : elle parlait français. « Son adresse dans l'équitation [...] fut expliquée [...] par le fait qu'elle avait, quelque temps, fréquenté des gens de guerre, notamment à Neufchâteau: comme le dit Jean d'Estivet, ce fut là qu'elle "apprit la manière de monter à cheval et à avoir une connaissance des armes." Pour ce qui est de sa maîtrise du français de France, prononcé avec l'accent lorrain, il n'étonne pas les spécialistes des "francophonies" du XVe siècle non plus. » [10]

 

Elle n'était pas illettrée. ll est vrai qu'elle n'a jamais porté le nom de d'Arc : les filles, dans sa région, portaient le nom de leur mère. [11] 

 

Jeanne, fille d'Isabeau de Bavière ? Absurde. Si Charles VI ne pouvait pas coucher avec Isabeau de Bavière du fait de sa maladie, Charles VII serait également un bâtard (thèse bourguignonne du temps de Jeanne d'Arc). Mais si les deux enfants étaient des bâtards, quel eut été l'intérêt pour l'Église de légitimer des adultères et d'inventer toute une histoire pour défendre des enfants adultérins ? Cela n'a aucun sens. De même, si Jeanne était la soeur de Charles, comment expliquer que Charles VII ait pu abandonner sa soeur ? 

 

L'explication de l'abandon de sa soeur par Charles sera tentée par Jean Grimod en 1952 : « Charles VII n'avait pas abandonné sa soeur : elle avait survécu, c'était la dame des Armoises ! » [12] (Voir plus bas.)

 

Selon les bâtardisants, Jeanne aurait été amenée à Domremy en 1408. «[E]n acceptant que l'escorte imaginée ait réellement apportée une enfant pour la faire passer pour la fille d'Isabelle Romée, on aurait eu bien du mal à faire croire, même au paysan le plus crédule, qu'une enfant née en 1407 serait née dans la nuit du 6 janvier 1412; il y a quand même quelques différences visibles entre un nouveau-né et un enfant de quatre ans révolus. [...] Enfin, en acceptant même l'idée que Louis d'Orléans et Isabeau de Bavière ait eu un enfant, pourquoi la mener à Domremy, qui se trouve à la frontière de la Lorraine ? Le duc d'Orléans était justement en conflit avec le duc de Lorraine pour la question de Neufchâteau, qui lui avait été confisqué. On voit bien que son bâtard - lui, certifié comme tel - le futur comte de Dunois, avait été au contraire mis à l'abri en plein centre des domaines orléanais, à Blois. Comme les raisons du choix de Domremy restaient effectivement douteuses, on a voulu faire des d'Arc des familiers de la famille d'Orléans ou de la reine. Et comme il n'y avait pas qu'un âne qui s'appelle Martin, on a effectivement trouvé des d'Arc, harc ou Dart dans l'entourage d'Isabeau de Bavière. Les bâtardisants en ont tiré argument pour conforter leur choix de Domremy pour abriter une petite bâtarde, et les survivistes y ont trouvé des preuves que jeanne était de naissance bien plus noble que ce que les pauvres historiens bornés par les textes pouvaient croire. mais qu'il existe des d'Arc ailleurs qu'à Domremy ne constitue pas une preuve qu'ils faisaient partie de la même famille. [...] Il existe même deux autres authentiques Jeanne d'Arc quasi contemporaines, repérées par Marie-Thérèse Caron dans son étude sur la noblesse bourguignonne [...] : heureusement, personne n'a encore songé à affirmer que l'une ou l'autre était de la famille de la Jeanne de Domremy ! » [13]

 

En fait, les rumeurs sur Isabeau de Bavière, soufflées par le parti bourguignon qui cherchait à délégitimer Charles, commencèrent vers 1404-1405 : « le duc de Bourgogne fit semer faux mensonges de la reine et du duc d'Orléans. » Le petit Philippe dont les mythographes disent qu'il devait être Jeanne d'Arc, a « toute chance d'avoir été un enfant légitime. [...] On ne peut donc pas dire tout à trac : "Les mœurs légères d'Isabeau étaient connues de tous", parce que ce n'est pas vrai. Les rumeurs sont chronologiquement (1404-1407, 1428-1429) et géographiquement situées. Elles sont instrumentalisées par la propagande bourguignonne. Toute femme de pouvoir est potentiellement une Marie-couche-toi-là. Encore aujourd'hui ? » [14] Notons au passage que c'est le même mauvais procès que la Révolution dite française fit à Marie-Antoinette pour pouvoir la décapiter.

 

« La victoire de la monarchie et l'écriture d'une histoire nationale de plus en plus unitaire font prévaloir au XVIe siècle la vision des armagnacs. Celle des Bourguignons subsiste en contrepoint chez les protestants et nourrit l'illusion d'une Jeanne cachée au grand public mais qui serait la vraie » [15] « Les mythographes, écrit Colette Beaune, ne racontent son parcours que d'après les textes bourguignons. » [16]  

 

Ce petit garçon - Philippe - que les mythographes ont déclaré bâtard, […] a été enterré à Saint-Denis où le religieux moine Chantre de l'abbaye, […] Michel Pintouin […] dit qu'il fut inhumé près de ses frères, probablement donc dans le même tombeau que Charles, mort en 1386 à trois mois, que décrit le 10 août 1793 procès-verbal des exhumations à Saint-Denis. […] C'était un garçon : lors d'un accouchement public, il est difficile de tricher sur le sexe, qui est vérifié (un garçon est un héritier possible, une fille non). Que faire donc ? P. de Sermoise, mythographe notoire, fait naître des jumeaux : un petit Philippe qui meurt et une petite Jeanne conduite à Domrémy. » [17] 

 

Lors de son procès en 1430, Jeanne n'a pas affirmé qu'elle avait vingt-trois ou vingt-quatre ans, puisque, aux deux premières séances du procès de condamnation (1430), lorsque les juges demandèrent son âge à Jeanne, elle répondit qu'elle était âgée de 19 ans environ et ne rien savoir de plus sur ce sujet. [18]

 

Jeanne savait son âge approximativement comme la plupart de ses contemporains ; il n'est guère d'usage de fournir alors sa date de naissance. [19] 1412 est la date que les historiens sérieux retiennent aujourd'hui comme l'année de naissance de Jeanne.  « Nous n'avons pas de registre paroissial conservé. Il n'y a pas lieu de soupçonner un complot qui viserait à nous priver d'une date exacte puisque seuls trois registres de baptême-mariage-funérailles sont conservés pour cette période (Givry, Lyon, Porrentruy) et pour tout le royaume. » [20] 

 

L'armure de Jeanne, son cheval, lui furent donnés par Charles VII. Ce n'est donc pas Jeanne qui se serait elle-même « financé » son armure et son cheval.

 

La mort de Jeanne sur le bûcher a été constatée par des témoins « qui ne l'ont pas quittée des yeux » [21] et qui ont témoigné au procès de réhabilitation en 1452-1456, à commencer par son bourreau. Olivier Bouzy cite quinze témoins [22] qui la virent mourir sur le bûcher de Rouen, en les citant in extenso : malgré ces témoignages convergents, les auteurs survivistes ne mentionnent jamais leur existence et proposent à la place des descriptions de l'évasion !

Selon les survivistes il n'y a pas de procès-verbal ou d'acte de décès de Jeanne. « Utilisé par Grimod (p. 81), l'argument a été rarement réutilisé par ses successeurs. Il est en effet à double tranchant : si l'on réclame un acte de décès pour la vraie Jeanne d'Arc, le moins qu'on puisse faire est d'en produire un pour la fausse. Or il n'y a pas non plus d'acte de décès pour Claude des Armoises, pour laquelle les survivistes sont déjà bien en peine de fournir un acte de mariage. Il serait même fort suspect qu'acte de décès il y  eût : ce serait le seul du Moyen-Âge. Rappelons que l'état civil n'existe pas, et que ce n'est que François Ier qui rend obligatoire la tenue de registres de baptêmes, de mariages et de décès. Faudrait-il en conclure que Claude des Armoises est toujours vivante ? » [23]

La tête de Jeanne sur le bûcher ne fut pas recouvert ou dissimulé. « Grimod a rajouté [...] un voile qui n'est attesté dans aucun texte. [...] [A]ucun des témoins directs ne signale de "visage embronché" ni de voile ni davantage de substitution. Jeanne, le jour où elle fut brûlée, n'était pas méconnaissable. » [24]

 

Jeanne d'Arc mariée en 1436 à Robert des Armoises ?

« La nouvelle commence à circuler au mois de juin 1436 : Jeanne la Pucelle serait vivante, elle se serait manifestée aux environs de son pays d'origine ! [...] Après s'être fait remettre quelques cadeaux par les uns et les autres, un cheval, une épée, une armure, être allée à Metz et à Notre-Dame de Liesse, l'aventurière épouse un chevalier, Robert des Armoises, et le couple s'installe à Metz. La même aventurière est mentionnée dans un ouvrage de l'inquisiteur alsacien Jean Nider, prieur des Dominicains de Nuremberg, qui s'intitule le Formicarium. [...] Il termine son récit en disant que la fausse Pucelle aurait épousé un certain chevalier, dont il ne donne pas le nom. En 1440, [...] la carrière de "Jeanne" ou "Claude" des Armoises semble s'être achevée à Paris, où sa supercherie aurait été démasquée par le roi lui-même. La cité orléanaise mentionnent expressément le service funèbre fait, comme chaque année, à la mémoire de Jeanne d'Arc. D'où l'on peut conclure qu'on ne croyait guère à l'identité de la fausse Pucelle. » [25] 

 

Johannes Nyder

« Peut-être [...] n'a-t-on pas assez tiré parti du texte de Jean Nyder (vers 1380-13 août 1438), prieur des dominicains de Bâle (la cité du concile, où les informations ne manquaient pas de circuler) tel qu'il figure dans son célèbre Formicarius ? (1435-1437, Un traité sur les questions sociales du temps. Ndlr.) Il y expose les mesures prises à Cologne par son collègue Henri Kaltyseren, professeur de théologie et inquisiteur de la perversité hérétique, contre celle que nous appelons Jeanne des Armoises. [...] Nyder distingue parfaitement les deux femmes, celle de Cologne et celle de Rouen. » [26]

 

Pour authentifier Claude des Armoises, « curieusement, aucun examen de virginité n'est envisagé (j'ai quelques doutes sur le résultat!) et nul ne semble avoir demandé à la ressuscitée ce qu'elle avait bien pu faire pendant presque cinq ans ! », ironise Colette Beaune [27] « Quel aurait été l'intérêt, pour les partisans de Charles VII qui organisèrent le procès de réhabilitation (en 1452-1456), de dissimuler la survie de Jeanne si elle avait échappé au bûcher ? » [28]

 

« Claude-Jeanne » aurait fondé son imposture sur une vague ressemblance avec l'héroïne du siège d'Orléans. Les frères de Jeanne d'Arc et quelques membres de l'aristocratie messine auraient feint ou l'auraient reconnue pour leur sœur. Plusieurs personnages naïfs ou douteux auraient pu être dupés ou vouloir devenir les complices de l'aventurière pour tirer quelque subside de l'escroquerie. Soumise à une enquête de l'Université et du Parlement de Paris, Jeanne des Armoises (Claude des Armoises) est démasquée et condamnée en 1440. » [29]

 

Claude des Armoises s’effondra aux pieds du roi Charles VII, en sollicitant son pardon pour la supercherie. Elle admit publiquement son imposture et se retira avec son mari en son château de Jaulny, où elle termina ses jours. Est-il donc si difficile aujourd’hui d’accéder aux textes concernant Jeanne d’Arc ? Non. Le chartiste Quicherat publia, au milieu du XIXe siècle, l’intégralité des sources connues de son temps ; et il n’eut garde d’oublier la dame des Armoises, cette femme qui se fit passer pour Jeanne d’Arc après la mort de la Pucelle.

 

Les sources historiques sur Jeanne d'Arc sont les deux procès, celui de condamnation en 1431 à Rouen, et celui en annulation de la condamnation de 1452-1456.

 

« [L]e peu qu'on sache d'elle (la dame des Armoises) la situe très loin de la figure de l'authentique Jeanne d'Arc telle que la simple lecture des deux procès, de condamnation et de réhabilitation, permet de la reconstituer. [...] La difficulté vient d'ailleurs, en réaction. En effet, on a du mal à admettre que cette petite paysanne, [...] ait pu avoir l'idée, à elle toute seule, entre treize et dix-sept ans, de sauver le royaume de France, par sa propre action guerrière. [...] On a du mal à admettre qu'elle ait eu la capacité matérielle de ce faire [...], comme on a du mal à comprendre comment que Charles VII, [...] l'ait admise en audience, ait été convaincu par elle et lui ait confié la tâche urgentissime de porter secours à la cité d'Orléans, laquelle pouvait ouvrir ses portes d'un moment à l'autre à l'adversaire d'Angleterre. » [30] 

 

« L'ouvrage de Jules Quicherat, paru de 1841 à 1849, et réunissant la documentation du XVe siècle alors connue sur Jeanne d'Arc, à commencer par les deux procès de condamnation (1430) et de réhabilitation (1452-1456), [...] fut pris pour base des travaux [de canonisation de Jeanne]; ce qui ne laisse pas d'être paradoxal, lorsqu'on sait que Jules Quicherat, s'il fut un admirable érudit, était aussi un athée et un anticlérical convaincu. Il reste que c'est encore lui qui a élevé à Jeanne d'Arc le plus irremplaçable des monuments. » [31]

 

Dans les années 1960, la Société d’histoire de France fit traduire et publier les deux procès de Jeanne. Régine Pernoud et Georges Duby en ont publié des extraits facilement accessibles. Quant à Colette Beaune, professeur agrégée d'histoire médiévale à Paris Nanterre, elle en a édité le Journal d’un bourgeois de Paris qui est la source sur la dame des Armoises. Chacun peut le trouver en livre de poche pour 8,50 €. Une chose est sûre : les sources sont manuscrites, en latin, ou en vieux français [32]. Claude des Armoises qui se fit passer pour Jeanne d’Arc n’est pas Jeanne d’Arc mais l’imposture de cette aventurière fascinante est bien documentée. La notion d’une Jeanne manipulée est une nouveauté du XXe siècle : nul n’a jamais pensé avant les années 1900 qu’elle l’avait été par Yolande d’Aragon ou par l’internationale franciscaine ! [33]

 

« Les franciscains (à une autre époque, l'Opus Dei ou les Jésuites auraient tout aussi bien pu faire l'affaire) seraient à l'oeuvre dès la naissance de Jeanne. Ils organiseraient son apparition puis ses victoires. Reste à expliquer pourquoi Yolande ne se soucie nullement de la capture de Jeanne et pourquoi il y a des franciscains parmi les juges de Rouen. » [34]

 

« En fait, les survivo-bâtardisants partent d'une conviction souvent politisée, accablent leur lecteur sous un flot d'hypothèses et en cherchent ensuite désespérément les preuves, quitte à écarter les indices et réécrire les textes qui ne rentrent pas dans leur système. La bonne méthode aurait été de commencer par rassembler les textes disponibles, de chercher ensuite à en faire une synthèse, et d'écarter non pas les textes, mais les hypothèses qui ne conviennent pas. » [35]

***

 

Sources : (1) Source: Canal Academie; (2) Le Monde, 09 octobre 2008); (3) Le Point, Jeanne d'Arc : 8 mensonges sur la Pucelle d'Orléans, le 01/05/2017 ; (4) Marie-Véronique Clin, directrice de la Maison Jeanne d'Arc à Orléans et conservatrice du Musée d'histoire de la Médecine, qui a réfuté la plupart des hypothèses des mythographes Roger Senzig et Marcel Gay. Dans La Dépêche.fr, Et si l'Histoire de Jeanne d'Arc avait été falsifiée ? ; (5) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, Pour en finir avec ceux qui racontent n'importe quoi !, Perrin, Paris, 2008, p. 95 ; (6) (7) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, Perrin, Paris, 2008, p. 39 ; (8) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc : mythes et réalités, La Ferté-Saint-Aubin, l'Atelier de l'Archer, 1999, p. 48 ; (9) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 16 ; (10) Préface de Philippe Contamine dans Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, Éditions CLD, Tours 2008, p. 12 ; (11) Philippe Contamine, Olivier Bouzy et Xavier Hélary, Jeanne d'Arc. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2012 ; (12) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, Éditions CLD, Tours 2008, p.  36 ; (13) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 82-86 ; (14) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 61 ; (15) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 17 ; (16) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 20 ; (17) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 61 ; (18) G. Duby, Le Procès de Jeanne d'Arc, Paris, réed. 1995 ; (19) R. Boucher de Molandon, Les Comptes de la Ville d'Orléans aux XIVe et XVe siècles, Orléans, 1884 ; (20) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 58-61 ; (21) Le Point, Jeanne d'Arc : 8 mensonges sur la Pucelle d'Orléans, le 01/05/2017 ; (22) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 135-144 ; (23) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 148-149 ; (24) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 155 ; (25) Régine Pernoud, Jeanne d'Arc, La Reconquête de la France, Gallimard, Saint-Amand 1997, p. 59-62 ; (26) Préface de Philippe Contamine dans Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 16-17 ; (27) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, ibid., p. 185-186 ; (28) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 148 ; (29) Colette Beaune, « Une nouvelle affaire Jeanne d’Arc », Libération.fr, 10 juin 2009) ; (30) Préface de Philippe Contamine dans Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, ibid., p. 9 ; (31) Régine Pernoud, Les Saints au moyen-Âge, La sainteté d'hier est-elle pour aujourd'hui ?, Éditions Plon, Paris 1984, p. 273-274 ; (32) Libération.fr ; (33) Une nouvelle affaire Jeanne d’Arc, Par Colette Beaune, médiéviste, professeur émérite à l'université de Paris-X. — 10 juin 2009, Libération.fr ; (34) Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Vérités et légendes, Perrin, Paris, 2008, p. 232-233; (35) Olivier Bouzy, Jeanne d'Arc, L'histoire à l'endroit !, Éditions CLD, Tours 2008, p. 22.

***

Sources internet :

* www.ladepeche.fr/article/2007/09/09/10767-si-histoire-jeanne-arc-avait-ete-falsifiee.html

* https://www.liberation.fr/societe/2009/06/10/une-nouvelle-affaire-jeanne-d-arc_563566

* www.lemonde.fr/livres/article/2008/10/09/jeanne-d-arc-verites-et-legendes-de-colette-beaune_1104811_3260.html

* www.lepoint.fr/histoire/jeanne-d-arc-8-mensonges-sur-la-pucelle-d-orleans-01-05-2017-2123913_1615.php

* https://montjoye.net/jeanne-des-armoises-fausse-jeanne-darc

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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 20:12

Lors du Grand Débat du Président de la République avec les maires de Normandie à Grand-Bourgtheroulde dans l'Eure le 15 janvier 2019, Emmanuel Macron a reconnu que le contournement du référendum négatif sur le traité européen en 2005 par la voie parlementaire en 2007 a été une erreur. Toutefois, il se livre immédiatement après à une critique du Référendum d'Initiative Citoyenne en ces termes (à 4:54:27 dans la video youtube) :

Emmanuel Macron :

 

« Sur le référendum d'Initiative Citoyenne que vous avez évoqué, vous avez parfaitement raison, il ne faut absolument pas l'éluder. Moi, je pense qu'on doit collectivement avoir une réflexion sur nos différentes formes de démocratie. Je n'ai pas la solution et j'attends beaucoup de ce débat qu'on aura avec vous et avec vos citoyens qui vont se mener dans vos communes. Je pense qu'il y a une frustration, si vous voulez le fond de ma pensée, qui est née dans le pays, entre 2005 et 2007. En 2005, la France a voté non à ce traité européen. Moi, ce n'était pas mon opinion. Mais qu'importe, la France a voté non. Et en 2007 on est revenu à l'équivalent du oui par une voie parlementaire. Et, je dois bien dire que, plus de dix ans après, ce qui s'est passé, là, a créé une frustration. Les gens disent même quand on s'est exprimé, qu'on a dit quelque chose, nos représentants reviennent (dessus) quand cela les arrange pas ce qu'on dit. On vit avec cela. Je pense qu'il ne faut pas l'éluder. C'est dans le pays. Il faut l'entendre. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que l'on ne doit pas créer une situation de concurrence entre les formes de démocratie (indirecte et directe. Ndlr.). Et là, on s'est trompé et donc il faut qu'on mette une forme de verrou quand le peuple s'est exprimé sous forme de référendum sur un sujet, le peuple souverain par la voie de ses représentants ne peut pas y revenir avant une période, en tout cas pas dans les mêmes termes. De la même façon, si on disait que l'on peut créer un référendum d'initiative citoyenne, qui chaque matin peut revenir sur ce que les parlementaires ont voté. Là, on tue la démocratie parlementaire. [...] Vos représentants ne servent plus à rien. On tue la démocratie. » (Fin de la citation)

 

Or il se trouve que si le RIC « tue la démocratie » parlementaire c'est que cette démocratie n'est pas authentiquement démocratique pour les raisons qu'en a donné l'historien Patrice Gueniffey. Faisons donc oeuvre d'un peu de pédagogie en direction d'Emmanuel Macron et des « marcheurs » de la « république en marche » : 

 

« Un peuple est libre lorsqu'il dispose des moyens qui lui permettront d'approuver ou de sanctionner régulièrement l'usage fait par les gouvernants des pouvoirs qu'il leur avait confiés. La démocratie ne se définit pas seulement par le droit d'élire; elle réside aussi dans ce qu'on nommait au XVIIIe siècle la "censure", c'est-à-dire le pouvoir de révoquer ou, au contraire, de renouveler la confiance précédemment accordée. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 210.)

Macron critique le RIC

Note du blog Christ-Roi. Au moment où Macron déclare qu'«on tue la démocratie», il utilise ce mot dans un sens contraire à ce qu'il signifie, un vrai langage de subversion maçonnique du sens des mots. (Cf. le poème d'Armand Robin qui explique le programme des deux derniers siècles).

Source: http://www.leparisien.fr/politique/macron-exprime-des-reserves-sur-le-referendum-d-initiative-citoyenne-15-01-2019-7989525.php

Source: http://www.leparisien.fr/politique/macron-exprime-des-reserves-sur-le-referendum-d-initiative-citoyenne-15-01-2019-7989525.php

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14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 19:56

Cet article est une réponse à l’article de Jacques Sapir «Les débats sur la souveraineté révélés par les évolutions des représentations de la Res Publica »

 

 

Cet article se veut un commentaire critique de l’article de Jacques Sapir commentant un ouvrage de Madame Claudia Moatti, professeur « d’histoire intellectuelle », qui traite de « l’évolution de la chose publique, de la Res Publica dans le monde romain »… c’est-à-dire des interprétations de la notion de « chose publique mais aussi des notions de légitimité et de droit ». Le présent article ne commentera pas ledit ouvrage, que l’auteur n’a pas lu, mais se revendique en tant que critique constructive à la présentation de cet ouvrage faite par Jacques Sapir.

 

Il est en effet intéressant, et sans doute non contestable, de savoir que le concept de « Res Publica » a subi, au temps de la Rome antique, de sérieuses variations tant quantitatives que qualitatives.

 

Néanmoins, ce genre d’analyse comporte, en particulier lorsqu’elle est mise en parallèle avec les temps républicains actuels, un biais intellectuel et cognitif. Une telle mise en perspective historique du concept de république a pour effet direct de tronquer les débats institutionnels en les enkystant définitivement autour du seul concept de République, avec, en arrière-fond, l’idée que la République instaurée en 1789 est incontournable.

 

Or, précisément, les républiques du XVIIIe siècle ne sont pas nées par hasard ou par la simple nostalgie des temps antiques. Les républiques du XVIIIe siècle sont nées de la volonté d’une nouvelle caste dominante, celle de la bourgeoisie menée par les banquiers, de prendre le pouvoir politique à un ordre ancien dominé par l’aristocratie et le clergé.

 

Il est ici impératif de constater que l’ordre politique de l’Ancien Régime était donc, tout imparfait qu’il était, fondé sur deux forces de valeur quasi égale et qui se faisaient face ; ces deux pouvoirs agissaient comme un contre-pouvoir l’un sur l’autre, libérant au passage un espace public libre. C’est justement sur cet espace de liberté qu’a pu se développer la bourgeoise commerçante et financière.

 

Or, avec l’avènement des républiques du XVIIIe siècle, la domination par, d’une part l’aristocratie et, d’autre part, le clergé catholique, a laissé la place, sous couvert de « bien public », à la domination de la seule caste de la bourgeoisie, menée par les banquiers commerçants. Pour résumer, une domination bicéphale a laissé la place à une domination monocéphale, dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement. Or, cette domination des banquiers commerçants est restée anonyme, elle s’est hypocritement cachée derrière :

 

Des institutions politiques organisées autour du principe de « mandat représentatif » ;

De belles pétitions de principes telles que la revendication de la liberté pour tous, alors qu’il s’agissait principalement de la liberté du commerce… de la libre concurrence qui bénéficie au bien commun, en oubliant de préciser qu’en système concurrentiel, seuls les plus forts s’en sortent…. Alors précisément que les critères de détermination « des plus forts » étaient fondés sur des règles, non dites, d’interprétation extrêmement flexible : ainsi, acquérir une fortune par malversations, assassinats et autres vilénies, n’en reste pas moins un signe que l’auteur de ces méfaits est « le plus fort ». La liberté de laquelle sont nées les républiques du XVIIIe siècle fait bon cas de la morale, de la droiture et de la Justice au profit de ce qui s’apparente juridiquement de facto à la glorification de la « voie de fait ».

Pour résumer, il faut constater que la liberté proclamée par les républiques du XVIIIe siècle se cache derrière des institutions politiques fondées sur la prééminence des Parlements dont les membres sont cooptés par des partis politiques avant que leur élection ne soit entérinée, sur fond de nombreuses et très opaques tractations médiatico-politiques, par un public pris en otage. Ce public – le peuple – étant dans l’incapacité totale et définitive de sanctionner les actions particulières prises par ses représentants autrement que quelques années après les faits en votant pour d’autres individus élus dans des conditions tout aussi fallacieuses et pernicieuses.

 

Pour parler clairement, les parlements, d’origine anglaise, généralement déployés dans le monde depuis le XVIIIe siècle ne sont rien d’autres que la vitrine présentable du fait que le pouvoir politique échoit désormais à des « partis politiques ». Or, lesdits partis ne peuvent vivre que s’ils sont financés, ce qui permet aisément aux puissances d’argent d’en prendre le contrôle. Cette prise de contrôle est d’autant plus aisée que l’accaparement généralisé des richesses, par ces mêmes puissances d’argent, est atteinte.

 

Ainsi, le retour à l’analyse de la Res Publica des temps antiques ne doit pas cacher les raisons et le contexte de la naissance des Républiques des temps modernes ! Il est donc impératif, pour éviter toute manipulation intellectuelle, de rappeler que si l’on peut trouver des points de ressemblance – notamment dans la terminologie utilisée – entre la Res Publica antique et les républiques modernes, il faut impérativement garder à l’esprit que les raisons profondes de la réapparition, en Occident, de la République ne sont pas tant dues à la nostalgie d’un passé glorieux et libre, plus ou moins bien interprété et réapproprié, qu’aux contraintes de la prise de pouvoir politique par une nouvelle caste arrivée à maturité : celle des banquiers commerçants.

 

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique

 

Source : Medias Presse Info

Note du blog Christ-RoiL'impasse des "droits dits de l'homme", c'est précisément qu'ils sont les principes de la pseudo démocratie dite "représentative", de la société marchande et du capitalisme financier qui rendent esclave l'humanité, en organisant la libre concurrence entre eux des pauvres, divisés avec les partis politiques, et forcés à se combattre les uns les autres. Bref, c'est la loi du plus fort, celui qui a l'argent.

Si les droits de l'homme proclament l'égalité, c'est pour organiser la libre concurrence des citoyens et les forcer à se combattre. La démocratie rétablit les combats de gladiateurs, non plus à l'échelle de l'arène mais à l'échelle du marché. Elle contraint les hommes à vivre dans un monde d'individus toujours plus inégaux, et d'inégalités sans cesse croissantes. L'égalité des uns présuppose comme condition préalable l'inégalité économique et sociale des autres, la liberté de l'enrichissement indéfini des 1%, l'appauvrissement des 99%, un écart toujours plus grand entre les plus riches et les pauvres. 

 

Lire : Les 1 % les plus riches du monde possèdent plus que les 99 % restants (Le Point) 

Belle réussite du capital, mais impasse totale des principes de 1789.

La solution se trouve dans le règne du Christ, la monarchie française catholique traditionnelle, de droit divin, qui laisse une plus grande place au libre-arbitre, interdit l'usure et le prêt à intérêt, défend les pauvres, la veuve et l'orphelin.

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12 janvier 2019 6 12 /01 /janvier /2019 13:44

Malgré sa profession d'avocat, André soutient les "Gilets jaunes" chaque samedi. Il donne son point de vue sur la politique française au micro de Nadège Abderrazak. Corruption, privilèges, justice à deux vitesses... un bilan inquiétant (source: RT France):

Extrait :

 

André: « Sachant que nous sommes en théorie dans un pays démocratique, je m'aperçois que de plus en plus règne une dictature. Alors je voudrais également parler de la corruption qui règne dans ce pays, qui devient absolument insoutenable pour tous les Français. la corruption c'est tout simplement l'évasion fiscale, cela veut dire tous les privilèges, dont beaucoup de gens au niveau du gouvernement, des gens qui sont beaucoup et pour beaucoup corrompus. Donc c'est complétement inadmissible dans un pays comme la France. Je voudrais également parler de la justice qui est véritablement une justice à deux vitesses, à savoir que tous ces gens, tous ces élus qui ont volé le peuple n'ont jusqu'à présent subi que des condamnations très légères. Les exemples, on peut les citer, par exemple, François Fillon, a volé le peuple et est toujours en liberté; Cahuzac, ministre du Budget, s'est permis d'avoir un compte à l'étranger et a été très peu condamné; Fabius et le sang contaminé, tout va bien pour lui (remercié et nommé comme président du Conseil constitutionnel par le président Hollande en 2016. Ndlr.); Sarkozy, se permet de déclarer des guerres, de détruire des populations entières, uniquement pour son intérêt personnel, on fait traîner le procès alors que la Libye a financé sa campagne électorale.

[...] Elle (la crise des Gilets jaunes) était inévitable. On est en train d'inventer un tas de taxes, depuis que Macron est au pouvoir, c'est taxes sur taxes sous le couvert d'autres choses : la taxe carbone qui sert à autre chose (financer le budget et dette sous couvert d'écologie qui a bon dos. Ndlr.); le prix de l'essence qui ne cesse de monter alors que nous sommes au plus bas sur les cours du pétrole, à savoir à 50 dollars le baril, on devrait aujourd'hui payer l'essence en France 80 centimes; nous devrions aujourd'hui avoir un smic à 3000 euros comme au Luxembourg si la France arrêtait l'évasion fiscale, si on taxait tous les grands groupes qui actuellement ne sont pas taxés en France et ont pignon en France. Il y a des sommes colossales à récupérer.

On a également un gros problème : on taxe, mais actuellement aucune dépense au niveau de l'État n'est réduite ! On continue de mener la grande vie. On a un tas de gens qui ne servent absolument à rien. Le sénat ne sert absolument à rien, cela nous coûte une fortune. Donc il est normal que Gilets jaunes aient lancé ce mouvement et je les soutiens de tout mon coeur. »

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12 janvier 2019 6 12 /01 /janvier /2019 11:16
Source: https://www.midilibre.fr/2019/01/09/gilets-jaunes-luc-ferry-appelle-les-policiers-a-se-servir-de-leurs-armes,7562847.php

Source: https://www.midilibre.fr/2019/01/09/gilets-jaunes-luc-ferry-appelle-les-policiers-a-se-servir-de-leurs-armes,7562847.php

L'oligarchie jacobine terroriste de 1793 a des héritiers. Luc Ferry que l'on a connu mieux inspiré quand il dénonçait "la guerre de Vendée" comme "le premier grand génocide dans l'Histoire de l'Europe", eut mieux fait de réfléchir avant de parler et d'appeler les policiers à se servir de leurs armes contre les gilets jaunes "violents", le 7 janvier 2019 dans l'émission Esprits libres de Radio classique.

 

La république gouverne mal, mais se défend bien. Souvenez-vous :

- 1789, fausse révolution, massacres et coup d'État à la solde du capitalprès de 80% des personnes guillotinées étaient des petites gens (ouvriers, paysans, artisans envoyés par charrettes entières à la guillotine);  

- 1793, génocide vendéen,

- 1797, les républicains tirent sur la foule quand la république perd les élections (4-5 septembre 1797, la république annule les élections, déporte, tire sur la foule et met à mort les mal-pensants),

- 1848, fausse révolution à la solde du capital,

- 1871, la république tire sur la Commune, massacrée (consécration d'une pseudo 3e république au service du capital),

- 1968, fausse révolution à la solde du capital, les gauchistes et syndicalistes flinguent la lutte sociale.

 

2018-2019 ? Deux siècles de dictature contre le peuple.

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11 janvier 2019 5 11 /01 /janvier /2019 15:33

Les Gilets jaunes doivent toujours se rappeler "rien par force, tout par amour" (St François de Sales). Les Gilets jaunes sont un mouvement pacifique dès le départ, et si révolution il doit y avoir cela devra être une révolution de l'amour, amour de nos aînés, amour de nos enfants (leur avenir), amour de nos pays (la patrie), amour de la planète (production et consommation locale). Et le problème est que les Gilets jaunes sont infiltrés de gauchistes et syndicalistes violents à la solde du capital qui au final ne font que réformer le système qui reste au service du capital (1848, 1871, 1968), jamais en profondeur.

 

Lire: Francis Cousin : Gilets Jaunes, mensonges du capital et impostures citoyennes ?

François de Sales priant la Vierge Noire de Paris où il sera délivré de ses angoisses (vitrail de la chapelle des sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve, Neuilly-sur-Seine)

François de Sales priant la Vierge Noire de Paris où il sera délivré de ses angoisses (vitrail de la chapelle des sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve, Neuilly-sur-Seine)

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10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 15:49

"L'ennemi de l'intérieur veut nous détourner et nous emmener vers les voix constitutionnalistes et citoyennistes de l'amélioration marchande". RIC et Gilets jaunes, mensonges du capital ?

 

Si on oublie que, grâce au droit divin (interdiction de l'usure et du capitalisme financier) pendant mille ans la monarchie a empêché l'arraisonnement de la démocratie par le capital ("les voix constitutionnalistes et citoyennistes de l'amélioration marchande"), le raisonnement de Francis Cousin, auteur marxiste critique du RIC, est pertinent.

 

Pourtant, une solution existe qui a fait ses preuves. C'est la solution de la royauté traditionnelle française, système de l'anarchie + 1 (la loi appartenant au peuple uni indissociablement au roi, le peuple avait moins à faire à l'État avant 1789). De sorte, qu'"il y avait plus de démocratie avant 1789 qu'après" (Francis Dupuy-Déri, auteur de "Démocratie. Histoire politique d'un mot", Lux éditeur, 2013.)

 

Lire: 

Des Gilets Jaunes devant la banque Lazard Paris, un banquier donne son avis

 

Cependant, la proposition qui reste marxiste de Francis Cousin, c'est-à-dire de se débarrasser définitivement de l'État nous apparaît comme une illusion funeste, qui dans l'histoire n'a jamais pu être réalisée nulle part dans le monde, fusse au prix tragique de millions de morts.

 

Le reste du raisonnement du raisonnement de Francis Cousin est pertinent et mérite une oreille attentive :

Extraits:

 

Francis Cousin :

 

« "Nuit debout", c'est l'envers des "Gilets jaunes". Les "Gilets jaunes", c'est le prolétariat combattant de tout ce qui a été exclu de la grande métropole mondialiste, et "Nuit debout", c'était les couches moyennes narcissiques du coeur de la métropole de la mondialisation réussie. Et aujourd'hui, on a un ricochet de "Nuit debout", qui vient polluer la dynamique de lutte des classes des Gilets jaunes.

 

Les Gilets jaunes, c'est le prolétariat qui en l'état actuel n'a pas encore franchi le seuil où il y a une invalidation de la lutte réformiste en lutte révolutionnaire, mais il y a dans les "Gilets jaunes" quelque chose d'intransigeant et de radical qui naît contre la domination de l'argent. Et on a toute une série de porteurs de pancartes "RIC, RIC, RIC" qui arrivent et qui disent "mais non, mais non, on va jacasser pour restructurer le constituant." Mais, cela n'a jamais intéressé le prolo qui est parti sur les ronds-points au début. [...] Donc, ce qu'il faut bien comprendre, c'est que tout cela s'explique par la lutte des classes.

 

[...] Tout ce qu'on nous ressort aujourd'hui avec les couches moyennes néo-pourdhonnistes qui ont fétichisé le mode de la décision, on l'avait déjà dans la Ière internationale (1864 Londres) avec toute une série de cénacles péri ou para proudhonniens qui ont été balayés par l'histoire et qui ont surtout été balayés par les révolutions de 1848 et de 1871 qui ont montré que tout ceux qui viennent se greffer sur une lutte sociale pour lui expliquer qu'elle doit d'abord se constituer en sujet de décision pour réagencer, etc., sont l'élément le plus contre-révolutionnaire et le plus utile au pouvoir !

 

Le pouvoir, il peut écraser le mouvement avec les CRS, il peut écraser un mouvement avec les gardes-mobiles, voire même avec l'armée, mais il a toujours eu besoin de supplétifs essentiels, qui sont, effectivement, ces cénacles qui organisent la démobilisation sociale pour déplacer la lutte sociale radicale sur la lutte réformiste, constitutionnaliste (Ndlr. Ce que l'auteur nationaliste Philippe Ploncard d'Assac appelle pour décrire la même réalité, l"infiltration, le noyautage et déviation"). 

 

Et on l'a eu en 1848. Relisez les luttes de classe en France. Que ceux qui ne les ont pas lu les lise. Toute l'histoire du mouvement révolutionnaire a été gangrénée de mouvements régénérateurs qui ont structuré le discours de la domination sur la démocratie directe. Puisque la démocratie directe, qui est toujours la démocratie directe du capital n'est que le mode supérieur de l'auto-gestion aliénatoire qui fait que le citoyen esclave demeure un esclave citoyen. 

 

[...] Le développement des "Gilets jaunes" épouse de manière substantielle le développement dialectique tel qu'il est posé par Marx dans "Le Capital", dans les luttes de classe en France, tel que cela renvoie à la science de la logique de Hegel, la fameuse triade, les trois temps. On a eu un premier temps, le temps du surgissement, qui a été le temps du mépris condescendant, parce qu'on pensait que cela ne durerait pas.

 

Derrière les "Gilets jaunes" on a un retour de mai 68, sous une autre forme, dans des conditions différentes, dans des projections différenciées, dans des perspectives nouvelles, mais c'est le retour de la lutte de classes.

 

La lutte de classe de mai 68 a été écrasée dans l'esprit soixante-huit de la novation marchande de la gauche et de l'extrême-gauche de la marchandise. Et, cela fait cinquante ans que l'on vit le totalitarisme économique, industriel, bancaire et culturel de la marchandise gaucharde qui a écrasé les luttes de 68 !  

 

Mais, comme le disent Marx, Rosa Luxembourg, ce cycle à un moment donné, il s'auto-invalide, et les "Gilets jaunes", c'est effectivement le retour de 68, mais avec une perspective bien plus radicale, parce qu'en 68, le mouvement était gangréné de toute une chapelle gauchiste, politique et syndicale, qui toute de suite pesait. Le mouvement qui surgissait au chantier naval de Saint-Nazaire, le mouvement qui surgissait aux usines Renault, il était immédiatement cadenassé par les appareils de la gauche du capital, de l'extrême-gauche du capital : les menottes politiques et syndicales étaient là.

 

Aujourd'hui, dans le grand mouvement d'éclatement de l'urbanisme du capital et de la géographie française, le mouvement n'est pas parti des entreprises. Il est parti du vivier éclaté des provinces à travers ces zones périphériques. Le prolétariat expulsé des villes et des banlieues s'est retrouvé dans ces vastes zones péri-urbaines où les "Gilets jaunes" ont surgi. C'est un mouvement qui, d'emblée, sort de l'entreprise, sort du cadenassage politique et syndical traditionnel, alors même que l'imaginaire politique et syndical qui existait en 68 a été totalement invalidé par la marche de l'histoire. Il n'y a plus de clownerie trotskyste, il n'y a plus de clownerie maoïste, il n'y a plus d'espérance de la gauche. Donc le roi est nu. Le capital, aujourd'hui, n'a plus les moyens pour écraser ce mouvement. Et on a vu Macron, de manière désespérée, en appeler aux corps intermédiaires mais qui n'existent plus.

 

[...] Aujourd'hui, la phase de synthèse, soumission, négociation, cahiers de doléances, RIP, RIC (signifie) : prenez vos affaires en main, dans le cadre du capital. On nous appelle à prendre nos affaires en main dans le cadre du capital, dans le cadre d'une constitution régénérant le capital. D'un RIC régénérant le capital, de cahiers de doléances modifiant les données du capital.

 

[...] Marx dit que le législatif est une imposture par essence. On ne transforme pas une société par le législatif, on transforme la société par l'abolition du législatif et de l'État, et par la constitution de la Commune. Et la Commune n'a pas de constitution, elle est l'immanence du vivre radical. Toute constitution marque qu'il y a une production collective à partir d'atomes dissociés, narcissiques, échangistes. La constitution, la démocratie, sont nées avec l'agora de la valeur d'échange, ils disparaîtront avec l'abolition de l'agora de la valeur d'échange.

 

[...] La constitution de 1789, elle n'a rien crée, elle formalise l'état de la société existante. [...] Une constitution formalise toujours l'état de la dépossession et de l'aliénation.

Là où il y a constitution, là où il y a démocratie, il y a valeur d'échange, puisque la démocratie, "liberté, égalité, fraternité", Marx le dit, (c'est) la liberté de circulation des hommes marchandisés, égalité des hommes dans la marchandisation circulatoire, fraternité circulatoire des hommes marchandisés. Et la constitution est le lieu majeur où les hommes marchandisés établissent leurs directives et leurs cheminements de décision pour le bien commun de la marchandisation universelle. Donc à bas la marchandisation universelle, à bas l'État, à bas la constitution, vive l'émancipation, et retrouvons l'esprit radical de la Commune universelle.  » 

 

Note du blog Christ-Roi. Francis Cousin analyse parfaitement l'incohérence fondamentale des droits de l'homme et leur impasse déjà relevée sur ce blog en ces termes : "Si les droits de l'homme proclament l'égalité, c'est pour organiser la libre concurrence entre eux et les forcer à se combattre, car cela est bon pour le marché. La démocratie en quelque sorte rétablit les combats de gladiateurs, non plus à l'échelle de l'arène mais à l'échelle du marché. Elle contraint les hommes à vivre dans un monde d'individus toujours plus inégaux, et d'inégalités sans cesse croissantes. L'égalité des uns présuppose comme condition préalable l'inégalité économique et sociale des autres ! Belle réussite du marché, mais impasse totale des principes de 1789."

 

S'agissant du RIC, l'analyse de Francis Cousin est pertinente tant qu'elle critique le risque d'arraisonnement par les baronnies de l'argent, mais si un RIC décidait par exemple de revenir sur la loi Giscard de 1973, d'interdire l'usure, ou de sortir de l'Union européenne, on pourrait difficilement tenir que le RIC serait une arme du capital.

 

Quelque soit le régime politique, nul régime politique pérenne ne peut tenir dans le temps sans une adhésion de la population. La participation du peuple à sa gestion ne peut pas être écartée. Et dans l'histoire, le meilleur système qui a permis de combiner les intérêts du peuple et les exigences de la gestion politique a été la monarchie française traditionnelle. 

 

Le Référendum d'Initiative Citoyenne constituant, révocatoire et législatif est ainsi une excellente proposition, et le sera d'autant plus qu'il sera associé à la royauté traditionnelle qui permettrait, effectivement, de contrôler les baronnies modernes de l'argent et non de se laisser diriger par elles.

 

Lire: Quels sont les intérêts et avantages de la monarchie?

 

Dans le cas contraire, il y a effectivement un risque d'infiltration et de préemption de la lutte sociale par le capital. "La constitution, qu'elle soit bleue, jaune, rouge ou orange, c'est la mort", explique Francis Cousin. Pendant deux millénaires, les Gaulois sous Vercingétorix, en passant par Clovis, sainte Jeanne d'Arc, Charles VII ou Louis XVI, n'avaient pas de constitution, mais une constitution coutumière (orale non écrite). Le pouvoir appartenait aux peuples au niveau local. Les constitutionnalistes qui n'avaient pas besoin d'exister, n'offraient pas de prises aux démagogues ni à l'amélioration marchande. A contrario, depuis 1789, jamais le capital n'a eu autant de pouvoir. Ce n'est sans doute pas un hasard.

 

Lire: Gilets jaunes, Ancien régime et Révolution

Vercingétorix, Alesia

Vercingétorix, Alesia

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9 janvier 2019 3 09 /01 /janvier /2019 00:14

L'historienne Marion Sigaut encourage le mouvement des Gilets jaunes :

 

« Il faut comparer les Gilets jaunes aux jacqueries, à la Guerre des farines et à toute la violence pré-révolutionnaire populaire. La Révolution française, c'est la prise du pouvoir de la bourgeoisie. Dans l'affaire des Gilets jaunes, la bourgeoisie ne prendra pas le pouvoir parce qu'elle l'a déjà. 

On est à la fin d'un cycle. Le cycle qui vient de s'ouvrir c'est le retour du peuple après vraiment deux siècles, virgule quelque chose, de dictature totale idéologique de la bourgeoisie capitaliste. Et là c'est la fin de cela. 

C'est le réveil du peuple français. Ce peuple français qu'on calomnie, qu'on bafoue, qu'on exaspère depuis des décennies, se réveille et il est encore là. La France n'est pas morte. Le peuple français est encore là.

Tout est possible. Sauf que les gens rentrent chez eux en disant "on s'est trompé." Il y a un foisonnement d'intelligence, de prise de conscience, c'est extraordinaire ce qui se passe. Je ne dis pas qu'on va gagner. Je dis que la conscience collective est en train de progresser, de faire un saut qualitatif tel, qu'il n'y aura pas de retour en arrière possible. 

Je pense que dans l'histoire de France, jamais la France n'est tombée aussi bas. On atteint le fond. Et on atteint l'autre face, c'est le peuple français qui se réveille : il dormait. On le croyait anesthésié, on l'avait mis dans la marmite d'eau chaude ! Et non il est là, et c'est magnifique ! »

Gilets jaunes, Marion Sigaut : "la fin de deux siècles, virgule quelque chose, de dictature totale de la bourgeoisie"
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5 janvier 2019 6 05 /01 /janvier /2019 18:00
Gilets jaunes : pourquoi les insultes de la Macronie doivent-elles cesser ?

"Séditieux d'ultra-droite" (Christophe Castaner), "peste brune" (Gérald Darmanin), la diabolisation des Gilets jaunes a été entreprise dès le début du mouvement. Ce modeste article a pour objectif de montrer qu'il est temps à présent que les insultes de la Macronie sur les Gilets jaunes cessent.  

 

Dès le 21 novembre 2018, un des premiers sites résistants à la pointe de la clairvoyance et à annoncer la diabolisation a été le site nationaliste "Jeune nation", rapportant une page de "Rivarol" (n°3353) :

 

Libération s’en étrangle de rage : les gilets jaunes, du nom de ce mouvement protestant contre la hausse continue du prix du carburant, seraient racistes, antisémites et homophobes. [...] Alors qu’ils voulaient forcer un barrage dans l’Ain avec leur voiture, un conducteur et son passager ont été pris à partie, nous assure-t-on, par des gilets jaunes. [...] [I]l en va de la prétendue homophobie comme de l’antisémitisme, il suffit que les minorités visibles, surprotégées et surreprésentées accusent et se lamentent pour qu’on les croie sur parole. Alors que l’on recense des millions de crimes et de délits dans notre pays chaque année, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a cru bon de poster un tweet alarmiste, à propos d’un incident mineur dont n’est donnée de surcroît qu’une seule version des faits : « Rien. Absolument rien ne saurait justifier ces actes odieux. Chaque insulte, chaque agression homophobe est une injure à notre pacte républicain. Solidarité avec les victimes. Confiance en nos enquêteurs qui feront toute la lumière sur ces faits ». [...] Les officines spécialistes de la délation ont également pointé du doigt des gilets jaunes qui faisaient la fameuse quenelle de Dieudonné, que la LICRA assimile, avec un grand sens de l’imagination, à « un salut nazi inversé » voire à une « sodomisation des victimes de la Shoah ».

 

[...] Le quotidien anarcho-bancaire en a fait des tonnes également sur la mésaventure supposée d’une automobiliste de couleur qui aurait tenté de forcer le passage et qui aurait été prise à partie, avec des propos jugés racistes, sur les déboires d’une conductrice mahométane qui aurait été contrainte par des gilets jaunes à enlever son voile. Sachant que la journée du 17 novembre a réuni sur les routes de France plusieurs centaines de milliers de manifestants, on constate une nouvelle fois la volonté de désinformation des media mainstream qui braquent le projecteur sur des faits mineurs, accessoires, et dont de plus nous ne connaissons ni le contexte exact ni la réalité. (Source)

 

Cinq jours après la une de Rivarol, presstv.com rapportant l'acte II du 24 novembre et un rapport du quotidien français Le Temps, paru le 25 novembre, titrait le 26 novembre : "En France, le gouvernement veut diaboliser les Gilets jaunes".

 

« Séditieux de l’ultra-droite », « peste brune »: dans la majorité, les éléments de langage sont clairs: mettre les violences des «gilets jaunes» sur le compte de la présidente du Rassemblement national. Mais, pour l’instant, aucune force politique n’est en mesure de récupérer l’inclassable mouvement.

 

[...] [L]e ministre français de l’Intérieur Christophe Castaner est passé directement de la case « maintien de l’ordre » à la case « offensive politique ». Il a directement mis en cause la présidente du Rassemblement national (ex-Front national), Marine Le Pen, l’accusant d’avoir appelé à manifester sur les Champs-Élysées et d’avoir ainsi ouvert la voie à des « séditieux de l’ultra-droite ».

 

La réalité est plus complexe. Marine Le Pen s’est en effet interrogée en fin de semaine dernière sur le fait que les «gilets jaunes» n’auraient pas droit à ce qu’on appelle « la plus belle avenue du monde » (du moins quand il n’y a ni casse, ni incendie, ni barricade). Mais elle n’a pas formellement appelé à manifester.

Dans la manifestation, on y voyait surtout des « gilets jaunes » sans appartenance politique, lassés de tout, déçus par tout et qui ont tendance, depuis quelques jours, à passer de la demande de baisse des taxes à la démission d’Emmanuel Macron.  Le piège tendu par le président de la République et sa majorité (le ministre Gérald Darmanin a évoqué « la peste brune ») est gros comme une maison: tenter d’imposer l’idée que le mouvement des « gilets jaunes » est une affaire de l’extrême droite et que la politique française se résume à un face-à-face entre Marine Le Pen et lui-même, entre « les nationalistes » et les « progressistes », à six mois des élections européennes, explique le journal. (Source)

 

Se tenant à distance de tout commentaire des évènements après l'acte II, Emmanuel Macron jouait alors la carte du pourrissement du mouvement.  

 

Deux jours après l'acte III des Gilets jaunes samedi 1er décembre 2018, le ministre de l'Intérieur Castaner à l'Assemblée nationale assurait que les manifestations étaient «de fait interdites», qualifiant ces rassemblements d'«attroupements». (Source: Le Figaro, 03/12/2018 21:17)

 

Dans ses voeux 2018 pour 2019, Emmanuel Macron, pompier pyromane parlant derrière un pentacle, traitait les Gilets jaunes de "foule haineuse".

 

Réagissant aux propos du chef de l'Etat sur les «porte-voix d'une foule haineuse», des internautes partagent une photographie de deux Gilets jaunes assis près d'un feu : une femme reposant sa tête sur l'épaule d'un homme âgé appuyé sur une canne.  [...]  Il avait en effet, notamment eu cette phrase : «Que certains prennent pour prétexte de parler au nom du peuple [...] et n'étant en fait que les porte-voix d'une foule haineuse, s'en prennent aux élus, aux forces de l'ordre, aux journalistes, aux juifs, aux étrangers, aux homosexuels, c'est tout simplement la négation de la France.» (Source)

 

Ce soir, pour le huitième samedi du mouvement, l'espoir d'essoufflement du mouvement par le gouvernement a été déçu, le mouvement ne faiblit pas avec des milliers de manifestants dans toute la France, 3500 à Paris au lieu de 800 samedi dernier (Bfmtv en direct.). Ceci montre que l'entêtement du gouvernement Macron à insulter les Gilets jaunes ne produit aucun effet bénéfique. Luc Ferry, remettant en question, dimanche 23 décembre dernier, la légitimité du chef de l’État et sa compréhension de la situation actuelle, a comparé Emmanuel Macron, à un "gamin qui ne comprend rien" et qu'on allait le "payer très cher". (Source) Du point de vue de la simple image, cette séquence montre en effet combien l'entêtement de Macron confine à l'image d'enfant mal-éduqué. Il y a un moment où Macron devra donner des explications.

 

Le gouvernement qui a pour vocation d'être le garant de l'ordre public ne doit pas servir à être le porte-parole d'un parti. Cette gestion de la part de la Macronie qui consiste à jeter de l'huile sur le feu et à faire constamment de la surenchère dans le mépris et l'insulte doit cesser immédiatement. La cohésion de la nation en dépend.

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29 décembre 2018 6 29 /12 /décembre /2018 22:57

Un peuple est libre lorsqu'il dispose des moyens qui lui permettront d'approuver ou de sanctionner régulièrement l'usage fait par les gouvernants des pouvoirs qu'il leur avait confiés. La démocratie ne se définit pas seulement par le droit d'élire; elle réside aussi dans ce qu'on nommait au XVIIIe siècle la "censure", c'est-à-dire le pouvoir de révoquer ou, au contraire, de renouveler la confiance précédemment accordée.

Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 210

Les Gilets jaunes ont ceci d'inédit dans l'histoire de France et sans doute dans l'histoire du monde, qu'ils proposent, outre des mesures de justice sociale, une mesure concrète qui permettra d'injecter de la démocratie directe dans la démocratie dite « représentative » qui n'est qu'une oligarchie, composée de professionnels de la politique, et une ploutocratie.

 

Bfm-Tv a rapporté en ces termes des propositions de Priscillia Ludosky, porte-parole des Gilets jaunes évoquant la solution d'un « Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC) constituant, révocatoire et législatif » :

 

"Résoudre la crise démocratique"

Priscillia Ludosky conclut sa diatribe en réitérant les propositions des gilets jaunes pour sortir de la crise: baisse "sérieuse" de toutes les taxes et impôts sur les produits de première nécessité, baisse "significative" de "toutes les rentes, salaires, privilèges et retraites courantes et futures des élus et hauts fonctionnaires", suppression de la hausse de la CSG pour les retraités et geste en faveur des adultes handicapés et mise en place d'un Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC) constituant, révocatoire et législatif.

Source

Gilets jaunes : le Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC) constituant, révocatoire et législatif 
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12 décembre 2018 3 12 /12 /décembre /2018 08:00

Depuis le début des événements, les références à la Révolution sont légion et elles sont toutes à côté de la plaque. Marion Sigaut remet les pendules à l’heure.

Verbatim :

 

« Bonjour, c'est Marion Sigaut. Il était tentant pour les Français pétris de culture républicaine que nous sommes de faire le parallèle entre l'actuel soulèvement des Gilets jaunes et la Révolution française. Cela n'a pas manqué. Et on entend régulièrement Macron comparer avec Louis XVI, la classe politique avec la noblesse, et ce système en décomposition avec l'Ancien Régime. J'aimerais qu'on remette les pendules à l'heure. Oui le peuple français avait faim avant la Révolution française, mais la raison n'est pas que la noblesse et le clergé s'en seraient mis les poches au détriment du peuple comme on l'entend souvent (Il y avait même de très nombreux nobles, à qui le commerce était interdit, plus pauvres que les bourgeois. Ndlr.) les foules désespérées qui faisaient le coup de point avec des forces de l'ordre complètement dépassées ne réclamaient pas la fin de l'Ancien Régime mais son sauvetage et l'interdiction du nouveau.

 

« Toujours les rois de France avaient assuré au peuple que le pain du peuple serait accessible à tous au meilleur prix et là était la raison d'être de la royauté. Le roi était le père nourricier et son autorité envoyait sur les marchés une police dont la fonction consistait à protéger le peuple contre les appétits des marchands. Pointilleuse, respectée, dotée de pouvoirs réels, la police des grains assurait une sorte de service public de l'alimentation, et ne laissait les marchands faire leurs achats qu'une fois que la population locale, toute la population locale s'était servie. En cas de disettes, quand pour des raisons politiques comme une guerre ou des raisons climatiques, le grain manquait, son prix était fixé par la négociation entre les autorités locales et les marchands. On appelait cette négociation la taxation ou la fixation d'un taux. Le peuple faisait confiance au roi pour le protéger des profiteurs, et Henri IV avait fait de l'exportation de blé en cas de disette un crime de lèse-majesté, donc puni de la peine de mort : le pain du peuple était sacré au nom du Bien commun.

 

« Un jour sont arrivées "les Lumières" qui ont prétendu remplacer le Bien commun par "la recherche du profit". Des gens sans scrupules ont poussé le roi à s'endetter jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus, puis l'ont convaincu que pour qu'il puisse rembourser la dette il libéralise le commerce des subsistances. Laisser circuler les blés sans la tracasserie de la police des grains, laisser la loi de l'offre et de la demande en fixer le prix. Laisser faire, laisser passer. Louis XV décida de tenter l'expérience en 1763 mais devant les violences et les cris de la population indignée par la hausse des prix, il choisit de reculer et de revenir à l'ancien système. À son avènement au trône en 1774, le jeune Louis XVI fut convaincu par les arguments du brillant Jacques Turgot, homme des Lumières, qui lui présenta tous les avantages qu'il aurait à libéraliser le commerce des subsistances. Intimidé, désireux de bien faire et manquant d'expérience, Louis XVI laissa Turgot vider les greniers à l'orée de l'hiver et laisser les marchands rafler les grains à la place des consommateurs, sous les applaudissements nourris d'un Voltaire qui voyait enfin se réaliser ses rêves. Ce fut un soulèvement. Comme un seul homme mais femmes en tête, et au cri de taxation, taxation, la population partit récupérer son grain et le distribua au bon prix, celui qui ne lèse personne et permet à tout le monde de vivre.

 

« Si les gigantesques manifestations de Gilets jaunes réclamant un carburant à prix abordable ressemble à quelque chose c'est bien à ces foules de la guerre des farines : dans les deux cas le peuple exige d'être entendu et refuse de payer pour une dette qui n'est pas la sienne. En 1776 encore le roi entendit son peuple et revint à l'ancien système, celui de la police des grains. Il renvoya Turgot. Or la dette continua d'augmenter encore et encore. Et quand elle fut telle que l'État risquait de ne plus pouvoir payer ses fonctionnaires, quand furent épuisés tous lés expédients habituels, le roi, acculé, accepta une nouvelle fois de libéraliser le commerce des subsistances. Puis il fut contraint de réunir les États généraux, assemblée chargée de répartir l'impôt, et d'apporter au roi les doléances du peuple, et rien d'autre. Les libéraux avaient eu le vent en poupe et avaient obtenu en même temps que la libre circulation des subsistances, un contrat de libre échange entre la France et l'Angleterre, qui inonda le marché français de produits à bas prix, fabriqués par des enfants et des ouvriers réduits à la misère en Angleterre. La hausse du prix du pain se doubla donc d'un chômage abominable et les six mois qui précédèrent la prise de la Bastille furent faits d'émeutes de chômeurs et de familles exigeant le retour du système protecteur qui avait eu cours jusque-là et non son abolition : le peuple ne contestait pas l'Ancien Régime mais le nouveau, celui du capitalisme appliqué à sa substance.

 

Chauffés par les loges maçonniques déterminées à renverser toutes les protections du peuple et les entraves au profit, les députés aux États généraux s'auto-proclamèrent "Assemblée Constituante", et inscrivirent dans le marbre l'économie de marché que le peuple rejetait de toutes ses forces. C'est cela la Révolution. Le roi ne pouvait plus rien puisqu'il était renversé. Il n'allait plus gêner les profiteurs enfin au pouvoir ! Ceux qui ont pris sa place et l'ont tué sont ceux qui ont imposé au peuple français la barbarie économique qui a cours encore aujourd'hui. C'est la bourgeoisie qui a voulu, fait et gagné la Révolution française pour imposer au peuple un régime que celui-ci ne voulait pas.  On le lui a imposé par la Terreur et les massacres (et la famine organisée. Ndlr.) Il a subi la pauvreté, la prolétarisation, la barbarie économique et la perte de toute sa tradition. Si Macron ressemble à quelqu'un ce n'est certainement pas au roi que le peuple chérissait et considérait comme son père. Macron n'est que le dernier en date des successeurs de ceux qui l'ont assassiné pour imposer le règne de l'argent-roi contre le Bien commun. » (Fin de citation)

 

 

Note du blog Christ Roi. Ajoutons qu'en 1788-89, le financier Necker, rappelé au trône, affama volontairement le peuple en organisant une flambée des prix agricoles (due soit-disant selon la légende républicaine par des mauvaises récoltes...) En réalité, la libéralisation des prix du grain demandée par les libéraux provoqua une famine. Et hasard : 

 

« De retour au trône, Necker affamera ce peuple pour le forcer à l'insurrection; les frères excitateurs enverront de Paris les harpies des faubourgs demander du pain à Louis XVI... »

 

(Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'Histoire du jacobinisme, tome 2, Editions de Chiré, Poitiers 2005, p. 458.)

 

L'historienne Marion Sigaut explique cette flambée des prix agricoles par l'introduction sous Turgot (1775) de la libéralisation du prix des subsistances et du libéralisme économique. « Le plus grand pas qu'ait à faire l'administration vers la régénération du royaume », expliquait Turgot. Le dogme « laissez-faire, laissez passer », c'est à ce moment-là que cela se joua. Laisser faire, c'était laisser les ouvriers travailler sans les corporations; laisser passer, c'était laisser passer les marchands et les marchandises.

 

La Révolution dite française n'est qu'un coup d'Etat, une immense escroquerie soutenue par la banque et la bourgeoisie d'affaires contre le peuple, l'acte de naissance d'« une oligarchie composée de professionnels de la politique.» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 206-207), dont le moteur est la haine dans la division, le "diviser pour régner" des partis républicains.   

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17 novembre 2018 6 17 /11 /novembre /2018 14:22

(Direct) Actualisez la page.

 

Le mouvement des «gilets jaunes» se mobilise avec plus de 2 000 points de blocages et environ 124 000 manifestants, selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur. Source: RT

"Qu'ils viennent me chercher", avait dit Emmanuel Macron durant l'affaire Benalla. Les Gaulois sont venus le chercher ce 17 novembre et l'ordre a été donné de leur envoyer des gaz lacrymogène à 14 heures aux Champs-Elysées. Où sont le "dialogue" et la "démocratie" ? Source: Direct Video Les «Gilets jaunes» bloquent les Champs-Élysées. Sputnik

 

En Haute-Savoie (Ouest-France)

14h : «Gilets jaunes» : la situation dégénère sur les Champs-Élysées (en direct)

Les tensions montent progressivement sur les Champs-Élysées, les «gilets jaunes» cherchant à avancer vers le Palais présidentiel. Une série d'accrochages locaux avec la police a eu lieu. La police qui tente d'arrêter la progression des manifestants a fait usage de gaz lacrymogène, raconte un correspondant de Sputnik qui suit la situation sur place.

Source: Sputnik

Vers 14h45

Vers 14h45

à 14h57

à 14h57

Affrontements en cours aux Champs-Elysées. Source: Line Press

à 14h Affrontements en cours aux Champs-Elysées. Source : Line Press

à 14h Affrontements en cours aux Champs-Elysées. Source : Line Press

Après avoir crié "La police avec nous", les manifestants entonnent une marseillaise à 15h04 devant l'Elysée (présidence de la république) :

17 novembre : Usage de gaz lacrymogène à 14 heures aux Champs-Elysées

15h05 Des «gilets jaunes» chantent la Marseillaise à deux pas de l'Elysée (Le Figaro)

17 novembre : Usage de gaz lacrymogène à 14 heures aux Champs-Elysées

Des cris "Macron Démission" se font entendre. (Le Figaro)

"Silence radio du côté de l'entourage de la présidence de la république." (Bfm-Tv à 16h31)

Elysée: "Dispersion des manifestants avec du gaz" (BFM-TV à 16h45)

 

"Les manifestants dispersés." "Situation tendue autour de l'Elysée." 

"Des manifestants qui comptent bien revenir quand les gaz seront partis". "Des gens qui sont là pour en découdre. Des slogans très forts." (BFM-TV à 16h47)

 

17H01 La place de la Concorde est en train d'être quadrillée. (C News)

 

"On ne vit pas, on survit aujourd'hui en France" (Une manifestante à 17h02 sur France Info)

 

17h04 Usage de gaz lacrymogène par la police rue du faubourg St Honoré", "rue du luxe par excellence". (LCI)

 

17h07 «Gilets jaunes»: tentions sur les Champs l’Elyses Sputnik Direct

«Gilets jaunes»: tentions sur les Champs l’Elyses Sputnik à 17h13

«Gilets jaunes»: tentions sur les Champs l’Elyses Sputnik à 17h13

17h41 Le ministre de l'Intérieur a ensuite communiqué un bilan de 244 000 manifestants (RT)

 

17h50 "Au palais de l'Elysée, le président de la république a du entendre les manifestants" (BFM-TV)

 

18h00 Des images inédites à l'Elysée. "Très dur pour l'Exécutif". "Des images catastrophiques du point de vue de la symbolique." (LCI)

 

18h31 Manifestante à la Place de la Concorde : "Un retraité qui était à côté de moi s'est fait gazer" (BFM-TV)

 

19h55 Fin du Direct

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16 novembre 2018 5 16 /11 /novembre /2018 08:25

Nicolas Dupont-Aignan, député de l'Essonne, "président de Debout La France" et invité de Jean-Jacques Bourdin dans Direct sur RMC Info et BFM TV, hier 15 novembre, a fait une citation inexacte de Marie-Antoinette.

 à 3:56 dans la video, la reine Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI, n'a jamais dit "Vous n'avez pas de pain, mangez de la brioche". Il s'agit là d'un mensonge colporté par les Lumières destiné comme les autres à la politique de la table rase et à noircir notre histoire avant 1789.

 

L'expression prêtée à Marie-Antoinette nous vient de Jean-Jacques Rousseau, mort une décennie plus tôt..., qui écrit en 1782 dans ses Confessions (Livre VI, texte du manuscrit de Genève): « Je me rappelai le pis-aller d'une grande princesse à qui l'on disait que les paysans n'avaient pas de pain, et qui répondit : Qu'ils mangent de la brioche. »

 

Vous pouvez retrouver cette citation dans les Confessions en ligne, Livre VI, p. 274.

 

 

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, manuscrit de Genève, 1782, Livre VI

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, manuscrit de Genève, 1782, Livre VI

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7 novembre 2018 3 07 /11 /novembre /2018 13:25

La France commémore tout au long de la semaine l'Armistice de 1918. À cette occasion, le président de la République Emmanuel Macron, se rend dans différents hauts lieux de la Grande Guerre, dont Reims. Cette "ville martyre", détruite à 85% pendant le conflit à trouvé un visage : celui de "l'Ange au Sourire", plus connu sous le nom de "Sourire de Reims".

 

Connue pour être le lieu du sacre des rois de France, la cathédrale de Reims est aussi la « cathédrale martyre ». Pendant la Première Guerre mondiale ce sont quelques 288 obus allemands qui ont frappé ce joyau gothique. Autour d’elle, une ville détruite à 85%. Les premiers bombardements remontent au 4 septembre 1914, un peu plus d’un mois après le début du conflit et quelques jours avant que les troupes allemandes n’entrent dans Reims. Le drapeau blanc dressé à la hâte par les abbés Jules Thinot et Maurice Landrieux est ignoré par les belligérants. La ville est perdue puis reprise par les Français. Et finalement un obus allemand déclenche un incendie le 19 septembre 1914 sur un échafaudage en bois. Pendant le sinistre qui va ravager la cathédrale, une poutre tombe et emporte la tête d’une statue d’ange qui fait une chute de quatre mètres cinquante avant de s’éclater sur le sol en une vingtaine de morceaux.

 

Statues de la cathédrale de Reims, après les bombardements de 1914. L'Ange au sourire est la dernière à droite.

 

Cette « gueule cassée » est sauvée par l’abbé Thinot, aumônier volontaire mort au front en 1915, qui la met à l’abri dans les caves de l’archevêché de Reims. Ce n’est que plus d’un an après, le 30 novembre 1915, qu’elle est découverte par l’architecte Max Sainsaulieu. Alors que la destruction de la cathédrale suscite une vague d’émotion au sein de la population française, le sourire de l’ange devient l’emblème du génie français détruit par l’armée allemande.

 

Un sourire très médiatique

« Les statues du portail, avec leur suprême élégance, leur fin sourire, sont la fleur d’une civilisation… Le sourire, cet éclair de sympathie, apparaît pour la première fois à Reims… On retrouve partout ces proportions élégantes, cette grâce, ce sourire, ce désir de plaire, cette légèreté… Le sourire de Reims charme la France et l’Europe. » Voilà l’expression née sous la plume de l’historien Émile Mâle écrivant dans La Revue de Paris du 15 décembre 1914. Le « Sourire de Reims » apparaît alors dans de nombreux journaux français, italiens, anglais et américains — pays alliés contre l’Allemagne — qui en font la célébrité.

 

L’ange voyage même en dehors du continent : en 1916, un moulage de sa tête est accueilli à New York, au Canada, à Buenos Aire et à Santiago du Chili dans le cadre d’une exposition itinérante consacrée au patrimoine français détruit durant la guerre.

 

Même après la restauration de la statue en 1926, le sourire angélique continue de circuler en France et dans le monde entier. La poste émet à 580.000 exemplaires un timbre qui reprend ce sourire caractéristique. À la valeur d’affranchissement est ajoutée une surtaxe au profit de l’amortissement de la dette publique aidant ainsi à la reconstruction d’après-guerre. Un ange qui n’a pas fini de passer.

 

"Le sourire de Reims" : timbre à l'effigie de l'ange au sourire de la cathédrale de Reims.

 

Source: Aleteia.org

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23 octobre 2018 2 23 /10 /octobre /2018 06:45

Article mis à jour le 07-05-2023

Statue de Thomas Jefferson devant le préambule de la Déclaration d'indépendance américaine (1776). Jefferson Memorial, Washington, D.C.

Statue de Thomas Jefferson devant le préambule de la Déclaration d'indépendance américaine (1776). Jefferson Memorial, Washington, D.C.

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Le Barbier, 1789, huile sur toile. Timbre de la Poste 1989

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Le Barbier, 1789, huile sur toile. Timbre de la Poste 1989

Le bonheur est inséparable de la possession de la vérité.

Saint Augustin, Les Confessions, liv. Xe, chap. XXIII

Le bonheur de l'être consiste dans son union avec la fin pour laquelle il a été créé. Tous les êtres ayant été créés par Dieu et pour Dieu, leur bonheur consiste dans leur union avec Dieu.

Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, 1864, Rééd. Éditions Saint-Rémi, 2019, p. 36.

Se persuaderait-on, par hasard, [...] que la monarchie renversée par des monstres doit être rétablie par leurs semblables ? [...] Pour faire la Révolution française, il a fallu renverser la religion, outrager la morale, violer les propriétés et commettre tous les crimes : pour cette oeuvre diabolique, il a fallu employer un tel nombre d'hommes vicieux, que jamais peut-être autant de vices n'ont agi ensemble pour opérer un mal quelconque. Au contraire, pour rétablir l'ordre, le Roi convoquera toutes les vertus. [...] Son intérêt le plus pressant sera d'allier la justice à la miséricorde. [...] Le rétablissement de la monarchie, qu'on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution.

Joseph de Maistre, Considérations sur la France, Préface de Pierre Manent, Omnia Poche, Paris 2017, p. 128; et 157.

Depuis longtemps déjà Louis XVI porte sur les évènements révolutionnaires un regard surnaturel. À ses yeux, le mal est spirituel et le remède ne peut être que spirituel.

Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 164.

Il y a deux conceptions religieuses de la manière d'agir sur le monde: la manière chrétienne et la manière millénariste. La manière chrétienne consiste à se changer soi-même pour se consacrer aux autres. [...] [L]a solution millénariste est de changer le monde en changeant la société, ce qui veut dire concrètement en changeant les autres par la contrainte et même la violence.

Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 138

Les Lumières ont parié – mais elles ignoraient en général que ce fut un pari – sur la possibilité de l'amélioration intellectuelle et morale de tous. La déclaration était l'un des instruments de ce pari.

Stéphane RIALS, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Pluriel Inédit, Hachette, La Flèche 1988, p. 17

Les droits de l'homme sont une discipline par nature fortement idéologique : on peut faire dire à la Convention une chose et son contraire.

Grégor Puppinck, Valeurs Actuelles - n°4343 du 20 au 26 février 2020, p 31.

Introduction

 

http://idata.over-blog.com/4/27/14/37/Visuels-Royalistes/1789--coup-d-etat-.JPGComme nos lecteurs le savent, 1789 marque non pas la prise du pouvoir par le « peuple souverain » (mythe républicain : souverain, le peuple ne l'a jamais moins été que sous leur « démocratie » dite « représentative »), ni l'avènement du « bonheur de tous » dans la fable des « droits de l'homme » de 1789 (préambule) ou dans la déclaration d'indépendance des États-Unis de 1776, bonheur pour tous dont l'origine se trouve dans le mythe du Bon sauvage’ de J.-J. Rousseau, mais un coup d'État d'une oligarchie (un petit nombre) animée d'un affligeant « désir de tout changer » (Jean de Viguerie, Histoire et Dictionnaire du temps des Lumières, Robert Laffont, Bouquins, Paris 1995, p. 1134-1135.). 

Patrice Gueniffey, disciple de François Furet, considéré comme « l’un des meilleurs connaisseurs contemporains » de la Révolution et de l'Empire (André Larané, « Histoires de la Révolution et de l'Empire. Portraits et événements d'une époque oubliée », herodote.net, 28 avril 2017) a parfaitement défini cette oligarchie issue de 1789, en ces termes : 

« En théorie, le nouveau citoyen se voit reconnaître un pouvoir de contribuer à la formation des décisions. [...] Mais en réalité, il a moins de prise sur la décision qu'il n'en a jamais eu (Voir P. Gueniffey, Le Nombre et la raison. La Révolution française et les élections, Paris, Éd de l'EHESS, 1993, p. 208-213.) En effet, la participation démocratique repose sur une présomption de compétence universelle, laquelle, associée au postulat spontané de la volonté collective, constitue une double fiction dont l'effet est de transférer le pouvoir théoriquement possédé par les individus à une oligarchie composée de professionnels de la politique. Cette oligarchie trie les problèmes et définit les termes dans lesquels ils peuvent être résolus, médiation indispensable pour transmuer la poussière des volontés individuelles en 'volonté collective". La toute-puissance de la "machine", ou du parti, est la réalité de la liberté du citoyen moderne. Tout comme à l'intérieur de la société de pensée ou du mouvement jacobin, le pouvoir réel se trouve entre les mains du "cercle intérieur", [...] le peuple est réellement dépossédé de son pouvoir au profit du parti indispensable au fonctionnement de la démocratie. [...] C'est bien pourquoi le jacobinisme [...], [s]'il incarne par son principe le fondement de la démocratie, il en dévoile aussi, à l'apogée de son influence, le mensonge : la dictature d'une minorité prétendant énoncer la volonté générale au nom du peuple mais à la place du peuple. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 206-207).   

 

Le 23 août 2018, Edgar Cabanas, chercheur en psychologie et sciences sociales Max Planck Institute, et Eva Illouz, Professeure de sociologie Hebrew University of Jerusalem, ont publié un intéressant ouvrage intitulé « Happycratie. Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies », aux éditions Premier Parallèle, où ils évoquent une oligarchie consumériste, mercantile.

Dans un article pour Le Point du 24 août dernier, ils expliquent que le terme « happycratie », qu'ils ont forgé dans ce livre « s'attache avant tout à montrer comment, à l'ère du bonheur, sont apparus, de concert avec une nouvelle notion de la citoyenneté, de nouvelles stratégies coercitives, de nouvelles décisions politiques, de nouveaux styles de management, de nouvelles obsessions individuelles et hiérarchies émotionnelles.» « Ces dernières années, de nombreux écrits ont été consacrés à la question du bonheur, sous un angle critique, que ce soit par des sociologues, des philosophes, des anthropologues, des psychologues, des journalistes ou des historiens. Parmi les plus notables – et qui ont inspiré ces pages –, on pourra citer les travaux de Barbara Ehrenreich et Barbara Held consacrés à la tyrannie de la pensée positive, les analyses de Sam Binkley et William Davies des rapports entre bonheur et marché, ainsi que les réflexions de Carl Cederström et André Spicer sur l'idéologie du bien-être. »

Les deux auteurs indiquent que «si le présent ouvrage apporte une contribution à l'actuel débat, très vivace, sur le bonheur, c'est en vertu de sa perspective sociologique critique. Nous nous sommes appuyés ici sur les travaux que nous avons précédemment menés – des travaux consacrés aux émotions, au néolibéralisme et à la culture thérapeutique –, en creusant certaines idées déjà exposées ailleurs et en en introduisant de nouvelles, notamment quant aux rapports entre la poursuite du bonheur et les modalités d'exercice du pouvoir dans les sociétés capitalistes néolibérales

 

« Le bonheur est un marché très juteux. […] Poursuivre le bonheur, c'est avant tout, aujourd'hui, contribuer à la consolidation de ce concept en tant que marché très juteux, industrie et mode de vie consumériste envahissant et mutilant. Si le bonheur est devenu un moyen de gouverner notre vie, c'est parce que nous sommes devenus les esclaves de cette quête obsessionnelle.

Ce n'est pas le bonheur qui s'est adapté à nous, au clair-obscur et à la complexité de notre vie, aux ambiguïtés de nos pensées, mais bien le contraire : c'est nous qui nous sommes adaptés servilement à cette logique consumériste, qui avons consenti à ses exigences idéologiques aussi tyranniques que masquées, et qui avons accepté sans barguigner ses postulats étroits, réductionnistes et psychologisants. En prendre conscience pourrait causer une douloureuse déception chez certains, au regard des attentes que les chantres du bonheur ont fait naître. Mais ne pas en prendre conscience, ne pas envisager ces questions sous un angle critique, c'est laisser la voie libre à la grande machinerie du bonheur.»

 

« [D]ans sa forme et ses usages actuels, le bonheur est un puissant outil pour les organisations et les institutions – un outil qui leur permet de construire des travailleurs, militaires et citoyens bien obéissants. À notre époque, l'obéissance adopte la forme d'un travail sur le moi et d'une maximisation de ce moi

« Aux XVIIIe et XIXe siècles, poursuivent Edgar Cabanas et Eva Illouz, la revendication au bonheur avait un parfum de transgression ; la ruse de l'Histoire a fait ensuite de ce bonheur un instrument au service du pouvoir contemporain.

Précisons tout de suite que la recherche du bonheur n'est pas en soi une mauvaise chose, c'est même une chose naturelle. Mais les auteurs perçoivent une première incohérence de la pursuit of happiness des déclarations des droits de l'homme de 1776 et 1789 : « S'il (le bonheur) était d'une telle évidence, comme l'ont infatigablement affirmé les scientifiques du bonheur, nous n'aurions pas besoin de spécialistes pour l'approcher.

Et quand bien même s'imposerait un jour la nécessité d'un savoir-faire en la matière, il nous semble qu'il est chose trop importante pour être abandonné à une science réductionniste, incertaine, se caractérisant par des préjugés idéologiques, par un manque total d'autonomie par rapport au marché et à la politique technocratique, qui la recycle sans grands scrupules, et par sa promptitude à se prosterner devant le monde de l'entreprise, celui de l'armée, et l'éducation néolibérale.»

Nous verrons que l'on peut tenir le même argument s'agissant de la constitutionnalisation de la liberté et de l'égalité...  Si ces deux valeurs étaient si naturelles, pourquoi avons-nous besoin de les écrire ? Par ces réflexions, nos auteurs produisent ici un véritable ouvrage « contre-révolutionnaire » au bon sens du terme, en ce sens qu'ils portent un regard critique sur le système politique issu des Lumières et les déclarations des droits de l'homme.

 

« Tout incite à se méfier de ceux qui prétendent détenir les secrets du bonheur, » préviennent les auteurs; en effet, on doit se méfier des marchands de sommeil, surtout si ces secrets du bonheur sont utilisés à des fins politiques ! Or, c'est précisément le cas des déclarations des droits de l'homme de 1776 et 1789. Elles ont été rédigées par des grands partisans du commerce et du libéralisme anglo-saxon, dans le but de promouvoir le commerce et la main invisible qui devrait nous conduire au bonheur et au bien-être matériel. On peut appeler cela la politique de la carotte ! Nous verrons plus bas avec Mona Ozouf que la démocratie moderne, ainsi, se « condamne [...] à rendre sans cesse moins tolérable l'écart entre les promesses [...], les espérances qu'elle suscite et les accomplissements qu'elle offre ! » C'est-à-dire pas grand chose. Et au final une grande désillusion et une défiance généralisée envers les institutions.

 

« De façon plus fondamentale [...], s'il nous faut absolument nous méfier des apôtres du bonheur, c'est parce qu'en dépit de leurs sempiternelles promesses de nous remettre les clés de la bonne vie, ces clés restent et resteront parfaitement introuvables.»  Sur ce point les auteurs ont tort : nous verrons plus bas (par des citations bibliques) que la sainte Bible nous donne les clés pour trouver le bonheur (en Dieu), mais ce bonheur est toujours libre; il respecte notre libre arbitre, il n'est pas obligatoire comme dans la religion des droits de l'homme.

 

« Alors qu'il est bien difficile de déterminer le nombre exact de personnes qui sont persuadées d'avoir concrètement bénéficié de leurs conseils, les praticiens de la psychologie positive, les économistes du bonheur et les autres professionnels du développement personnel ont touché et continuent de toucher de leur activité des revenus absolument considérables,» poursuivent les auteurs. « [...] Les scientifiques et spécialistes du bonheur s'expriment souvent comme s'ils l'étaient, parlant à n'en plus finir de “découvertes révolutionnaires”, de “preuves irréfutables” ou encore d'“acquis incontestés”. Il est vrai que tout ce qu'ils disent n'est pas faux. Le problème est qu'ils se contentent très souvent de reformuler dans un jargon sentencieux et solennel ce qui est tout simplement – dans le meilleur des cas – du bon sens.

 

Le problème est surtout que ces lieux communs sont accueillis avec une surprenante facilité par de nombreuses personnes très disposées à y croire, en dépit du vaste corpus scientifique qui met en garde contre elles, solides arguments à l'appui.» 

 

« Comme a pu l'écrire Terry Eagleton (théoricien critique de la littérature britannique, actuellement considéré comme l'un des plus influents du monde britannique) il est sûr que nous avons besoin d'espoir, nous n'avons certainement aucun besoin de l'optimisme tyrannique, conformiste et presque religieux qui accompagne désormais l'idée de bonheur. »

 

Et les auteurs définissent cet espoir qui laisse une large place au libre arbitre que la philosophie des Lumières tend à éliminer : « L'espoir dont nous avons besoin se fonde sur l'analyse critique, la justice sociale et une politique qui ne soit pas paternaliste, qui ne décide pas en notre nom de ce qui est bon pour nous et qui, loin de vouloir nous épargner les difficultés de la vie, nous y prépare – non en tant qu'individus isolés mais en tant que société

 

« L'industrie du bonheur qui cherche aujourd'hui à prendre le contrôle de nos subjectivités est l'équivalent contemporain de la “machine à expériences” de Robert Nozick, qu'un Aldous Huxley put en son temps mettre en scène à sa façon, à travers le roman [Le Meilleur des mondes, NDLR].

 

La justice étant la vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient, il reste cet espoir d'une société qui nous rende notre libre arbitre : « [c]e sont la justice et le savoir, non le bonheur, qui demeurent l'objectif moral révolutionnaire de nos vies », concluent les deux chercheurs dans l'article du Point.

 

Edgar Cabanas et Eva Illouz ont vu juste :  S'il (le bonheur) était d'une telle évidence, comme l'ont infatigablement affirmé les scientifiques du bonheur, nous n'aurions pas besoin de spécialistes pour l'approcher. »

 

Les révolutionnaires d'Amérique ou de France, remplis de préjugés francs-maçonniques, prétendent que la politique doit se charger (pour nous) de nous montrer où est le bonheur public : dans le respect des droits de l'homme. Raisonnement circulaire parfaitement totalitaire aux conséquences tragiques. Le bonheur de l'homme et des sociétés ne se trouvent pas dans les droits de l'homme, biens matériels (la liberté, l'égalité), mais dans la possession de biens immatériels, de biens spirituels. L'homme ayant été créé pour louer, honorer et servir Dieu, et par ce moyen faire son salut (S. Ignace, Exercices spirituels), "le bonheur de l'être consiste dans son union avec la fin pour laquelle il a été créé. Tous les êtres ayant été créés par Dieu et pour Dieu, leur bonheur consiste dans leur union avec Dieu." (Mgr Jean-Joseph GAUME, Traité du Saint-Esprit, 1864, Rééd. Éditions Saint-Rémi, 2019, p. 36.) En poursuivant ce raisonnement, l'on dit que l'argent (ou la possession de biens matériels terrestres) ne font pas LE bonheur, tout au plus il y contribue... C'est qu'il y a au-dessus de ce bonheur matériel un bonheur supérieur à rechercher pour atteindre le véritable bonheur.

 

Ainsi, "'La richesse et la pauvreté étaient destinées à disparaître dans un régime d'égalité', lit-on dans un décret de la ville de Paris en novembre 1793, et : 'Il ne faut plus ni riches ni pauvres. L'opulence est une infamie,' dirait Saint-Just cette même année. ... Montesquieu et Rousseau - d'accord sur ce point - avaient raison. La démocratie, pour être effective, avait besoin d'une égalité qui dépasse le seul plan des droits, pour arriver à toucher la substance de la vie matérielle des citoyens." (Aldo SCHIAVONE, Une Histoire de l'égalité, Leçons pour le XXIe siècle" (traduit de l'italien par Giulia Puma, Fayard, L'épreuve de l'histoire, Saint-Amand-Montrond 2020, p. 153.)

 

Outre le décalage sans cesse croissant entre les promesses de bonheur (le pouvoir du bonheur ou happycratie) et la réalisation inexistante, des personnes qui se suicident, une crise de l'autorité, une sécession des citoyens (leur désaffiliation bien analysée par le géographe Christophe Guilluy dans son dernier livre No Society, le "There is no society" de Margaret Thatche en 1987, la société, ça n’existe pas...), les contradictions internes des droits de l'homme détruisent la société (ce qui fait le lien social) : il n'y a plus de société.

Dans ce contexte aujourd'hui d'une société française qui n'existe plus, il est urgent de penser l'impasse des droits de l'homme, comme le proposait en son temps François Furet avec son livre "Penser la révolution française" (1978). Le sujet est vaste, il ressortit à plusieurs disciplines (philosophie, théologie..., histoire, sociologie, psychologie.)

Dans un but de recherche des moyens qui rendent possible la vie en société, et devant la destruction généralisée du lien social, cet article se propose de présenter l'optimisme philosophique des hommes des Lumières, l'impasse de la « religion des droits de l'homme », et d'en apporter les premiers remèdes.

 

Lire aussi"La crise de la démocratie n'est pas liée à nos institutions. Ça va mal dans toutes les sociétés occidentales !" (Henri Guaino)

 

 

La recherche politique du bonheur et la disparition mécanique du libre arbitre : l'individu effacé

 

 

La recherche d'un Âge d'or et la quête du bonheur sont les fondements des droits de l'homme des « Lumières »

 

« "La science divine de la politique est la science du bonheur social", écrivait un de nos premiers apôtres scientifiques du bonheur, John Adams (futur deuxième président des États-Unis après G. Washington), dans Pensées sur le Gouvernement en janvier 1776. » (Cité in Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, Perrin, Collection Tempus, Paris 2012, p. 325.) 

 

Le Dictionnaire de la philosophie de Didier Julia (Larousse, Sciences de l'homme, Evreux 1992) définit le terme « Lumières » (p. 227) ainsi : « [...] couramment, quand on parle de progrès de la civilisation, de la nature humaine, il s'agit d'un progrès vers le Bien: vers l'accroissement des connaissances de l'esprit, du bonheur de l'homme. La croyance au progrès était un des principes de l'esprit encyclopédique au XVIIIe siècle, du positivisme au XIXe siècle: par progrès, les philosophes du XVIIIe siècle (Diderot, Voltaire, les encyclopédistes) n'entendaient pas seulement un progrès de sciences, mais surtout un progrès social dans le sens des libertés politiques et du bien-être économique. » Dès le départ, on note l'importance donnée à l'économique et à un mouvement indéfini de progrès.

 

« Au XVIIIe siècle, les philosophes écartent la Révélation (autrement dit... la Bible. NdCR.), devenue synonyme d'obscurantisme et de superstition: le mot Lumières est systématiquement appliqué à l'activité intellectuelle et culturelle de l'homme.

 

« [...] Les Lumières (sans la Révélation. Ndlr.) sont donc le seul moyen de parvenir au bonheur, but de l'existence humaine, accessible à tous, puisque la raison éclaire tous les hommes. Rejetant l'autorité, la tradition, la raison se fonde sur l'expérience. Partant du réel, et non de principes a priori, elle observe, analyse, compare et cherche à découvrir les lois de la nature en s'efforçant de discerner la vérité de l'erreur. » (Guy Cabourdin, Georges Viard, Lexique historique de la France d'Ancien Régime, Armand Collin, 3e éd., Paris 1998, p. 203.)

 

Jean Ousset

Or « cette "évolution" [...], ne suffit-il pas qu'on l'examine d'un peu près pour constater qu'elle est le fruit d'un effort organisé de la subversion ?

Envisagé sous cet angle, rien n'est moins naturel que ce prétendu cours "naturel" des évènements. Jamais peut-être leur déroulement ne fut aussi minutieusement et farouchement préparé et conduit par la volonté révolutionnaire d'un petit nombre d'hommes ! (l'oligarchie.) 

 

« Loin de parler d'évolution naturelle de l'histoire, ce sont les violences faites à ce cours de l'histoire que nous aurions profit à étudier !..

« Qu'on jette un regard attentif sur l'enchaînement des principaux évènements depuis 1717 (date de la création de la Grande-Loge d'Angleterre, avènement officiel de l'institution maçonnique) n'y voit-on pas, au lieu de fonctionnement harmonieux de lois naturelles, les violences répétées qu'on sut faire à l'ordre des choses une foule de sectes et d'agents subversifs ? » (Jean Ousset, Pour qu'Il règne, DMM, Niort 1998, p. p. 409.) Voilà le décors planté : une promesse de bonheur économique, la carotte du progrès, une évolution spontanée qui n'est en réalité que le plan des hommes religieux des Lumières.

 

La première application de ce matérialisme philosophique des Lumières se trouve dans la Déclaration d'Indépendances des 13 États unis d'Amérique du 4 juillet 1776. Thomas Jefferson, assisté de Benjamin Franklin et de John Adams, était le principal rédacteur de cette déclaration, par laquelle les treize colonies britanniques d'Amérique du Nord firent sécession de la Grande-Bretagne. Elle énumérait les « droits inaliénables » :

 

«Nous tenons pour totalement évidentes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur" (the pursuit of happiness), et la sûreté (ou droit à la sécurité). « Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. [...] [L]orsqu'une longue suite d'abus et d'usurpations, tendant invariablement au même but, marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir de rejeter un tel gouvernement et de pourvoir, par de nouvelles sauvegardes, à leur sécurité future. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 339.)

 

 

« À partir du 5 septembre 1774, un premier Congrès continental réunit au Carpenter's Hall de Philadelphie les cinquante-cinq délégués de douze des treize colonies (la géorgie mise à part). Parmi eux on remarquait quelques brillantes figures qui allaient s'illustrer dans la guerre d'Indépendance: George Washington et Patrick Henry pour la Virginie, John Adams pour le Massachussets, John jay pour New York, John Dickinson pour la Pennsylvanie. Dans uen ardente effervescence [...] on décida le boycott généralisé des produits anglais, la levée d'une armée de volontaires et l'achat d'armes en Europe. On ne revendiquait pas encore l'indépendance mais les "libertés américaines". Le Congrès se dota d'une sorte de bras armée, l'Association continentale, ligue patriotique destinée à former des comités locaux et à lever des milcies.

Un article en anglais d'un site maçonnique mentionne : "CARPENTER'S HALL [...] Parmi ses membres, il y avait des maçons, des tailleurs et divers artisans, un certain nombre d'entre eux appartenant à des loges maçonniques de Philadelphie. Le frère Robert Smith, l'un des architectes les plus parfaits de l'Amérique a conçu la salle des charpentiers, ainsi que le Christ Church steeple et d'autres importants bâtiments, dont la maison du frère Benjamin Franklin sur la rue haute (marché)...»  (Fin de citation) (source: http://www.masonicworld.com/education/files/apr02/include/masonic%20sites%20in%20philadelphia.htm)

 

Au 1er janvier (1775), leurs membres arborèrent leur nouveau drapeau, portant en alternance des bandes rouges et blanches, sur lesquelles se superposa en haut du côté de la hampe un canton d'azur couvert d'un cercle de treize étoiles, symbole des treize colonies (ce drapeau sera officiellement adopté le 14 juin 1777 par le Congrès). [...] Une seule nation, plusieurs États formant d'abord une confédération puis, à partir de la Constitution de 1787, une fédération» (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin Editions, Lonrai 2012, p. 364.)

 

« L'Amérique moderne, c'est un rêve que fit l'Europe du dix-huitième siècle et que réalisèrent […] le vingtième siècle et les États-Unis.

[…] Cette civilisation matérielle, […] orientée vers le bien-être, appuyée sur l'optimisme, et soumise avant tout à la disciple du travail utile, c'est l'idéal même du dix-huitième siècle philosophique franco-anglais.

 

[...] En 1933, deux siècles après que l'Europe philosophique a commencé son pêche, l'Amérique, sa docile élève, offre l'image d'un pays qu'un cyclone a dévasté; les usines sont vides et silencieuses; 20 millions de chômeurs; [...] les riches continuent de travailler, et chaque objet qu'ils produisent ajoute au désarroi de l'univers... »

 

Triste bilan que l'explosion des inégalités... au pays qui déclara le premier l'égalité des droits ! « L'Amérique a fait faillite, dit-on. Soit. Mais l'Amérique qui a fait faillite c'est celle que le dix-huitième siècle européen avait inventée et façonnée. Elle commença comme un rêve, elle finit par un cauchemar. » (Bernard Faÿ, Roosevelt et son Amérique, Librairie Plon, Paris 1933, p. 10-12.)

 

« La Déclaration (d'Indépendance) fut saluée un peu partout par force réjouissances; à Philadelphie, le 8 juillet (1776) on proclama l'entrée dans une ère de liberté, au son du canon.» (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 194.)

 

Avant d'être adoptée, la déclaration d'Indépendance avait été « bloquée par la délégation de Pennsylvanie, toujours temporisatrice. On ne pouvait rien faire sans elle. Franklin décida de lui forcer la main.

« Malgré la campagne d'opinion et le Sens commun les citoyens avaient réélu en mai 1776 une énorme majorité de ces tièdes. Ce parti tenait la colonie et on ne pouvait le briser par des moyens parlementaires. On en employa d'autres. Franklin et ses amis utilisèrent les Loges qui répandaient dans la haute bourgeoisie une doctrine libertaire et les "Associateurs", c'est-à-dire ces volontaires, boutiquiers et ouvriers, qui groupés dès 1749 par Franklin, formaient la police bénévole de Pennsylvanie. Seuls de toute la population ils étaient armés et entraînés. Ils étaient patriotes aussi. [...] Sous l'autorité de leur vieux maître et organisateur Franklin ils réunirent des meetings pour protester contre l'attitude des parlementaires de Pennsylvanie (mai, juin 1776) et de leur délégation au Congrès. Puis une convention préliminaire s'assembla par leur soin (19 juin), qui prépara et fit exécuter une élection (8 juillet). Tous les membres de l'Association, qu'ils qu'ils fussent, y furent électeurs et éligibles, tandis que les autres citoyens devaient montrer patte blanche, il leur fallait démontrer leur "patriotisme" et faire preuve d'une fortune relativement considérable. On eut donc de "bonnes élections". La convention provinciale ainsi élue, se réunit aussitôt et commença son travail (15 juillet) qui consistait à administrer la province et à lui donner une constitution. Son premier acte fut de choisir Franklin comme président [délégué au Second Congrès Continental organisé du 10 mai 1775 au 1er mars 1781. En 1785, de retour aux États-Unis après avoir été ambassadeur en France de 1776 à 1785, Franklin sera de nouveau élu pour trois ans président du Conseil exécutif de Pennsylvanie et participera en 1787 à la rédaction de la Constitution américaine à Philadelphie (Pennsylvanie), avant de mourir en 1790], puis elle le nomma représentant de la Pennsylvanie au Congrès en lui adjoignant une délégation fort patriote. Ainsi la difficulté était tournée. L'Assemblée, atteinte au coeur, protesta avec éloquence, lutta avec noblesse et mourut d'inanition. Grâce à cette manoeuvre, le Congrès avait pu enfin voter une Déclaration d'Indépendance (4 juillet 1776). Ce texte, rédigé par Jefferson et corrigé par Franklin, était destiné à servir de signe de ralliement pour les Américains et à répandre par le moindre cri de guerre de la nouvelle République. Il était avant tout un texte de propagande, d'où son caractère si curieux et si ambigu. Jusqu'alors les Américains avaient combattu le Ministère et le Parlement, ménageant au contraire le Roi comme innocent et comme leur suprême ressource. Maintenant, soudain, ils se tournaient contre lui et l'invectivaient... » (Bernard Faÿ, Benjamin Franklin, Citoyen du Monde**, Nouvelle Collection Historique, ad. Calmann-Lévy, Paris 1931, p. 152-154.)

 

Lors de son ambassade en France, « Franklin alla s'établir sur la jolie colline de Passy auprès de Paris. [...] Passy était le centre d'une chapelle philosophique, économiste et franc-maçonne. les Loges y travaillaient activement, à la fois à l'écart de la grande ville et proches d'elle. Or, [...] la franc-maçonnerie française, [...] sous l'impulsion de la famille d'Orléans, se réorganisait et essaimait partout. 

« Comme philosophe et comme déiste, Franklin fut des leurs immédiatement et ils furent tout acquis à lui. C'était là un poste d'observation et un poste de commandement d'où il lui était facile de faire de la bonne besogne. Ainsi, lui était garanti l'accès aux journaux; car ceux de France, contrôlés officiellement par le gouvernement, étaient en pratique rédigés par des maçons et des Philosophes : Morellet, Suard, La Dixmerie, tous amis de Franklin, étaient de ceux-là. La plupart des journaux français publiés hors de France étaient possédés et rédigés par des Maçons. Sans coup férir Franklin eut ses entrées à la Gazette de France, au Mercure de France, aux Affaires de l'Angleterre et de l'Amérique, feuille de propagande publiée par le Ministère français pour houspiller les Anglais; il fit insérer tout ce qu'il voulait au Courrier de l'Europe, à la Gazette de Leyde, qui passait pour la meilleure d'Europe, à la Gazette Française d'Amsterdam, au Courrier du Bas-Rhin. Pour ce travail il avait des collaborateurs illustres, le duc de La Rochefoucauld, l'abbé Raynal (le philosophe français le plus en vue du temps), un certain abbé Niccoli, ministre à Paris du grand-duc de Toscane, Courtney Melmoth, polygraphe et acteur anglais, qu'il avait à sa solde. Mais surtout il mettait lui-même la main à la pâte. Dès 1777 circulaient en manuscrit et paraissaient furtivement deux petits écrits de source inconnue, mais de facture révélatrice: Comparaison entre la Grande-Bretagne et les États-Unis en ce qui touche le crédit des deux pays. - Lettre du comte de Schaumberg au baron Henhendorff, commandant les troupes hessoises en Amérique. [...] Par ses affiliations philosophiques et maçonniques, Franklin avait accès à des organes tels que le Journal de Paris, la feuille à la mode en France à cette époque. [...] Membre de la loge des Neuf Soeurs, il en était aussi le Vénérable (1779-1781). Il guidait leurs activités. [...] La loge des neuf soeurs n'avait point tardé [...] à grouper tous les esprits hardis de France: officiers, magistrats, écrivains, artistes, philosophes. » (Bernard Faÿ, Benjamin Franklin, Citoyen du Monde**, Nouvelle Collection Historique, ad. Calmann-Lévy, Paris 1931, p. 179-180; 213; 251-252.)

 

En tant que « père fondateur » du pays, l'effigie du frère Franklin a figuré sur plusieurs timbres d'usage courant, dont le cinq cents brun, un des deux premiers timbres des États-Unis. Son effigie apparaît sur le billet de cent dollars.

 

 

« La devise E Pluribus unum  (« un seul à partir de plusieurs » ou dans une traduction plus directe « De plusieurs, un ») remonterait à  l'été 1776, lorsque Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et John Adams reçurent mission de trouver un sceau de la nouvelle nation. Ils se tournèrent vers un artiste d'origine genevoise Pierre-Eugène Du Simitière. Franlin avait proposé un Moïse étendant les mais sur les eaux déferlant sur le pharaon avec cette légende : "La rébellion contre les tyrans et l'obéissance à Dieu." Adams avait choisi un jugement d'Hercule, d'après une gravure de Simon Gribelin, tandis que Jefferson songeait aux Israélites dans le désert, et à Hengist et Horsa, les deux dirigeants légendaires des premiers Anglo-Saxons en Grande-Bretagne. Finalement, le choix se porta sur un oeil dans un triangle très maçonnique - que l'on retrouve sur les billets de banque. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., note 2, p. 467.)

 

Grand sceau des États-Unis (Great Seal of the United States), recto

 

 

Grand sceau des États-Unis (Great Seal of the United States), verso

 

Le grand sceau des États-Unis (Great Seal of the United States) est utilisé pour prouver l'authenticité de certains documents au sein du gouvernement américain. C'est en 1782 qu'il a été utilisé publiquement pour la première fois.

 

Billet de un dollar américain

 

Le grand sceau figure sur le verso du billet de un dollar américain. À la suite d'une décision de Franklin D. Roosevelt, président au moment de sa conception en 1935, le sceau y figure inversé ; le verso du sceau (la face qui inclut l'Œil de la Providence au sommet d'une pyramide) est à gauche et le recto à droite.

 

Si « la déclaration d'Indépendance mentionnait encore en 1776 des "lois de la nature et du Dieu de la nature", [r]ien de tel une dizaine d'années plus tard dans la Constitution ou dans le Bill of Rights. » (B. Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 317.)

 

Bernard Cottret ajoute : « Le caractère séculier de la société américaine [...] intéresse [...] les historiens : ne doit-on pas admettre le caractère partiellement mythique du passé puritain ? Jean Delumeau avait mentionné voici plusieurs années l'illusion rétrospective qui consiste à créditer les siècles passés de ferveur, en soulignant par contrecoup la déchristianisation ultérieure. Il n'est pas sûr que la société américaine ait toujours été aussi chrétienne qu'on a pu le prétendre, et les études récentes tendraient à démontrer que l'évangélisme conquérant des XIXe-XXe siècles a passablement brouillé les repères.

 

[...] Il faut renoncer désormais à la thèse d'un retrait linéaire du sacré, caractéristique de la modernité. [...] Le cas américain l'illustre parfaitement : [...] l'on n'est pas passé d'un monde saturé par le sacré à un monde de plus en plus profane. C'est exactement l'inverse : les États-Unis sont à tout prendre moins laïcs de nos jours qu'ils ne l'étaient lors de la Révolution. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 318.) Toute la question est de savoir quelle religion a remplacé quelle autre ? « Ainsi l'historien P. Maier note-t-elle fort justement la sacralisation croissante de la déclaration d'Indépendance depuis deux siècles. » (Pauline Maier, American Scripture, Making the Declaration of Independence, 1997, New York, Vintage 1998, p. IX, cité in Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., note 70, p. 477.) 

 

« La Révolution américaine dut beaucoup plus à la philosophie des Lumières qu'à l'influence de la Bible. Elle demeure l'un des temps forts de la sécularisation des mondes modernes, tout en accouchant d'une "religion civile" prompte à vouer un culte à ses grands hommes. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 318.) Et en effet, la Révolution américaine, comme la Révolution française, méconnaissent les fondements bibliques du bonheur que sont la recherche de Dieu (« connaître le Dieu saint » Pr. 9:10) et le respect des commandements divins.

« Le "modèle américain" est, comme chez nous la République, un "produit du siècle des Lumières", qui puise dans le même fonds commun politique et philosophique... » (D. Lacorne, L'Invention de la République, Hachette, Paris 1991, p. 10 in Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 13.)

 

 

« Turgot [...] reprochait [...] aux Anglais, [...] d'avoir oublié la "science la plus intéressante de toutes, celle du bonheur public. » (Turgot, Lettre à R. Price, 22 mars 1778. Appendice à H. G. Riqueti, comte de Mirabeau, Considérations sur l'ordre de Cincinnatus, , p.  187)

 

« La quête du bonheur devenait ainsi le fondement de ce que l'on allait appeler peu après les droits de l'homme. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, ibid., p. 185; 429 note 14.) Le bonheur se définissait désormais comme matérialiste, par la possession des biens de ce monde, l'importance de l'économique et la recherche du commerce :

 

« Et un autre observateur français de surenchérir : "Le droit naturel est le droit de l'homme à son plus grand bonheur possible." (C. Guilloton-Beaulieu, Influence du despotisme de l'Angleterre sur les deux mondes, Boston, 1781, p. 11. Et l'auteur de poursuivre: "La satisfaction intérieure de l'âme, qui naît du libre et paisible exercice de ce droit, ainsi que de la possession des biens, des avantages légitimement acquis, est le bonheur. C'est ce mobile impérieux qui est le principe de toutes les actions. Mais l'homme se trompe souvent dans le choix des moyens qui conduisent vers ce but." Et encore: "L'origine des lois naturelles date de ce droit de l'homme. Ces lois sont des règles de direction qui indiquent la route du bonheur; et celui qui veut ardemment la fin d'une chose doit aussi en vouloir les moyens.")

« L'orgueil de l'homme, l'esprit du mal, la révolte contre Dieu » (Gustave Bord), dans la société moderne

 

Dès 1787, le futur conventionnel « Jacques-Pierre Brissot, exhortait les Français à s'intéresser à un pays (les États-Unis) dont le destin lui paraissait prometteur "pour le bonheur de la France.

[...] Le but de Brissot était nettement d'encourager les Français à "renoncer à leur langueur pour le commerce de l'Amérique" en exportant outre-atlantique une partie de leur production. [...] Chaque fois que l'on parle de la conception américaine du bonheur, c'est pour délivrer la vie économique de ses entraves. Le plaidoyer de Brissot possède déjà toute la rhétorique empruntée de la Lettre aux actionnaires de quelque multinationale de notre temps... » (Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 10.) 

 

« Quant à l'abbé Sieyès, il devait s'exclamer en juillet 1789 : "L'objet de l'union sociale est le bonheur des associés." » (Orateurs de la Révolution française, F. Furet, R. Halévi, Gallimard, La Pléiade, Paris 198, I, p. 1008, in B. Cottret, La Révolution américaine, ibid.,,  note 3, p. 363.) Et pour la poursuite de ce bonheur des associés, quoi de mieux que la théorisation du gouvernement représentatif ? (Sieyès, Discours du 7 septembre 1789.) Commerce et démocratie représentative vont ensemble. Au XIXe siècle, François Guizot aurait dit : « Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne et vous deviendrez électeurs.» Comme si devenir électeur était la nouvelle fin de l'homme, les révolutionnaire qui ont inventé la démocratie nous disent de nous occuper de rien : ils s'occupent pour nous de notre bonheur !

Cette prétention des Lumières à représenter les citoyens plongés dans l'obscurantisme (élitisme maçonnique millénariste) est tout sauf démocratique, parce que l'idée des Lumières est que seuls ceux qui ont les Lumières ont le droit de s'exprimer et de décider pour les autres; les autres sont dans les Ténèbres et il faut leur imposer les Lumières, même s'ils n'en veulent pas. C'est l'autoritarisme de la Révolution française où un Robespierre prétend avoir les Lumières et impose aux autres l'obéissance à sa liberté (ou la guillotine). On retrouve ce type de raisonnement dans pratiquement tous les processus révolutionnaires qui sont des révolutions menées par des athées rationalistes, des scientistes. Ce qui est paradoxal puisque les défenseurs des Lumières sont précisément ceux qui prétendent défendre la démocratie.

 

 

On remarquera ainsi que dans la soit-disant société démocratique, jamais les Français n'auront été informés ni prévenus de qui est cet Être suprême qui pourtant chapeaute leur droit, à la tête même de la déclaration dite des droits de l'homme ! Depuis deux siècles, les Français vivent sous les « auspices de l'Être suprême » sans qu'il y ait eu aucune discussion à ce sujet pour savoir si ce dieu était le vrai Dieu... Dans le projet jacobin de 1789, la centralisation a la première place, tôt ou tard le bonheur est garanti, et les Français ne sont que des administrés qu'il faut éclairer des Lumières de ceux qui ont la connaissance. Une petite élite connaît la vérité, (ou qui croit la connaître) et elle est chargée de communiquer cette soit-disant connaissance, à nous les profanes (sic vocabulaire maçonnique) qui sommes plongés dans les ténèbres (re sic vocabulaire maçonnique). 

 

 

En France, en 1789, le « Dieu de la nature » des philosophes commence par être remplacé dans le préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen par les « auspices de l'Être suprême » maçonnique.

 

« Le profane, en effet, celui qui est dans les ténèbres, fait partie d'une humanité différente d'un monde maçonnique; lui n'est pas un égal; c'est à peine si le maçon le considère comme une plante de la vaste pépinière dont il sélectionne les rejetons; mais afin de déterminer les vocations, il contamine la pépinière entière en la développant en vue des doctrines qui doivent dominer en lui; en faisant naître chez le profane des doutes au sujet de ses croyances religieuses, il le conduit ainsi à la religion maçonnique. » (Gustave Bord, La franc-maçonnerie en France des origines à 1815, 1852, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1908, p. 99.)

 

Que devient notre libre arbitre ? Dans les étapes que le maçon doit parcourir pour gagner ses grades, l'historien Gustave Bord précise cette inégalité dans la conduite du profane par le maçon : « ce qu'il faut qu'il (le maçon) comprenne, c'est comment on conduit les hommes, comment on les fait concourir, malgré eux, à la prospérité de l'Ordre. On leur explique comment un petit groupe organisé en aristocratie secrète mène la foule non-organisée; comment un pouvoir occulte, irresponsable mais actif, mène le pouvoir responsable et le rend le principal artisan de sa décadence et de sa mort. On leur apprend que les vices de l'humanité sont les grands leviers des habiles; que, dans la pratique, on ne rencontre qu'un obstacle : la révolte de la conscience humaine, cette chose qu'ils n'ont pu saisir ni comprendre dans les deux premières chapelles, et que tout l'art consiste à endormir cette conscience pour l'empêcher de se révolter. On leur apprend que lorsqu'il suffira à l'homme de déposer un bulletin anonyme dans une urne pour entretenir ses vices et flatter son orgueil, il le mettra.

Lorsque l'initié saura tout cela, il sera un maçon parfait; sa mentalité maçonnique sera parachevée. [...] Voilà ce qu'au XVIIIe siècle on appelait le travail de loge. Voilà comment au nom de l'égalité, le maçon escamotait cette égalité à son profit. Il veut l'égalité entre initiés, il veut l'égalité entre profanes, mais il ne veut pas l'égalité entre initié et profane. » (Gustave Bord, La franc-maçonnerie en France des origines à 1815, 1852, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1908, p. 200.)

 

Le président catholique américain John Fitgerald Kennedy pointa le problème d'une société qui détruit le libre-arbitre dans un discours du 27 avril 1961 au Waldorf Hastoria Hotel :

 

« [W]e are opposed around the world by a monolithic and ruthless conspiracy that relies primarily on covert means for expanding its sphere of influence--on infiltration instead of invasion, on subversion instead of elections, on intimidation instead of free choice, on guerrillas by night instead of armies by day. It is a system which has conscripted vast human and material resources into the building of a tightly knit, highly efficient machine that combines military, diplomatic, intelligence, economic, scientific and political operations.

 

« Its preparations are concealed, not published. Its mistakes are buried, not headlined. Its dissenters are silenced, not praised. No expenditure is questioned, no rumor is printed, no secret is revealed. »

 

Traduction :

 

« Nous sommes confrontés dans le monde entier à une conspiration monolithique et impitoyable qui s'appuie d'abord sur des moyens secrets pour étendre sa sphère d'influence, par l'infiltration plutôt que l'invasion, la subversion plutôt que les élections, et l'intimidation au lieu du libre-arbitre.

C'est un système qui a nécessité énormément de ressources humaines et matérielles dans la construction d'une machine étroitement soudée et d'une efficacité remarquable, elle combine des opérations militaires, diplomatiques, de renseignement, économiques, scientifiques et politiques.

Leurs planifications sont occultées et non publiées. Leurs erreurs sont passées sous silence ou non relayées par la presse. Leurs détracteurs sont réduits au silence et leurs avis non sollicités. Aucune dépense n'est remise en question, aucun secret n'est révélé. »

sources: https://www.jfklibrary.org/Research/Research-Aids/JFK-Speeches/American-Newspaper-Publishers-Association_19610427.aspx

et 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_John_Fitzgerald_Kennedy#Le_Président_et_la_Presse_(27_avril_1961) 

 

Entre les élites (maçonniques), c'est-à-dire dans le jargon de la religion maçonnique, ceux qui savent (ceux qui ont la connaissance) ne doivent pas être mis sur un pied d'égalité avec les profanes, les gens du peuple.

On commence à voir la différence entre les deux projets de société.

 

Dans le christianisme, le bonheur est individuel, il est laissé à notre libre arbitre (Voir plus loin le paragraphe sur le mensonge de la liberté de l'article 1 de la déclaration des droits de 1789), il dépend de notre obéissance au commandements divins, il n'est pas garanti ici-bas et n'est pas obligatoire. Dans le projet jacobin, au contraire, comme nous le verrons plus loin, le bonheur est terrestre, mais il est collectif et il est obligatoire. Marque de tous les totalitarismes. 

 

Du simple point de vue de l'administration des territoires, on observe la même différence entre les deux types de sociétés : « les rois voulaient unir en respectant les traditions et les particularités locales, sans user de violence. Ils cherchaient à supprimer de façon graduelle, et tout en les tolérant d'abord, les frontières administratives, financières, douanières, etc., qui séparaient les diverses provinces de France. Les révolutionnaires, sans comprendre que la variété est une forme de la liberté, et peut-être la plus essentielle pour chacun, s'orientaient vers une unité dans l'uniformité. Le niveau, emblème de la Maçonnerie, correspondait à leur projet principal. » (Bernard Faÿ, La Grande révolution 1715-1815, Le Livre contemporain, Paris 1959, p. 244.) Après l'économique, l'uniformité caractérise la république des Lumières.

 

 

« Ce n'est pas que le pays fût malheureux : le servage, qui subsistait dans plus autres pays de l'Europe, en avait disparu. Le XVIIIe siècle avait été pour le paysan une ère de prospérité relative. Les hommes de la glèbe s'étaient enrichis jusqu'à acquérir et posséder plus de la moitié du sol. Voltaire dit leur bien-être. L'instruction populaire sous l'Ancien Régime était plus développée qu'on ne le croit communément. L'industrie était généralement prospère, le commerce avec l'étranger très florissant; depuis Louis XIV, il avait plus que quadruplé. [...] La population du pays se montait à vingt-cinq millions d'habitants – chiffre égal à celui de l'Angleterre et de l'Allemagne réunies. De quoi pouvait-on souffrir ? D'une crise intellectuelle et morale. L'école économique et philosophique composée de ceux qu'on a dénommés les encyclopédistes – du fait que les principaux d'entre eux étaient les collaborateurs de l'Encyclopédie dirigée par Diderot – avait répandu des doctrines et théories faites d'abstractions et d'idées préconçues; à quoi ne tarda pas à se mêler la sensiblerie humanitaire de Jean-Jacques Rousseau. Les nouvellistes, depuis plus d'un siècle actifs à façonner l'opinion publique, s'emparèrent de cette mystique pour lui donner une multiple publicité: groupes de nouvellistes d'où sortiront les clubs dont Augustin Cochin a montré l'action sur les évènements révolutionnaires. [...] "Périssent les colonies plutôt qu'un principe !" "Et si le principe est faux, ajoutera bonnement le gouverneur Morris – ambassadeur américain en France – la maxime est parfaitement sublime." » (Frantz Funck-Brentano (1862-1947), de l'Institut, La Révolution française, Voir... et... Savoir, Paris : Flammarion, 1935, p. 3-4.)

 

Les partisans de la première « république » en France en 1792, croyaient dans les promesses du progrès. Voyez cette citation de Voltaire : « Le monde avec lenteur marche vers la sagesse. » (Voltaire. Les Lois de Minos, Act III., Sc. 5.)

 

L'allemand Emmanuel Kant (1724-1804), penseur de l'Aufklärung (Lumières allemandes), pariait lui aussi sur ce processus historique d'émancipation volontaire et progressive de l'homme, sa capacité à promouvoir le bonheur, la paix et la vertu. « À une philosophie (classique) qui a pour fondement Dieu, Kant substitue une philosophie qui part d'un point de vue : celui de l'homme. En ce sens, il effectue une véritable révolution copernicienne » (Info Bac, Les Philosophies et leurs idées, 65 portraits de philosophes, 82 citations, un mini-glossaire, Philosophie, Nathan.) L'anthropocentrisme trouve son regime dans la république des Lumières. Et le paradoxe est que l'homme disparaît, l'individu disparaît au profit d'une collectivité fabriquée, donc factice. On en verra des résultats meurtriers au XXe siècle dans le communisme et le nazisme. En 1799, l'abbé Barruel avait déja ainsi pu ironiser prophétiquement sur cette philosophie kantiste des Lumières : 

 

« Dans le système de ce fameux docteur : [...] Des milliers et des milliers d'années s'écouleront peut-être avant l'heureuse période de cette paix perpétuelle; mais quelque idée qu'on se fasse du libre exercice de la volonté, si est-il certain que les résultats apparents de cette volonté, les actions des hommes, sont ainsi que tous les autres faits de la nature, déterminés par des lois générales. Cette nature marche d'un pas lent, mais certain, à son objet. [...] Tôt ou tard, l'époque de la confédération générale, de la paix perpétuelle, arrivera. Cependant à cette époque même, l'espèce humaine n'en sera encore qu'à moitié chemin de son perfectionnement. – Je ne sais pas s'il plaît au dieu Kant de nous dire quelle est l'autre moitié de la route qui reste à parcourir (Voyez Idées d'une histoire universelle dans les vues du citoyen du monde, par M. Kant, spectateur du Nord, Avril 1798). Mais en attendant, ses disciples en grand nombre nous disent que "l'Europe doit nécessairement se dissoudre en autant de républiques qu'il y a maintenant de monarchies; et qu'alors seulement le genre humain se montrera dans toute sa force et sa grandeur; qu'alors on ne verra plus des êtres incapables à la tête des nations; qu'elles arriveront à ce haut degré de perfection dans lequel se trouve aujourd'hui la France, où la naissance n'est plus rien, où l'on parvient à tout par le génie et les talents." (Mémoires sur le jacobinisme en Allemagne). En attendant encore, d'autres disciples sentent parfaitement ce que c'est que cette autre moité du chemin à parcourir, pour arriver au perfectionnement de l'espèce; et pour ceux-ci, l'homme perfectionné, c'est l'homme n'ayant plus d'autre maître que lui-même, d'autre loi que sa raison; c'est l'homme du professeur de Iéna, l'homme de Weishaupt et de Babeuf. 

 

« [...] Malgré la différences des procédés, il est en effet aisé de voir que le système du docteur Kant, aujourd'hui encore (1799) professeur de Koenigsberg, vient ultérieurement se confondre avec celui du docteur Weishaupt, ci-devant professeur à Ingoldstadt. C'est près de l'un et de l'autre cette même haine de la Révélation, ce même esprit d'impiété, qui ne peut souffrir l'idée d'un monde à venir, où toutes les énigmes de celui-ci se résolvent par la sagesse et la justice du Créateur, où le grand objet de chaque homme et de tout le genre humain se dévoile au tribunal d'un Dieu vengeur et rémunérateur. C'est dans Kant et Weishaupt la même prétention au génie, punie par le délire de leurs suppositions également gratuites et absurdes, qui ne laisse à la génération présente, pour toute consolation de tous ses désastres, que le règne imaginaire de ces Cosmopolites, dont il leur plat de voir la terre se peupler au bout de milliers et des milliers d'années. [...] C'est la même ineptie d'un fatalisme qui nous montre partout une nature faisant toujours ce qu'elle veut, malgré toutes nos volontés, dominant toutes nos actions par ses lois générales. [...] Toute la différence que je vois ici entre ces deux héros du jacobinisme tudesque, c'est que l'un, au milieu de son école de Koenigsberg, s'enveloppe de tous les dehors pacifiques, tandis que l'autre, dans ses mystères, presse et anime ses adeptes, souffle son enthousiasme et ses fureurs à ses Époptes, en leur montrant le jour où il faudra recourir aux moyens de la force, subjuguer et étouffer tout ce qui leur résiste. [...] Les disciples s'échauffent, les Jacobins sourient; et à mesure que le système s'étend, les élèves de l'une et l'autre école s'unissent, forment leurs alliances souterraines. Sous prétexte de cette paix perpétuelle qui attend les générations futures, ceux-là ont commencé par déclarer et faire à l'univers une guerre de cannibales; et de ceux-ci à peine en est-il un qui ne soit prêt à livrer sa patrie, ses lois et ses concitoyens, pour hâter l'empire de leurs Cosmopolites, annoncé par l'oracle de Kant ou celui de l'Homme-Roi, prédit par le hiérophante Weishaupt. » (Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, éd. de Chiré, tome 2, Poitiers 2005 ,p. 521-522.)  « Et de ceux-ci à peine en est-il un qui ne soit prêt à livrer sa patrie, ses lois et ses concitoyens, pour hâter l'empire de leurs Cosmopolites... » : Prophétique !

 

Au Canada, ils ont eu du mal avec ces Français (les Gaulois réfractaires au changement de Macron) : « il n'est pas toujours facile de séduire les Français; "Je ne suivrai pas la disposition naturelle de mon coeur, qui dicte la clémence", s'était écrit James Murray, premier gouverneur militaire du pays (6 novembre 1759. Cité par H. Neatby, Quebec. The Revolutionary Age, Oxford University Press, Oxford 1966, p. 142 in Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 17.) Après avoir combattu au siège de Louisbourg et sur les plaines d'Abraham, devant Québec, J. Murray (1722-1794) devenait gouverneur militaire de la région en 1760, puis gouverneur civil en 1764 avant d'être rappelé en 1766 et perdre sa charge deux ans plus tard. « Le bonheur, instrument de conquête ou de libération ? Succédant à la gloire des armes, le bonheur des peuples faisait visiblement partie du vocabulaire éclairé du gouvernement. » (Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 34.) 

 

« En 1774, le successeur de Murray, Carleton, parla pareillement de l'octroi d'un régiment aux Canadiens, pour que "leur bonheur fût complet..." » (H. Neatby, Quebec. The Revolutionary Age, Oxford University Press, Oxford 1966, p. 142 in Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 375.)

 

Le son du canon célébrant à Philadelphie la Déclaration d'Indépendance, l'envoi de régiments, le triangle maçonnique associé au dollar anticipent déjà la propagation du règne de la liberté et de la démocratie dans le monde, par la guerre et le capitalisme.

 

 

 

 

 

Le 3 mars 1794 (le 13 ventôse, an II), le révolutionnaire Saint-Just s'écriait : « Le bonheur est une idée neuve en Europe !» (Discours et rapports, A. Soboul, Paris, Messidor, 1998, p. 150,  cité in Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 325.) 

 

Tous promettaient le bonheur ici-bas.

Mais le bonheur de qui ? Il est légitime de se le demander. Ainsi, un exemple entre mille, la loi de ventôse an II prévoyait de voler les biens des « suspects » reconnus ennemis de la république pour les donner aux patriotes indigents. La mise en place d'États policiers criminels, les violations de la morale commune, les violations du droit naturel de propriété et des libertés publiques, des inégalités jamais vues autrefois, sont autant d'avancées de la démocratie dans le monde.

 

Depuis 1792 et l'apparition des républiques en Europe, l'ambition de mener l'humanité vers le « Bonheur pour tous », la construction d'une « France nouvelle » (expression de Philippe Pichot-Bravard dans La Révolution française, Via Romana, 2014, p. 79), la fabrication de l'« homme nouveau », « nouvel Adam » (expression de Mona Ozouf dans L'homme régénéré, Gallimard, Paris 1976, p. 116-118), la recherche d'un Âge d'or, sorte de paradis terrestre perdu qu'il s'agit de retrouver par tous les moyens..., quitte à faire la guerre aux autres qui n'en veulent pas, sont avec les droits de l'homme de 1789 les signes du « bonheur obligatoire » (expression du professeur Jean-Louis Harouel.)  

 

Add. 23.02.2023. L'historien Xavier Martin, professeur émérite de l'histoire du droit, Université d'Angers, décrypte le matérialisme des Lumières :

 

Jouir de soi-même’, la dite formule est spécialement harmonisée au génie propre d’un Rousseau, qui en fait grande consommation.

 

‘’L’idéal du bonheur proposé par les Lumières s’oppose à celui qui est solidement en place qui est celui du bonheur chrétien (la tempérance) qui disqualifie le modèle hédoniste (jouisseur et concupiscent) et privilégie la perspective de l’au-delà.

 

Adam et Ève au Paradis Terrestre, par Johann Wenzel Peter (1745–1829)

 

Le révolutionnaire Brissot pose en principe que l’‘on ne jouit que par les sens.’

 

Diderot : ‘Il n’y a qu’un devoir c’est d’être heureux.’

 

Et Voltaire écrit : ‘Jouir de la vie tant qu’on la tient. Car tout le reste est folie.’

 

Mirabeau père : ‘Notre bonheur est notre premier devoir.’

 

Et aussi Sieyès : ‘L’homme est fait pour jouir.’

 

D’Holbach : ‘Jouis, voilà ce que la nature t’ordonne, consent que d’autres jouissent, mets-les à portée de jouir.’

 

Et Chamfort : ‘Jouis et fais choisir, voilà je crois toute la morale.’

 

Ou Sonancour : ‘Jouis, il n’est pas d’autre sagesse; fais jouir il n’est pas d’autre vertu.’

 

N‘est-ce pas assez clair ? On est moins ici dans une perspective de droits subjectifs que dans le devoir, les impératifs, l’impériosité.

 

Mettre ses semblables à la portée de jouir : message bien reçu par Mirabeau fils. ‘Le code social, affirme-t-il en 1776 doit être fondé sur les sensations et par là-même n’a d’autre objet que les jouissances (ce sont ses mots), leur distribution, leur arrangement, leur reproduction et leur multiplication.’

 

Consonant écho chez Condorcet: ‘Principal bienfait du libéralisme, il augmente, dit-il, la masse des jouissances.

 

En un mot, société, satiété, c’est désormais tout un !

 

Cette logique affirmée d’un devoir d’être heureux ici-bas inclut bientôt l’obligation, paradoxale, d’un résultat. Elle se transmet en une logique totalitaire, consubstantielle aux utopies, celle du bonheur obligatoire. Logique totalitaire, qui la Terreur venue, viendra jusqu’à traquer l’expression des visages !

 

Selon un témoin, quand passe en mission un conventionnel, je cite : ‘la tristesse se répand dans tous les coeurs et la gaieté sur tous les visages.’

 

Pour l’abbé Morlaix, quoique ‘philosophe’, un comité de surveillance va fignoler cette question piège : ‘pourquoi étais-tu gai avant le 10 Août 1792, deux ans plus tôt, et triste après ?’ 

 

Le devoir d’être heureux invoqué par Diderot et consorts, est devenu entre-temps, tyrannique, et vital : car on l’a compris, la mine allongée peut bien vous hisser en un tour de main jusqu’au bonheur obligatoire de l’échafaud...’’

(Xavier Martin)

 

Source videohttps://gloria.tv/post/QcbDcYjhAUJm3yaeTCtiHWHd8#1185

« La révolution [...] offre une promesse vague de liberté et de bonheur qui ouvre un espace infini aux spéculations.[...] Sitôt formulée, toute définition de la révolution s'expose à la concurrence d'autre discours, à des définitions qui en approfondiront la nature et en radicaliseront les objectifs. Là réside le moteur de la dynamique révolutionnaire qui, d'outrances en surenchère dans la définition des fins et le choix des moyens, conduit inexorablement, à travers un processus de radicalisation cumulative du discours, à la violence. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 230.) 

 

« Il n'y a jamais de retour en arrière durant ces années, mais, comme dans toute la Révolution (faut-il dire dans toute révolution ?), une radicalisation croissante. » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Paris 1989, p. 42.)

 

La promesse vague de liberté et la recherche d'un bonheur est la matrice gnostique et millénariste, qui associée au volontarisme et au constructivisme de la Révolution est à l'origine de tous les génocides, de 1789 à 1917, en passant par le nazisme et la promesse aujourd'hui, en 2018, du "nouveau monde" d'Emmanuel Macron avec son lot de remplacement de peuples et de destruction de sociétés...

 

Au départ pourtant se trouvaient toujours de belles idées, de beaux discours toujours teintés d'anciennes hérésies gnostiques antichrétiennes..., qui n'ont trompé que les personnes naïves. Et à chaque fois, la recherche millénariste de l'Âge d'or a abouti à un enfer.

 

Jean-Jacques Rousseau, le père de l'illuminisme [1] et du communisme nous dit qu'à l'état de nature les hommes vivaient comme le font les animaux. Pour lui, c'était l'âge d'or. Un âge de bonheur indépassable, un état de liberté et d'égalité, où "les fruits étaient à tous et la terre à personne" (Discours sur l'inégalité, ndlr.) Un état "chaque homme était citoyen de l'univers..." (cité in Mgr Delassus, La Conjuration antichrétienne, Le temple maçonnique voulant s'élever sur les ruines de l'Eglise catholique, 1910, réd. Expéditions Pamphiliennes, 1999, p. 281.)

 

L'âge d'or des révolutionnaires, où les hommes étaient libres et égaux n'a rien à voir évidemment avec le vrai Jardin d'Eden biblique (Cf. la Chute originelle) où la Chute de l'humanité est due à la première désobéissance à un commandement divin. 

 

Dans le monde nouveau des révolutionnaires, au contraire, la Chute n'est plus due à la désobéissance à Dieu, le fautif n'est plus l'homme, l'homme devient une victime..., le mal se trouve forcément à l'extérieur dans la société qu'il s'agit de changer pour régler les problèmes et retrouver l'âge d'or de la « liberté ». Il s'agit de la « liberté » du démon de Genèse 3 et pas de celle de Dieu, bien évidemment. 

 

La Déclaration des droits de l'homme de 1789 se place « sous les auspices de l'Être suprême » très maçonnique. Et le « bonheur de tous », opium du peuple, est garanti

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen.

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 27 août 1789, Archives parlementaires, t. XXXII, p. 525-526, cité in Les Déclarations des droits de l'homme, présentées par Frédéric Rouvillois, Champs Classiques, Paris 2009, p. 58

‘’Il y a un côté vrai dans le libéralisme, qui est d’avoir la liberté en vue ; mais aussi un côté faux, qui est d’en appliquer les fruits, non au mérite acquis, mais à l’orgueil universalisé.’’ (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 99.)

 

‘’Le libéralisme […] Il pourrait être défini : Un système de politique conçu en dehors de toute donnée théologique et de toute notion tirée de la nature humaine. […] L’aspect de vérité dont se revêt le libéralisme, d’un côté lui attire les nouvelles recrues, de l’autre maintient la société dans l’impuissance de lutter contre l’erreur qui la menace d’un anéantissement complet. Puis, quand le mal a jeté de profondes racines, les libéraux, démontrant aux honnêtes gens l’impossibilité de vaincre la Révolution, déclarent qu’il n’y a rien de mieux à faire que de se replier prudemment. Après s’être emparé des masses par l’erreur, conquérir de la sorte les autres classes par la peur, c’est amener la société à la dernière capitulation. Ce qu’il y a de plus à redouter dans le libéralisme, c’est qu’il ignore entièrement de quel principe il est issu : la raison ne sait où l’atteindre. Il oublie la fausse donnée philosophique dont ses idées sont une conséquence. […] Il croit volontiers, sur la foi de Rousseau, que tout homme naît bon, depuis bientôt un siècle il ramène périodiquement nos crises révolutionnaires. La Révolution, qui a tant péroré sur l'homme, naît toute entière d'une erreur sur l'homme.’’ (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 100-101.)

 

‘’De là les formules de Rousseau, reçues avec avidité par le vulgaire : ‘l’homme est né libre, et partout il est dans les fers’ ; ‘l’homme est né bon, et la société le déprave’ ; ‘nous devons revenir à l’homme de la nature’, etc. De là, conséquemment, l’ardeur avec laquelle la Révolution se mit à détruire une société d’où, suivant elle, découlaient tous nos maux.

''La Révolution déclara que l’homme retrouverait la perfection et le bonheur en supprimant les prêtres et les rois. Tous les hommes seraient heureux et rentreraient dans leur perfection primitive en retournant à la nature, c’est-à-dire en abolissant l’autorité, les lois, surtout la religion, source de nos erreurs. Il fallait écarter tout ce qui nous vient de la civilisation pour retrouver l’homme de la nature, cet homme heureux et bon, né avec tous les droits. Enivré de cette pensée, le Libéralisme prit pour mission de la servir. […] Le libéralisme fut l’acheminement vers l’état de nature, la république en devait être la réalisation, et c’est pourquoi elle renverse tout. [...] [C]ette idée fournit une base aux désirs de l'orgueil : voilà pourquoi elle devait triompher !’’ (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 101-102.)

Or, la recherche du bonheur simplement matérialiste de ces déclarations révolutionnaires méconnaît les vrais fondements immatériels et spirituels du bonheur (purification intérieure par la pénitence et la mortification, recherche de Dieu et respect de Ses commandements), fondements individuels, libres par nature (libre arbitre chrétien), et nécessairement non obligatoires (afin de respecter le libre arbitre de l'homme).

Nous verrons plus bas que le Décalogue (Dix commandements) est la vraie déclaration de droits universelle.

 

« La sagesse commence avec la crainte du Seigneur, connaître le Dieu saint, voilà l’intelligence ! » (Proverbes 9:10)

 

« La sagesse commence avec la crainte du Seigneur. + Qui accomplit sa volonté en est éclairé. À jamais se maintiendra sa louange. » (Ps 110 :10)

 

« Alléluia ! Heureux qui craint le Seigneur, qui aime entièrement sa volonté ! »  (Psaumes 111:1)

 

« Fais-toi un cœur droit, et tiens bon ; ne t’agite pas à l’heure de l’adversité. Attache-toi au Seigneur, ne l’abandonne pas, afin d’être comblé dans tes derniers jours. Toutes les adversités, accepte-les ; dans les revers de ta pauvre vie, sois patient ; car l’or est vérifié par le feu, et les hommes agréables à Dieu, par le creuset de l’humiliation. Dans les maladies comme dans le dénuement, aie foi en lui. Mets ta confiance en lui, et il te viendra en aide. » (Livre de Ben Sira le Sage 2:2-6

 

« Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies !

Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier.

Voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur.

De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.» (Psaume 127, 1-5)

 

« Qui donc aime la vie et désire les jours où il verra le bonheur ? Garde ta langue du mal et tes lèvres des paroles perfides. Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la. Le Seigneur regarde les justes, il écoute, attentif à leurs cris. Le Seigneur affronte les méchants pour effacer de la terre leur mémoire. Le Seigneur entend ceux qui l'appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre. (Psaumes 33 :13-18)

 

« La lumière des justes est joyeuse ; la lampe des méchants s’éteint. » (Proverbes 13:9) La lumière et la lampe sont des symboles bibliques de la vie et de la joie.

 

« Il réserve aux hommes droits la réussite : pour qui marche dans l’intégrité, il est un bouclier, gardien des sentiers du droit, veillant sur le chemin de ses fidèles. Alors tu comprendras la justice, le jugement, la droiture, seuls sentiers qui mènent au bonheur.» (Proverbes 2:7-9)

 

La promesse divine de bonheur, d'aide et de soutien dans les difficultés de cette vie n'est pas une garantie matérielle contre toute épreuve ou malheur ici-bas (conséquence de la Chute). Notre Seigneur nous avertit même que ceux qui veulent devenir ses disciples doivent s'apprêter à porter leur croix ! « Alors Jésus dit à ses disciples : "Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive." (Évangile selon S. Matthieu 16:25)

Contrairement au christianisme qui promet un bonheur individuel dans l'autre monde et nullement ici-bas sur terre, la révolution millénariste promet le bonheur terrestre et collectif.

 

« La crainte du Seigneur, c’est la haine du mal. Je hais l’orgueil, l’arrogance, le chemin du mal et la bouche perverse. À moi le conseil et l’efficacité ; c’est moi l’intelligence, à moi la vigueur ! Par moi, les rois agissent en rois et les souverains édictent ce qui est juste. » (Proverbes 8:13-15)

 

« Si ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il s’effondre, ne jubile pas : le Seigneur verrait cela d’un mauvais œil et détournerait de lui sa colère ! Ne t’indigne pas à la vue des malfaiteurs, ne jalouse pas les méchants, car le mauvais n’a pas d’avenir : la lampe des méchants s’éteindra. Crains le Seigneur, mon fils, et aussi le roi, ne fréquente pas le contestataire, car soudain surgira son désastre. » (Proverbes 24 :17-22)

 

« De tout ton cœur, fais confiance au Seigneur, ne t’appuie pas sur ton intelligence. Reconnais-le, où que tu ailles, c’est lui qui aplanit ta route. Ne te complais pas dans ta sagesse, crains le Seigneur, écarte-toi du mal ! » (Proverbes 3:5-7 )

 

Notre libre arbitre peut choisir de faire le mal mais il n'y a pas de liberté de pécher : « [À] toi, Seigneur, la grâce ! * [...] tu rends à chaque homme selon ce qu'il fait. » (Ps 61:13) Dans les déclarations des droits de l'homme au contraire, il n'y a plus de libre arbitre, la recherche du bonheur conçu comme le bien-être matériel devient le nouveau dogme obligatoire et l'homme est libre de faire le mal, les nouvelles bornes de la loi étant celles de l'homme (souveraineté nationale que nous présenterons plus bas dans le chapitre « Mensonges et contradictions de la déclaration des droits de l'homme de 1789 ») et non plus celles de Dieu (Décalogue).

 

«  [I]l rendra à chacun selon ses actes. » (Pr 24:12)

 

« [L]ui qui rendra à chacun selon ses œuvres. » (Rom 2:6)

 

« Le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres. » (2 Thim 4:14)

 

« [J]e donnerai à chacun de vous selon ses œuvres. » (Apocalypse 2:23)

 

« Voici que je viens sans tarder, et j’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il a fait. Moi, je suis l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. » (Apocalypse 22:12-13)

Mélanger des erreurs à la vérité a toujours été le propre des gnostiques, qui dès les premiers siècles avançaient masqués au sein de l'Église, afin d'y répandre le mensonge.

 

« Pour les Pères de l'Église qui, [...] avaient assimilé le paradis de la Genèse à l'âge d'or décrit par la littérature païenne, l'humanité était censée avoir d'abord vécu dans l'abondance sans qu'il y eût ni travail ni propriété privée.

Après quoi, à cause du péché des hommes, il avait fallu instituer la propriété et son corollaire : l'inégalité. Le thème de l'origine commune et publique de tous les biens a été dans l'histoire de l'Église, le sujet d'un grand nombre de sermons.

Ainsi, en 1718, devant le petit Louis XV, le Régent et la Cour, le célèbre prédicateur Massilon expose que toute chose a été commune avant que les biens ne soient partagés et que ne naisse la propriété, pour le bien des peuples et de leur commun consentement.

Personne dans l'Église ne songeait à rétablir ce communisme prétendu des origines, puisque son abandon avait été nécessité par le péché des hommes.

L'évocation d'une origine commune des biens n'était qu'un moyen rhétorique de stimuler la charité envers les pauvres. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 142-143)

 

La quête d'un bonheur matérialiste qui fonde les droits de l'homme des Lumières dans un état hors de soi est sans aucun doute une illusion. Comme le dit saint Augustin« le bonheur est inséparable de la possession de la vérité » (Les Confessions, liv. Xe, chap. XXIII.) Le bonheur est donc individuel. Il y a indéniablement une dimension spirituelle toute personnelle au bonheur que la recherche du bonheur collectif des déclarations des droits de l'homme ignore.

 

Le philosophe Alain (1868-1951) d'ailleurs dit qu'on ne peut trouver le bonheur dans le monde, hors de nous-même : « Dès qu'un homme cherche le bonheur, il est condamné à ne pas le trouver. [...] Le bonheur n'est pas comme cet objet en vitrine, que vous pouvez choisir, payer, emporter; si vous l'avez bien regardé il sera bleu ou rouge chez vous comme dans la vitrine. Tandis que le bonheur n'est bonheur que quand vous le tenez; si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme on ne peut ni raisonner ni prévoir au sujet du bonheur; il faut l'avoir maintenant. » (Alain, Propos sur le Bonheur, Folio, Essai, 1997, Victoires LXXXVII, p. 198-199.)

 

La Sainte Bible précise qu'on peut trouver ce bonheur, mais ce bonheur est individuel : « Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !  » (Psaumes 127)

 

Platon précise que « ce n'est pas de vivre selon la science qui procure le bonheur; ni même de réunir toutes les sciences à la fois, mais de posséder la seule science du bien et du mal. » (Platon, Dialogues, De la Sagesse.) » Il y a un bonheur tout individuel dans le respect des commandements de Dieu.

Inversement, pour les soit-disant « Lumières », « pour le libre-esprit, le vrai péché mortel est l'ignorance par l'homme de sa propre divinité.

[...] À celui qui se pense Dieu, tout est permis sans péché. Sa volonté est celle de Dieu. Tout ce qu'il fait, c'est Dieu qui le fait. [...] En conséquence, le libre-esprit professe un total mépris de la Bible, du Décalogue, de sa morale et de sa justice. À l'extrême, l'adepte du libre-esprit fait ce qu'il lui plaît, sans aucune limite. Il suit ses pulsions, ses caprices. Toute la Création lui appartient : il prend ce qu'il convoite, et si on veut l'en empêcher de s'en emparer, il peut voler et tuer sans péché. Le reste de l'humanité n'existait que pour être exploité par lui.

[...] Tout ce qu'ils font est saint. Même le vol, le meurtre et le viol sont saints, du moment que les victimes sont extérieures à leur groupe. Car seul leur groupe est saint. Seul les saints - c'est-à-dire les révolutionnaires millénaristes - régneront avec Jésus pendant mille ans. Le reste de l'humanité ne compte pas. Les chefs millénaristes ont le droit et le devoir de mener rudement, dans son propre intérêt, la masse aveugle et pécheresse des hommes ordinaires : ceux qui ne sont pas saints, ceux qui ne possèdent pas la connaissance. On retrouve chez les meneurs millénaristes l'élitisme méprisant qui caractérisait le gnostique. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 44, 105)

 

La première incohérence de l'illusion moderne est la recherche d'un Âge d'or largement fantaisiste et fantasmé. En effet, tout ce que la science a enseigné depuis sur la préhistoire a réduit à néant le mythe rousseauiste du « bon sauvage ». (Voir Laurence Keeley, Les guerres préhistoriques, Le Rocher, Paris 2000; Jean Guilaine et Jean Zammit, Le Sentier de la guerre, Le Seuil, Paris 2001)  

Mais le mythe du bon sauvage n'est pas la seule illusion qui peut être relevée. 

Changer la société. Changer les autres pour améliorer nos conditions et trouver le bonheur doit être définitivement réprouvé et condamné comme une position anti-humaine qui a conduit aux pires régimes. Cette grave erreur était déjà celle de Lucrèce, poète philosophe latin du Ier siècle av. J.-C., disciple d'Épicure, dont les idées inséraient la recherche du bonheur des hommes dans une vision matérialiste du monde. C'est cet épicurisme qui a imprégné la culture moderne, les "Lumières" et le darwinisme. La conclusion même de du poème De rerum natura de Lucrèce, se termine dans l'absurde : loin d'éloigner la peur de la mort, les épicuriens l’accentuent : « l'attitude  prométhéenne d'un certain siècle des Lumières, du positivisme, du néo-positivisme et de tous les courants qui deviennent les porte-parole d'une vie meilleure grâce aux efforts de la raison humaine pour se libérer du Mystère. L'objectif n'a pas été atteint. La sérénité et la joie dans le poème ne dominent pas. Le sens de l'absurde et de l'irrationnel semble finir par triompher dans les dernières scènes tragiques. » (Lire: Giovanni Fighera, « Lucrèce, l'impossible recherche du bonheur » ) Cette erreur fut ensuite celle de tous les totalitarismes. 

 

La première « république française » (1792-1802), la Révolution dite « russe » de 1917 et le communisme, le nazisme, ont montré que le secret du « bonheur » dans la divinité de l'homme succédant à celle de Dieu est une absurdité dangereuse. 

 

C'est l'historien François Furet qui, le premier, a vu le problème dans "Le Passé d'une illusion, essai sur l'idée communiste au XXe siècle (Robert Laffont / Clamann-Lévy, Mesnil-sur-l'Estée 1995, p. 41) : « En matière de démonstration des lois de l'histoire, Marx est inégalable. Il offre de quoi plaire aux esprits savants comme aux esprits simples, selon qu'on lit Le Capital ou le Manifeste. Tous, il semble donner le secret de la divinité de l'homme, succédant à celle de Dieu... »

« François Furet a observé que communisme et nazisme prétendaient offrir "quelque chose comme un salut en face des misères de l'égoïsme bourgeois." Par-delà les différences de contenu entre nazisme et communisme, il s'agissait dans les deux cas de réaliser le paradis sur la terre... et les mêmes mots furent employés pour décrire la société harmonieuse que l'on entendait fonder. D'où entre eux, une relation complexe, faite d'antagonisme, mais aussi de parenté. Et aussi bien Staline que Hitler ont été débarrassés "de tout scrupule sur les moyens" par la croyance que leur procurait l'idéologie : "La construction du socialisme implique la liquidation des 'Koulaks', et l'organisation de l'Europe nationale socialiste, celle des Juifs." » (François Furet, Le Passé d'une illusion, éd. Robert Laffont / Calmann-Lévy, Paris 1995, p. 217, 224, 228, cité dans Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 154.)

Dans ce progrès des Lumières, seul compte le mouvement, qui donne l'impression que le gouvernement a prise sur le réel (mythe de l'efficacité révolutionnaire). 

En 2017, Patrick Buisson a pu ironiser sur les marcheurs : 

« vingt millions de marcheurs le 7 mai. Vingt millions, ils se sont mis en marche. Vers où, vers quoi ? La question est superflue. Cela n'a aucune espèce d'importance. L'important, c'est le mouvement. En marche, n'est qu'à bien y regarder la déclinaison remise au goût du jour du slogan de François Hollande en 2012 : "Le changement, c'est maintenant", disait-il. [...] Nous sommes ici au coeur du bougisme. Cette ultime métamorphose de l'idée de progrès. Une idée à bout de souffle, mais qui connaît un nouveau regain à travers le bougisme, règne du mouvement devenu l'essence même de l'existence, avènement du changement perpétuel non comme un moyen pour parvenir à sa fin mais comme sa propre fin ! 

« [...] Emmanuel Macron, le candidat pro business, le candidat geek des technologies de pointe, porteur d'une promesse d'un paradis de prospérité et de croissance économique, pourvoyeuse de confort et de vie heureuse (les "jeunes vieux"), à peine entré en fonction, a déjà une utopie de retard. Ces gens-là aiment se présenter comme la jeunesse du monde alors qu'il ne sont que la vieillesse de l'homme ! Il (E. Macron) a une utopie de retard car la promesse fondatrice du progrès, l'assurance absolue d'une amélioration, inéluctable, générale et universelle, cette promesse ne fait plus recette parce qu'elle a failli sur la question du bonheur. L'indicateur de cet échec, on le trouve dans la croissance exponentielle de la production, de la consommation et du trafic de la drogue à l'échelle de la planète. Le chiffre d'affaires mondial du trafic des stupéfiants, faut-il le rappeler, n'est dépassé que par le commerce de l'alimentation et celui du pétrole. Il se situe devant celui des médicaments. L'explosion du trafic de la drogue au coeur du village global, au coeur du village planétaire procède du principe fondateur de la modernité : la déception, l'attente toujours insatisfaite de plaisirs croissants, immédiats, l'incompréhension et le rejet de la nature humaine lorsqu'elle amène le vieillissement et l'affaiblissement du corps. En cela, il (E. Macron) exprime le décalage entre le bonheur promis et le bonheur réel dans nos sociétés...

« Comme l'écrit Pierre de La Coste, dans le livre "L'Apocalypse du Progrès", 'le progrès est en lui-même un crack, mélange d'addictifs d'héroïne individualiste et de cocaïne déterministe qui fait de l'homme un dieu." Ajoutons pour compléter ce bilan que la France compte aujourd'hui six millions (soit 10% de la population), de consommateurs d'anti-dépresseurs et d'anxiolytiques et qu'elle détient le record mondial de consommation de médicaments psychotropes avec 65 millions de boîtes vendues par an (une par habitant).

« La promesse du progrès et la dictature du bonheur qui l'a suivait comme un ciel de traîne auront été le paradis artificiel par excellence du demi-siècle qui vient de s'écouler. Érigée en impératif catégorique, l'injonction au bonheur a amplifié le désarroi de ses victimes et transformé l'hédonisme en pensum. Voilà comment nos sociétés, comme le dit Pascal Bruckner, sont "les premières de l'histoire à rendre les gens malheureux de ne pas être heureux !

« Socialisme et capitalisme, ces "deux idées chrétiennes devenues folles" (Chesterton) sont en train d'achever leurs courses : le mystère chrétien est disponible pour une autre aventure de l'esprit. Toute la question est de savoir maintenant laquelle ! » (Patrick Buisson le mardi 16 mai 2017 au Théâtre Montansier à Versailles.)

 

Les promesses du progrès et du bonheur collectif terrestre ont leurs sources  dans « le millénarisme et la gnose » qui « ont un point commun [...], qui est le refus de considérer que le mal peut résider en l'homme, ainsi que l'enseignent le judaïsme et le christianisme.  [...] Pour les gnostiques, le mal résulte exclusivement de l'enfermement de parcelles de l'esprit divin dans la matière et dans le temps, et par voie de conséquence de la formation des sociétés humaines et des règles qui les régissent. Le responsable du mal est le démiurge Yahvé, créateur d'un monde terrestre calamiteux. [Dans la gnose, Dieu devient le mal; la Création est mauvaise, il faut la changer !]

Et « dans cette affaire, l'homme n'est qu'une victime.[...] S. Augustin rapporte qu'ils (les manichéens) enseignaient que "le péché n'est pas notre fait, mais l'oeuvre en nous de je ne sais quelle substance étrangère...

[...] C'est l'idéologie selon laquelle le fautif est en réalité une victime ! » (Jean-Louis Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple, Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 51.)

Les gnostiques confondent les créatures avec le Créateur (panthéisme); ils disent que le chemin de la libération pour l'homme c'est de se prendre pour Dieu. Ils enseignent un monde moniste (sans distinction du temporel et du spirituel), l'unité de l'homme et de Dieu. « Le gnostique appartient à la race supérieure des êtres "hypercosmiques". C'est l'homme-Dieu. La gnose divinise l'individu, ou du moins certains individus... (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 19.) Ceux qui ont la connaissance.

« À toutes les époques il y eut des hommes qui cherchèrent à expliquer les phénomènes de la nature et à deviner le secret de Dieu. L'homme, dès son berceau, voulut connaître les causes de son origine, le but de son existence, et sa destinée après sa mort. Il voulut goûter au fruit de l'arbre de la science et du mal, entrer en lutte avec la Divinité, et résoudre un problème dont il ne pouvait poser l'équation.

[…] [L]a secte des francs-maçons incarne depuis le XVIIIe siècle les sectes recherchant le secret éternel de l'humanité, de ces gens, qui ne pouvant comprendre et définir Dieu, las de le chercher en vain, trouvèrent plus commode de […] déifier l'homme. 

Envisagée de ce point de vue, la franc-maçonnerie est une secte fort ancienne, la plus ancienne même qui fût sur la terre ; sectaires en lutte acharnée avec l'homme résigné qui se contente de son travail, de l'amour, de la foi et de la prière, les francs-maçons représentent, au point de vue chrétien, l'orgueil de l'homme, l'esprit du mal, la révolte contre Dieu. » (Gustave BordLa franc-maçonnerie en France des origines à 1815, 1852, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1908, p. 5.)

 

Et alors que « l'homme de droite rejette l'idée de gauche d'une extériorité du mal », « la gauche [...], du fait de ses racines mentales gnostiques et millénaristes, considère que le mal ne réside pas en l'homme, que celui-ci en est la victime et non l'auteur.

« Pour la gauche, le mal n'est pas "un problème interne à l'âme, mais un problème externe, inhérent à un état de choses insatisfaisantes". Il y a là, selon l'expression d'Eric Voegelin, un processus d'"extériorisation du mal..." (Eric Voegelin, La Formation de l'idée de race, 1940, Cités, n° 38, 2008, p. 160).

« Alors que la gauche veut toujours tout changer, la droite prend le monde comme il est : son objectif est de le faire durer tout en essayant de le rendre le plus vivable possible malgré la présence du mal en l'homme. La droite est l'anti-utopie.

« Et cela, fondamentalement, parce que la droite ne croit pas au dogme de la gauche de la bonté de l'homme, un dogme qui - par-delà Rousseau - provient de la gnose et de son idée de divinité des âmes, une âme divine étant par définition parfaite. Cette foi en la divinité de l'âme engendre la croyance d'origine gnostique [...] en l'existence originelle de facultés supérieures, voire surnaturelles, dont on trouve trace chez le primitif et le jeune enfant : des pouvoirs perdus que l'homme moderne se doit de reconquérir (Serge Hutin, Les Gnostiques, Puf, Paris 1959, p. 124).

« [...] Refusant d'accepter le fait que le mal est en l'homme, la gauche est frappée d'une immense cécité envers le mal. [...] Décidant que le mal résultait d'un vice de la société - trop inégale ou comportant trop d'éléments malsains (aristocrates, bourgeois, ecclésiastiques, Juifs, contre-révolutionnaires, complotistes, ou même simples modérés) -, les grandes utopies qui ont prétendu extirper le mal de la société ont déchaîné le mal dans des proportions inouïes. Cela a donné les atrocités et les exterminations des grandes religions séculières, l'horreur des camps où tout reposait sur le mal - les kapos des camps nazis, les camps soviétiques livrés aux bandits -, le martyre de populations entières depuis l'holocauste des Vendéens jusqu'à celui des Cambodgiens, en passant par la Shoah. Et tout est à redouter du grand programme de remplacement par des populations immigrées des peuples européens condamnés à disparaître par le sens de l'histoire de l'utopie droit-de-l'hommiste.

« [...] Dans l'anthropologie chrétienne, le "mal dans le monde est intimement lié à la condition de l'homme en général, et de chaque homme en particulier." (Eric Voegelin» La Formation de l'idée de race, art. cit., p. 160.)

« Et si le mal est en l'homme, rien ne sert de bouleverser la société sinon à accroître encore le mal ! 

« La recherche du bien de tous passe par l'acceptation des réalités. Il n'y a pas d'utopie de droite : l'homme de droite est fondamentalement réaliste. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, ibid., 123-126.)

 

Dans l'idéologie progressiste des Lumières, le passé, en plus d'être falsifié, est systématiquement noirci. 

 

Il n'y a rien de positif dans les idées révolutionnaires. La polémique révolutionnaire est négative. « Qu'il s'agisse de La Fayette, de Robespierre, du patriote Palloy, du vertueux La Rochefoucauld ou des commères des Halles, tous ils se grisent d'un enthouaisme dont l'éclat tient à leur haine pour un passé. [...] C'est le seul lien solide entre tous lés révolutionnaires.  [...] Et c'est encore à l'heure actuelle, la haine du passé qui, seule, peut maintenir le culte du progrès.

[...] La Révolution [...] commença comme un effort violent pour libérer les hommes de leur passé, mais elle devint à son tour un passé qui prétendit supplanter tous les autres » (Bernard Faÿ, L'homme mesure de l'histoire, La Recherche du Temps, Labergerie, Paris 1939, p. 77-80.) 

François Furet a ainsi pu écrire « Le Passé d'une illusion » au sujet du communisme. 

Le Sens commun de Thomas Paine – ce britannique « citoyen de l'univers » apôtre des Lumières qui avait débarqué à Philadelphie le 30 novembre 1774, à trente-sept ans, avec en poche une lettre de Banjamin Franklin (B. Vincent, Thomas Paine, ou la religion de la liberté, Paris, Aubier, 1987, p. 11) – célèbre cette genèse du monde qui permettrait à chaque jour d'inventer son avenir, sans les projections d'un passé fallacieux, marqué par la pesanteur et l'inertie.

Thomas Paine croyait à la jeunesse du monde. La monarchie, la filiation, l'inégalité étaient des absurdités qui perpétuaient l'injustice : il suffisait de s'en défaire. « Il existe en effet  une "parenté honteuse" entre la succession héréditaire et le péché originel : l'Amérique, nouvel Eden, permettait de surmonter les effets désastreux de la Chute. La Révolution américaine était un nouveau départ pour l'humanité tout entière ! » (Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 187.) Thomas Paine, « sorte d'idéaliste à la Rousseau, qui avait rejeté la religion quaker de son père, s'était installé à Philadelphie. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin Editions, Lonrai 2012, p. 377.) C'est là qu'il publia son manifeste de la Révolution à venir, le Common sense, qui connut un succès phénoménal. Imprégné de la philosophie des Lumières et de messianisme millénariste prophétique, il était franc-maçon. (Bernard Faÿ, Benjamin Franklin, Citoyen du Monde**, Nouvelle Collection Historique, ad. Calmann-Lévy, Paris 1931, p. 132.) « Il appelait au rejet des vieux mondes englués dans leur passé – celui des monarchies, des aristocraties, des castes inégalitaires – , et à l'édification d'un rêve américain, aurore éblouissante d'une ère nouvelle pour l'humanité entière... » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, ibid., p. 377.) La jeunesse du monde de Thomas Paine, en réalité, était vieille comme la Genèse. Ses idées étaient celles du Serpent de Genèse 3. Le serpent, d'ailleurs (et ce n'est sans doute pas un hasard !) est le premier symbole américain (pré-révolutionnaire) de Benjamin Franklin :

 

"Joignez-vous, ou mourez": ce dessin politique de Franklin a exhorté les colonies à se réunir pendant la guerre de sept ans (1756-1763). Image : Benjamin Franklin. “Join or Die”. Pennsylvania Gazette (Philadelphia), May 9, 1754. Newspaper. Serial and Government Publications Division, Library of Congres.  Benjamin Franklin a consulté des livres d'emblème baroques pour trouver un symbole approprié pour l'union des colonies. Une source française a fourni l'image d'un serpent avec la devise qui se traduit comme "Joignez-vous, ou mourez". (Source: http://www.loc.gov/exhibits/uscapitol/s1.html )

 

Le terme hasard qu'aimaient employer les Lumières du XVIIIe siècle ne tombe-t-il pas bien dans le cas du Serpent de Benjamin Franklin ? Une gravure de 1782 qui suggère la futilité des nouveaux efforts britanniques pour réprimer les Américains par la force, et montre un serpent étouffant les Britanniques en formant un 666 (Source de la gravure) n'est-elle pas significative ?

 

« En cette fin d'hiver 1780-1781, la situation des Américains paraissait désespérée : pas d'argent, plus de médicaments dans les hôpitaux, une armée en débandade. Washington avait été confronté à plusieurs mutineries, notamment celle des troupes de Pennsylvanie à Morristown » (dans le New Jersey). (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, ibid., p. 413.) Washington informa Rochambeau de la gravité de la situation. (Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 239.) « Pendant ce temps, l'armée régulière de George III tenait New York et les États du sud, et la Royal Navy conservait la suprématie maritime. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, ibid., p. 413.) « Une bataille se déroula à la mi-janvier (1781) aux Cowpens, aux confins des deux Carolines, lorsque Morgan résista victorieusement à l'assaut du général anglais Banastre Tarleton. Charles Cornwallis fut plus heureux à Guilford Court House en mars (1781). » (Bernard Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 240.)

 

Gravure publiée au début des négociations de paix (en 1782). Le serpent à sonnettes américain dispose : "deux Armées britanniques pour lesquelles j'ai ainsi Burgoyn'd (?) Et une salle de plus j'ai derrière." Un écriteau est affiché sur un troisième encerclement vide : "un Appartement pour Messieurs les Militaires." Le dessin montre le serpent "américain", l'emblème utilisé par les Américains comme symbole sur leur drapeau avant l'adoption des étoiles et des rayures, avec deux de trois bobines autour des unités des soldats britanniques, commandé par Burgoyne et Cornwallis au moment de leur reddition. Gillray lance des satires contre l'effort de guerre britannique. Le vers imprimé au-dessous de l'image reflète la sympathie répandue en Angleterre pour la cause américaine. Source: http://www.loc.gov/pictures/item/96510312/

 

Jean-Christian Petitfils, dans sa biographie sur Louis XVI indique que « La Fayette [...] en juin (1782) [...] se fit recevoir à la loge de Saint-Jean d'Écosse du Contrat Social, mère loge du rite écossais en France, peut-être par fidélité pour Washington qui lui aussi était maçon... » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin Editions, Lonrai 2012, p. 420-421.)

 

Il suffit de voir le fossé, le gap des inégalités aux États-Unis pour voir qu'il y a un gros problème dans le logiciel des Lumières. Voici une analyse des erreurs et de l'impasse des déclarations des droits de l'homme de 1776 et 1789.

 

La société de la promesse de bonheur conduit à l'amour obligatoire...

Le totalitarisme de l'injonction au bonheur

 

« [...] Religion de l'amour divin, le christianisme n'a guère cherché à introduire des valeurs d'amour dans le droit des nations européennes. [...] [C]ela était conforme à la disjonction chrétienne du politique et du religieux, fondée sur l'idée que les responsabilités politiques et juridiques sont d'ordre purement terrestre - de la compétence du prince ou du peuple -, tandis qu'à l'inverse le royaume de Dieu n'est pas de ce monde. 

 

[...] Un monde parfait n'est d'ailleurs même pas chose désirable aux yeux de S. Augustin, car si Dieu (qui est la Vérité) est le dispensateur du bonheur terrestre, il ne veut pas que celui-ci soit considéré comme important. L'instabilité des choses humaines est voulue par Dieu (depuis la Chute originelle) afin que les hommes ne se concentrent pas sur la recherche du bonheur terrestre au détriment du seul bonheur véritable: celui du salut éternel.

[...] Le projet chrétien n'est pas de changer la société, mais de changer les âmes. Il  y a dans le dogme chrétien, l"'impossibilité essentielle d'une théologie politique chrétienne." (Pierre Manent, dans Commentaire, cité par Paul-François Paoli, Quand la gauche agonise, éd. Le Roche, 2016, p. 151). 

 

[...] Malgré son appel constant à la charité et son idéal égalitaire et fraternel, le christianisme a toujours refusé l'idée de mesures coercitives pour les imposer à la société.» (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, ibid., 129-131)

 

L'amour obligatoire, c'es-à-dire l'amour coercitif imposé par la religion des droits de l'homme contre le peuple, la société de l'injonction au bonheur, c'est cette grande hérésie gnostique qui continue d'imprégner nos institutions et d'inspirer les régimes dits libéraux à prétention universelle, fomantant à chaque fois avec l'argent de la banque toutes sortes de révolutions, de coup d'état et autres révolutions de couleurs, pour changer le monde... en changeant les autres biensûr, de force et souvent, contre leur volonté !

 

Ainsi l'histoire montre que « de demi-siècles en siècles » (selon l'expression de Reynald Secher dans Vendée, Du génocide au Mémoricide, Cerf politique, Paris 2011, p. 306) républiques et démocraties (populaires, représentatives directes ou indirectes) ont toutes été accouchées dans la violence, des bains de sang, des guerres internationales, des guerres civiles, des génocides de classes ou de races, au plus grand profit de la banque et des financiers.

C'est que, nécessairement, il doit y avoir dans la construction de cette chose de tous moderne, la res publica, un génome de la terreur. Ce génome, l'historien Patrice Gueniffey le trouve dans l'association du volontarisme (la Volonté générale) et du constructivisme (la prétention de construire une nouvelle société meilleure que l'ancienne...), dont la réunion contient virtuellement toute la terreur révolutionnaire : « L'association du "volontarisme" et du "constructivisme" constitue ainsi la première racine de la Terreur révolutionnaire. L'histoire de la Terreur ... ne commence de ce point de vue ni en 1793 ni même en 1791 ni en 1792 : elle est consubstantielle à la Révolution qui, dès 1789, se présente comme une pure aventure de la volonté» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 50.)  

Le constructivisme est toujours l'idée reçue des politiques, dans la campagne infantilisante de François Hollande (« Le changement c'est maintenant »), la thématique de Nicolas Sarkozy avec sa « France d'après » en 2007, le sujet du clip « Changer le monde avec les jeunes de l'UMP », ou encore l'utopique « nouveau monde » et l'idéologie progressiste d'Emmanuel Macron, définissant les Gaulois « réfractaires au changement »... : 

 

« Emmanuel Macron qui avait promis le nouveau monde, manifestement il a gardé les habitudes, peut-être les pires de l'ancien monde, puisque cette affaire (Benalla) rappelle de sombres affaires que l'on a connues déjà sous la Ve république ! », a pu ironiser le journaliste Bruno Jeudy, dans l'émission C dans l'Air.

Dans le Nouveau Monde d'Emmanuel Macron, les apparatchiks ont une vénération quasi superstitieuse et religieuse pour le mot « changement », sorte de mot magique des marchands de sommeil, professionnels de la politique.

 

«  Je t'aime plus que jamais et jusqu'à la mort », écrivait le rosicrucien Robespierre au conventionnel Régicide Danton [2], un an avant de la lui faire infliger. (Danton sera exécuté le 5 avril 1794.)

 

Le bonheur: racine de la Terreur révolutionnaire et obligatoire

 

« C'est que « les acteurs de la Révolution ont la conviction [...] que la régénération du royaume apportera à tous le bonheur.

La tentation est grande, dès lors, de considérer comme un mal tout ce qui peut faire obstacle à cette régénération, à regarder comme nocifs et dangereux tous ceux qui ne partagent pas cet enthousiasme.

Cette conviction porte les plus radicaux à vouloir détruire ces obstacles, éliminer ces êtres qui ne peuvent être que pervers puisqu'ils s'opposent au bonheur de tous.

Quelques massacres individuels ont lieu pour en débarrasser l'humanité et pour frapper de terreur ceux qui seraient tentés de les suivre. [...] La poursuite de la Révolution exige donc leur neutralisation, leur opposition multipliant, en effet, les obstacles sur la route du bonheur collectif.

[...] Elle appelle donc un nouveau durcissement, une radicalisation, [...] de nouveaux massacres, qui suscitent en retour des réactions de rejet.

[...] La machine est lancée, plus rien, ni personne, ne peut l'arrêter.

Plus la Révolution se radicalise, moins elle est suivie; plus son assise populaire réelle est faible, plus la contrainte doit être forte, plus le climat de terreur doit être pesant.

Le paroxysme de cette radicalisation sera atteint, par étapes successives, au cours de l'hiver 1793 - 1794 au moment des colonnes infernales qui sillonèrent la Vendée, des Noyades de Nantes, des fusillades d'Angers et des canonnades de Lyon. » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014, p. 66-67)

 

« Cet étrange phénomène a été parfaitement analysé par le doyen Carbonnier. Ainsi qu'il l'observe, il existe indiscutablement, depuis le départ, dans les droits de l'homme, l'idée d'une fraternité humaine et donc d'un devoir d'amour de l'autre. Mais cette dimension d'amour des droits de l'homme est longtemps restée strictement dans le registre de la morale individuelle. Elle ne relevait que de la conscience de chacun, qui était absolument libre de s'y conformer ou non. [...] Ce devoir restait purement éthique: il n'entraînait pas d'obligation juridique et donc pas de sanction judiciaire. L'autre ne disposait pas du droit de s'adresser aux tribunaux pour exiger l'accomplissement du devoir d'amour qui lui était moralement dû. Cette fraternité pouvait être fervente et sans limite, mais elle était librement consentie.

Or tout a changé dans le seconde moitié du XXe siècle après l'entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950. [...] Il en est résulté une nouvelle version de la morale des droits de l'homme, centrée sur l'obsession de la non-discrimination. L'Etat s'est approprié cette "morale renouvelée". [...] Dès 1972, la loi Pleven a introduit la sanction pénale de tout propos jugé susceptible d'encourager à une quelconque discrimination. [...] Le nouveau code pénal de 1994 sanctionne comme des délits pénaux "une sérieur de pratiques discriminatoires". [...] Du code civil ainsi que de diverses autres lois, il en résulte une obligation juridique de non-discrimination : celui qui "propose au public quelque avantage" ne doit en exclure personne pour cause de sexe, de race, de religion, etc. Désormais, si quelqu'un estime avoir fait l'objet d'une discrimination de la part d'un autre individu, d'une entreprise ou d'un organisme quelconque, cette personne ou une association désireuse d'agir pour elle peut déclencher un procès pénal.

[...] L'amour qui est au coeur de la religion séculière des droits de l'homme n'est pas l'amour chrétien, même s'il présente des ressemblances avec lui. C'est une version profondément déformée de l'amour évangélique.

[...] (L'amour dans) [L]e christianisme évangélique, [...] c'est une démarche purement personnelle, intérieur et libre. La religion séculière des droits de l'homme transforme radicalement cette démarche en lui fixant pour objet non plus Dieu, mais l'homme-Dieu de la gnose, en la rendant collective et en lui donnant un caractère obligatoire.

[I]l s'agit comme on l'a vu d'obtenir le paradis sur la terre en instaurant hic et nunc un amour de l'autre jusqu'au mépris de soi au nom de l'humanité divinisée. C'est au nom de cet amour que l'on est requis de voir l'autre comme le même, fût-ce contre l'évidence. 

[...] Avatar actuel de la religion de l'humanité, la religion séculière des droits de l'home est un système politico-religieux réglementariste, coercitif et répressif dont l'État est en même temps l'Église.

[...] Il y a une véritable trahison du peuple par l'État. Car si tout État a des devoirs envers l'humanité, il a des devoirs prioritaires envers le pays dont il constitue le visage institutionnel. Il doit veiller prioritairement à ses intérêts, sa prospérité, son inscription dans la durée. Mais en Europe occidentale - et en France moins qu'ailleurs -, l'État n'a presque aucun souci des intérêts concrets du peuple. Son avenir importe peu. L'État veille seulement à sa sainteté, à sa vertu, par le respect obligatoire des dogmes du millénarisme de l'amour de l'autre jusqu'au mépris de soi. Les manifestations d'opinions non conformes à ces dogmes sont les nouveaux crimes religieux, sanctionnés par un nouveau droit pénal religieux...

[...] [D]ès 1965 [...] Léo Strauss [...] expose que le libéralisme repose essentiellement "sur la reconnaissance d'une sphère privée, protégée par la loi, mais où la loi ne peut pénétrer." Or une interdiction légale de toute discrimination signifie une inquisition policière et judiciaire constante au sein de la vie privée, et donc "l'abolition de la sphère privée, la négation de la différence entre l'État et la société, la destruction de l'État libéral." (Leo Strauss, cité par Pierre Manent, La raison des nations, p. 82-83) Bref, un système totalitaire. Il est fou et suicidaire de faire de l'amour absolu de l'autre la norme juridique suprême sanctionnée par le juge.

[...] Or, une fois laïcisées et transformées en religion séculière d'État dont les violations sont sanctionnées par le droit, les valeurs évangéliques sont socialement catastrophiques. Il y a un côté impraticable de l'Évangile pour la vie normale. Aimer son ennemi, tendre l'autre joue : ce sont des chemins de sanctification individuelle, pas des règles de droit que l'on peut imposer à toute une population. [...] Le Christ conseille de pardonner sans fin et de tendre l'autre joue quand on est frappé. Mais cela concerne la morale individuelle et non la justice publique. » (Jean-Louis Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple, Desclée de Brouwer, Paris 2016)

 

La religion civile ou religion séculière des droits de l'homme 

 

« "La doctrine des droits de l'homme est la dernière en date de nos religions civiles", observait dès 1989 Régis Debray (R. Debray, Que vive la république, éd. Odole Jacob, Paris 1989, p. 173).

 

« Le même constat sera effectué peu après par le célèbre historien François Furet : "Les droits de l'homme sont devenus notre religion civile." (Inventaires du Communisme, éd. Ehess, Paris 2012, p. 68.)

 

« "La morale des droits de l'homme a revêtu les signes d'une religion d'État", a noté au même moment un juriste réputé, le doyen jean Carbonnier (J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve république, éd. Flammarion, Paris 2010 [1996], p. 120).

 

« "Les droits de l'homme sont devenus notre 'dernière religion séculière", dira pour sa part Élie Wiesel (cité par Justine Lacroix, Jean-Yves Pranchère, Le Procès des droits de l'homme, éd. du Seuil, 2016, p. 23.) 

 

« [...] Le recul des croyances et de la pratique religieuse chrétienne qu'a connu l'Europe occidentale n'a pas fait disparaître le sacré, mais a seulement entraîné son déplacement. [...] Il existe aujourd'hui une véritable religion séculière des droits de l'homme, que l'on peut appeler aussi la religion humanitaire. 

 

[...] Le socialisme, observait Durkheim, "est tout entier orienté vers le futur" (Émile Durkheim, Le Socialisme, édité par M. Mauss, Félix Alcan, Paris 1928, p. 4). Et, selon une formule déjà présente chez Zola, la gauche se considère comme le parti de demain. La gauche est animée par la croyance progressiste en l'existence d'un grand mécanisme historique providentiel et irrésistible conduisant le genre humain vers un avenir radieux. (Jean-Claude Michéa, Les Mystères de la gauche, éd. Flammarion, Paris 2014, p. 30-32.)

 

[...] Se rattache à la religion de l'humanité cette religion républicaine instaurée sous le nom de laïcité par Ferdinand Buisson, maître d'oeuvre de la construction de l'école laïque de la IIIe république. Voyant dans la déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 la transposition sociale de l'Évangile, la morale laïque de Ferdinand Buisson se voulaient explicitement une religion civile se confondant plus ou moins avec le socialisme.. Cette religion laïque visait à instaurer le paradis sur la terre grâce à une rédemption collective assurant le salut de la société et non de l'individu. (Vincent Peillon, Une religion pour la République, éd. du Seuil, Paris 2008, p. 125, 141, 232, 248, in Jean-Louis Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple, Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 41.)

 

Le christianisme a toujours enseigné que c'est la vérité qui donne un sens à l'amour et non l'inverse. On s'efforce d'aimer son prochain parce qu'on aime Dieu et que l'on souhaite conformer nos actes et nos pensées aux commandements divins.

L'amour des autres, le pardon, la compassion, le don gratuit, et le soutien utile, sont des capacités fondées sur les enseignements du Christ, conduites par la foi en un pouvoir extérieur à l'homme. Toutes les déclarations de droits et codes législatifs pourront proclamer l'amour obligatoire sanctionné pénalement, rien ne sera plus fort que l'amour gratuit, libre et non-coercitif, l'amour du prochain pour l'amour de Dieu. Jean-Louis Harouel l'explique très bien :

« En plaçant dans la perspective du salut son idéal d'amour absolu, le christianisme a pu apporter à la société des valeurs ineffables, mais sans compromettre le fonctionnement de la cité terrestre qui a besoin pour survivre de valeurs de durée.

[...] [M]algré son appel constant à la charité et son idéal égalitaire et fraternel, le christianisme a toujours refusé l'idée de mesures coercitives pour les imposer à la société. Il entend toucher les coeurs et non contraindre les corps. La poursuite de la liberté et de l'égalité à tout prix - même au prix de la violence et de la tyrannie - est une trahison du christianisme (que l'on trouve chez les gnostiques francs-maçons de la république dite française. NdCR.), lequel est certes porteur de ces valeurs, mais qui les inscrit dans l'optique du salut, dans le registre des âmes. Dans cette logique, on ne cherche pas à tout changer par la contrainte (le volontarisme et le constructivisme dans la Révolution. NdCR.) et la spoliation sous le prétexte toujours menteur au bout du compte de tout rendre parfait. On s'adapte à la société et aux institutions existantes, quitte à essayer d'y faire souffler un vent de générosité inspiré par l'amour de Dieu.

[...] On aime son prochain non à cause de lui-même, mais à cause de l'amour primordial que l'on porte à Dieu. 

[...] Il y a deux conceptions religieuses de la manière d'agir sur le monde: la manière chrétienne et la manière millénariste. La manière chrétienne consiste à se changer soi-même pour se consacrer aux autres. Pour tâcher de rendre meilleur le monde, la solution chrétienne est le don: un don qui dans l'absolu peut être le don intégral de soi-même et de ce que l'on possède. 

À la solution millénariste est de changer le monde en changeant la société, ce qui veut dire concrètement en changeant les autres par la contrainte et même la violence. Le projet millénariste de transformation sociale - qui est devenu mutatis mutandis celui de la gauche - repose sur la volonté de contraindre et de prendre. Prendre aux gens ce qu'ils possèdent, leur prendre leur liberté d'agir, de penser, de parler, pour les obliger à une sainteté collective (la vertu de Robespierre. NdCR.) censée être porteuse de l'avenir radieux du paradis égalitaire.

Le projet chrétien, inspirateur de la pensée de droite, repose sur l'idée généreuse du don : donner des secours, donner du savoir. Le projet millénariste, obsédé d'égalitarisme et inspirateur de la pensée de gauche, a pour méthode et pour objectif de prendre, de spolier. La passion égalitariste conduit au vol pur et simple. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 131-132; 138-139.)

 

En 1789, le culte de l'« Être suprême » légitime le pouvoir de l'oligarchie terroriste (Patrice Gueniffey)

 

« La Terreur vertueuse exige un pouvoir absolu, soustrait à tout examen comme à toute discussion. C'est à ces différents résultats que tend le culte de l'Être suprême institué le 7 mai 1794 sur la proposition de Robespierre. [Culte de l'être suprême déjà présent dès 1789 dans la déclaration des droits de l'homme de 1789 avec l'expression - en préambule - "sous les auspices de l'être suprême". NdCR.]

 

« En donnant à la Terreur la caution de la volonté divine, le nouveau culte la soustrait à toute critique qui s'appuierait par exemple sur la disparition de toute menace pour en contester l'utilité; en redéfinissant la révolution comme une guerre déclarée à la "corruption", il parachève l'absorption de la politique dans la sphère de la morale. Dans ce sens, le culte de l'Être suprême, qui est simultanément destiné à la régulation de la république future, [...] constitue une idéologie pour la Terreur au moment où, avec les victoires militaires et la fin des troubles intérieurs, la disparition de toute justification par les circonstances impose une redéfinition globale des fins et des moyens de la Révolution.

Premièrement, le culte de l'Être suprême légitime la perpétuation de la Terreur au-delà des circonstances (guerre, révoltes intérieures, crise de l'État) : [...] non plus vaincre des opposants déclarés ou même supposés, mais traquer le "vice" et la "corruption" jusqu'en chacun.

Deuxièmement, il légitime le pouvoir de l'oligarchie terroriste [...] qui se voit investie de la mission d'accomplir cette grande oeuvre.

Troisièmement, le culte de l'Être suprême confère une justification morale à la Terreur, dont la réalité quotidienne est contraire à toute morale.

Enfin, quatrièmement, la caution divine établit le caractère infaillible de l'entreprise révolutionnaire tout en rassurant les terroristes sur la justice ultime de leurs actes: la Providence, qui veille sur la Révolution française, garantit que les ennemis du peuple, tous les ennemis du peuple mais seulement les ennemis du peuple, seront finalement punis...» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003

 

À la disparition du libre arbitre et à l'individu effacé correspond la surenchère dans la revendication des droits, des droits qui se contredisent entre eux et auxquels s'ajoutent les contradictions internes des droits de l'homme. Ces erreurs produisent leurs effets tragiques (inégalités et décalage croissant entre les promesse et la réalisation, suicides, violences.) 

 

Les contradictions, incohérences et erreurs des déclaration des droits de l'homme conduisent nos sociétés dans une impasse

Dans son anthologie inédite présentant en France « les déclarations des droits de l'homme » en 2009, le juriste Frédéric Rouvillois explique : 

 

« L'un des paradoxes de la Déclaration de 1789, ou plutôt de la sacralisation rapide puis de l'immense succès de ce "nouvel évangile" (A. Esmein, Éléments de droit constitutionnel, 4e éd. Larose et Tenin, Paris 1906, p. 458), tient à son caractère sinon bâclé, du moins incomplet.

Un inachèvement que reconnaissent ses auteurs eux-mêmes: le 27 août, après sept jours d'un travail mené sur "un fonds de réticence, mêlé parfois de grands enthousiasmes, mais aussi de beaucoup de mauvaise foi" (Ch. Fauré, Les Déclarations des droits de l'homme de 1789, p. 16), l'Assemblée nationale décide... d'en rester là. Ce jour-là, en effet, elle accepte, suivant la proposition d'un député aixois, un certain Bouche, d'attendre l'adoption de la Constitution avant d'examiner d'éventuels articles additionnels. Et lorsque Bouche propose ensuite d'adopter l'arrêté suivant : "L'Assemblée reconnaît que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas finie" (Archives parlementaires, 27 août 1789, t. VIII, p. 492), le président de l'Assemblée se contente de répondre que ceci ne ferait que répéter en d'autres termes ce que l'on vient de décréter. Le texte de la Déclaration, un préambule et dix-sept articles, est provisoire, partiel. Inachevé... C'est pourtant sur cette base que va se construire le "mythe de la Déclaration des droits", qui se déploie dans la France révolutionnaire, au fil des ruptures et de bouleversements qui se succèdent à un rythme accéléré.

En août 1791, on décide de l'intégrer sans changement à la nouvelle Constitution : le rapporteur de cette dernière, le juriste normand Thouret, reconnaît certes qu'il a fallu insérer dans le texte constitutionnel des "garanties" permettant de "perfectionner quelques dispositions de la Déclaration qui pouvaient paraître, les unes insuffisantes, les autres équivoques" (Arch. parlementaires, 8 août 1791, t. XXIX, p. 262); pour autant, il n'est déjà plus question de toucher à la Déclaration elle-même, qui est "depuis deux ans devenue le symbole de tous les Français", qui "a acquis en quelque sorte un caractère sacré et religieux", et qui constitue par conséquent "la véritable Déclaration des droits de l'homme et du citoyen." (Arch. parlementaires, 8 août 1791, t. XXIX, p. 226.) » (Frédéric Rouvillois, Les Déclarations des droits de l'homme, Champs Classiques, Paris 2009, p. 55-56)

 

C'est sans doute au caractère "inachevé" (F. Rouvillois) de la déclaration des droits de l'homme de 1789 que l'on doit ses nombreux mensonges et incohérences, pourtant érigée aujourd'hui au rang de nouvelle religion :

La lettre même de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, nouvelle Table de la Loi, est une absurdité sans nom.

 

Qu'est-ce que les Droits de l'homme ? Une vérité ou un mensonge ? 

... La réponse est en tête de la Déclaration :

 

« Les représentants du Peuple français constitués en assemblée nationale; considérant que : l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu, etc. »

Ce considérant est unique. ... Or, ce considérant est faux, archifaux !

Non seulement l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme ne sont pas "les seules causes des malheurs publics ou de la corruption des gouvernements", mais ils n'en sont pas même les principales ! Les causes principales sont :

1° "L'ignorance, l'oubli ou le mépris" des Droits de Dieu et de son Christ ! De ce Christ qui a fait la France.

2° "L'ignorance, l'oubli ou le mépris" de cet unique droit de l'homme qui est de remplir ses devoirs, tous ses devoirs envers Dieu, envers son prochain, envers soi-même...

Voilà les deux causes principales des malheurs publics et de la corruption des gouvernements. Donc il est vrai que ce considérant est un mensonge ... aussi colossal que celui qui consisterait à dire : deux et deux font cinq ! Donc toute la Constitution des droits de l'homme qui repose sur ce mensonge, n'est elle-même qu'un mensonge :

 

Mensonge l'article 1er qui dit que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

 

Sur la "liberté'

 

D'un point de vue théologique, et vis-à-vis du péché originel en général, 

"en fait, les hommes naissent sans raison, donc sans liberté.

"[...] Et quand la liberté lui arrive avec la raison, il a la liberté du bien seulement et le pouvoir simplement de faire le mal; mais il n'en a pas le droit, donc pas la liberté, qui ne peut jamais être que l'exercice d'un droit. [...]

"L'homme ne fait jamais ni tout le bien, ni tout le mal qu'il voudrait ! Sa liberté est donc relative, très relative et nullement absolue, ainsi que se l'imaginent de très petits esprits à qui l'orgueil révolutionnaire a bouleversé la cervelle !

"Il n'est pas vrai que les hommes naissent et demeurent libres sans autre restriction que celle de la loi humaine, c'est-à-dire de la volonté humaine limitant elle-même sa liberté : cette liberté est limitée par une volonté supérieure à la volonté humaine, la loi de Dieu.» (Abbé Vial, Jeanne d'Arc et la Monarchie, 1910, Éditions Saint-Rémi, p. 33-40).

 

"Les commandements (divins) [...] sont un don que Dieu fait à l'homme pour qu'il puisse être vraiment lui-même et pleinement homme. [...] En donnant  les commandements à son peuple, Dieu voulait le mettre en garde contre le risque d'étouffer le premier don reçu de Lui : la liberté." (Gilles JEANGUENIN, Les Dix Commandements, Pierre Téqui éditeur, Paris 2033, p. 12.)

La liberté à la naissance de l'homme dans la déclaration de 1789 est une liberté matérielle et contingente qui n'est pas celle de Dieu, qui est spirituelle et conditionnée au respect des Dix commandements.

 

"Les dix commandements [...] ont été écrits dans la pierre, mais avant tout ils ont été écrits dans le cœur de l'homme  comme Loi morale universelle, valable en tout temps et en tout lieu.

"Ils sauvent l'homme de la force destructrice de l'égoïsme, de la haine et du mensonge.

"Ils mettent en évidence toutes les fausses divinités qui le réduisent en esclavage : l'amour de soi jusqu'à l'exclusion de Dieu, l'avidité du pouvoir et du plaisir qui renverse l'ordre de la justice, et dégrade notre dignité humaine et celle de notre prochain." (Gilles JEANGUENIN, Les Dix Commandements, Pierre Téqui éditeur, Paris 2033, p. 16.)

 

La sainte Bible enseigne que Dieu a donné à l'homme le libre arbitre ( « c’est lui (Dieu) qui, au commencement, a créé l’homme et l’a laissé à son libre arbitre. Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. » Livre de Ben Sira le Sage 15:14-15] ). Le libre arbitre n'est pas la liberté qui se définit comme la faculté de se mouvoir dans les limites du bien.  « Il (Dieu) n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher.» (Livre de Ben Sira le Sage, Siracide 15:20)

 

La loi humaine détermine les "bornes" (article 4) de ces droits qui sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression (article 2).

 

La restriction de la liberté dans la religion est proche de l'article 4 selon lequel "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits."

 

Donc on le voit, dans la déclaration de 1789 elle-même, la liberté à la naissance n'est pas sans limites... Elle a des bornes. Ce qui, nous le verrons, aura des conséquences quant à la déduction de droits à partir d'une liberté a priori qui n'existe pas, alors que la loi morale des dix commandements, elle, existe, et pourrait fonder nos droits sur une base autrement plus solide. Jacobi se demandera comment penser la justice à partir de la liberté, et Arendt proposera un droit à la différence...

"Donc, dans une société d'hommes, la liberté digne de ce nom ne consiste pas à faire tout ce qui nous plaît : ce serait dans l'Etat une confusion extrême, un trouble qui aboutirait à l'oppression ; la liberté consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle. Et pour ceux qui gouvernent, la liberté n'est pas le pouvoir de commander au hasard et suivant leur bon plaisir: ce serait un désordre non moins grave et souverainement pernicieux pour l'Etat ; mais la force des lois humaines consiste en ce qu'on les regarde comme une dérivation de la loi éternelle et qu'il n'est aucune de leurs prescriptions qui n'y soit contenue, comme dans le principe de tout droit." (Léon XIII, Libertas, 20 juin 1888.)

 

"Le libéralisme, dit Charles Maurras, est la doctrine morale politique qui fait de la Liberté le principe fondamental par rapport auquel tout doit s'organiser, en fait, par rapport auquel tout doit se juger, en droit. ... [L]e libéralisme supprime en fait toutes les libertés. Libéralisme égale despotisme. Je le démontre" : En religion. [...] En économie politique [...] En science politique […] Telle est la conséquence naturelle du libéralisme non mitigé: il tue la Société et, par là même, toutes les libertés contenues dans la société existante (il subvertit radicalement la Société en opposant les individus et les classes). Quant au libéralisme mitigé, s'il laisse subsister la société, il la caporalise sous la moins juste, la plus rude et la moins responsable des dictatures, celle du Nombre. Ainsi, le libéralisme et le despotisme, c'est tout un. Le dévouement aux libertés commande donc le sacrifice de l'idole et de la nuée Liberté" (Charles MAURRAS, La Dentelle du rempart, Choix de pages civiques en prose et en vers 1886-1936, Préface de Bernard Grasset, Mayenne 1937, p. 206-211).

 

"La Révolution! Fondée sur des chimères et soutenue par l'imposture, elle conduit les peuples à leur perte et l'humanité à sa fin !" s'exclame également Antoine Blanc de Saint-Bonnet, dans "La Restauration française" (Tournai, Casterman, 1872, p. 5-6).

 

Les développements ci-dessous sont tirés de l'article "Le sens métaphysique de la Révolution" (la négation du Péché originel et du Dieu Créateur de la Bible.) 

 

Généalogie de la liberté de la déclaration de 1789

 

La Révolution n'est pas une évènement historique accidentel. Ce moment marque sans doute un commencement (en opposition à l'Ancien Régime), mais, il est aussi un aboutissement, un résultat: 'Avant d'éclater, la Révolution s'est formée dans les régions de la métaphysique'. C'est un mot catalysant les erreurs qui se sont développées pendant les trois siècles précédents, en gros l'époque moderne.

 

Certes, la Renaissance a été une période favorable au développement de l'art, de la littérature, de la peinture et de l'architecture,... mais elle constitue aussi la racine d'un mal préjudiciable dans l'ordre des idées. Cette 'fille posthume du paganisme' équivaut, ni plus ni moins, à une régression historique : elle n'est qu'un retour intellectuel à l'Antiquité, tout particulièrement à l'idée de Nature, notion qui depuis lors, a remplacé partout l'idée de Dieu. De là est sorti la 'grande protestation', [...] l'esprit individuel de l'homme voulant se dégager du point de vue divin et de toute transcendance. Ce qu'il est convenu d'appeler le naturalisme (négation de l'ordre surnaturel).

 

La première manifestation ... a produit le protestantisme, que Saint-Bonnet appelle aussi Réformation. Celle-ci s'est déployée par la suite en plusieurs phases pour aboutir à la Révolution, dont la formule logique accomplie serait le socialisme. L'auteur croit en une continuité entre la révolution religieuse du XVIe siècle et la révolution politique du XVIIIe siècle : Réformation et Révolution sont les moments d'une seule et même Protestation indissolublement religieuse (libre-pensée : négation de l'autorité spirituelle de l'Eglise) et politique (libre volonté : négation de l'autorité temporelle de la société).

 

Cette Protestation générale se développe en trois phases principales successives :

 

1- tout d'abord le rationalisme (conception erronée de la raison),

2- ensuite le libéralisme (conception erronée de la liberté)

3- et enfin le socialisme (conception erronée de la nature morale et sociale de l'homme).

 

Le rationalisme ou "l'intelligence en dehors de la Raison"

 

La philosophie a perdu la notion de l'Être au profit du Moi, abandon qui se trouve au coeur du célèbre aphorisme de René Descartes: cogito ergo sum. Blanc de Saint-Bonnet a conscience qu'il sera mal reçu en critiquant cette base de la pensée moderne. Pour autant faut-il vraiment reconnaître ce postulat comme une base ? C'est toute la question du deuxième chapitre du livre titré La Raison que l'auteur a publié en 1866: "Il faudrait maintenant savoir... si le je pense joue ici en réalité le rôle qu'on lui attribue; si la pensée est au commencement".

 

Or, rétorque Blanc de Saint-Bonnet, loin de prouver l'existence par le raisonnement, de fonder l'être sur la pensée, on doit fonder, symétriquement, la pensée sur l'idée de l'être. Pourquoi? Tout simplement parce que le je pense inclut déjà l'idée de l'être avant toute déduction : dans je pense, il y a ce je, et c'est parce qu'on a pu prononcer ce je que la pensée a pu naître. Étant un principe pensant, le moi ne peut pas dire je pense sans avoir au moins inconsciemment l'idée de son existence. ... L'existence précède le raisonnement et même le supplante: un homme privé de raison, ou un enfant qui ne penserait pas, n'existeraient-ils donc pas ?

 

La démarche philosophique de Descartes oubliant l'idée de l'Être, et l'idée de cause qui nous fait remonter à la Cause première, à l'Auteur du je, la pensée ne voit plus qu'elle-même et se proclame principe et cause. Cette conclusion devait charrier des suites fâcheuses car 'de tout principe faux naissent des conséquences déraisonnables'.

 

- Si c'est le moi qui apporte la base, alors, tout dans la science procédera du moi (cartésianisme);

- c'est le moi qui trouve dans ses raisonnements les évidences (rationalisme, "émancipation de la raison de toute autorité divine en matière de croyances". Mgr Gaume, Le Traité du Saint-Esprit, Tome 1, Deuxième partie, 1865, troisième édition, Gaume et Cie Editeurs, 3 rue de l'Abbaye, Paris 1890, p. 464);

- ou dans ses sensations, la vérité (sensualisme);

- le moi est le centre, et ce qui est en dehors de sa circonférence l'indiffère (individualisme);

- ce qui est affirmé par le moi appartient à l'existence (idéalisme);

- ce qui est extérieur au moi est douteux (relativisme):

 

"Tel est l'enchaînement et la marche évidente de deux siècles de philosophisme émanant du je pense. L'erreur cartésienne entre donc dans le cercle de la Protestation dans le sens où cette base trop subjective, en faisant sortir l'existence du monde de ce 'moi' pensant, 'se rallie dans l'ombre au libre-examen de Luther', et frayer la voie à un mécompte grave sur la notion de liberté.

Le libéralisme ou l'erreur sur la liberté

 

Le libéralisme philosophique qui se présente comme la doctrine de cette liberté, n'est pour Blanc de Saint-Bonnet, que la systématisation d'une incompréhension de cette notion fondamentale.

 

L'auteur s'inscrit tout à fait en faux contre la définition qui veut voir dans la 'la liberté' la capacité de l'homme à faire ce qu'il veut sans en être empêché par qui que ce soit ou par quoi que ce soit (L'infaillibilité, p. 262, n° 1). Il lui oppose la philosophie classique, qui, postulant que les choses et les êtres ont une nature, considère qu'être libre consiste pour chaque homme à devenir ce qu'il est par nature ou à retrouver cette nature perdue, car les philosophes grecs, comme les théologiens catholiques, pensent que l'homme n'est pas né parfait. Ce que nie la philosophie du moi en écartant l'idée d'un ordre objectif. Blanc de Saint-Bonnet pose alors la question: l'homme a-t-il une loi ou peut-il la créer lui-même?

 

... En une formule thomiste, Blanc de Saint-Bonnet appelle liberté la capacité de se mouvoir dans le bien. ''La liberté humaine,... est la faculté de faire le bien alors qu'on a la possibilité de faire le mal. ... Mais de ce que l'homme pourra choisir le mal, il ne s'en suit aucunement qu'il ait le droit de le faire. ... Voici le fait. Dieu impose sa loi à la nature, et il la propose à l'homme. La liberté est donc... le pouvoir qu'a l'homme d'accomplir sa loi. ... [L]e pouvoir d'accomplir de soi-même sa loi n'est point le droit de la violer ... : interprétation qui serait digne du néant, d'où nous sommes, et non de l'être que Dieu veut en faire sortir!'' (L'infaillibilité, p. 262-263).

 

"Il y a donc deux notions différentes : le libre arbitre (faire le choix entre le bien et le mal) et la liberté (agir en conformité avec la loi, ou faire le bien). ... Donc l'homme ne naît pas libre, à l'inverse de la thèse développée par Rousseau, mais il 'naît pour le devenir', ce qui est tout différent.

 

"L'homme ne peut pas se donner de lui-même sa loi. ... Si elle se faisait sa loi, la volonté serait l'Absolu: alors elle n'aurait pas besoin de loi!' De même, il ne peut pas changer l'essence de l'organisation sociale en lui attribuant une loi différente: "Le législateur ne peut pas plus faire une loi pour la société que le physicien n'en peut en faire une pour la nature. Le monde moral, comme le monde physique, a sa loi; il s'agit de la connaître et de la suivre". D'où l'aberration du constitutionnalisme et du parlementarisme, héritiers des prémisses idéologiques du rationalisme, et partant du libéralisme.

 

"La liberté des philosophes classiques n'est pas une prérogative acquise au berceau et de manière innée par l'enfant qui vient de naître, mais elle est une conquête qui s'offre à l'homme, et s'obtient par un travail incessant sur soi-même: "La liberté est le fruit de l'effort et de la douleur". Elle apparaît donc en contradiction avec l'égalité pour la raison que les hommes accèdent à cette liberté inégalement, et justifie le principe aristocratique. Le libéralisme, cette "falsification de la liberté" dessine un prolongement diamétralement inverse : comme la "liberté" des modernes est une qualité essentielle à l'homme, tous la possèdent également, et doivent la posséder pour une part égale pratiquement. Le libéralisme menace donc la société. Il met "l'erreur et le mal sur le même pied que le vrai et le bien, ou, dans le fait, [remet] à l'erreur et au mal le pouvoir d'étouffer le vrai et le bien", et supprime le mérite qui découle de l'effort produit pour atteindre une liberté sainement comprise: "Dès que la liberté, qui suppose tant de vertus, est proclamée innée et non acquise, elle ouvra aussitôt la porte à l'armée innombrable des ambitieux, des paresseux et des scélérats, de tous les destructeurs de la liberté."

 

En plus, cette erreur sur la liberté conduit fatalement au socialisme qui achève le parcours logique du libéralisme et ferme le cercle de la Protestation: "Ces droits innés, ces droits sans cause, établissent de fait l'égalité brutale parmi les hommes: le mérite ne les distingue plus! Cette égalité monstrueuse, négation de la liberté et de l'individualité, conduit à une fausse égalité politique, c'est-à-dire au despotisme; et cette égalité politique, à une fausse égalité économique, c'est-à-dire au communisme..." La boucle est bouclée." (Jonathan Ruiz de Chastenet, doctorant enseignant de l'Université d'Angers, membre du CERIEC (UPRES EA 922), in Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008, p. 546-562).

 

"Ainsi, la Révolution, c'est aussi - paradoxalement -, la négation de l'individu, la négation de l'homme. [Tout en prônant l'individualisme], "[o]n sait que toute l'entreprise des Lumières fut... d'évacuer l'homme en tant qu'individu (voire de l'éradiquer) [Voir la première partie : La recherche politique du bonheur et la disparition mécanique du libre arbitre : l'individu effacé. NdCR;], au nom vague et généraliste de l'Humanité.

"La loi du collectif contre l'individu : voilà quelle fut l'ambition, avouée ou non, consciente ou non, des rédacteurs de l'Encyclopédie - et aussi de tous les idéalistes (vite rattrapés par l'idéologie), qui élaborèrent et rédigèrent les grimoires de leur alchimie à rebours, entre les années 1730 et l'accomplissement de 1789. ... Une humanité enfin corrigée de ses défauts se devait d'être, enfin, débarrassée de ces enfantillages, purgée de l'humain, trop humain de la faute originelle, cette tache ancestrale, indigne du monde idéal, de la société à venir, où la mort elle-même ne serait plus vaincue par le Christ, mais par la science... Les bourreaux de 1793 ne furent-ils pas de fervents hygiénistes? la guillotine n'était-elle pas elle-même (selon les mots des philanthropes qui en proposèrent l'usage à Louis XVI), un 'progrès' dans l'humanitarisme?

"... On croit rêver, et l'on cauchemarde d'avance sur les raisons devenues folles de ces Etats tout-puissants, qui prétendront établir, de force et d'autorité, pour tous leurs citoyens, ce 'meilleur des mondes' prétendument 'pur', propre, aseptisé et égalitaire, en rendant l'existence invivable, et la planète inhabitable." (Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino, L'autre Baudelaire in Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008, p. 585-586).

 

Mais Jean-Jacques Rousseau vit lui aussi l'incohérence d'une liberté a priori... D'abord, il est impossible que "chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant." (J.-J. Rousseau, Du contrat social, liv. I, ch. VI.) 

À l'âge d'une minute, les hommes sont-ils libres ?

Et selon la thèse égalitaire, à ce même âge, sont-ils aussi libres que père et mère ?

 

Les révolutionnaires finirent donc par l'admettre eux-mêmes - et ainsi se contredisant totalement avec la liberté d'expression ou de penser par exemple -, le paradoxe de la liberté est qu'elle ne peut exister sans sa limitation ("bornes"). L'autorité et la censure viennent au secours de la liberté, pour les révolutionnaires aussi !

 

Pour reprendre l'expression du titre d'un très beau livre du père Henri de Lubac paru en 1944 aux éditions Spes, le drame de l'humanisme athée, est d'avoir "essayé [...] de nous persuader que la seule valeur suprême à respecter et aimer, c'était l'homme...", alors qu'il a supprimé le premier commandement : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur." (Pierre DESCOUVREMONT, Gagner le combat spirituel, éd. de l'Emmanuel, Paris 2006, p. 48-49)

 

 

Le britannique Edmund Burke qui se présenta comme un défenseur de la Loi naturelle dans ses grands combats "libéraux", s'éleva dès 1790 contre la prétendue filiation du libéralisme français avec le libéralisme anglais. Alors que Maurras précise "que le libéralisme anglais ne soit point un libéralisme, c'est ce qu'il est un peu trop facile de voir" (Charles Maurras, Kiel et Tanger, La République française devant l'Europe 1895-1921, Bibliothèque des Œuvres Politiques Versailles, Évreux 1928, p. 104), la thèse d'Edmund Burke, en 1790, était déjà de dire que le prétendu libéralisme en France en 1789 n'était qu'une corruption du libéralisme anglais... Pour lui la Révolution française repose sur des principes totalement étrangers au libéralisme. Il commence par observer que dans la Déclaration britannique des droits de 1689, "on ne trouve pas un mot ni même une allusion concernant un droit général 'de choisir nous-mêmes ceux qui nous gouvernent; de les destituer pour cause d'indignité; d'instituer notre propre forme de gouvernement'" (Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France, 1790, Pluriel Histoire, Paris 2004, p. 21).

 

"Si l'on s'accordait sans scrupule la facilité de changer de régime autant et aussi souvent et d'autant de manières qu'il y a de fluctuations dans les modes et dans les imaginations, on romprait toute la chaîne et toute la continuité de la chose publique. Il n'y aurait plus aucun lien d'une génération à l'autre. Les hommes ne vaudraient guère mieux que les mouches d'un été...." (E. Burke, ibid., p. 120).

 

"Nous sommes si loin de devoir à la Révolution de 1688 le droit de choisir nos rois qu'on pourrait dire au contraire que si jamais un tel droit avait appartenu à la nation anglaise avant cette Révolution, elle y a alors solennellement renoncé pour elle-même et pour toute sa postérité" (Edmund Burke, ibid., p. 25). "[L]a succession à la Couronne a toujours été ce qu'elle est aujourd'hui, une succession héréditaire conformément à la loi. Cette loi, dans l'ancienne lignée, était de droit coutumier; dans la nouvelle, elle est de droit écrit, établie suivant les principes mêmes du droit coutumier, sans rien changer au fond" (ibid., p. 27). "Chaque membre de la société renonce au premier droit fondamental de l'homme naturel, celui de juger par lui-même et de défendre son propre droit. Il abdique le droit d'être son propre gouverneur. ... Les hommes ne peuvent jouir à la fois des droits de l'état de nature (uncivil) et de ceux de la société civile. Pour obtenir justice, l'individu renonce au droit de la déterminer dans ce qui lui importe le plus. Et pour s'assurer d'un certain degré de liberté, il s'en déssaisit en totalité pour en confier la garde à d'autres instances" (ibid., p. 75-76).

 

"Nous ne sommes, ni les catéchumènes de Rousseau ni les disciples de Voltaire; et Helvétius n'a guère pénétré chez nous. Les athées ne sont pas nos prédicateurs, ni les fous nos législateurs. Nous savons bien qu'en morale nous ne pouvons nous prévaloir d'aucune découverte; mais c'est que nous pensons qu'en la matière il n'y a pas de découvertes à faire, et fort peu quant aux grands principes de gouvernement et aux idées de liberté, qu'on comprenait tout aussi bien longtemps avant que nous fussions au monde qu'on les comprendra lorsque la terre se sera refermée sur notre présomption et que le silence de la tombe aura mis fin à notre impudent verbiage." (E. Burke, ibid., p. 109).

 

"Tels maîtres, tels élèves! Qui aurait songé à Voltaire et à Rousseau comme législateurs? Le premier a le mérite d'écrire agréablement et personne n'a, si bien que lui, uni aussi heureusement le blasphème à l'obscénité. Le second n'était pas qu'un peu dérangé dans son esprit, j'en suis à peu près sûr" (Edmund Burke, The Correspondence of Edmund Burke, janvier 1790 in Edmund Burke, ibid., p. 657).

 

Dans les Frères Karamazov, roman qui explore des thèmes philosophiques et existentiels tels que Dieu, le libre arbitre ou la moralité, Dostoïevski a vu qu'avec la tyrannie des besoins dans la publicité - ce qu'on appelle la société de consommation - , l'homme libre est l'homme auquel on fait en sorte qu'il ait le plus possible de besoins, donc il est enchaîné à ses besoins et en fait il est de moins en moins libre...; il ne peut plus se passer des besoins que la publicité lui présente sinon il est malheureux, et c'est un esclavage intérieur. Donc, en réalité, on est dans un monde tyrannique qui détruit la liberté (libre arbitre) de l'homme.

 

Le monde moderne qui prône la liberté est à la fois laxiste et tyrannique. Le côté laxiste c'est ce qui lui permet de séduire les foules. En politique, par exemples, on va supprimer la peine de mort, on va réduire les peines le plus possible, on va libérer des prisonniers de la prison, mais le laxisme; le côté tyrannique c'est fait pour mettre les gens à raison. Ce double aspect du monde moderne correspond au visage du diable Woland, consultant de profession, tel qu'il a été décrit dans un roman russe de Boulgakov, Le Maître et Marguerite; il a un visage avec deux yeux; un œil est vert et l'autre est noir. Pourquoi ? L'œil vert, c'est pour séduire les hommes avec l'espérance et les fausses promesses (le vert étant la couleur de l'espérance); il va faire miroiter aux hommes des espoirs extraordinaires (on peut y voir les promesses jamais tenues de tous les candidats aux élections présidentielles); toutes les révolutions viennent de là; et l'oeil noir, c'est pour conduire les hommes vers la mort (la destruction de nos sociétés...) Le communisme a fait espérer une société parfaite et il a conduit vers les camps de Lénine, les charniers de Pol Pot et de Staline. 

 

De même, une critique philosophique de la liberté des droits de l'homme montre qu' « en décrétant législativement que les hommes naissaient libres par nature et par droit, les révolutionnaires ont fantasmé la nature et attribué au droit ce qu'il ne peut pas faire.

On n'est libre que par don et l'on se trompe si l'on croit garantir la pérennité d'un don en décrétant qu'il est naturel ou en en proclamant le droit. Un don est beaucoup plus pérenne que la nature (qui donne et reprend à commencer par le premier de ses dons qui est la vie); quant au droit écrit, un autre écrit peut l'annuler, c'est là toute sa faiblesse. Ce qui existe par l'écrit peut cesser d'exister par un autre écrit. En revanche, ce qui est donné ne peut être repris car le don est une extension de soi qui ne peut jamais être récupérée. [Exemple: le don du service gratuit ne peut jamais être repris.] Si Dieu nous a créés libres, c'est parce qu'Il s'est donné lui-même et ne peut se reprendre sans nous détruire et sans se détruire. Si les hommes naissaient libres, c'est que cela se ferait naturellement et il est donc contradictoire de le décréter par écrit. Ce qui est écrit est justement ce qui n'est pas naturel et a besoin de cet écrit pour exister. En confondant et en mélangeant les libertés publiques (qui existaient sous la royauté et dont le roi était le garant puisqu'elles tenaient sur sa parole, autrement plus solide que l'écrit) et la liberté personnelle (dont le siège est ma conscience), les révolutionnaires ont pris le risque qu'elles se contredisent l'une l'autre et s'empêchent de fonctionner.» (Fr. Jean-Michel Potin, o.p., historien archiviste de la Province dominicaine de France, dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 421.)

 

En écrivant que l'homme est libre dès la naissance, les constituants de 1789 ont constitué un droit tyrannique, puisque il ne respecte pas le libre arbitre de l'homme, qui peut choisir entre le bien et le mal.

 

''La thèse du libéralisme s'évanouit devant le mal. Par l'hypothèse d'un état de nature, il s'agissait de sortir du christianisme et de l'expérience : dès lors, les philosophes eurent pour eux tous les rêveurs. La Révolution commencera par l'utopie et s'achèvera dans le sang. Pourquoi ? Parce que de jour en jour ses fureurs s'amoncellent contre l'impossibilité. Et la Révolution trouvera éternellement devant elle l'impossibilité : car elle oublie un fait majeur, un fait répandu sur toute la terre, le fait théologique auquel on substitue l'État de nature, savoir, l'existence du mal, au sein de l'homme ! Rêveurs terribles, regardez l'homme : puisque vous ne voulez point lire les pages authentiques du Livre qui nous donne l'histoire des débuts de l'humanité ! Vous dites que les hommes sont frères, et, pour peu que vos lois relâchent le frein, les voilà qui se déchirent entre eux. Vous dites qu'ils veulent la justice, et vous les voyez presque tous iniques et sans pitié. Vous dites que par amour ils travailleront les uns pour les autres, et ils se montrent paresseux, vicieux, sans humanité, transfuges des lois de la famille.

[…] Le libéralisme et la Révolution devraient être déconcertés de ne point rencontrer l'homme qu'ils ont rêvé.. Ils cherchent à travers le temps et les lieux, et partout un fait les arrête : savoir, le MAL ! Le mal, qu'il faudrait expliquer ; le mal, dont il faut à l'instant même nous garantir ! Le Mal, voilà bien la grande question ! Puisque vous sortez bons du sein de la nature, indiquez-nous l'origine du mal ; puis, dites-nous vos moyens d'y remédier.

Le mal ! Tel est bien la difficulté.

Puisque vous retirez les lois qui le compriment, puisque vous supprimez la Foi qui le guérit, et qu'enfin vous affaiblissez l'Autorité qui garantit les lois et protège la Foi, comment réduisez-vous le mal, qui partout apparaît avec l'homme, et qui, partout où on l'a laissé libre, a étouffé la civilisation ?

C'est aujourd'hui qu'il faut répondre. Pour entrer dans la politique, il faut nous dire d'où sort le mal ; puis expliquer pourquoi vous écartez le christianisme, qui vient à la fois l'expliquer et y appliquer le remède. On doit avoir une doctrine quand on s'adresse aux hommes, surtout quand on veut les conduire !

[…] Soyons sincères : pourquoi pensiez-vous restreindre l'Autorité, donner la liberté aux peuples, associer les hommes, placer en eux la souveraineté, leur faire voter leurs lois, enfin mettre en commun leurs biens et abolir la religion? Uniquement parce que vous oubliez le mal ; parce que, contrairement au christianisme, vous pensiez que l'homme est né bon.

Mais pourquoi, depuis quatre-vingts ans (depuis 1789. Ndlr.), la société, suspendue sur l'abîme, vient-elle toujours vous démentir ? Uniquement parce que l'homme est en proie au péché, parce qu'il est exposé à l'erreur, parce qu'il est né avec le mal originel dont les lumières de la Foi viennent vous rendre compte, avec ce mal contre lequel nous venons lutter, et dont nous porterons le germe jusque dans la dernière génération. Oui, sans la Chute, sans le mal, vos systèmes sont vrais, et la Révolution triomphe ! Mais aussi, avec le fait du mal, elle tombe écrasée sous le poids de l'absurde et de la malédiction soulevée par le sang qu'elle a fait couler.

 

''La thèse du libéralisme s'évanouit devant le fait de la société. Il y a une Chute, il y a le mal, il est au sein de l'homme. Ce mal le détourne du bien, immole sa liberté, affaiblit ou compromet ses droits, obscurcit sa raison et le retient presque partout dans le malheur. Il est urgent de ramener le bien dans l'homme, de lui rendre la vérité, de lui rappeler la justice, de lui faire reconquérir la liberté et toutes les prérogatives dont il a dépouillé lui-même sa nature.. Il y a dès lors un ordre moral, rendant à l'homme la vérité, le bien, la liberté perdue, lui rapportant la vie pendant que l'ordre social l'abrite dans la justice et dans la paix ! Il y a dès lors, également, un ordre temporel et une autorité du même genre, rendant à l'homme la justice et la paix, pendant que l'ordre spirituel s'efforce de le ramener librement à la lumière et de le rendre à l'équité. Aussi, chez les peuples chrétiens, vit-on s'établir un accord entre l'autorité spirituelle et l'autorité temporelle, produisant depuis dix-huit siècles les merveilles de la société.'' (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 104-107.)

 

On peut enfin se demander pourquoi « des principes simples » seraient-ils « incontestables » (préambule) ?

Ces principes des droits de l'homme seraient "incontestables" parce qu'ils seraient écrits ? Mais comme l'explique Jean-Michel Potin, c'est plutôt le contraire : ce qui est écrit peut cesser d'exister par un autre écrit.

 

La frénésie de l'écriture chez les révolutionnaires s'explique par l'imprégnation chez les élites modernes de la kabbale qui tient que tout ce qui n'est pas écrit, tout ce qui n'est pas gravé n'existe pas. Or, nos ancêtres les Gaulois n'avaient pas de constitution écrite; la spiritualité et la culture étaient transmises par oral par les druides, le langage avait la première place : écrire les libertés eut été, pour eux, un contre-sens... 

 

De même, notre Moyen-Âge (comme notre Ancien Régime) n'avaient pas de constitution écrite. Il y a là-dedans des éléments d'une « sagesse intuitive et expérimentale » (Bernard Faÿ, La Grande révolution 1715-1815, Le Livre contemporain, Paris 1959, p. 53). Une sagesse politique, propre aux nations celtiques et françaises. 

 

« C'est l'un des premiers penseurs contre-révolutionnaires, Joseph de Maistre, qui a vu que le problème des Lumières était le problème de l'écrit :

"Quant à celui qui entreprend d'écrire des lois ou des constitutions civiles, et qui se figure que parce qu'il les a écrites il a pu leur donner l'évidence et la stabilité convenables, quel que puisse être cet homme, particulier ou législateur, et soit qu'on le dise ou qu'on ne le dise pas, il s'est déshonoré, car il approuve par là qu'il ignore également ce que c'est que l'inspiration et le délire, le juste et l'injuste, le bien et le mal : or, cette ignorance est une ignominie, quand même la masse entière du vulgaire applaudirait." (Platon, Phaed., dans Joseph de Maistre, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, 1809, Lyon, Pélagand, 1880, p. 26-27).

"Toute institution fausse écrit beaucoup, parce qu'elle sent sa faiblesse, ajoute Joseph de Maistre, et qu'elle cherche à s'appuyer. [...] Nulle institution grande et réelle ne saurait être fondée sur une loi écrite, puisque les hommes mêmes, instruments successifs de l'établissement, ignorent ce qu'il doit devenir, et que l'accroissement insensible est le véritable signe de la durée, dans tous les ordres possibles des choses." (Joseph de Maistre, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, 1809, Lyon, Pélagand, 1880, p. 31-32.) La Loi écrite, fondement d'une société, devient une entrave au développement et à la perpétuation de la dite société. Nous le verrons en présentant un peu plus loin l'impasse des droits de l'homme.

[...] La grande erreur de la théorie de la liberté républicaine est d'avoir fait croire qu'un régime de libertés publiques (qui ressemble fort à ce programme : "Nous nous occupons de tout, y compris de votre liberté") puisse instaurer la liberté. 

[...] Le roi n'était pas le garant de la liberté de l'homme (il n'avait pas cette toute-puissance) mais il garantissait les libertés publiques, celles qui permettaient le vivre-ensemble dans une négociation constante entre les sujets. » (Fr. Jean-Michel Potin, o.p., historien archiviste de la Province dominicaine de France, dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 421-423).

 

En soutenant en 1776 les Insurgents (Patriots) américains, Louis XVI offrit l'indépendance à la jeune nation du Nouveau Monde, mais porta au pouvoir les idées nouvelles et endommagea celles du « vieux monde » avec ses valeurs naturelles. Bien que soutenu par Louis XVI pour obtenir l'indépendance des États-Unis, George Washington, premier président des États-Unis (1789-1797) resta fidèle aux idées de ses « frères », portées en France par les Jacobins et autres révolutionnaires de 1789, ne donnant simplement pas suite aux sollicitations du marquis de La Rouërie, son "vieil ami", mais devenu contre-révolutionnaire... Washington apporta son concours de manière implicite au camp révolutionnaire français en suspendant le remboursement des frais de guerre engagés par la monarchie française, l'affaiblissant davantage avec ses finances exsangues. Il les reprendra néanmoins sous le gouvernement révolutionnaire issu des Lumières, ses « frères », qui a contrario, refusa de reconnaître les dettes de la Monarchie... [3] Belle gratitude George Washington.

 

« Même ceux qui avaient aidé directement les Américains à se libérer furent peu ou mal récompensés. Jacques Leray de Chaumont qui avait hébergé gratuitement Franklin pendant deux ans, ne fut jamais payé des munitions, habits et médicaments qu'il avait envoyés en grande quantité aux États-Unis. Beaumarchais et ses associés, qui eux non plus n'avaient pas ménagé leur peine, hasardant leur capitaux avec générosité et désintéressement, risquant navires, équipages et cargaisons au milieu des batailles navales, ne parvinrent jamais à se faire rembourser la totalité des armes et des marchandises transportées, en espèces ou en biens [...] Les États-Unis devenus pourtant une nation prospère, feignirent de croire qu'ils 'agissait de dons du gouvernement français et ne voulurent rien entendre. "Américains, s'exclamait encore l'auteur du Barbier de Séville dans un mémoire du 10 avril 1795, je vous ai servis avec un zèle infatigable; je n'en ai reçu dans ma vie qu'amertume pour récompense, et je meurs votre créancier." Ses héritiers bataillèrent jusque sous la Monarchie de Juillet (1830) et, en dépit d'innombrables suppliques et de l'intervention de plusieurs ministres n'obtinrent qu'une partielle compensation. Sur une dette reconnue de 2 280 000 livres (qui obéra tant les finances du royaume qu'elle entraîna la convocation des tristes États généraux de 1789 qui finirent comme l'on sait), les Américains n'en versèrent finalement, un demi-siècle plus tard, que 800 000 sans indemnité de retard. À prendre ou à laisser. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin Editions, Lonrai 2012, p. 442.) Belle gratitude de George Washington et des Fils de la liberté envers ceux auxquels ils devaient tout et l'indépendance de leur chère patrie.

 

Et malheureusement, Louis XVI boira le calice jusqu'à la lie, condamné « pour la liberté » qui n'est pas une « liberté ». Selon la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en effet, la « liberté » est acquise pour l'homme dès sa naissance

 

Pourtant, « Louis XVI aima toujours, depuis son enfance, s'entretenir avec les laboureurs, les ouvriers, le peuple des campagnes et celui des villes. À Reims, il ne put s'empêcher de pousser un cri de joie devant l'enthousiasme et leur bonhomie. "J'ai été fâché que vous n'ayez pas pu partager avec moi la satisfaction que j'ai goûtée ici, écrit-il à Maurepas (ministre de Louis XVI), le 15 juin 1775. Il est bien juste que je travaille à rendre heureux un peuple qui contribue à mon bonheur !" 

 

Pendant tout son règne, et jusqu'au 21 janvier 1793 (date de son assassinat. Ndlr.), Louis XVI ne fit rien qui ne tendît au bonheur de la nation. Bien plus, il se sentit toujours proche d'elle, car le peuple de France était encore en 1775 cette population que le Moyen-Âge avait façonnée, qu'il avait enrichie de cette sagesse intuitive et expérimentale, où la foi la plus ardente dans le Christ rejoignait le scepticisme le plus avisé quant aux choses de ce monde. Tel était encore le petit peuple de France, tel était Louis XVI à vingt ans. » (Bernard Faÿ, La Grande révolution 1715-1815, Le Livre contemporain, Paris 1959, p. 53.) 

« Louis XVI était « profondément charitable. Il lui arrivait, de bon matin, de se rendre à pied chez les familles les plus pauvres de Versailles. "Parbleu, Messieurs, dit-il un jour en riant à l'adresse des gardes qui venaient de le retrouver, il est cruel que je ne puisse aller en bonne fortune sans que vous le sachiez !" Un roi visitant les chaumières, cela ne s'était pas vu, depuis Henri IV ! Un jour, le directeur des Bâtiments, La Billarderie d'Angiviller, se vit tancer pour avoir dépensé en son absence 30.000 livres afin de restaurer une pièce des petits appartements : "J'aurais rendu trente familles heureuses !' clamait-il avec indignation dans tout le château. Sur sa cassette personnelle qu'on appelait le Comptant du roi, il entretenait quantité de familles nobles ou d'officiers sans fortune, des femmes ou des filles de militaires, réglait les dégâts et accidents de chasse, alimentait les bonnes œuvres du curé de Versailles. En avril 1781, il visita incognito l'Hôtel-Dieu où s'entassaient à trois ou quatre par lit des centaines de malades et de malheureux, dans des chambres qui ressemblaient à des cloaques. Il en ressortit en pleurs, décidant de prendre à sa charge la création de lits individuels et de dortoirs spécialisés pour chaque type d'infection. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin Editions, Lonrai 2012, p. 246.)

 

Étude de Louis XVI par Joseph-Siffred Duplessis (dans Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin 2005.)

 

« L'organisation du procès du roi se heurtait à un obstacle juridique incontournable, celui de l'inviolabilité du monarque. [...] Le 7 novembre 1792, le girondin Jean-Baptiste Mailhe s'employa à contourner l'obstacle de l'inviolabilité. Toute sa démonstration reposait sur le caractère absolu de la souveraineté de la nation : "La nation a parlé; la nation vous a choisis pour être les organes de ses volontés souveraines. Ici toutes les difficultés disparaissent, ici l'inviolabilité royale est comme si elle n'avait jamais été." (Archives parlementaires, t. LIII, p. 277.) En somme, aucune règle de droit ne résiste à la volonté de la nation. (Le rapport du girondin Jean-Baptiste Mailhe, le 7 novembre 1792, s'asseyait donc sur les droits de l'homme de 1789 qui déclarait l'homme libre dès la naissance. NdCR). « Louis XVI, avant même que le procès ait lieu, était coupable, coupable par principe, puisqu'il était roi. Ces sophismes n'avaient aucune valeur juridique, mais la Convention était composée, en grande majorité de députés déterminés à juger le Roi. Le 3 décembre suivant, Robespierre plaça la question sur le terrain du "salut public" :

"Vous n'avez pas une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à rendre, un acte de providence nationale à exercer (applaudissements)

"[...] Louis ne peut être jugé; il est déjà condamné ou la République n'est point absoute. [...] Si Louis est absout, si Louis peut être présumé innocent, que devient la Révolution ? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la Liberté deviennent des calomniateurs; les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l'innocent opprimé." » (Robespierre, Archives parlementaires, t. LIV, p. 74-77, dans Philippe --Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 157-158.) 

 

Le 29 mars 1793, « les auteurs d'écrits royalistes furent promis à la peine de mort. Le 1er avril était supprimée l'immunité des députés. Les libertés individuelles, déjà passablement écornées, se trouvaient réduites à néant. » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 172-173.)

En Amérique, nombre de Patriots furent actifs, avant 1775, au sein de groupes comme les Sons of Liberty. Les plus importants dirigeants des "Patriots" que Louis XVI avait aidé à prendre le pouvoir sont aujourd'hui connus sous l'appellation de Pères fondateurs des États-Unis.

L'appellation "Fils de la Liberté" a été diffusée dans les cercles de la franc-maçonnerie. (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, Perrin, Collection Tempus, Paris 2012, note 43, p.p. 385 ; P. Maier, From Resistance to Revolution, New York, Norton, 1991, p. 81) Quel hasard ! 

 

« Depuis longtemps déjà Louis XVI porte sur les évènements révolutionnaires un regard surnaturel. À ses yeux, le mal est spirituel et le remède ne peut être que spirituel. » (Philippe Pichot-bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 164.)

Sur l'égalité

 

"À la fin du XVIIIe siècle, le concept de nation fut radicalement transformé (par les ''Lumières''). Avec les écrits fondateurs de Sieyès, une nouvelle définition triomphe dans le vocabulaire politique. La nation nouvelle est formée d'individus strictement égaux en droits. Elle correspond au seul tiers état. En sont exclus les ordres privilégiés, noblesse et clergé.

'Ce n'est qu'improprement que le tiers est appelé un ordre; il est la nation, il n'a point d'intérêt de corps à défendre; son unique objet est l'intérêt national.'

Sieyès nie une évidence, à savoir que la plupart des Français du tiers état sont eux-mêmes privilégiés, mais il réussit magnifiquement à imposer ses thèses pour deux siècles.

Les ordres 'privilégiés' sont hors de la nation (où est l'égalité dans l'exclusion ? Ndlr.) et doivent être, selon Sieyès, 'neutralisés', c'est-à-dire éliminés.

La nouvelle nation est donc composée des seuls individus.

Elle ne connaît que des citoyens 'à la même distance de la loi qui protège leur liberté et leur propriété'; les corps en sont bannis.

La nation régénérée ne peut être 'un assemblage de petites nations'.

On est à l'opposé du XVIIIe siècle qui reconnaissait le droit à la différence, dans une société de sujets liés à la personne du souverain. Ce que Sieyès qualifiait avec mépris de 'chartreuse politique'." (Dictionnaire de l'Ancien Régime, Sous la direction de Lucien Bély, 2e éd., Quadrige / Puf, Paris 2003, p. 882-883.)

 

L'idée égalitariste domine l'histoire des nations modernes depuis le XVIIIe siècle. Pourtant, dès le Moyen-Âge, en pleine monarchie absolue de droit divin, Saint Thomas d'Aquin définit la loi comme une "ordonnance de la raison, promulguée par celui qui a autorité sur la communauté, pour le bien commun" (I-II, Q. 90, a. 4). La loi ne lie pas de sa propre autorité mais de celle de Dieu, et nous sommes tenus d'obéir à la loi dans la mesure où elle porte l'autorité de Dieu. Par conséquent, si une loi viole la loi de Dieu - la loi naturelle ou divine - alors non seulement elle ne nous lie pas en conscience, mais nous sommes plutôt tenus de désobéir à ces lois, au moins par une résistance passive (comme le refus de participer à l'avortement ou l'euthanasie). Thomas d'Aquin dit que les lois sont contraignantes si elles remplissent trois critères:

 

Premièrement, la "fin": la loi doit servir le bien commun de la société pour laquelle elle est promulguée et destinée, et elle ne doit pas seulement être "bonne en général". Il peut être bénéfique pour les étudiants de faire de la gymnastique le matin, mais il serait étrange qu'un collège l'exige comme partie du régime du matin de chaque classe. 

 

Deuxièmement, "l'auteur": la loi doit être promulguée par l'autorité compétente. Un évêque ne peut décréter des lois liturgiques et autres que dans les limites géographiques (ou spirituelles) de son propre diocèse. Il y a des cardinaux et des archevêques qui voudraient imposer leurs protocoles de Covid à des provinces, des États ou des nations entières, mais eh bien, tant pis.

 

Troisièmement, la "charge" de la loi - car toute loi a sa dimension coercitive - ne peut être disproportionnée par rapport au bien recherché ou au mal évité (le remède ne doit pas être pire que le mal). La loi ne doit pas non plus retomber de manière disproportionnée sur une partie de la population plutôt qu'une autre. Les impôts doivent être imposés de manière équitable, de même que la conscription, la fonction de juré, et personne ne devrait bénéficier d'un traitement préférentiel indu. Tous sont égaux devant la loi, sans que certains soient plus égaux que d'autres.

 

Une égalité juridique entre les hommes peut exister. Exemple: l'égalité devant l'impôt que cherchèrent à réaliser les rois Louis XV et Louis XVI mais qui en furent empêchés par la magistrature parlementaire avant que les mêmes ne s'en empare en 1789... (Cf. Michel Antoine, Louis XV).

 

Notons que le principe égalitaire n'était pas une chose évidente pour les droits de l'hommistes eux-mêmes. Historiquement, les mêmes qui déclaraient l'égalité de tous étaient de grands esclavagistes. « Après avoir hardiment affirmé que "les hommes naissent et demeurent libres en droit", les députés de l'Assemblée nationale constituante se déjugeront le 15 mai 1791 en renonçant à changer le statut des personnes que le législateur qualifie pudiquement de "non-libres". Si le maintien de l'esclavage dans les colonies est une entorse spectaculaire au principe, elle n'est pas la seule. Quelques mois plus tôt, l'Assemblée avait fondé l'exercice de la citoyenneté sur un principe censitaire distinguant entre les citoyens actifs et les citoyens passifs. On le voit : les hommes ne sont pas demeurés égaux en droit bien longtemps ! » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 94.)

Aux États-Unis, l'historien Bernard Cottret a remarqué la même « contradiction entre les principes affichés et la réalité profonde ».

Cette contradiction est « plus éclatante encore à l'intérieur même de la société américaine (G. B. Nash, Race and Revolution, Madison, Wis, Madison House, The Merril Jensen Lectures in Constitutional Studies, 1990, p. 3).

D'ailleurs un peu avant le déclenchement de la Guerre d'Indépendance américaine,« les propagandistes anglais (loyalistes) ne manquèrent pas de le faire remarquer : comment refuser l'esclavage prétendu de la métropole quand on maintenait plusieurs centaines de milliers de Noirs dans la plus abjecte des sujétions ? » (Bernard Cottret, La Révolution américaine : La Quête du Bonheur 1763 – 1787, Perrin, Collection Tempus, Paris 2012, p. 178.) Le principal rédacteur de la Déclaration d'Indépendance de 1776 qui proclame l'égalité de tous les hommes, Thomas Jefferson, est un planteur qui possédait des esclaves.

« En 1773, plusieurs esclaves du Massachussets avaient demandé à l'assemblée de leur province d'examiner leur cas, en se référant aux déclarations préalables contre l'esclavage auquel l'Angleterre voulait censément réduire tous les Américains » (H. G. Punger, John Hancock, Merchant King and American Patriot, New York, J. Wiley, 2000, p. 185, in B. Cottret, La Révolution américaine, ibid., note 69, p. 425.) 

« Comment se réclamer du droit naturel quand on s'opposait aux "sauvages" amérindiens au nom de la civilisation ? [...] Pouvait-on valablement décréter la liberté de tous les hommes dès leur naissance et enchaîner une partie de l'humanité ? Le paradoxe était flagrant, et les Britanniques, [...] ne manquèrent pas de s'indigner pieusement des moeurs esclavagistes de leurs cousins rebelles... » (B. Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 178.)

« [...] [L]e débat [...] avait des répercussions militaires immédiates : les Britanniques tentèrent d'ouvrir un second front au sein même de la société américaine, en appelant les esclaves à la révolte. Ou du moins, en leur promettant la liberté s'ils se joignaient aux troupes de Sa Majesté contre leurs maîtres. » (B. Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 180.)

« Dans sa défense des constitutions de gouvernement des États-Unis, publiée opportunément en décembre 1787 en Angleterre, John Adams, [...] le futur président des États-Unis associait dans sa réflexion les Anglais et les Germains. [...] La meilleure forme possible de gouvernement était celle qui associait la démocratie et la République – comme le faisait la Constitution. [...] Esclaves et Amérindiens étaient les grands exclus... De plus, le suffrage demeurait censitaire. » (B. Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 319.)

George Washington lui-même « n'était pas hostile à la dépossession des Amérindiens; mais il voulait, flegmatique, qu'elle s'effectuât dans le calme et la bonne humeur, sans laisser les "bandits" profiter des circonstances en abusant de la crédulité des autochtones. Il fallait dépouiller ceux-ci avec distinction, circonspection, bonté et courtoisie, en usant de cette douce bienveillance que l'on voue aux plus faibles. Le général conseillait de concilier trois impératifs: l'établissement de nouveaux États, l'occupation des terres, et la paix. » (B. Cottret, La Révolution américaine, ibid., p. 276.)

« Était opulent en Virginie, celui qui avait à la fois de l'argent, des terres, des esclaves, des maisons et du crédit. Quiconque ne possédait qu'une de ces formes de la richesse était à la merci de la plus petite circonstance. [...] [I]l n'y avait de de sécurité que si l'on possédait abondamment toutes les sortes d'objets et d'êtres qu'il y avait à posséder. Washington le vit tout de suite. [...] Il cherche partout des terres neuves, en Floride, en Ohio, en Pennsylvanie. Il est inlassable. [...] En 1760, il a 49 esclaves; en 1770 87, en 1774 135. » (Bernard Faÿ, Georges Washington, Gentilhomme, Éditions Bernard Grasset, Paris 1932, p. 167-169.)

 

Alors que le libre arbitre biblique disparaît, l'idolâtrie de l'ego, l'orgueil de l'homme et de sa liberté individuelle apparaît; elle est mise en forme juridique par les déclaration des droits de l'homme qui légitimeront les caprices les plus fous et anti-bibliques qui soient, comme l'esclavage, le divorce, l'avortement, le mariage homosexuel, la procréation pour autrui, etc.

 

Et comme l'ego est souvent excessif, cela donne - on s'en doute - des droits qui se contredisent les uns les autres, des résultats catastrophiques pour la vie en société.

 

Dred Scott

Un exemple historique frappant : un peu avant la Guerre de Sécession (1861-1865), le sud des États-Unis pratiquait l'esclavage et le nord ne le pratiquait pas (ou peu); et le parlement de l'État de Missouri, entre le nord et le sud, abolit l'esclavage; les esclaves se libèrent, et les propriétaires d'esclaves allèrent devant les tribunaux, disant qu'on les avait privés de leur biens ! 

Le contentieux entre les propriétaires d'esclaves et l'État de Missouri remonta alors jusqu'à la Cour suprême des États-Unis, qui dans un arrêt Dred Scott vs Ferguson du 6 mars 1857 trancha qu'un parlement d'un état (le Missouri) n'a absolument pas le droit d'exclure l'esclavage, parce que l'esclavage fait partie des droits de l'homme, le droit de propriété étant un droit absolu ! 

La Cour rejeta la demande de Scott par 7 voix contre 2.

Les esclaves étaient une propriété, et les maîtres avaient la garantie du droit de propriété dans le cadre du cinquième amendement. 

Dans le même style, un arrêt Plessy v. Ferguson de la Cour suprême des États-Unis, rendu le 18 mai 1896, autorise les États à imposer par la loi des mesures de ségrégation raciale.

 

Si une certaine égalité (devant l'impôt par exemple) peut exister, l'égalitarisme, en revanche, cette idéologie issue de la constitutionnalisation de l'idée d'égalité, qui déforme l'idée originale chrétienne de l'égalité de tous les hommes devant Dieu, et établit ici-bas, en système, une stricte égalité à tous points de vue doit être rejetée. 

 

Par exemple, l'idéologie égalitariste est dangereuse pour les destinées des nations européennes, car elle les prive de tout développement naturel possible en leur imposant indéfiniment une immigration pléthorique inassimilable, censée établir le règne de la liberté & de l'égalité. Une immigration qui donnera les mêmes droits à des individus qui ne partagent rien avec les européens.

 

Le professeur Jean-Louis Harouel, dans la conclusion de son livre « Les Droits de l'Homme contre le peuple »dit que c'est un « dissolvant social » :  « On ne peut pas fonder une société sur les droits de l'homme dès lors qu'ils sont un dissolvant social. Très grand nom du droit international privé, Henri Battifol observait qu'un faisceau de droits subjectifs ne résout aucunement le problème premier de toute société qui est celui de la vie en commun et que l'erreur du libéralisme individualiste a été de croire que la protection de l'individu suffirait à organiser la vie en commun.  (Cité par Yves Lequette, De la Proximité au fait accompli, Mélanges en l'honneur du professeur Pierre Mayer, Lgdj, Paris 2015, p. 514-515.)

[...]  Avec la religion des droits de l'homme, s'estompe l'idée de citoyenneté. L'idée d'une appartenance commune rassemblant les citoyens d'un même pays fait place à une juxtaposition d'individus ne se définissant plus que par leur "droit à avoir des droits" (Yves Lequette, De la proximité au fait accompli, mélanges en l'honneur du professeur Pierre Mayer, Paris, LGDJ, 2015, p. 515), selon la célèbre formule de Hannah Arendt (Les Origines du totalitarisme, Paris, éd. Gallimard, 2002). » (J.L. Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple (Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 135-136.)

La juxtaposition d'individus qui n'ont que des droits fait que notre société est profondément fracturée sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan sociétal. Une question d'éthique actuelle est de savoir si l'égalité républicaine ne va pas justifier que la PMA ne conduise à la GPA, cette marchandisation du corps humain.

Nous sommes dans une société où le nous a perdu son sens et ce qui compte c'est l'ego, le moi; il y a sans doute une réflexion à mener sur le nous. On ne construit pas une société en mettant les gens à côté les uns les autres, mais en bâtissant un projet collectif viable.

 

Gustave Bord, en 1908, faisait déjà la même analyse à propos des droits de l'homme, lorsqu'il parlait d'une « chose grave », d'une « pensée dangereuse, qui conduit les sociétés aux pires cataclysmes », d'une « idée implacable », qui a entraîné les maçons « jusqu'au bord de l'abîme où doivent succomber les sociétés modernes, car le dogme de l'égalité est par essence destructeur de toute idée sociale. » (Gustave Bord, La franc-maçonnerie en France des origines à 1815, 1852, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1908, p. 3.)

 

Sur le plan du combat citoyen : « [o]n dit toujours qu'un peuple ne doit pas s'enfermer dans son passé, or c'est ce que nous faisons avec notre culte béat de la religion des droits de l'homme. La France ne peut espérer survivre qu'en rompant avec son culte de la non-discrimination. Elle doit tout particulièrement maintenir et surtout restaurer la nécessaire discrimination entre nationaux et étrangers, qui est le fondement de la cité. Là est le véritable combat citoyen, n'en déplaise aux dévôts de l'immigrationnisme. » (J.L. Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple (Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 135-136.)

 

S'agissant par exemple de l'islam, "[n]ous devons appliquer un régime particulier à l'islam en France. 

Ce n'est pas contraire à la liberté religieuse.

L'islam n'est pas une religion au sens habituel du terme: c'est avant tout un code de règles de droit et de comportement qui prétend régir la totalité de la vie sociale.

L'islam est porteur d'un projet politique mortel pour les nations occidentales.

Il est suicidaire de continuer à laisser monter des minarets et proliférer le voile islamique dans les rues et les entreprises. l'actuelle arabo-islamisation visuelle de l'espace public constitue un des aspects de la transformation progressive des pays européens en des pays musulmans dans lesquels aura vocation à s'appliquer le droit musulman.» (J.L. Harouel, Les Droits de l'Homme contre le peuple (Desclée de Brouwer, Paris 2016, p. 137.)

 

Quand Emmanuel macron a dit qu'il n'y avait pas de culture française, il voulait dire qu'il n'y a plus de culture française. La liberté de 1789 détruit le lien social; chacun pouvant théoriquement poursuivre ses propres valeurs... Il n'y a plus de valeurs communes ! Il n'y a donc plus de société.

 

Les partisans des Lumières, dans une surenchère, répondront que ce qui fait nos valeurs communes, c'est l'absence de valeurs; mais l'absence de valeurs communes signifie la disparition de ce qui fait communauté... Il est temps de se réveiller ! 

 

Jean-Louis Harouel a donné une conférence video (extraits) pour le Cercle de l'Aéropage dans laquelle il explique : « On ne peut pas fonder une société sur les droits de l'homme, pour une bonne raison que les droits de l'homme sont un dissolvant social. »

 

Mensonge l'article 2 qui dit « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels,»  etc. C'est son but prochain, non son but suprême qui est d'aider par-dessus tout à la conquête des biens surnaturels de l'autre vie, qui est la vraie fin dernière.

 

La fin dernière de l'ordre surnaturel étant niée, la thèse révolutionnaire ne peut pas conserver les droits naturels qui en sont dérivés.

 

La négation de l'ordre surnaturel entraîne la négation des droits naturels, et leur destruction dans les régimes totalitaires.

 

On ne peut pas conserver des droits naturels si l'on ne conserve pas l'ordre surnaturel qui les a créés.

 

De même,

« la Déclaration des droits de l'homme de 1789 est traversée par deux tensions.

La première : la tension entre l'article 2 et l'article 6.

L'article 2 proclame des droits naturels (influence très lockienne), la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

L'article 6 "la loi est l'expression de la Volonté générale".

Là il n'est plus question de respects de droits naturels.

Il y a donc cette tension entre l'affirmation de droits naturels et puis la définition de la loi que donne Rousseau comme "expression de la volonté générale".

La loi est donc simplement l'expression d'une volonté.

Il suffit que la notion veuille ou ses représentants pour que la loi existe. Il n'y a rien au-dessus de la loi. Pas de lois fondamentales, pas de droits naturels, pas de commandements de Dieu. La chose a d'ailleurs bien été refusée. Le député Mirabeau dit Tonneau avait proposé de mettre le Décalogue. Cela avait été écarté. On ne voulait pas en entendre parler.

Cet article 6, en définissant la loi comme l'expression de la Volonté générale ruine, nie l'autorité juridique du droit naturel et crée un véritable absolutisme qui va bien plus loin que le pouvoir absolu du monarque de droit divin d'avant la Révolution puisque ce monarque de droit divin était soumis au respect des lois fondamentales, au respect du droit naturel, au respect des principes de justice et d'équité... 

La deuxième tension nous éclaire beaucoup sur nos institutions.

Le système représentatif mis en place par l'abbé Sieyès supprime les mandats impératifs des États généraux, les remplacent par des mandats représentatifs (un député est le représentant de la nation toute entière et pas le représentant de tel ou tel baillage, il pourra résider à Paris et être élu "député de la Nièvre") et inaugure, non pas un régime démocratique, mais un régime oligarchique, un régime dans lequel le pays est gouverné par un petit groupe, qui agit, et échappe à ceux qui les ont désigné aux États généraux (violant deux fois la constitution: celle des lois fondamentales de la souveraineté du Roi, et celle des États généraux pour lesquels ils avaient été mandatés pour discuter des impôts et non pour créer une nouvelle constitution !) » (Philippe Pichot-Bravard, Conférence "Fondements idéologiques et légitimité du pouvoir", le vendredi 21 février 2014.) 

 

Mensonge l'article 3. 

« Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu ». (Epître aux Romains, 13:1.

En 1789, la Révolution détruit cet enseignement divin; elle détruit l’autorité transcendante et prétend que l'autorité vient d'en dessous, des inférieurs :

 

« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.»  (Article 3)

 

Ces derniers jours, une énième violence scolaire sur un professeur braqué avec une arme factice secoue le monde « éducatif » (qui n'éduque pas puisque l'autorité n'existe plus mais réside dans le peuple, une abstraction). Les médias découvrent (ou font semblant de découvrir) des violences qui étaient inimaginables et inexistantes à l'école dans les années 1950 jusqu'aux années 1980  (le temps que le soixante-huitardisme produise ses pleins effets); toutes les crises que nous connaissons dans la société (crises de l'autorité à l'école, refus d'obéissance des enfants, crises éducatives, crises morales, violences aux personnes, suicides, crises culturelles et même crises économiques, etc.), toutes ces crises trouvent leur source dans une seule et même cause, qui est une conception erronée de l'autorité formulée par les révolutionnaires de 1789 et l'oubli du Décalogue. 

Cette erreur fondamentale se répand lentement par métastases dans tout le corps social jusqu'à tuer la société, à présent. Ce n'est plus le vivre ensemble, mais le mourir ensemble !

 

La nouvelle conception de la souveraineté a pu conduire des fanatiques en 1789 à détruire un million de fois plus d'oeuvres d'art qu'aujourd'hui les djihadistes de l'état islamiste; sur un autre plan, elle a conduit des soixante-huitards et les pédagogistes à déclarer l'égalité entre l'enseignant et l'élève.

 

Les « citoyens » sont commandés et commandeurs à la fois. Or, l'homme ne peut à la fois être son propre principe de commandement (conception schizophrène) s'il n'a pas d'abord un principe supérieur. Cette erreur conduit des enfants à donner quasiment des ordres à leurs parents ou à leurs professeurs, sous couvert. Ceci se fait dans le cadre d'une politique gouvernementale issue de l'Éducation nationale, relayée par des « éducateurs », des conseillers d'« éducation », des pédagogues et autres professionnels de l'« éducation »...

 

La conception erronée de l'autorité issue de 1789 conduit l'école républicaine dans l'impasse. Les ministres républicains de l'«Éducation  nationale » cherche à y remédier avec des cautères sur une jambe de bois, l'uniforme étant la dernière idée.

Des républicains ont cherché à établir une nouvelle religion, la « religion de la république »(version Claude Bartolone), la « religion de la république » (version Vincent Peillon), sorte de nouveau principe supérieur nécessaire à l'équilibre de l'édifice franc-maçonnique (C. Bartolone et V. Peillon sont deux adeptes de la franc-maçonnerie). Ce nouveau principe supérieur vient remplacer l'ancien qui avait été éliminé par l'école républicaine, « laïque » et obligatoire...

C'est la verticalité de l'autorité que l'on trouve dans la religion catholique et la société chrétienne, qui fait qu'une société tient debout et peut progresser. Cette verticalité du pouvoir se rencontre dans la monarchie classique française. La république avec sa religion de la république™ cherche à en reproduire le modèle (après l'abaissement de la fonction présidentielle sous François Hollande, Emmanuel Macron : "J’assume la 'verticalité' du pouvoir"Emmanuel Macron : “Il y a de la transcendance dans l’engagement politique“; Emmanuel Macron : un président très spirituel...) Mais de quelle spiritualité parle-t-on ?

 

L'autorité vient d'en haut et non d'en dessous, même la république en vient à le reconnaître aujourd'hui ! L'autorité qui se trouve en-dessous, ou à côté de moi, ou même à mon hauteur, n'est pas respectée très longtemps car elle n'a aucune force, aucun principe supérieur pour être respectée : elle n'a aucune légitimité. La "Souveraineté nationale" en son article 3 est donc une erreur qui ne peut en aucun cas fonder un ordre politique pérenne, à moins de devenir dictatoriale et totalitaire. Exemples: les "démocraties" populaires, le régime hitlérien nazi, le régime communiste, le "nouvel ordre mondial" et les « moyens plus contraignants encore » de Nicolas Sarkozy... pour y parvenir...

 

L'auteur royaliste Louis de Bonald a expliqué :

« des hommes ont avancé que la souveraineté résidait dans le peuple ... mais, il se trouve que le peuple n'a jamais été et qu'il ne peut jamais être souverain: car où seraient les sujets quand le peuple est souverain ? Si l'on veut que la souveraineté réside dans le peuple, dans ce sens qu'il ait le droit de faire des lois, il se trouve que nulle le part le peuple n'a fait de lois". 

[...] Donc cette proposition générale ou abstraite "La souveraineté réside dans le peuple" n'a jamais reçu et ne peut recevoir aucune application, donc c'est une erreur ». (Louis de Bonald, Théorie du pouvoir, cité in Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 490.)

 

On peut tempérer le propos de Louis de Bonald en précisant que si le peuple n'a jamais effectivement élaboré seul des lois nulle part [à Athènes « Sous le nom de démocratie c’était en fait le premier citoyen qui gouvernait ». Thucydide II, 45, 5 ; 8-9], au Moyen Âge en France et encore sous l'Ancien Régime, théoriquement la loi appartenait au peuple, le roi n'était que le dépositaire de la souveraineté, le premier serviteur du peuple. Il était un avec son peuple, et ne pouvait par exemple pas aller contre les coutumes du peuple...

 

Comment en est-on donc arrivé à ce mensonge de l'article 3 ? La tactique a consisté d'abord à séparer la personne du roi du peuple, pour substituer à la foi chrétienne la religion civile de l'Être suprême. Ce fut la tactique des parlements d'Ancien Régime (de Louis XV à Louis XVI) et des jacobins de 1789. Aujourd'hui le processus s'achève dans la farce bouffonne d'un Jean-Luc Mélenchon se prenant pour "la république" et déclarant sa "personne sacrée"...

 

Jean de Viguerie a présenté le détail du conflit entre les cours (parlements) et le roi comme une « lutte sans merci » où « la caste parlementaire manifeste une agressivité jamais atteinte. » (Histoire et Dictionnaire du temps des Lumières, Bouquins, Robert Laffont, 1995, p. 213 et 214.). 

 

Au XVIIIe siècle, « [...] les cours [...], poursuit Jean de Viguerie, exposaient dans leurs remontrances (imprimées et largement diffusées dans le public) une théorie politique nouvelle étrangère à la tradition monarchique et remettant en cause la Constitution du royaume. Selon cette théorie, le roi n'est plus la tête du corps politique, mais il y a deux pouvoirs distincts, celui du roi et celui de la nation. Un pacte lie ces deux pouvoirs, contrat dont les lois fondamentales sont l'expression. Car ces lois fondamentales, selon le parlement de Rennes, "fixent les droits respectifs du monarque et de la nation." (Cité par Roger Bickart, Les Parlements et la notion de souveraineté nationale au XVIIIe siècle, thèse de droit, Paris, 1932, p. 51.) Quant aux parlement, [...] ils sont les représentants de la nation ! Les cours sont, selon l'expression de Malesherbes, les "assemblées représentatives de la nation." (Dionis du Séjour, Mémoires pour servir à l'histoire du droit public de la France. Recueil de ce qui s'est passé de plus intéressant à la cour des aides de Paris, Bruxelles, 1779, p. 39.) »

Mieux que les Jacobins de 1789, ces parlementaires d'Ancien Régime se proclamaient être les représentants de la nation, tout étant non élus ! Pourquoi se gêner ?!

 

C'est ainsi qu'«en 1766, dans un discours célèbre, Louis XV rappelle que les droits et intérêts de la nation ne forment pas un corps séparé du roi, qu'ils sont unis avec les droits et intérêts du monarque et reposent entièrement entre ses mains. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 198.)

Dans l'esprit du roi et de ses ministres, il s'agit moins de punir que de restaurer. Dans ce discours du 3 mars 1766, Louis XV déclare : « Je ne souffrirai pas, dit le prince, qu'il se formât dans mon royaume une association qui ferait dégénérer en une confédération de résistances le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes, ni qu'il s'introduise dans la monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu'en troubler l'harmonie. » (Jean de Viguerie, Histoire et Dictionnaire du temps des Lumières, Bouquins, Robert Laffont, 1995, p. 215.)

"Même à la fin de son règne, Louis XV ne manquait ni de séduction ni de majesté." (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin 2005, p.541.)

 

 

Le roi dit encore : « "Entreprendre d'ériger en principes des nouveautés si pernicieuses, c'est faire injure à la magistrature, démentir son institution, trahir ses intérêts et méconnaître les véritables lois fondamentales de l'État. Comme s'il était permis d'oublier que c'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison; que c'est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité; que la plénitude de cette autorité, qu'elles n'exercent qu'en mon nom, demeure toujours en moi, et que l'usage n'en peut jamais être tourné contre moi; que c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage; que c'est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent [...], que l'ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains.

« [...] La séance n'avait pas duré une heure et s'était déroulée dans un calme impressionnant. Les magistrats, en effet, n'étaient pas là pour procéder à l'enregistrement de quelque édit ou déclaration qui aurait pu fournir matière à délibération. Ils étaient là en spectateurs et en auditeurs et ce qu'ils avaient vu et entendu les avait terrassés. "Discours de la Flagellation", "séance de la Flagellation" : c'est sous ces dénominations que ce discours et cette séance du lundi 3 mars 1766 entrèrent aussitôt dans l'histoire. » (Michel AntoineLouis XV, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, p. 853.) On trouve également le texte de ce discours fameux dans Lucien Laugier, Un ministère réformateur sous Louis XV. Le triumvirat 1770-1771 (La Pensée universelle, paris 1975, p. 54-55, note 5.)

Maupéou

Louis XV parachèvera ce discours avec le coup de majesté de Maupéou (1770-1771), qui exila le parlement de Paris, supprima les parlements régionaux, la vénalité des offices de judicature, instaura la justice gratuite et établit pour la première dans le droit français le principe d'égalité devant l'impôt (!) que les parlements avait systématiquement refusé jusqu'ici !... (ce qu'on a appelé l'« obstruction parlementaire au XVIIIe siècle »).

 

En 1789, à la suite des magistrats d'Ancien Régime, cassant l'unité ancestrale entre le peuple et le roi, les hommes de 1789 ont transformé les États généraux en une assemblée coupée de l'autorité royale... afin de confisquer le pouvoir d'élaborer la loi et se l'approprier avec leur démocratie dite représentative mais ne représentant en fait qu'eux-mêmes et leurs intérêts.

 

Le danger des assemblées rejetant Dieu, a été relevé par Jean-Paul II : « Dans la mentalité des Lumières, [...] le grand drame de l'histoire du Salut avait disparu. L'homme était resté seul: seul comme créateur de sa propre histoire et de sa propre civilisation; seul comme celui qui décide de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. [...] Si l'homme peut décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, il peut aussi disposer qu'un groupe d'hommes soit anéanti. [...] Des décisions analogues furent prises sous le IIIe Reich, [...] par le parti communiste de l'union Soviétique et des pays soumis à l'idéologie marxiste. » (Jean-Paul II, Mémoire et identité, Le testament politique et spirituel du pape, Flammarion, Mayenne 2005, p. 23-24).

 

« Le remplacement du royaume de France par une république égalitaire, vertueuse, despotique et conquérante a constitué un ébranlement majeur de la civilisation européenne, dont ont découlé beaucoup de malheurs pour la France et l'Europe. (Alain Besançon, Le Malheur du siècle, éd. Perrin, Paris 2005.)

L'idéal républicain a débouché sur la dictature jacobine qui fut un modèle pour Lénine et sur une nation hégémonique qui a suscité le choc en retour des nationalisme européens, et tout particulièrement du pangermanisme. C'est que les révolutionnaires ne voulaient pas seulement le pouvoir: ils voulaient s'emparer du pouvoir pour réaliser une utopie, pour changer le monde en changeant en l'homme, pour faire surgir un homme nouveau, pour accomplir l'émancipation de l'humanité. La Révolution a constitué un moment majeur dans la sécularisation du vieux rêve millénariste d'instaurer sur la terre un paradis égalitaire. D'abord en France et ensuite par contagion dans le monde entier. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 200-201)

 

Le résultat est un enfer,  l'inverse des buts qui avaient été définis par la Révolution. 

Les 1 % les plus riches du monde possèdent plus que les 99 % restants ! Jamais dans l'histoire du monde l'écart de richesse entre les plus riches et les plus pauvres n'a été aussi important. Les États-Unis, aujourd'hui, sont les champions du monde de l'inégalité : 

 

 

« Un Bill Gates était inimaginable à l'époque, ces fortunes qui dépassent la richesse de nombreuses nations n'existaient pas. » (Yves-Marie Adeline, Le Royalisme en question, L'Âge d'Homme - éd. de Paris,  Libres Mobiles, 2e édition, Paris 2006, p. 96).

On rappellera en comparaison que sous l'Ancien Régime, faire du commerce, faire de l'argent était interdit aux nobles. La noblesse pouvait se perdre par déchéance à la suite d'une condamnation infamante. Elle se perdait encore par dérogeance, lorsqu'un noble était convaincu d'avoir exercé un métier roturier ou un trafic quelconque : il lui était interdit de sortir du rôle qui lui est dévolu, et il ne devait pas non plus chercher à s'enrichir. (Régine Pernoud, Lumière du Moyen Âge, Grasset, Paris 1981, p. 39-40).

D'Artagnan arrête Fouquet

Le « Lexique historique de la France d'Ancien Régime » de Guy Cabourdin et Georges Viard (Armand Colin, 3e éd. Paris 1998, p. 105) précise que "pour un noble, déroger c'est perdre ses prérogatives et ses privilèges par l'exercice d'activités "ignobles", puisque, selon Loyseau, "le propre de la noblesse est de vivre de ses rentes". Plus que des édits royaux, il s'agit d'une maxime coutumière selon laquelle "le commerce dérogeait".» Un exemple frappant de dérogeance fut celui de Nicolas Fouquet. Enrichi grâce à des malversations et de prêts à l'État à des taux usuraires, le surintendant des finances de Louis XIV, fut arrêté par d'Artagnan, mousquetaire du roi, le 5 septembre 1661, déchu de sa charge, condamné au bannissement perpétuel du royaume pour avoir par trop affiché une opulence choquante, enrichie sa famille, et confondu ses finances et celles de l'État.

« Suivant la loi des clans, sa famille bénéficia de sa prodigieuse réussite et se trouva richement pourvue de charges et de bénéfices. [...] L'élimination de Fouquet et de son groupe de financiers attesterait de façon spectaculaire sa volonté (de Louis XIV) de rompre avec un passé de désordre, de corruption, d'improvisation et de laxisme. » (Jean-Christian Petitfils, Louis XIV,  éd. Perrin, Saint-Amand-Montrond 2010, p. 199, 207.) Louis XIV commua la peine de Nicolas Fouquet en emprisonnement à vie. (Lexique du siècle de Louis XIV, BH Créations Lexiques essentiels, p. 48-49). L'usure était interdite par l'Église, les usuriers étaient emprisonnés à vie sous Louis XIV , aujourd'hui ils sont les maitres du monde.

De nos jours, « il est [...] amusant de constater que la gauche, et plus généralement la république, aggrave, toujours les inégalités plutôt qu'elles ne les réduit. Par exemple, sous le septennat de Valery Giscard d'Estaing, l'éventail des revenus était moins large que sous son successeur François Mittérand.

[...] Aujourd'hui, [...] la moitié du patrimoine national (50%) est détenue par 10% des ménages. Et 40% des Français n'ont aucun patrimoine. 40% des Français sans patrimoine: ce chiffre était le même en 1800, au lendemain de la Révolution... On me parlera pour se consoler d'égalité devant la loi. Il y aurait au moins cela. Avez-vous suivi les affaires politico-financières? Qui va en prison? Les protagonistes secondaires, jamais les plus hautes personnalités. » (Yves-Marie AdelineLe Royalisme en question (1792-2002), Perspectives pour le XXIe siècle, Préface de Vladimir Volkoff, Postface de Jean Raspail, L'Âge d'Homme - Editions de Paris, Libres Mobiles, 2e édition corrigée, Paris 2002, p. 96-97.)

 

Quand on est passé de Giscard à Mitterrand en 1981, les marxistes chantaient victoire dans le vide, les riches ne pouvaient pas se douter qu’en fait les choses iraient mieux pour eux, ni les pauvres qu’elles iraient pire, ni les classes moyennes qu’elles étaient destinées à s’appauvrir. 

En 2014, un peu plus de deux siècles après leur Révolution, les plus riches s'inquiétaient de ce qu'était devenue leur « égalité  » : la pauvreté était le sujet phare de leur réunion annuelle qui se tint du 22 janvier au 25 janvier 2014 à Davos. Près de la moitié des richesses mondiales est détenue par 1% de la population !

Source: http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/01/21/20002-20140121ARTFIG00164-pres-de-la-moitie-des-richesses-mondiales-est-detenue-par-1-de-la-population.php

Source: http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/01/21/20002-20140121ARTFIG00164-pres-de-la-moitie-des-richesses-mondiales-est-detenue-par-1-de-la-population.php

Aujourd'hui, les États-Unis peuvent être qualifiés de ploutocratie.

 

[...] Ploutocratie signifie littéralement le pouvoir des riches. Le « pouvoir » peut avoir diverses nuances de signification : ceux qui exercent l’autorité d’une fonction publique sont riches ; leur richesse explique pourquoi ils occupent cette fonction ; ils exercent cette autorité dans l’intérêt des riches ; ils ont la principale influence sur qui occupe ces fonctions et sur les mesures qu’ils prennent. Ces aspects de la « ploutocratie » ne sont pas limitatifs. De plus, le gouvernement des riches et pour les riches n’a pas besoin d’être dirigé directement par les riches. [...] Aujourd’hui, les États-Unis remplissent les critères d’une ploutocratie – pour plusieurs raisons. Regardons quelques éléments de preuve frappants. La redistribution du revenu brut vers le haut de la hiérarchie a été une caractéristique de la société américaine au cours des dernières décennies. Des statistiques bien connues nous indiquent que près de 80 % de la richesse nationale générée depuis 1973 est passée aux 2 % les plus riches et 65 % aux 1 % supérieurs. Les estimations de l’augmentation du revenu réel des travailleurs salariés au cours des 40 dernières années varient de 20 à 28 %. Au cours de cette période, le PIB réel a augmenté de 110 % – il a plus que doublé. En d’autres termes, selon le Congressional Budget Office, selon le revenu le plus élevé de 1 % des ménages aux revenus les plus élevés a gagné environ 8 fois plus que celui des ménages du 60e centile après impôts fédéraux et transferts de revenu entre 1979 et 2007 et 10 fois celui des ménages du centile inférieur. En bref, l’écrasante fraction de toute la richesse créée sur deux générations est allée à ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide des revenus. Cette tendance s’est nettement accélérée depuis la crise financière de 2008. Entre 2000 et 2012, la richesse nette réelle de 90 % des Américains a diminué de 25 %. Warren Buffet, Jeff Bezos et Bill Gates et al, c’est-à-dire le 1% le plus riche de la population mondiale, possèdent aujourd’hui plus de la moitié de la richesse mondiale (selon un rapport du Crédit Suisse en novembre 2017).

Un État policier au service de Wall Street. L’un des exemples les plus stupéfiants de l’implication ploutocratique directe dans l’État a été l’audace de Wall Street qui a coopté une partie du service de police de New York se dotant d’une unité semi autonome pour contrôler le quartier financier. Financée par Goldman Sachs et consorts, dirigée en partie par des employés de banques privées occupant des postes administratifs clés et ayant pour mandat explicite de prévenir et de traiter toute activité qui les menace, elle fonctionne avec du matériel à la pointe de la technologie, dans un établissement dédié fourni par ses commanditaires. Pendant des années, l’installation a été gardée « sous le comptoir » afin de ne pas inciter les personnes curieuses à la dénoncer. C’est l’unité qui a coordonné la répression des manifestations du mouvement Occupy à Manhattan. Elle représente l’appropriation d’un organisme public pour servir des intérêts privés. L’hyper-anxiété de l’après-11 septembre 2001 a servi de couverture politique et idéologique à un accord conçu par le maire Mike Bloomberg (lui-même un milliardaire de Wall Street qui a défendu Wall Street contre toute accusation d’abus financier) en collusion avec ses anciens associés. S’agit-il simplement de Bloomberg exposant la dépendance fiscale de la ville de New York à l’égard des emplois du secteur financier ? C’est le même Bloomberg qui a tué dans l’œuf une initiative largement soutenue visant à fixer un salaire minimum décent de 10 $ l’heure avec assurance maladie (11,50 $ sans) pour les projets de développement qui reçoivent plus d’un million de dollars en subventions des contribuables. Il a stigmatisé la mesure comme « un retour à l’époque où le gouvernement considérait le secteur privé comme une vache à lait… La dernière fois que nous avons vraiment eu une grande économie dirigée, c’était l’URSS et ça n’a pas si bien marché ». On pourrait difficilement être plus ploutocratique – et dans le New York de gauche.

Source: Michael Brenner, Consortium News, 05-09-2018 - Les Crises. fr

 

Mais la France est une ploutocratie depuis 1789. « À l'ancienne aristocratie se substitue l'aristocratie des riches. C'est une chose qui n'a pas été assez vue. On a dit : la Révolution de 1789 a donné le pouvoir à la bourgeoisie. C'est vrai, mais dans la bourgeoisie elle l'a donné à l'Argent. » (Jacques Ploncard d'Assac, Les jeunes ont droit à la vérité, Société de philosophie politique, Lisbonne 1970, p. 105).

« C'est cette situation que Stendhal décrit parfaitement lorsqu'il fait parler M. Leuwen, le banquier : "... depuis Juillet, la bourgeoisie a remplacé le faubourg Saint Germain, et la Banque est la noblesse de la classe bourgeoise... Le ministère ne peut pas défaire la Bourse, et la Bourse peut défaire un Ministère." Et M. Leuwen explique que ce régime coûtera cher, parce qu'il faut donner des places à tout l'état-major de la bourgeoisie: "Il y a là six mille bavards qui feront de l'éloquence contre vous si vous ne leur fermez la bouche avec une place à six mille francs". » (Jacques Ploncard d'Assac, ibid., p. 147).

« Une nouvelle bourgeoisie se substitue à celle de l'Ancien Régime: acquéreurs de biens nationaux, fournisseurs aux armées, nouveaux fonctionnaires, généraux, hommes de loi, etc. » (Pierre Gaxotte, La Révolution française, Nouvelle édition établie par Jean Tulard, Éditions Complexe, Bruxelles 1988, p. 430.)

« Étrange conclusion: la Révolution, faite au nom de l'égalité, a enrichi les riches et appauvri les pauvres... C'est un résultat qu'on retrouvera sur d'autres terrains... » (René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 173-174).

« Il ne s'agit pas d'un avènement du capitalisme: celui-ci coexistait avec l'ancienne société, dans le cadre d'une économie de marché. Mais les capitalistes n'avaient pas le premier rang. Même un Samuel Bernard, même un John Law ne pouvaient prétendre aux honneurs que dans la mesure où ils se pliaient aux règles établies, en s'anoblissant et en entrant dans le système. Le roi, de toute façon, était au-dessus de la mêlée.

Il s'agit d'une explosion du capitalisme. Du second rôle, il passe au premier. Aucune autorité, désormais, ne sera en mesure de lui servir de contrepoids. Les droits de la naissance ne pourront rien contre ceux de la finance. L'explosion se traduit par la promotion du banquier et du spéculateur: tout banquier, dans la tourmente, est nécessairement spéculateur; mais tous les spéculateurs ne sont pas banquiers.

Avant la révolution, les banquiers privés étaient nombreux, parfois influents, mais sauf Necker en 1789, ils ne tenaient jamais le haut du pavé. Beaucoup d'entre eux étaient de confession protestante, d'origine cévenole ou suisse, et ils fondaient des dynasties bancaires: le Genevois Isaac Mallet s'était établi à Lyon en 1735, le Neuchâtelois Perregaux à Paris en 1781. Genevois encore, Bidermann et Clavière apparaissaient dans la capitale en 1782, et le Zurichois Hottinguer en 1783. Le calviniste Tronchin était, à Lyon puis à Paris, le banquier favori de Voltaire, qui ne méprisait pas les manieurs d'argent. La révolution assure d'emblée la promotion des bourgeois fortunés, qui ne tardent pas à prendre le contrôle des municipalités à Marseille, Lyon, Bordeaux ou Nantes. "Ce sont les hommes riches qui vont gouverner Bordeaux" (Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française), Bordeaux qui choisit pour maire Saige, "dix fois millionnaire". À Nantes, le Comité de salut public est entre les mains des plus riches négociants, - la plupart affiliés aux loges maçonniques – dont Buteiller père, le plus opulent. » (René Sédillot, Le coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin Mesnil-sur-l'Estrée 1987, p. 242-243).

 

Au XXe siècle, l'historien François Furet, ancien communiste qui déconstruisit le communisme, ainsi que la Révolution de 1789 en montrant notamment que la Terreur était bien en germe dès les débuts de la Révolution, et qui devait récolter en retour l'agressivité des historiographes robespierristes, « avait longuement expliqué les potentialités despotiques de la démocratie révolutionnaire. Il n'en méconnaissait pas les potentialités utopiques. Il savait que la démocratie fondée sur la conviction que le corps politique est le produit des volontés de chacun, et portant jusqu'à l'incandescence l'idée d'une création de l'homme par lui-même, est vouée à étendre sans cesse les droits des individus. » (Préface de Mona Ozouf dans François Furet, La Révolution française, Quarto Gallimard, Malesherbes 2007, p. XXI.)

 

L'impasse de principes désorganisateurs

 

Mona Ozouf relève ce qui semble bien être la contradiction fondamentale des principes démocratiques issus des Lumières (et la preuve de leur échec)

« En écrivant que la Révolution française était terminée, François Furet n'entendait pas dire que la passion révolutionnaire était désormais privée d'avenir. Il avait longuement expliqué les potentialités despotiques de la démocratie révolutionnaire. Il n'en méconnait pas les potentialités utopiques. Il savait que la démocratie fondée sur la conviction que le corps politique est le produit des volontés de chacun, et portant jusqu'à l'incandescence l'idée d'une création de l'homme par lui-même, est vouée à étendre sans cesse les droits des individus. Elle contraint les hommes à vivre dans un monde d'individus inégaux, alors même qu'elle a posé en principe leur égalité. Elle se condamne donc à rendre sans cesse moins tolérable l'écart entre les promesses [...], les espérances qu'elle suscite et les accomplissements qu'elle offre... » (Préface de Mona Ozouf dans François Furet, La Révolution française, Quarto Gallimard, Malesherbes 2007, p. XXI.)

 

« Aussi est-elle (la démocratie) une idée sans terme prévisible, exposée à la surenchère, et ouverte à toutes les dérives passionnelles: ce qui laisse prévoir que le répertoire des passions révolutionnaires est loin d'être fermé,» ajoute Mona Ozouf.

 

Si les droits de l'homme proclament l'égalité, c'est pour organiser la libre concurrence entre eux et les forcer à se combattre, car cela est bon pour le marché. La démocratie en quelque sorte rétablit les combats de gladiateurs, non plus à l'échelle de l'arène mais à l'échelle du marché. Elle contraint les hommes à vivre dans un monde d'individus toujours plus inégaux, et d'inégalités sans cesse croissantes. L'égalité des uns présuppose comme condition préalable l'inégalité économique et sociale des autres ! Belle réussite du marché, mais impasse totale des principes de 1789.

 

"Les Modernes ont 'l'obsession du bonheur' devenu à la place du salut, la fin légitime de l'État..." (Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 108-109)

"Dans [...] les déclarations des droits de l'homme et du citoyen du 29 août 1789, [...] il s'agissait d'abattre l'Ancien Régime dans ses fondements institutionnels et sociaux,  (Le salut n'est plus la fin de l'homme ni de la société, mais son bonheur, désormais obligatoire"[...] les rédacteurs [...] ont voté des textes programmatiques synthétisant les principaux apports idéologiques du XVIIIe siècle. Ils ont emprunté à Locke et à Rousseau leur idée sur le pacte social et [...] à Grotius la laïcité." (Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 859.)

 

Nous l'avons vu, la "liberté" de la déclaration des droits de 1789, elle-même, purement matérielle, n'est pas sans limites. Comment une telle "liberté" contingente, peut-elle fonder durablement une société, sans l'apport d'une liberté métaphysique ? 

 

Burke (1729-1797) et Jacobi (1743-1819) dénoncent une absence d'empirisme et une ignorance du rôle des traditions dans la constitution de l'identité politique; ils critiquent la philosophie des droits de l'homme en soulignant son abstraction et ses incohérences : l'erreur de méthode consiste à déduire le droit de principes a priori (la liberté). Cela ne permet pas de penser la véritable justice qui est équité (Jacobi), ni de respecter l'humanité d'un homme, comme le dira Arendt (1906-1975) qui leur opposera le droit à la différence (L'impérialisme; Le Système totalitaire, in Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 766.)

Jacobi, critique à l’égard de la Révolution française, voyait en outre en celle-ci la contrepartie politique du nihilisme qu’il associait au rationalisme.

 

Parallèlement à l'incohérence de la liberté a priori comme fondement du droit, une autre incohérence surgit : "Comment, à partir de la liberté de l'homme défini comme un ayant-droit, peut-on penser la fraternité des hommes ? [...] Celle-ci n'est-elle pas l'enfant pauvre des droits de l'homme dont l'inflation résulte d'une dialectique entre la liberté et l'égalité où la solidarité n'est présente que comme une parure, simple vestige de la responsabilité et de la vertu auxquelles devraient renvoyer par delà la référence à Paul (Galates 3,28) l'idée d'une humanité unie ? (Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 766.)

 

"[...] L'individualisme et le matérialisme sont-ils une perversion ou un résultat de la philosophie des droits de l'homme, le point d'aboutissement logique de l'humanisme moderne ? [...] Telles sont les questions qui montre l'actualité de la pensée de Leo Strauss (1899-1973) [...] Il montre que le véritable point de rupture entre Anciens et Modernes concerne une définition de l'homme, [....] une vision où l'humanité est seule maîtresse de son destin : en l'absence d'une Providence bienveillante et d'un Dieu compatissant, [...] l'homme Hobbésien trouvera dans la science qui est propter potentiam, et dans la science politique les seuls moyens lui permettant de s'orienter dans un monde qui n'est pas fait pour son salut." (Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 767.)

 

Comment s'étonner du désastre ? La liberté considérée comme le fondement du droit ('Le droit est la liberté', affirme Hegel) est-elle (de ce point de vue de son incohérence avec l'égalité et la fraternité), le meilleur fondement du droit comme le signifie la Déclaration de 1789 ? 

 

Comme toute les idéologies fondée sur des principes abstraits, la philosophie des droits de l'homme ne supporte pas la différence; elle est par essence anti-démocratique.

 

"Le droit au bonheur (sans Dieu) [...] dans l'inflation des droits [...] ne contient-il pas en germe la dissolution de l'idée de justice par une idéologie de l'épanouissement individuel qui rappelle le Meilleur des Mondes de A. Huxley et les dérives totalitaires de l'humanisme moderne ?" (Dictionnaire des Droits de l’Homme, Quadrige / Puf, Paris 2008, p. 109)

 

''C'est notre liberté qui produit l'inégalité. L'égalité ne saurait se produire que dans la servitude. […] Ne sachant du christianisme que les mots, la Révolution ne cessait de dire : Liberté ! Egalité ! sans voir que la liberté détruit l'égalité. […] Jamais il n'y a eu plus d'inégalité dans les conditions que depuis la Révolution française, soit à cause des fortunes énormes promptement faites dans l'industrie, soit à cause du paupérisme que celle-ci laisse sur son chemin. [...] L'erreur où la Révolution prend sa source ne manque pas de dire que tous les hommes sont égaux. Dieu, effectivement, ne fait acception de personne, et tous les hommes sont égaux en dehors du mérite. Mais, ni devant Dieu, ni devant l'homme, ils ne sont égaux en mérite.. Tous ont un droit égal à la justice et à l'estime, mais tous, en raison de leurs actes, n'obtiennent pas le même arrêt de la justice ni le même accueil de l'estime. Nous demandons donc avec raison la liberté ; acceptons-en les conséquences ! Fiers de ce que le Créateur, par ce noble moyen, pose le pied de l'homme à l'échelle des perfections immortelles.'' (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 233.)

 

Un livre paru en 2020, de l'historien italien Aldo SCHIAVONE, intitulé "Une Histoire de l'égalité, Leçons pour le XXIe siècle", traduit de l'italien par Giulia Puma, Fayard (L'épreuve de l'histoire, Saint-Amand-Montrond 2020, p. 153; 161-165) évoque lui aussi "la contradiction insurmontable que 1789 laissa en héritage au XIXe siècle, ... jusqu'à nous."

"Émergeait ainsi en pleine lumière, dès les formules sèches de ce texte, ... ce que François Furet pointait comme le grand dilemme du XVIIIe siècle : comment penser la sociabilité - c'est-à-dire plus exactement, le lien, la connexion, le commun - ... en partant uniquement de l'individuel, de la singularité, de la solitude du fragment.

"'La richesse et la pauvreté étaient destinées à disparaître dans un régime d'égalité', lit-on dans un décret de la ville de Paris en novembre 1793, et : 'Il ne faut plus ni riches ni pauvres. L'opulence est une infamie,' dirait Saint-Just cette même année. ... Montesquieu et Rousseau - daccord sur ce point - avaient raison. La démocratie, pour être effective, avait besoin d'une égalité qui dépasse le seul plan des droits, pour arriver à toucher la substance de la vie matérielle des citoyens.

"... Une égalité comme celle projetée en 1789 ... tendait à être rendue vaine, pour ce qui est de son effectivité...

Mais si le problème existait vraiment..., la voie choisie pour le résoudre était tragiquement erronée. Cette dernière imaginait que pour en voir le bout il suffisait d'armer le pouvoir - d'un pouvoir inouï - une avant-garde révolutionnaire, auto-persuadée d'agir au nom de la nation tout entière, et d'imposer, au moyen de son commandement, la politique et la volonté dont il était l'expression, en dehors duquel ne pouvait exister aucun espace de salut, aucune marge autonome de l'humain." Dans ce livre, Aldo Schiavone tente de trouver une solution à la contradiction fondamentale de la déclaration de 1789 : "Si l'individuel demeure la seule forme avec laquelle concevoir l'humain [...], comment concilier la pleine valorisation avec une égalité qui dépasse le niveau d'une parité formelle uniquement politique et juridique ?" (Aldo Schiavone, Une Histoire de l'égalité, Leçons pour le XXIe siècle", ibid.,p. 283.) "La construction de l'individu moderne, cuirassé dans ses libertés - auxquelles ont contribué organisation capitaliste, tradition chrétienne et pensée libérale puis démocratique - reste peut-être la conquête la plus importante d'un parcours d'émancipation auquel l'Occident a voué la meilleure partie de lui-même.

"Si nous définissons l'humain uniquement par l'individuel, son universalité - aussi emphatisée soit-elle par la tradition moderne et son arrière-plan chrétien - en pâtit forcément, et risque de se réduire à tout instant à une construction seulement abstraite. Afin d'écarter ce danger, deux voies ont été suivies. La première a fini par attribuer à l'Etat - comme c'est le cas de la pensée de Hegel, qui représente, à cette aune, l'apogée de la modernité chrétienne-bourgeoise - un rôle de conciliation et de producteur d'éthicité. [...] L'autre a déplacé, au contraire, cette instance de réunification supérieure au-delà du plan de l'histoire, dans un royaume des cieux théologiquement inféré, lieu exclusif où l'on trouverait la plénitude de la vérité et de la vie.

 

Mais si on parvient plutôt à construire et à articuler, tout en restant bien dans l'horizon de l'histoire, une forme alternative de l'humain, les choses changent. Une figure qui ne se confonde ni avec le 'je' de l'individuel ni avec le 'nous' de la tradition rousseauiste-socialiste, mais avec l'impersonnalité du 'il', [...] qui à l'extérieur de tout homme, permet à chacun d'exister et de penser, et de ne pas se noyer dans la prison d'une autoreprésentation sans fin. [...] Tout l'effort des mystiques a toujours visé à obtenir qu'il n'y ait plus dans leur âme aucune partie qui dise 'je'. Mais la partie de l'âme qui dit 'nous' est encore infiniment plus dangereuse.' (Simone Weil, La Personne et le sacré, 1942-43, paru en 1950, Paris 2017, p. 37) Au contraire, elle finirait même par en perpétuer les effets, en se limitant à juxtaposer les individualités [...] sans les dépasser si ce n'est en surface, en croyant les unifier à travers le seul lien de la sérialité du travail à l'usine..." (Aldo Schiavone, Une Histoire de l'égalité, Leçons pour le XXIe siècle", ibid.,p. 309-311.)

"Il est certain que les inégalités imprévues qui ont soudain vu le jour dans les sociétés occidentales [...] ont eu un poids décisif. Il faut injecter des idées dans la démocratie, et ne pas la considérer comme une forme immuable, la 'fin de l'histoire', le lieu d'une vérité acquise pour toujours, mais simplement un mécanisme imparfait, fruit d'une combinaison instable entre éléments hétérogènes. [...] Une seule réponse, totale et définitive, n'existe pas. Il n'y a pas de proportion idéale - une espèce de règle d'or - à trouver et à mettre en pratique, valable dans toutes les situations. [...] Si nous essayons de [...] réduire l'égalité démocratique à l'intérieur de ses frontières strictement formelles, [...] - droits politiques, parité des citoyens face à la loi, et rien d'autre - nous empruntons une impasse

"[...] Le moment est venu de commencer à penser un nouveau pacte d'égalité pour sauver le futur de la démocratie. [...] Un pacte d'égalité qui sache se transformer en programme politique [...] et qui parle non pas de la parité des individus, mais de la divisibilité [...] de certaines choses, de certains biens, matériels et immatériels, à commencer par le bien que constitue la vie, à partager équitablement entre tous les vivants. [...] 

"À la dernière page de La Personne et le sacré, [...] Simone Weil [...] se demande si, au fond, il est bien vrai que le Dieu-Personne de la tradition chrétienne ne laisse pas de place à la pensée de l'impersonnel - une question qui parcourt silencieusement la pensée du philosophe allemand (Hegel). Et elle conclut qu'une jonction est concevable. À l'appui, elle cite le texte de Matthieu 5,45 : 'afin de devenir fils de votre père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes', considérant ce passage comme un exemple limpide de l'allusion évangélique à un 'ordre impersonnel et divin de l'univers', et donc à la possibilité que la figure de Dieu et celle de l'homme puissent se retrouver au-delà d'une théologie de la personne conçue comme dénuée d'alternatives. Je crois bien qu'elle avait raison."  (Aldo Schiavone, Une Histoire de l'égalité, Leçons pour le XXIe siècle", ibid., p. 331-332.)

 

Antoine de Rivarol

Le rêve du retour à l'état de nature de Jean-Jacques Rousseau se transforme en cauchemar de la concurrence de tous contre tous et à la loi du plus fort ! Antoine de Rivarol avait vu qu'avec les droits de l'Homme on obtiendrait le contraire de ce que la république se proposait : le retour de la barbarie.

 

« Principes désorganisateurs » disait l'abbé Barruel, qui devaient conduire à la destruction de toute autorité et de toute religion dogmatique et au rétablissement des droits imprescriptibles de l'homme primitif... C'est en fait un retour à l'Âge des cavernes, à l'état anarchique, primitif et barbare : la loi du plus fort; une incroyable régression.

 

« Là où la religion est bannie de la société civile, et la doctrine et l'autorité de la révélation divine rejetées, la vraie notion de la justice et du droit humain s'obscurcit et se perd, et la force matérielle prend la place de la justice et du vrai droit » (Pie IX, Lettre Encyclique Quanta Cura, Rome 8 décembre 1864.)

 

« Loin d'avancer indéfiniment dans la voie du progrès, comme l'on a accoutumé de s'en vanter, l'humanité semble retourner à la barbarie ! » (Pie XI, Encyclique Urbi arcano, 1922)

 

« Revenir à Dieu, c'est revenir à la civilisation; c'est en finir avec l'horreur, le chaos et la barbarie ! » (Anne Bernet, Revue Fideliter, Janvier-Février 1996, N° 109, p. 74.)

 

Toutes les crises que nous connaissons dans la société (crises de l'autorité à l'école, refus d'obéissance des enfants, crises éducatives, crises morales, crises culturelles et même crises économiques, etc.), toutes ces crises trouvent leur source dans une seule et même crise, qui est une conception erronée de l'autorité formulée par les Barbares révolutionnaires et leurs principes désorganisateurs de 1789.

 

Dans ces conditions il n'est pas surprenant d'apprendre que lors de l'élaboration de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, rien de la déclaration des devoirs qui devait y être intégrée ne subsista dans l'adoption du document final. (Source : Stéphane RIALS, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Pluriel Inédit, Hachette, La Flèche 1988, p. 15.)

 

Si l’on veut rétablir l’ordre naturel chrétien, supprimer le désordre maçonnique, et refonder la société sur ses bases naturelles (et donc pérennes), on pourrait commencer par supprimer la conception erronée de l'autorité issue de 1789, et affirmer clairement que l'autorité vient de Dieu et non du peuple. (Cf. Dieu, principe et modèle de toute autorité). La démocratie comme "religion" horizontale est une impasse qui conduit à la destruction de la société; les droits de l'homme de 1789 dans leur article 3 conduisant à la mort de la société par un retour inévitable à la barbarie.

 

Dans son Du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau, utilise le terme de « démocratie » dans son sens sens originel pour désigner la démocratie directe, exercée sans intermédiaires par l'ensemble des citoyens. Il avait vu juste en rapportant cette fatalité de la démocratie représentative : « la souveraineté ne peut être représentée » :  « Le peuple anglais pense être libre; il se trompe, il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement; sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les cours moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite qu'il la perde. » (J.-.J Rousseau, Du Contrat social, 1762, Oeuvres Complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1964, III, p. 429-430.) 

 

« 'Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation', dit la révolution. [...] L'ordre des sociétés politiques est réglé par les lois premières, aussi indépendantes de la volonté de l'homme, générale ou particulière, que le sont les lois qui règlent l'ordre du firmament. L'harmonie, l'accord, le bien-être du corps social sont assujettis à des lois aussi nécessaires en elles-mêmes, que le sont les lois qui font le bien-être et la santé du corps physique, ou qui distinguent le concert du charivari. On peut par ignorance ou par mauvais vouloir méconnaître et violer les unes et les autres; on n'empêchera pas que l'effet ne soit une perturbation, perturbation souvent mortelle, ou qui finira par le devenir. La plus grande injure qu'on puisse faire à un pays, c'est d'affirmer qu'il est représenté par des hommes qui donnent comme des principes incontestables les palpables absurdités que nous venons d'indiquer.

« [...] Tous les législateurs qui n'ont eu que des lumières purement humaines ont manifestement fort mal résolu le problème. Un signe d'horreur est empreint sur toutes leurs législations. ils ont broyé, écrasé la partie la plus nombreuse du genre humain, celle des faibles. Ils l'ont mise sous les pieds des forts, d'une minorité; ils ont gardé ou introduit l'esclavage: esclavage des vaincus, des enfants, des femmes. À vrai dire, ils ont établi des règles destinées au petit nombre seulement; ils ont légiféré pour régler comment les grands se partageraient les petits et conserveraient la proie. Barbares et homicides, ils ne sont pas des législateurs.

« [...] La déclaration n'est pas seulement en opposition avec la raison et la foi; elle est en contradiction avec ses propres principes. » (Père J.-B.-J. Ayroles, Jeanne d'Arc sur les autels et la régénération de la France, 1885, Rééd. Éditions Saint-Rémi, Cadillac 2009, p. 254, 257, 258)

Mensonge l'article 4 qui dit que « les bornes (de la liberté) ne peuvent être déterminées que par la loi » (humaine). Elles ne peuvent être déterminées que par la loi de Dieu qui seule établit la distinction entre le bien et le mal, le permis et le défendu, le possible et l'impossible.

Par exemple, mensonge la loi qui déclarerait libre le divorce, le « mariage » homosexuel, donc mensonge de dire que la loi humaine détermine les « bornes » de la liberté.

Une gravure de Legrand, conservée à la Bibliothèque nationale, illustre la « loi sur le mariage et le divorce » autorisant le divorce en France, adoptée le 20 septembre 1792 par l'Assemblée nationale (jour de la proclamation de la « république »). La gravure, reproduite ci-dessous, montre « le mariage et le divorce républicain en forme de tables du Sinaï, tables de Moïse, surmontées du bonnet rouge, une sorte de déesse portant flambeau et couronnant les jeunes mariés, un simulacre d'autel où officie un fonctionnaire, un soldat en armes surveillant la scène. Tel sera le "mariage républicain". La Révolution voudra répudier le catholicisme; elle cherchera à lui substituer ses propres rites, imités de la liturgie chrétienne. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, sous la direction de Jean Dumont, L'Église des Révolutions, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 12.)

La société de l'injonction au bonheur ou du bonheur obligatoire : penser l'impasse des droits de l'homme
Moïse portant les Tables de la loi

Le divorce fut conservé par les rédacteurs du Code civil, puis abrogé sous la Restauration par la loi du 8 mai 1816. Il ne fut rétabli que sous la Troisième République, avec la loi du 27 juillet 1884. 

 

Mensonge l'article 5 qui dit que « tout ce qui n'est pas défendu par la loi (humaine) ne peut être empêché ». Ce qui n'est pas « défendu » par la loi humaine, peut être « empêché » par la loi divine. Le paganisme par exemple, non empêché par la loi humaine est formellement interdit par le 7e commandement de Dieu. Le divorce est interdit par les 6e et 9e commandement de Dieu. Dernier exemple : le vol des biens de l'Église en 1905, n'est-il pas interdit par la loi de Dieu ? « Non furtum facies » (Tu ne voleras pas. Exod. 20:15).

 

Mensonge l'article 6 qui dit que « la loi est l'expression de la volonté générale », que par conséquent le nombre crée le droit. La loi ne peut être que l'expression de la volonté de Dieu, qui n'a souvent rien de commun avec la volonté générale. (Abbé Vial, Jeanne d'Arc et la Monarchie, 1910, réed. Editions Saint-Rémi, p. 33-40, 561)

« Définir la loi comme l'expression de la volonté générale, (c'est) affranchir le législateur du respect d'un ordre naturel supérieur. L'ordre juridique tout entier se trouve ainsi sécularisé.

[...] L'affirmation du caractère de cette souveraineté marque un renversement complet de l'ordre du monde : le pouvoir ne vient plus d'en haut mais d'en bas. Dès lors, le souverain est affranchi du respect d'un ordre juridique supérieur extérieur à sa volonté. La définition de la loi s'en trouve radicalement bouleversée.

[...] La loi ne se définit plus en fonction de sa finalité mais en fonction de son origine. La loi n'est plus l'acte qui participe au règne de la justice mais l'acte qui exprime la volonté du souverain... Il y a ici une tension évidente entre l'affirmation de l'existence de droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme,  et le principe légicentriste formulé par l'article 6. L'absence de procédure juridictionnelle de contrôle de la constitutionnalité des lois (d'ailleurs) empêchera de vérifier que les volontés du législateur sont effectivement pleinement respectueuses de ces "droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme". Cette absence est volontaire, comme le montrera le débat du 8 août 1791. Les députés ne veulent pas qu'un organe conservateur de l'ordre constitutionnel vienne faire obstacle à leur volonté souveraine. » (Philippe Pichot-Bravard, Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle), LGDJ, Paris 2011, p. 356-371.) 

« [...] Aucune procédure n'est prévue pour veiller à ce que les pouvoirs constitués respectent les dispositions de la Constitution. Les Constituants n'ont pas établi d'organes conservateur vérifiant la constitutionnalité des lois. »

Dans la préface de l'ouvrage La Machine révolutionnaire, Oeuvres d'Augustin Cochin (textes réunis par Denis Sureau), Patrice Gueniffey, le disciple de François Furet, écrit p. 11 : « le club jacobin [...] accompagne l'abstraction toujours croissante des rapports sociaux au nom d'une égalité en droits théoriquement inclusive, mais aboutissant en fait à la dépossession toujours croissante des individus et au règne, sous le nom fallacieux de "volonté générale", d'une opinion collective factice et impérieuse à la fois : la fabrique du consentement sans la participation ni le consentement de ceux qui devront s'y soumettre ! »

Et Denis Sureau dans son introduction aux Oeuvres d'Augustin Cochin, rapporte ce mot de Cochin (p. 32) : « Au terme de son long travail, Augustin Cochin conclut ainsi : "La France transformée en une vaste loge – l'opinion sociale substituée à l'opinion réelle – le Machinisme à l'autorité reconnue – la liberté de principe et la servitude de fait […] : tels sont bien en effet les caractères du "grand œuvre" qui venait de s'accomplir ! » (A. Cochin, Les sociétés de Pensée et la Révolution en Bretagne 1788-1789, t. I, Paris, Plon, 1928, p. 456.)

 

La France transformée en vaste loge (A. Cochin) : c'était aussi le regard que portait sur les évènements en 1793, Mallet du Pan, ce journaliste calviniste qui, attaché à la propriété, hostile à la bourgeoisie d'argent qui avait pris le pouvoir (10 août 1792) écrivait, dans un style aussi vif que celui de Cochin : « la France est une vaste caserne : tous les révolutionnaires sont soldats ou destinés à le devenir; de gré ou de force, pour l'intérêt même de leur sûreté, les mécontents et les opprimés seront obligés de dévouer leurs armes à la défense de leurs tyrans. Une Convention décrétante et des camps, voilà le régime de la République française: les Représentants du peuple ne sont pas autre chose que les Représentants de l'armée; leur principale fonction est de voler d'une main, et de partager de l'autre leurs vols avec les soldats. Ainsi en usait Cartouche; mais Attila et Mahomet, les Beys des Mameluks et les Sheiks d'Arabes bédouins fondèrent aussi leur autorité sur des procédés analogues ! Les Huns et les Hérules, les Vandales et les Goths, ne viendront ni du Nord ni de la Mer noire, ils sont au milieu de nous.» (Mallet du Pan, Considérations sur la nature de la Révolution française, 1793, rééd. Editions du Trident, Paris 2007, p. 58.)

 

« Si la loi était l'expression de la volonté générale, il serait à peine nécessaire de l'écrire. Il n'y aurait qu'à laisser faire la volonté générale. [...] La loi expression de la volonté générale ! Le peuple souverain dictant la loi Il aurait donc édicté qu'il dépenserait une partie notable de ses revenus à payer plusieurs centaines de milliers de surveillants, de gendarmes, chargés de lui faire vouloir ce qu'il veut? qu'il hérisserait son sol de prisons destinées à le renfermer et à le punir de ne pas vouloir ce qu'il veut ? Déjà en 1797, un grand ami de la France, Joseph de Maistre écrivait du peuple français :

"Ses maîtres le foudroient en se moquant de lui. Ils lui ont dit : Vous croyez ne pas vouloir cette loi; mais soyez sûrs que vous la voulez; si vous osez la refuser, nous vous tirerons à mitraille pour vous punir de ne pas vouloir ce que vous voulez; et ils l'ont fait." (Considér. sur la France, ch. VIII, p. 126, éd. de 1853).  

 

« C'est ce qui se fait équivalemment depuis une siècle pour une multitude de lois édictées par la révolution. [...] Gendarmes, garnisaires, étaient là pour punir le peuple français de ne pas vouloir ce qu'il voulait. Comme l'on surprendrait la multitude des paysans et des ouvriers de France, qui forment la volonté générale du pays, si on leur disait qu'ils donnent librement mandat pour payer des centaines de millions o l'Université césarienne, toujours si impopulaire après un siècle d'existence; aux théâtres; aux comédiennes de Paris; et qu'ils consentent volontiers à frustrer pour cela leurs fils, leurs filles, leurs femmes, d'un bien-être qui ne serait pas du superflu ! La volonté générale aurait donc statué que, de tous les peuples de la terre, le citoyen français seraient notoirement le plus imposé !!! Quelle lumière quand on rapproche le gros des faits des prétendus principes de la déclaration (des droits de l'homme). Elle ne promet avec plus de solennités et d'ampleur, que pour dénier d'une manière plus cynique et effrontée. » (Père J.-B.-J. Ayroles, Jeanne d'Arc sur les autels et la régénération de la France, 1885, Rééd. Éditions Saint-Rémi, Cadillac 2009, p. 260-262.)

 

Le mensonge du peuple

 

«Le 14 juillet 1789 : Spontanéité avec préméditation.

Les thèses "révisionnistes" [...] à propos de la prise de la Bastille [...] ont été formulées dès la fin de l'année 1789 et pendant la Révolution elle-même; elles ont été réétudiées par des historiens comme Lombard de Langres (Des Jacobins, depuis 1789 jusqu'à nos jours, Paris 1822), Taine, au XIXe siècle, Frantz Funck-Brentano (qui possède un fonds remarquable des papiers de la Bastille, dont le registre d'écrou, et écrivit un livre sur les évènements de juillet: La Prise de la Bastille, Paris, Fontemoing, 1899), plus explicitement encore par Gustave Bord (La Prise de la Bastille et les conséquences de cet évènement en province, Paris, 1882), plus tard par Bernard Faÿ, Pierre Gaxotte (La Révolution française, Paris 1928) ou Jean Mistler. À la suite de la plupart des contemporains des évènements, amis ou ennemis du "peuple", tels Montjoie, Marmontel, le marquis de Ferrières (Mémoires pour servir à l'histoire de l'Assemblée constituante et de la Révolution de 1789, Paris an VII, et Mémoires du marquis de Ferrières, 3 vol., Paris 1821), Sourdat (Les Véritables auteurs de la Révolution de France de 1789, Paris 1797), Barruel, Dusaulx lui-même, [...] [Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, Lardanchet, 1950], ces thèses soulignent toutes la préparation de l'émeute par des "factions".» (Jean-Pierre et Isabelle Brancourt, historiens, professeur à l'université de Tours et chargée de recherche au CNRS, dans Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008,  p. 35-36.)

Dans son avant-propos à son ouvrage "Le Quatorze juillet" (Lardanchet 1950, p. 7), Pierre Dominique précise que « la réaction populaire [...] est conduite par des éléments politiques correspondant à ce que nous appellerions aujourd'hui la Gauche et l'Extrême-gauche et qui se groupent autour du duc d'Orléans avec, à l'arrière-plan, la franc-maçonnerie. »

« Le duc d'Orléans [Grand maître du grand Orient de France, cousin de Louis XVI] a pour lui sa fortune. C'est le plus riche seigneur du royaume. [...] En ce début de la Révolution, il paie à bureaux ouverts les journalistes, brochuriers, libellistes de tout Paris et de tout Versailles, les crieurs, parleurs, aboyeurs qui remplissent les cafés, les coupe-jarrets dont il a des dizaines à sa solde et que se chargeront de recruter en payant à boire et, le moment venu, d'encadrer les braillards dans la rue. [...] Il sait agir sur le peuple autrement qu'en le payant; il lui retire son pain, le lui redonne. Comment ? En pratiquant l'agio sur les blés; Montjoie le dit, qui est royaliste, il est vrai, mais Malouet confirme : "Les agents du duc d'Orléans faisaient aussi sur cet objet (les blés), leurs spéculations; ils faisaient vendre et acheter en divers lieux suivant qu'ils avaient besoin de la faveur ou des fureurs de la populace." On l'accusa même d'avoir fait courir de fausses circulaires, signées Necker, arrêtant les approvisionnements sur Paris du 20 avril au 15 mai, au moment où se réunissaient les États généraux.

[...] Les frères se tiennent, marchent en ordre, murmurent leurs mots de passe, suivent aveugklément leurs chefs. le pouvoir ne peut rien contre cette organisation souterraine. Il peut d'autant moins qu'elle pénètre Cour, qu'elle est maîtresse à Versailles comme à Paris. [...] Dès 88, les Maçons avec toujours en bouche les grands thèmes d'ordre et de centralisation, sont la colonne vertébrale du parti national, de ce parti dont LaFayette est le dieu, qui vit des idées politiques anglaises et américaines.

[...] L'opposition secrète de la maçonnerie à la Monarchie traditionnelle se trouve ainsi secrètement manoeuvrée par l'Angleterre, alors que l'Angleterre battue dans une guerre précédente, a sa revanche à prendre sur terre et sur mer. Grave sujet de méditation pour un patriote, mais les patriotes de l'époque ignorent tout cela: ils marchent la tête dans les nuées. » (Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, Lardanchet 1950, p. 30, 34-35.) « Louis XVIII pourra écrire à Saint-Priest : "Je crois que le ministère britannique a fomenté et peut-être payés les commencements de la Révolution. » (Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, Lardanchet 1950, p. 216.) « Les Financiers, Laborde, Dufresnoy, d'autres, qui ont pris position à la hausse et pour qui Necker c'est la hausse, paient d'honnêtes contributions; on a de quoi acheter qui l'on veut...» (Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, ibid., p. 62.) « Aussitôt les banquiers ouvrent plus large que jamais leur caisse aux révolutionnaires; toute la finance prend position contre le Roi.[...] "Il paraît même, dit Mme de Staël, qu'on avait fait distribuer parmi le peuple des imprimés qui annonçaient que M. Necker était la cause de la cherté du pain parce qu'il avait accablé le peuple d'impôts et amassé du blé..." » (Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, ibid., p. 77-79.)

« Rivarol accuse [...] les banquiers Laborde de Méréville, Boscary et Dufresnoy, entre autres, d'avoir "soudoyé" l'émeute. Delessert fournit un témoignage en ce sens. (Voir Jacques Godechot, La Prise de la Bastille, p. 249, dans Jean-Pierre et Isabelle Brancourt, Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008, p. 43)

«[...]Tandis que le duc conspirateur se voyait cantonné au rôle de pourvoyeurs de fonds, le déroulement des émeutes de juillet 1789 rend saisissante la présence continuelle de membres des loges à tous les échelons de l'action, et dans toutes les initiatives importantes : les noms que l'on connaît des chefs ou meneurs, [...] des délégués du Comité permanent de la commune qui constituèrent des ambassades auprès de Launay, [...] des chefs de la milice bourgeoise, dont La Fayette, à partir du 15 juillet, est le plus illustre, tous ces noms, confrontés aux listes des loges conservées au Fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale de France, révèlent une étrange similitude. Bertrand de Molleville put ainsi affirmer : "C'est dans une séance de la loge des Amis réunis que fut décidée la prise de la Batille." (B. de Molleville, Histoire de la Révolution de France, t. I, p. 27). Cette préparation systématique est confirmée par l'innocent Dusaulx [homme de lettres et homme politique français. Membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, traducteur de Juvénal et disciple de Rousseau] qui confesse: "Le gros du peuple ne se doutait pas que l'on allait marcher sur la forteresse, mais il est certain que la prise de la Bastille avait été projetée." (Dusaulx, De l'Insurrection parisienne et de la Prise de la Bastille, 1790, p. 24.)

[...] L'appartenance des chefs du tiers au "parti patriote", est-elle [...] un secret ? Bailly, Sieyès, Le Chapelier, Mirabeau, La Fayette, [...] Guillotin, tous appartenaient à la loge parisienne des Amis réunis. [...] Tous furent les personnages clés de ces évènements de juillet. » (Jean-Pierre et Isabelle Brancourt, Le Livre noir de la Révolution française, Cerf, Paris 2008,  p. 41, 49.)

 

Dans sa Conférence "Fondements idéologiques et légitimité du pouvoir" donnée le vendredi 21 février 2014, Philippe Pichot-Bravard explique que « le Club des Jacobins était un réseau de sociétés affiliées (maçonniques) et donc un puissant moyen de manipulation de l'opinion. » Il dit l'avoir « constaté cela à plusieurs reprises en consultant les archives parlementaires ». « Avant chaque coup de force, avant chaque mouvement un peu brusque, le 10 août 1792, le 31 mai 1793, lors de l'élimination des Girondins, on assiste à une préparation psychologique de l'opinion par le biais des sociétés affiliées. Le Club a donné des consignes: faites remonter à l'Assemblée des pétitions demandant telles et telles choses. Ainsi, le 10 août, nous demandons la déchéance du roi, le 31 mai nous demandons l'élimination des Girondins. En août-septembre 1793 on recommence... - et là c'est génial... - on vient élaborer une constitution... La constitution a été ratifiée par referendum. 75% des gens n'ont pas voté, mais les autres ont voté... Or les Girondins qu'on a éliminés, aux élections ils vont revenir à l'Assemblée avec des royalistes qui eux aussi auront été élus. Les Jacobins n'ont pas fait tout ça pour ça ! Donc il faut trouver un tour de passe-passe pour que la constitution ne puisse pas être mise en oeuvre. Comment fait-on ? Et bien, consignes aux sociétés (maçonniques) locales et les pétitions qui remontent 15 jours après la proclamation de la constitution ! Et elles disent toutes la même chose ! "Que la Montagne reste à son poste, et notre triomphe est assuré !" On retrouve cela partout. Alors évidemment "la société populaire de" ne dit pas la société populaire, elle dit "le peuple d'Angers" ou "la société populaire et les citoyens d'Angers". D'ailleurs ce n'est pas complètement faux puisque dans le discours révolutionnaire, le peuple ce sont les militants révolutionnaires. Les autres, ce ne sont pas le peuple : ce sont les "ennemis du peuple" ! La seule chose c'est que sur 30000 habitants, ils sont 30. Mais à 30 ils sont "le peuple" ! 

On crée donc un mouvement d'opinion artificielle, avec quelques centaines de pétitions, et avec ce mouvement, on justifie le coup de force qui est prévu depuis le départ (!), mais qui fait mine de s'appuyer sur une demande du peuple populaire... On l'a fait pour le 10 août 1792, pour la déchéance du roi, le 31 mai et le 2 juin 1793pour l'élimination des Girondins, et on le fait le 10 octobre 1793 pour la suspension de la Constitution et l'établissement du gouvernement révolutionnaire, qui donnant aux Jacobins les moyens d'action va mettre en place ce programme de régénération qui est vraiment le coeur du dessein révolutionnaire depuis 1789, c'est-à-dire faire naître un monde nouveau, régénérer la France et régénérer l'homme pour rendre cet homme compatible avec ce monde nouveau ! »

Dans cette conférence, à la question de l'entrisme dans les partis politiques existant pour changer le système de l'intérieur, Philippe Pichot-Bravard, lucide, répond qu'il ne croit pas trop à cette thèse : « Je suis assez méfiant avec tout ça, parce que les règles sont faites pour empêcher le pays réel de faire ce que vous dites. Le jour où le pays réel aura peut-être, de ce point de vue, une carte à jouer, et bien les règles seront changées pour qu'il ne parvienne pas au pouvoir. Le bon terrain : il faut reprendre les hiérarchies des priorité, il est d'abord spirituel. Il est ensuite culturel. Il faut mener cette action culturelle, réveiller les esprits. » Le combat est spirituel et culturel, c'était déjà le constat de Louis XVI.

 

Le nouveau pouvoir fondé sur la souveraineté populaire n'accepte pas le résultat des élections

 

Afin de conserver le pouvoir, l'oligarchie jacobine donne du canon et fait tirer sur le peuple qui vote royaliste. À Paris, le gouvernement révolutionnaire appelle l'armée à venir le secourir les 1er avril et 20 mai 1795, la troupe s'oppose à une révolte populaire. Dans l'une et l'autre journée, les soldats sont commandés par des généraux « suspects » de sympathie royaliste (Pichegru, puis Menou). Le 13 vendémiaire an III (5 octobre 1795), les soldats commandés par Barras et Bonaparte répriment une insurrection royaliste. Bonaparte, est nommé général en chef de l'armée de l'Intérieur.

Jean-Charles Pichegru

Deux ans plus tard, les royalistes sortis vainqueurs aux élections, le gouvernement révolutionnaire est de nouveau menacé. Le 20 mai 1797, le général royaliste Pichegru obtenait la présidence du Conseil des Cinq-cents et Barbé-Marbois celle du Conseil des Anciens. Le tirage au sort élimina Letourneur du Directoire. Et le 26 mai le royaliste Barthélemy était élu comme directeur en remplacement de Letourneur. (Jean Tulard, J.F. Fayard, A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1899, Bouquins, Robert Laffont, Paris 2004, p. 391.) 

François Furet narre ainsi les évènements :

« Quand les premières élections du Directoire ont lieu, en germinal (mars-avril) 1797, [...] les royalistes prennent le contrôle des assemblées, le général Pichegru préside les Cinq-Cents, Barbé-Marbois les Anciens. Ils votent l'abolition de la loi du 3 brumaire an IV et quelques mesures adoucissant le sort des prêtres réfractaires;

les émigrés [...] ont commencé à rentrer par petits paquets, profitant d'une procédure de "radiation" de la liste fatale qui les rendait passibles de la peine de mort prévue par une loi de la Convention.

Va-t-on vers une restauration ? [...] ceux qu'on appelle les "jacobins blancs", Pichegru, Imbert-Colomès, Willot sont décidés au coup d'État pour ramener Louis XVIII et l'émigration. 

[...] Au Directoire, [...] est prêt au coup d'État pour défendre la Révolution : Reubell [...], [l]'ancien député du Tiers-État de Colmar à la Constituante, [...] représentant aux armées, investit dans la défense de la République et des frontières naturelles [...] est rejoint par Barras qui a [...] pris langue avec l'armée d'Italie et son choix est fait au printemps 1797, quand un de ses amis ramène de Milan, transmise par le général en chef, la nouvelle que Pichegru est au service de Louis XVIII. [...] La seule grande force [...] au service de la République est désormais l'armée, qui vient de se couvrir de gloire en Italie.  [...] C'est Hoche, à la tête de l'armée de Sambre et Meuse, qui fournit le coup de main décisif, en faisant marcher neuf mille hommes vers Paris en juillet, sous le prétexte d'un transfert de troupes vers Brest. [...] Dans la nuit du 17 au 18 fructidor (4 au 5 septembre 1797), Paris est occupé militairement. Augereau (bras droit de Bonaparte) arrête Pichegru et ses amis des Conseils » (François Furet, La Révolution française, ibid., p. 415), ainsi que des députés et des journalistes royalistes. Le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), le Directoire, pressé par Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, a donc fait contre le peuple qui a mal voté un coup d'État. Belle preuve de liberté de penser, belle marque de respect pour le vote et la démocratie, belle preuve de loi « expression de la volonté générale » ! On aura en outre remarqué que le seul « complot » autorisé, le seul « complot » qui existe, est le complot royaliste :

[...] Au matin du 18, une grande affiche-proclamation du Directoire-croupion annonce aux Parisiens et au Pays qu'un complot royaliste a été brisé, et que tout individu coupable de vouloir rétablir la royauté ou la Constitution de 1793 sera fusillé sans jugement !... » (François Furet, La Révolution française, Penser la Révolution française, Quarto Gallimard, Malesherbes 2007, p. 415.) [4]

 

Augereau au pont d’Arcole, 15 novembre 1796 par Charles Thévenin

 

« Ce qu'on peut réunir des Conseils siège dans la journée (18 fructidor, 4 septembre 1797) et celles qui suivent pour voter des mesures de "salut public" : l'annulation des "mauvaises" élections, qui exclut un tiers du Corps législatif, la déportation en Guyanne de cinquante-trois députés et de deux Directeurs, Carnot et Barthélémy, plus quelques royalistes notoires. Le Directoire – ce qu'il en reste – casse en même temps les élections des pouvoirs administratifs et judiciaires locaux, désormais à sa discrétion. La presse est muselée. Enfin, une série de textes frappent à nouveau les émigrés et les prêtres réfractaires, passibles de la peine de mort ou de la déportation. 

[...] Comme le 2 juin 1793, le 18 fructidor an V (1797) est un coup d'État antiparlementaire, une épuration de la représentation du peuple au nom du salut public. [...] La différence principale tient à ce que, dans le rôle de bras séculier de la Révolution, les sans-culottes ont été remplacés par l'armée. Barras et Reubell triomphent, mais en débiteurs des généraux. Hoche meurt inopinément en septembre, mais un petit général corse, devenu déjà une gloire de la nation en conquérant l'Italie, peut à son tour faire figure de sauveur. [...] Michelet l'imagine royaliste, parce qu'au témoignage de Bourrienne, son camarade de l'école de Brienne, il s'exclame que Louis XVI aurait dû faire tirer sur l'émeute, le 20 juin 1792. » (François Furet, La Révolution française, ibid., p. 415-417)

 

En Europe, les républiques soeurs connaissent le même régime militaire. Les généraux font et défont les gouvernements. Ils apprennent ainsi, bien avant le 18 Brumaire (9 novembre 1799), la technique du coup d'État : en 1798, par exemple, Joubert en Hollande, Berthier et Brune en République Cisalpine, Schauenbourg en Suisse. S'ouvre ainsi le temps des « missionnaires armés » dont l'Italie devient le théâtre des stratégies de carrière. L'armée d'Italie fut quelquefois présentée comme un porte-parole tardif de la sans-culotterie, un conservatoire de l'esprit égalitaire, et volontiers déchristianisateur, de l'an II, un réceptacle des idées jacobines. La Banque (les « Régents de la Banque de France », tels que Le Couteulx de Canteleu et Guillaume Mallet, fondateurs de la Banque de France), la haute finance et le commerce deviendront les piliers du Consulat puis de l'Empire. La misère ouvrière au XIXe siècle viendra passablement écorner l'optimisme des Lumières : le progrès du bien-être n'était pas au rendez-vous !

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Le Barbier, 1789, huile sur toile

 

Mensonge l'article 10 qui assure que "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi" : la réalité des persécutions antichrétiennes sous la Révolution, l'élimination des réfractaires, l'extermination en Vendée décrétée par la Convention contredit l'article 10.

Affirmer que toutes les opinions sont également respectables lorsque dans le même temps l'Etat interdit la profession publique d'opinions religieuses (Cf. Clergé assermenté toléré vs clergé réfractaire guillotiné, exilé et banni) ou autres, d'ailleurs, c'est mentir hypocritement.  

En dehors des opinions toujours discutables, il y a des convictions indiscutables, des vérités certaines, acquises, patrimoine de l'humanité, bases des sociétés qu'un gouvernement digne de ce nom ne doit jamais laisser mettre en discussion. Exemple: l'existence de Dieu, audacieusement remplacé dans le préambule de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 par la « présence » et les « auspices de l'Être suprême. »    

Tandis qu'on proclamait la liberté religieuse (article VII de la Constitution de l'an I, 1793), dès « le 28 octobre 1789, "l'émission des voeux dans tous les monastères" fut suspendue : au nom de la liberté individuelle. Le député Treilhard, membre influent de la commission ecclésiastique de l'Assemblée, prépara un décret qui les supprimait; [...] il le fit voter le 13 février 1790. Des officiers municipaux se présenteraient dans les maisons religieuses et demanderaient à chacun ou à chacun des membres de la communauté, s'il désirait sortir ou rester. Ceux qui partiraient recevraient une indemnité, pour vivre. Les religieux fidèles seraient groupés, tous ordres confondus, dans les maisons conservées. Quant aux monastères abandonnés, ils seraient mis en vente, au titre de biens nationaux. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 23.)

La Constitution civile du clergé est votée le 12 juillet 1790, elle réorganise unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église (l'Église constitutionnelle) et en novembre 1790, l'Assemblée impose au clergé de prêter serment à la Nation : belle preuve de liberté de conscience et de laïcité !

L'historien membre de l'Académie française Daniel-Rops avance que « l'affaire du serment allait précipiter le cours des évènements et entraîner la chute de la monarchie, puisque c'est pour sauvegarder sa liberté de conscience que Louis XVI tentera de fuir Paris et la France, se brouillant avec la Révolution. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, sous la direction de Jean Dumont, L'Église des Révolutions, tome IX, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 32.)

Le 29 novembre 1791, les « réfractaires » sont déclarés « suspects de sédition », perdent leur pension et peuvent être exilés sur décision administrative. 

« [...] À l'Assemblée, le Vendredi saint 6 avril (1792), un débat avait commencé sur l'interdiction du vêtement ecclésiastique et la suppression de toutes les congrégations religieuses; le 28 avril, les deux mesures étaient votées. [...] Le 27 mai (1792) la Législative, sur la proposition de Guadet et Benoiston, votait un décret soumettant à la "déportation" (sans jugement) – c'est-à-dire à l'exil – au-delà des frontières tout ecclésiastique que vingt citoyens dénonceraient comme insermenté (dénonciation pour incivisme). [...] Tout prêtre passible de déportation qui serait pris en France serait condamné à dix ans de détention. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 39.) Belle preuve de « liberté » et de liberté religieuse ! Désormais les prêtres se trouvaient directement livrés à la malveillance des dénonciateurs, au bon plaisir des administrateurs.

« Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, l'abbé Barruel écrit : "Dans la Révolution française, tout, jusqu'à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué. » (Jean Ousset, Pour qu'Il règne, Dominique Martin Morin 1986, Niort 1998, p. 220) 

L'abbé Barruel, traqué et poursuivi durant la Révolution dut se réfugier en Angleterre, où il rédigea ses Mémoires en 1796. Jean Ousset écrit à son sujet : « Barruel a eu des révélations directes de plusieurs personnages de l'époque (témoignages de convertis et de pénitents. Ndlr.) et trouvé en Allemagne surtout, des documents de premier ordre (sur les Illuminés de Bavière d'Adam Weishaupt. Ndlr.).

« Pendant l'empire, il (Barruel) se tint à l'écart. Napoléon le soupçonna d'avoir propagé le Bref de Pie VII et le fit emprisonner à l'âge de 70 ans... Il fut inquiété de nouveau sous les Cent Jours. Sur lui pèse bien entendu la conspiration du silence qui poursuit tous ceux qui se sont attachés un peu sérieusement à démasquer les agissements de la Secte. » (Jean Ousset, Pour qu'Il règne, Dominique Martin Morin 1986, Niort 1998, p. 220.)

 

 

Augustin Barruel indique par exemple que la fuite de Varennes fut organisée par la franc-maçonnerie (La Fayette) afin de perdre la monarchie.

Daniel-Rops précise qu'«à Pâques de 1791, le roi, ayant voulu aller à Saint-Cloud recevoir le sacrement des mains d'un prêtre fidèle, la populace, ameutée par le tocsin de Saint-Roch, s'y était opposée. Blessé dans ses convictions les plus profondes, Louis XVI s'était alors résolu à accepter le plan d'évasion qu'on lui proposait depuis déjà longtemps. Le 20 juin (1791), il partait avec toute sa famille, vers la frontière de l'Est, où l'armée des émigrés devait l'accueillir.[...] Lorsqu'à Varennes le maître de poste Drouet eut arrêté la voiture du monarque la monarchie elle-même était perdue. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 32.)

Le traître La Fayette (membre de la loge La Candeur) ne laissa le roi dans l'illusion que pour le ramener couvert d'opprobre, et resserrer ses liens à son retour : « Les monuments publics pourraient manquer à l'historien sur la conduite de La Fayette dans cette circonstance. Bien des personnes ont voulu faire croire qu'il (La Fayette) n'avait pas été prévenu du départ du roi; voici la vérité des faits: une femme allemande mariée à un Français nomme Rochereuil, était attachée à la reine en qualité de porte-chaise-d'affaires. Cette femme avait témoigné tant d'imagination et versé de larmes sur les horreurs des 5 et 6 octobre (1789 marche sur Versailles), que la reine touchée de ces preuves d'attachement, lui donna sa confiance, la chargea du soin de préparer ses bouillons, et la logea au rez-de-chaussée de son appartement, dans une chambre qui communiquait à l'appartement qu'avait occupé M. le duc de Villequier. Au commencement de juin, la reine méditant son évasion, fit transporter dans une autre chambre la femme Rochereuil. Celle-ci soupçonna des projets; elle épia le roi et la reine. La confiance qu'on avait en elle, la mit à portée de connaître exactement ce qui se méditait pour la fuite du roi. Le 10 juin, elle en dénonça les préparatifs à MM. de La Fayette, de Gouvion, et au Comité des recherches de l'Assemblée nationale. Elle eut avec eux onze conférences, dans l'espace de neuf jours. D'après ces dénonciations, M. de La Fayette chargea treize officiers de confiance, de faire toutes les nuits des patrouilles dans l'enceinte des Tuileries, avec l'ordre secret de favoriser l'évasion. Ses ordres furent donnés de même sur la route. Drouet fut prévenu du rôle qu'il avait à jouer. Tout le reste de la fatale journée de Varennes et de l'arrestation du roi se conçoit aisément, si ce n'est cependant l'excès de cette insolence avec laquelle La Fayette usa de sa victoire, et des outrages qu'il fit essuyer à Louis XVI, en le ramenant dans sa prison des Tuileries. » (Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, éd. de Chiré, tome 1, Poitiers 2005, p. 466-467.)

« Déjà s'élevaient les premières voix demandant la déchéance d'un souverain qui avait fui. [...] L'échec de Varennes faisait le lit de la république. » (J. Tulard, J.F. Fayard, A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Robert Laffont, Paris 1998, p. 838.)

« Louis XVI, à son retour de Varennes, confessa [...] : "Que n'ai-je cru, il y a onze ans? Tout ce que je vois aujourd'hui, on me l'avait annoncé." » (Louis Blanc, Histoire de la Révolution française, t. II, p. 74 à 81 cité dans Jean Ousset, Pour qu'Il règne, Dominique Martin Morin 1986, Niort 1998, p. 220.) 

« Enfermé, de fait, aux Tuileries, depuis le triste retour de Varennes, Louis XVI avait certainement beaucoup évolué. Il se reprochait d'avoir été trop faible, lorsque les évènements avaient commencé. Sur le plan religieux sa conscience souffrait de l'approbation qu'il avait donnée à la Constitution civile, et toutes ses sympathies allaient certainement aux prêtres qui refusaient le serment. (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 38.)

 

La chute de la royauté et actes de cannibalisme à Paris

 

Massacre des Tuileries (10 Août 1792)

Le 10 août 1792 est la journée au cours de laquelle fut envahie l'Assemblée ainsi que le Palais des Tuileries, siège de l'Exécutif pris d'assaut. Un directoire secret entre les amis de La Fayette et du girondin Brissot lâcha des « manifestants » préparés politiquement et militairement pour susciter cette insurrection parisienne non spontanée (Cf. Gérard Maintenant, Les Jacobins, collection Que sais-je? PUF, Paris 1984, p. 52-58) qui devait aboutir à la proclamation de leur « république », le 20 septembre 1792.

 

Gérard Maintenant précise que jusqu'à la parution de son ouvrage "Les Jacobins", « la participation jacobine à cette journée n'a jamais été réellement abordée. On a beaucoup écrit sur le rôle joué par les dirigeants Robespierre, Danton, et sur leur soit-disant effacement relatif. M; Reinhard a insisté sur l'existence d'un Directoire secret composé entre autres d'Anhoine, Chabot, Carra, lequel organisa l'insurrection. Il tint sa première réunion au faubourg Saint-Antoine, à l'auberge du Soleil d'Or, le 26 juillet. Il est permis de rester sceptique quant aux déclarations de  Carra qui écrivit le 30 novembre 1792 un "Précis historique et très exact sur l'origine et les véritables auteurs de la célèbre insurrection du 10 août dernier, qui a sauvé la république."

"Ce directoire secret fut formé par le Comité central des Fédérés, établi dans la salle de correspondance aux Jacobins Saint-Honoré... J'écrivis de ma main tout le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du château. Simon fit une copie de ce plan et nous l'envoyâmes à Santerre...."

« La question du rôle précis joué par les Jacobins dans cette journée mérite certainement d'être examinée. [...] Il semble bien établi que les Jacobins se rallièrent, dès le 29 juillet, aux thèses de Robespierre qui proposa la "destitution" du roi. [...] Mais une insurrection ne s'improvisant pas, les Jacobins participèrent à la création du "Directoire secret" insurrectionnel. [...] Le club pratiqua, fin juillet, une double action : l'une, légaliste, au grand jour, faite de motions de pétitions, de résolutions s'inscrivant dans le cadre des institutions; l'autre, secrète, annonçant la stratégie babouviste de prise du pouvoir. Choudieu, député jacobin à l'Assemblée législative et futur conventionnel montagnard, dans ses Mémoires, [...] donna [...] une vision assez juste de la préparation du 10 Août, en mettant en évidence le mouvement sectionnaire.

"Mais où donc fut préparé le 10 août me demandera-t-on ? Ce fut dans les quarante-huit sections, non pas secrètement, mais au su de tout le monde et de la cour elle-même. Parmi les représentants, Bazire, Chabot et Merlin (de Thionville) ont levé les premiers l'étendard de la révolte... Des assemblée secrètes se tenaient dans le faubourd Saint-Antoine, et les trois députés... s'y rendaient toutes les nuits. Mais malgré toute leur audace, ils n'auraient pas réussi s'ils n'eussent été secondés par les assemblées des différentes sections de Paris qui poussaient aussi au mouvement. Celle de Mauconseil se déclara la première en insurrection..."

 

« Agissant au sein même de leur section respective, les Jacobins contribuèrent, d'une façon décisive, à la mise en pratique d'un stratégie insurrectionnelle. Buchez et Roux écrivent: "Les Jacobins sont les provocateurs du 10 Août; les agents principaux de cette insurrection sont sortis de son sein." »

(Gérard Maintenant, Les Jacobins, Presses Universitaires de France, Paris 1984, p. 52-58.)

 

Frantz Funck-Brenatano rapporte : « Le 10, les Tuileries étaient envahies par les éléments extrêmes de la faction révolutionnaire, à l'instigation de Robespierre, qui aura le droit de se proclamer l'auteur du coup de force. [...] L'assemblée s'empressa de décréter l'abolition de la royauté; [...] Puis, sous la pression de la Commune de Paris, qui obéissait à Robespierre, elle décida l'élection d'une assemblée nouvelle qui sera la Convention. » (Frantz Funck-BrentanoLa Révolution française, Voir... et... Savoir, Paris : Flammarion, 1935, p. 30.)

 

Jean Tulard sur les « sections » : « Le 9 août (1792) au soir, les députés de la Législative se séparèrent tout en sachant que les sections se préparaient au combat. À 23h45, la grosse cloche des Cordeliers se mit à sonner. D'autres églises répondirent. C'est Danton qui aurait donné le signal. Tout était prêt. De 20 heures à 21 heures, les sections s'étaient réunies pour désigner des commissaires avec mission d'intimider ou remplacer les membres du conseil général de la Commune de Paris jugés trop modérés. À 23 heures, les commissaires étaient à l'Hôtel-de-Ville où ils obtenaient sans problème une salle destinée à abriter leurs délibérations. Ainsi s'établissait parallèlement à la commune légale un pouvoir insurrectionnel qui allait la supplanter. [...] Les insurgés (fédérés et membres des sections) entreprirent de cerner les Tuileries. On réveilla le roi pour lui faire passer en revue la garde nationale et stimuler l'ardeur de cette dernière à défendre le château. Mais le roi ne trouva pas les mots qui convenaient. [...] À 8 heures du matin, les Tuileries avaient été investies. |...] À l'Assemblée [...], sous la pression des députés, le roi signa un billet ordonnant aux Suisses de cesser le feu et de regagner leurs casernes. Ils obéirent mais comme ils opéraient leurs mouvements, ils furent cernés et massacrés dans des conditions ignobles par les émeutiers. [...] La Terreur était lancée. [...] Le roi fut finalement suspendu "jusqu'à ce que la Convention nationale eût prononcé." » (Jean Tulard, J.F. Fayard, A. Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1899, Bouquins, Robert Laffont, Paris 2004, p. 98.)

 

Sur ces évènements ignobles du 10 août, et le rôle joué par Danton, Bernard Faÿ évoque la minorité qui dirige :  « À minuit, Danton donna l'ordre de sonner le tocsin des Cordeliers. D'autres cloches répondirent. Tout se déroula ensuite selon ses ordres, et selon ses espoirs. [...] En décidant de partir pour l'Assemblée, le Roi accomplit l'acte le plus pénible, mais aussi le plus patriotique de sa vie; jusqu'au bout, il refusait de verser le sang français qui ne lui semblait jamais "impur". La ruine de la Monarchie ne résulta du reste point de sa retraite dans l'Assemblée, mais de l'émeute sanglante qui se produisit aux Tuileries après son départ, émeute suscitée par l'artifice des meneurs qui voulaient du sang pour intimider les députés. [...] Les gardes suisses [...] manquant de cartouches et accablés par le nombre, ils succombèrent; le roi, prévenu, essaya d'arrêter le carnage. Il donna ordre de cesser le feu; quelques suisses réussirent à se réfugier à l'Assemblée, les autres furent massacrés et déchiquetés, comme des animaux vaincus dans une lutte entre bêtes féroces. [...] 600 Suisses et 200 défenseurs du Château dépecés, les Tuileries entièrement pillées, 98 morts chez les assaillants, avec quelque 200 ou 300 blessés, tel fut le bilan de cette victoire que ses héros célébrèrent en promenant dans Paris les têtes et les organes des vaincus. [...] Ainsi s'écroulèrent et la Monarchie, vieille de douze siècles, et la Constitution, vieille de dix mois, et la législative, qui ne dura pas un an. [...] L'Assemblée élue jadis par une minorité d'électeurs, eux-mêmes une minorité dans le pays, ne se composait plus que d'une minorité de députés; elle usurpait les fonctions de l'exécutif qu'elle remplaçait par un "Comité exécutif".» (Bernard Faÿ, La Grande Révolution, Le Livre contemporain, Paris 1959, p. 363-364.)

« Rien de spontané dans ce soulèvement, pas plus que dans les précédentes manifestations populaires: le peuple, ou ce qui est censé le représenter, est mis en condition, encadré, conduit là où l'on veut qu'il aille. Ce 10 Août a été prémédité, et même commandité. les chômeurs marseillas qu'on a fait "monter" à Paris, et qui vont constituer la première force de frappe, sont payés trente sous par jour (ce qui est alors un salaire fort confortable) et ils recevront, avec le prix de leurs amres, une gratification supplémentaire de trois mille livres (soit deux à trois années du salaire moyen d'un ouvrier qualifié). Les Sans-Culottes parisiens, qui représentent la seconde force de frappe, touchent eux-mêmes quarante sous pour chaque séance de section, s'ils assurent n'avoir pas d'autre ressource. La colère ds émeutiers n'est pas gratuite ! [...] L'aube se lève sur la journée du Dix Août: inauguration de la Terreur. [...] Le roi a donné aux Suisses l'ordre de ne pas tirer. C'est les offrir à la "canaille" des faubourgs. [...] Les Suisses sont scalpés, éventrés, émasculés, dépecés ! Une fille publique, rue Fromenteau s'occupe tranquillement à délayer une cervelle du bout de son pied (Philippe Morice, dans ses Souvenirs). [...] Le jeune capitaine Bonaparte, qui habite alors rue du Mail, et qui s'est rendu au Carrousel, traverse le jardin des Tuileries: le spectacle des cadavres suisses lui donne la nausée. Bilan global : [...] sept ou huit cents tués dans le camp royal. Dans son Histoire des Girondins, Lamartine évoquera généreusement "les quatre mille cadavres" que, le lendemain, collectent les tombereaux de la Commune à la lumière du feu qui embrase les abords du palais, et qui donne "aux eaux de la Seine l'apparence du sang". » (René Sédillot, Le Coût de la Terreur, Vérités et Légendes, Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée, p. 9-10.)

Ghislain de Diesbach dans Le Livre Noir de la Révolution française (Cerf, Paris 2008, p. 61-63) rapporte les actes ignobles commis sur les corps des Suisses : « Les Fédérés traquent les Suisses à travers les appartements, les assomment, puis se livrent à une véritable boucherie; les Suisses sont éventrés, empalés, ou saignés à mort. Des viragos les déculottent, leur tranchent le sexe ou se font des cocardes avec leurs boyaux, d'autres dépècent l'enseigne Georges-François de Montmollin et lui dévorent le coeur. De petits tambours sont lacés par les fenêtres sur les piques et les fourches, d'autres jetés dans les chaudières des cuises royales, qui ont continué de fonctionner, et bouillis tout vifs. Un tambour de neuf ans, qui sanglote accroché au cadavre de son père, est cloué à coups de baïonnettes sur celui-ci. Les médecins sont massacrés, tandis qu'ils donnent leurs soins aux blessés. les scènes de sadisme et de cannibalisme se multiplient. [...] [D]es ivrognes dansent la carmagnole aux carrefours en agitant des lambeaux de chair humaine au bout de leurs piques. [...] Le 10 août produisit en Suisse un déplorable effet, inspirant aux familles des victimes une invincible répugnance à l'égard de la République française, issue d'un bain de sang, répugnance accrue par l'invasion de la Suisse en 1798. Non contents de piller systématiquement le pays, de l'écraser d'impôts et de réquisitions, les Français, brandissant d'une main une torche et de l'autre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tout en répétant à satiété les mots vertu, justice, liberté, y firent plusieurs massacres spectaculaires, enfermant la population dans l'église et y mettant le feu, comme à Stans, et dans l'Unterwald où neuf églises furent brûlées avec les habitants des villages. » 

« Le 11 août, [...] était établie une commission martiale pour juger les Suisses échappés au massacre la veille, coupables d'avoir rempli leur devoir et de ne pas s'être laissé massacrer docilement, commission qui sera à l'origine du tribunal révolutionnaire ayant été transformé dès le 15 août, à la requête encore de Robespierre, en un tribunal destiné à juger "les complices de la conjuration du 10 août" ! » (Frantz Funck-BrentanoLa Révolution française, Voir... et... Savoir, Paris : Flammarion, 1935, p. 31.)

« Cette minorité active va alors mettre tout en oeuvre pour parvenir au pouvoir au moment où vont se tenir les élections pour la Convention. Elle commence par Paris, désormais sous la coupe des patrouilles jacobines (Danton écrit à propos des massacres de septembre : "C'est dans Paris qu'il faut se maintenir par tous les moyens. Les républicains sont une minorité infime, et, pour combattre, nous ne pouvons compter que sur eux; le reste de la France est attaché à la royauté." » (Robinet, Procès des dantonistes, p. 45, cité dans Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, t. III, La Révolution: La Conquête jacobine, 101-1904, Paris, Robert Laffont 1986, p. 330, dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 110-111.)

Depuis les élections de juin 1791 qui se traduisirent par une forte abstention, « les consultations organisées les années suivantes »,... n'ont « jamais mobilisé plus du cinquième des électeurs. » « La promotion aux responsabilités se faisait en circuit fermé : les fonctionnaires peuplent les assemblées chargées d'élire les fonctionnaires. [...] L'oligarchie née de ces pratiques n'était pas moins un démenti des attentes. [...] On n'imaginait pas que l'élection puisse conduire à la formation d'une "classe" politique distincte du reste de la société. » (Patrice Gueniffey, Histoire de la Révolution et de l'Empire, Perrin, Collection Tempus, Paris 2011, p. 88-88).

 

Frédéric Bluche résume ainsi la non-spontanéité des journées révolutionnaires: 

« Il est ainsi possible, à partir de plus caractères dominants, de brosser à larges traits le déroulement d'une journée révolutionnaire type. Quelque soit la part de la spontanéité dans les mouvements populaires, l'origine d'une journée révolutionnaire ne peut être considérée comme spontanée. L'initiative ne vient pas exclusivement d'en bas; elle vient parfois d'assez haut. Si les mystères demeurent sur les véritables organisateurs des journées d'octobre 1789, la journée du 20 juin 1792 a sans doute été inspirée par les Brissotins-Girondins et leurs amis de la Commune de Paris (Pétion et Manuel, respectivement maire et procureur); celle du 10 Août et celle du 2 juin 1793 sont ouvertement cautionnées par des ténors de la Montagne. » (Frédéric Bluche, et Stéphane Rials, Les Révolutions françaises, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1989, p. 234-235.)

 

Jean de Viguerie ajoute: « L'histoire de la France pendant la Révolution est l'un des épisodes les plus dramatiques de l'histoire du christianisme. Une grande persécutions sévit alors contre la religion. Cette persécution fut inattendue, surprenante et d'une extrême cruauté.

« Elle fut inattendue. Quatorze siècles s'étaient écoulés depuis la dernière persécution du paganisme, celle de Dioclétien. [...] La persécution exercée par la Révolution française est la première en date en occident depuis l'édit de Constantin.

Cette persécution fut surprenante. N'advenait-elle pas au siècle des Lumières, au siècle qui avait exalté la tolérance ? Elle fut d'une extrême cruauté. Elle fit périr 8 000 prêtres, religieux et religieuses, et plusieurs milliers de laïcs mis à mort en haine de la foi. L'accusation de férocité lui fut portée un jour par l'une de ses victimes. C'était au Puy-en-Velay en 1794. Suspectée d'avoir reçu chez elle son fils, prêtre réfractaire, Mme Beauzac, âgée de soixante ans, venait d'être condamnée à mort. Au moment de monter à la guillotine, elle se tourna verses juges, et les apostropha ainsi : "Une chienne peut nourrir ses petits, et une mère ne pourrait nourrir son enfant. Vous êtes plus féroces que des tigres." (Cité dans Jacqueline Bayon-Tollet, Le Puy-en-Velay et la Révolution française 1789-1799, Saint-Etienne, Université de Saint-Etienne, 1982, p. 338.)  

[...] On ne saurait oublier le serment exigé des prêtres contre leur conscience. On ne peut passer sous silence la déchristianisation systématique, l'instauration des cultes sacrilèges, et tant d'autres mesures violatrices des consciences et des âmes. La prison, la déportation et la mort ne sont que les conséquences extrêmes d'une détermination affirmée, explicite de changer les esprits et d'imposer la volonté de l'État. [...] [C]ette volonté existe et se manifeste dès le début de la Révolution. » (Jean de Viguerie dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 213-214.)

« [L]a Terreur est bien en germe dès les débuts de la Révolution. » Préface de Mona Ozouf dans François Furet, La Révolution française, Quarto Gallimard, Malesherbes 2007, p. XVIII.)

Nommé surintendant (ministre) des finances à la place de Jacques Necker, Joseph-François Foulon, un vieillard de soixante-quatorze ans, a été pendu à la lanterne de la place de Grève face à l'hôtel de Ville le 22 juillet 1789, puis décapité devant l'Hôtel de ville de Paris, en présence du nouveau maire Jean-Sylvain Bailly et de Lafayette, commandant de la Garde nationale, en même temps que l'intendant de Paris, Berthier de Sauvigny, avant d'avoir, comme lui, sa tête promenée au bout d'une pique. "Un coup d'Etat est chose sérieuse. La Cour va s'en apercevoir. Et d'ailleurs l'adversaire sait tout. Montgaillard, historien royaliste, dit que les mémoires de Foulon furent lus devant Narbonne, qui avertit sa maîtresse, Mme de Staël, laquelle en informa Necker ou Mirabeau. Peu importe le canal par où se font les fuites; l'autre camp voit clair dans le jeu du Roi." (Pierre Dominique, Le Quatorze juillet, Lardanchet 1950, p. 75.)

 

Les journées d'Octobre 1789. « On se mit en route le 5 octobre : sept ou huit mille individus, des femmes en majeure partie; troupe débraillée, hurlante, [....] Des harangères, chevauchaient des pièces d'artillerie tirées à la bricole. L'armement de la bande était des plus variés: fusils, hallebardes, piques, sabres et pertuisanes, faux à faucher le blé, broches, couteux de cuisine emmanchés au bout d'un bâton. À Versailles, dans le désarroi, la défense du château fut lamentable comme l'avait été celle de la Bastille. Quelques gardes du roi furent tués, leurs têtes, en style révolutionnaire, fichées au bout de piques sanglantes, cependant qu'une partie de nos conquérantes envahissaient l'Assemblée où elles s'installaient familièrement à côté des députés. [...] Louis XVI avait été contraint de se montrer à la foule, avec ses enfants, sur l'un des balcons du château. Contre la reine, qui vint à ses côtés, furent criées des menaces de mort. L'un des héros la mit en joue : la reine demeura impassible; le fusilleur n'osa tirer. La manifestation, en sa violence, dura jusqu'à deux heures du matin. La famille royale dut monter en carrosse, escortée d'une foule hurlante et qui portait au bout de piques sanglantes les têtes des gardes du corps massacrés. On les avait pour leur entrée dans la capitale, frisées, enrubannées. Le cortège allait au pas; on mit neuf heures de Versailles aux Tuileries. Le roi et les siens s'y installèrent. [...] Comme l'écrit P. Gaxotte : "les clubs tiennent leurs otages.» (Frantz Funck-Brentano (1862-1847), de l'Institut, La Révolution française, Voir... et... Savoir, Paris : Flammarion, 1935, p. 17.)

 

« En 1789 la Révolution commençante abolit l'ordre du clergé, supprime la dîme qui représentait plus de la moitié des revenus des prêtres, et nationalise les biens ecclésiastiques. » (Jean de Viguerie dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Éditions du Cerf, Paris 2008, p. 213-214.) On se demande où est la laïcité – comme principe de distinction des pouvoirs temporel et spirituel – là dedans ?

« La suppression de l'ordre du clergé et la confiscation de ses biens placent les ministres du culte dans la dépendance entière de l'État. Il n'y aura plus désormais d'Église face à l'État. [...] [E]n confisquant les biens, c'est l'ordre du clergé que l'on veut achever de détruire. Comme le déclare le députe Le Chapelier, "si le clergé demeure propriétaire, il continuera à former un ordre dans la nation." (Cité dans Pierre de la Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, t. I, p. 150.)

[...] La nationalisation n'affecte pas seulement le clergé. La spoliation du clergé va contre les intentions des donateurs et des fondateurs qui, en constituant par leurs libéralités le patrimoine ecclésiastique, ont donné à l'Église et non à l'État. Elle lèse les pauvres, l'Église se servant de ses biens pour un grand nombre d'oeuvres d'assistance et d'éducation, et l'État, quoi qu'il en Veuille, n'étant pas encore en mesure de prendre en charge la totalité de ces oeuvres.

1790 est une année plus mauvaise encore. Le décret du 13 février 1790 interdit de prononcer des voeux solennels de religion, et supprime tous les ordres où l'on fait ce genre de voeux, c'est-à-dire tous les ordres monastiques ! [...] les religieux pressés de quitter leurs couvents, et bientôt rejetés de force dans la vie du siècle.

[...] La même année, la loi intitulée "Constitution civile du clergé" [...] crée une nouvelle Église en France, l'Église de l'ordre nouveau, simple administration du culte (!) [...] une Église d'État, [...] et une Église schismatique, les évêques se voyant interdire de solliciter du pape leur institution canonique et leur juridiction spirituelle. [...] L'Église de France est séparée de Rome en vertu de la loi. Ainsi est-elle condamnée au schisme. Car le schisme est vite rendu obligatoire. Par le décret Voidel, voté le 26 novembre, évêques et curés sont mis en demeure d'y adhérer.. Sous peine d'être démis de leurs fonctions, ils doivent jurer fidélité "à la nation, à la loi et au roi et à la Constitution." [...] C'est le serment constitutionnel. Si l'évêque veut garder son diocèse, si le curé veut garder sa paroisse, ils sont obligés de le prêter. Jurer ou s'en aller, telle est l'alternative. » (Jean de Viguerie dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Éditions du Cerf, Paris 2008, p. 214-215) On se demande là encore où sont la laïcité et la liberté de conscience dans toutes ces mesures ?!... 

« Donc, en cette fin de l'année 1790, un an et demi à peine après le commencement de la Révolution, et alors que ce n'est pas encore manifestée la persécution sanglante – les premiers assassinats de prêtres datent de l'été 1792 – l'Église est déjà humiliée, asservie, mutilée. Humiliée par la confiscation de ses biens, asservie par l'État, mutilée par l'abolition des ordres religieux et par la suppression de 52 diocèses et de près de 4 000 paroisses. Mutilée, amputée, adjugée au plus offrant, vendue à l'encan: dès 1790, on commence à disperses aux enchères les biens des ordres religieux et ceux des paroisses supprimées, on vend des monastères, on vend des églises abbatiales. La France monastique est vendue. On vend même des églises paroissiales et des chapelles. À Angers, au début de 1791, l'église Saint-Denis, paroisse supprimée, est vendue à un menuisier. En Bretagne, dans le seul district de Locrognan, 13 chapelles sont vendues.

(En 1792) La Convention les déporte (les prêtres) et ordonne la mort pour tous ceux qu, refusant de quitter la France, se sont soustraits à la déportation. On est ainsi passé par trois étapes : 1) il faut prêter serment sous peine d'être démis; 2) il faut prêter serment sous peine d'exil; 3) il faut quitter le territoire ou se laisser déporter sous peine de mort. On est passé d'une liberté sous condition à une contrainte absolue. [...] Ce n'est pas la liberté ou la mort, c'est la liberté et la mort. » (Jean de Viguerie dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 215-218)

En 1793, la Terreur s'installe, qui suspend toutes les grandes libertés: liberté individuelle à laquelle met fin la "loi des suspects" du 17 septembre 1793. « La guillotine dressée en permanence est devenue moyen de gouvernement. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, sous la direction de Jean Dumont, L'Église des Révolutions, tome IX, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 53.) 

Les ouvriers ont été envoyés à la guillotine par charrettes entières (fournées). Les « décapitations [...] concernent pour 28% des paysans, pour 31% des artisans et des ouvriers, sans doute pour plus de 20% des marchands ... 8 à 9% des nobles, pour 6 à 7% des membres du clergé. »  (René Sédillot, Le Coût de la Révolution française, Vérités et Légendes, Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 1984, p. 24.)

"La véritable guillotine". Gravure anonyme. Musée Carnavalet. (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, sous la direction de Jean Dumont, L'Église des Révolutions, tome IX, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 72.)

 

« Le bilan estimé des morts liées à la Révolution demeure toujours incertain. [...] On s'en remet souvent aux calculs de Donald Greer en 1935 qui recense 30 000 à 40 000 victimes des procédures juridiques (fusillées et guillotinées). Il s'agit d'une base minimale à laquelle il faut ajouter environ 170 000 victimes vendéennes. »  (Patrice Gueniffey in La Révolution française, Préface de Michel Winock, L'Histoire Edition, 2014, p. 119-120.)

 

Pie VI (1175-1799)

« Pie VI [...] s'écriait, après avoir lu le récit de la mort de M. de Sandricourt, évêque d'Agde, une des dernières victimes de Robespierre, arrêté uniquement parce qu'il fallait un évêque légitime dans la fournée, et alors qu'il vivait totalement à l'écart de la politique, occupé seulement à prier : "Qu'on me dise que tous ces prêtres ne meurent pas pour la foi ! Voilà bien de vrais martyrs !" » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, sous la direction de Jean Dumont, L'Église des Révolutions, tome IX, Librairie Arthème Fayard, 1965, p. 71.)

 

« Le "catéchisme national", comme disait (le révolutionnaire) Barnave, reposait sur des bases irréligieuses. L'historien Mathiez, connu pour son agnosticisme, l'a noté en une formule parfaite: "Les principes de 1789 sont présentés comme un corps de doctrine qui se suffit à lui-même, qui tient sa valeur de l'évidence rationnelle et nullement de la révélation. Ainsi l'humanité devient son propre Dieu." (Albert Mathiez, historien socialiste de la religion civile révolutionnaire, cité dans Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 20.)

Albert Mathiez fut l'éditeur des œuvres de Saint-Just, le président de la Société des études robespierristes, et l'initiateur de la comparaison bolchevisme/jacobinisme. En 1920, il voyait dans l'institutionnalisation des soviets par Lénine un moyen d'« éviter les  inconvénients de la bureaucratie et du parlementarisme, et réaliser autant que possible ce gouvernement du peuple par le peuple qui est pour lui, comme pour Rousseau et pour Robespierre, le propre de la démocratie véritable. » (Article paru dans Le Progrès civique des 11 et 18 septembre 1920, cité dans François Furet, Le passé d'une illusion, Essai sur l'idée communiste au XXe siècle, Robert Laffont/Calmann-Lévy, Mesnil-sur-l'Estrée 1995, p. 92.)

 

« D'autre part, l'article 10 affirme de manière alambiquée une liberté de culte strictement encadrée par l'"ordre public établi par la loi" : le Religieux est soumis au politique. » (Drôle de conception de la "laïcité" !)

 

[...] Le triomphe de la loi positive, "expression de la volonté générale," expression d'une souveraineté qui réside "essentiellement dans la nation" renverse la source de la légitimité. [...] La loi suprême, la loi positive n'est plus soumise au respect d'un ordre naturel. Rien ne peut faire obstacle à la volonté de la nation souveraine, beaucoup plus absolue que la volonté tempérée du Roi sous l'Ancien Régime. » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 87; 92; 101; 107.) « Cette monarchie tempérée que Louis XVI avait décrite lors de la séance royale du 23 juin 1789. » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, ibid., p. 249.)

Constituant un « appel au peuple », l'historien Jean-Christian Petitfils qui commente cette Déclaration du roi adressée à tous les Français du 23 juin 1789, indique qu'« écrite de sa propre main, sans pression ni contrainte, [...] le roi y travailla quatre ou cinq mois, à l'insu de ses ministres. [...] Louis XVI commence par énumérer les gestes de bonne volonté qu'il a accomplis afin d'éviter la guerre civile et les sujets de défiance : la convocation des états généraux, le doublement du tiers, la réunion des ordres, le renvoi des troupes en juillet 1789, sa visite de conciliation à Paris, son installation aux Tuileries malgré les incommodités du lieu, alors qu'il aurait pu s'échapper de Versailles, le renvoi de ses fidèles gardes du corps... [Imaginez-vous aujourd'hui un quelconque président de la république agir de la même façon pour s'en remettre à des Français insurgés et les inviter à discuter avec lui ? NdCR.] Évitant de se référer à ses droits de souverain légitime, il (Louis XVI) évoque alors les cahiers de doléances, qui stipulaient que la confection des lois devait se faire de concert avec lui... Or l'Assemblée nationale, au mépris de cette demande, lui a imposé tous les articles qu'elle jugeait appartenir au domaine constitutionnel. [...] Que restait-il au roi sinon "le vain simulacre de la royauté" ?

[...] L'Assemblée triomphe, explique le roi, elle s'imagine omnipotente, mais elle est en réalité dominée par la Société des Amis de la Constitution - autrement dit le Club des Jacobins (club réunissant l'ensemble de la franc-maçonnerie. NdCR.) et ses multiples filiales, qui ont tissé sur le pays une véritable toile d'araignée, avec d'autant plus de facilité que l'administration s'est effondrée. Les clubs dominent tout, envahissent tout, s'arrogent tout, grâce à leurs comités de correspondance, leurs journaux, leurs pamphlets "calomniateurs et incendiaires" qui tyrannisent les esprits libres et s'acharnent à renverser les "derniers restes de la royauté", au nom d'idéaux abstraits éloignés de l'expérience et du bon sens.

"Français, s'exclame-t-il, est-ce là ce que vous attendiez en envoyant vos représentants à l'Assemblée nationale ? Désirez-vous que l'anarchie et le despotisme des clubs remplacent le gouvernement monarchique sous lequel la Nation a prospéré pendant quatorze cent ans ?" Et de conclure : "Français, et vous surtout Parisiens, [...] revenez à votre roi; il sera toujours votre père, votre meilleur ami. Quel plaisir n'aura-t-il pas à oublier toutes ses injures personnelles et de se revoir au milieu de vous lorsqu'une Constitution, qu'il aura acceptée librement fera que notre sainte religion sera respectée [que de naïveté de la part du roi au sujet des intentions antichrétiennes réelles des francs-maçons du club des Jacobins!], que le gouvernement sera rétabli sur un pied stable et utile par son action, que les biens et l'état de chacun ne seront plus troublés, que les lois ne seront plus enfreintes impunément, et qu'enfin la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranlables !". 

(Dans cette déclaration du roi du 23 juin 1789), « [o]n y trouve des éléments traditionnels et d'autres plus nouveaux : le roi, comme dans la pure conception monarchique, est inséparable de l'État et de la Nation, dont il est l'incarnation. Il veut le bien du peuple. Il n'a cessé de le dire et de le répéter depuis deus ans. Il est son protecteur naturel, son vrai père. [Aujourd'hui c'est la tentative d'un Emmanuel Macron qui tente d'incarner la volonté du peuple, mais sans la légitimité !] Mais il ne rejette pas la nécessité d'une représentation des forces et des intérêts du pays. En cela, il se sépare de l'absolutisme de ses prédécesseurs. Certes, il ne précise pas les contours des institutions nouvelles, mais on peut penser qu'il s'accommoderait d'une Chambre des députés permanente, sans distinction d'ordres ni de classes, chargées à ses côtés de confectionner les lois et de voter les impôts. En revanche, il pense que l'exécutif doit être fort et revenir intégralement au roi, à qui incomberaient le droit de paix et de guerre, celui de soumettre au parlement les projets de loi. Les ministres seraient nommés par lui et responsables seulement devant lui.

[...] Sa critique des Jacobins et des sociétés populaires est révélatrice des limites de son ouverture politique. Il a mis le doigt sur l'un des fléaux de la Révolution qui ont empêché sa stabilisation : la toute-puissance des factions, petites minorités agissantes et turbulentes, forces de négation et de révolte, éprises de violences, affichant superbement leur volonté de puissance et qui, sous prétexte d'éduquer le peuple, parlent en son nom, l'endoctrinent, manipulent l'opinion, suscitent des pétitionnaires qui viennent régulièrement interpeller les députés. Non seulement ces minorités s'approprient le pouvoir de l'Assemblée, mais elles détourent à leur profit la souveraineté du peuple. Étrangement prémonitoires, ces pertinentes observations rejoignent les analyses des historiens modernes, d'Augustin Cochin à François Furet, qui ont été frappés par le rôle des clubs dans la montée de cette démocratie intolérante et totalitaire, radicalement contraire à la Déclaration des droits de l'homme » (Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin, Lonrai 2012, p. 809-812.)

 

« Parcourez tous les articles de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans tous vous trouverez plus ou moins déguisés le mensonge du considérant fondamental.» (Abbé Vial, Jeanne d'Arc et la Monarchie, 1910, réed. Editions Saint-Rémi, p. 33-40, 561.)

 

Les révolutionnaires de 1789 dans leur combat contre l'« absolutisme » utilisent le même vocabulaire que celui des nobles et des parlementaires d'Ancien Régime, qui au nom des libertés, de la nation, des droits fondamentaux, du peuple, de la suprématie de la loi et de la souveraineté de la nation, refusaient toute réforme royale d'égalité devant l'impôt !, et se revendiquaient comme les membres d'un Corps (en réalité arcbouté sur la défense de ses privilèges) susceptible de s'opposer au corps du Roi. Ces parlementaires proclamaient les « lois fondamentales du royaume » dont ils se disaient être les gardiens, l'indépendance de la justice, la dévolution du droit à consentir l'impôt. Il liait le sort des parlements entre eux et déclaraient les magistrats inamovibles. Le vocabulaire des révolutionnaires de 1789, identique à celui des privilégiés de l'Ancien régime, était susceptible de rassembler l'opinion publique d'autant plus qu'il était polysémique. (Cf. L'obstruction parlementaire sous Louis XV et Louis XVi. Lire: Michel Antoine, Louis XV ; et Frédéric Bluche et Stéphane Rials, Les révolutions françaises.)

Incohérence de l'article 14 " Tous les citoyens ont le droit de constater eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique" ?

 

« On lit [...] dans l'article 14  :"Tous les citoyens ont le droit de constater eux-mêmes ou par leur représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée." A quoi se réduit dans la pratique cette pompeuse garantie ? La majorité de la chambre nomme une commission d'environ quarante membres. [...] Ces trente ou quarante membres réunis dans un appartement isolé échafaudent un budget de trois milliards, que la majorité se hâte de voter à quelques cent millièmes près. Tous les citoyens, c'est-à-dire un sur un million, ont constaté la nécessité d'imposer à la France une contribution phénoménale, l'ont consentie librement, etc. La dérision pourrait difficilement être plus complète. Une immense et barbare dérision, c'est bien le dernier mot de cet étalage de droits de l'homme, de liberté, de consentement général. - En fait, c'est la confiscation de tout droit, l'esclavage le plus absolu; et cela en vertu d'un blanc-seing qu'on n'est as libre de refuser, dont la multitude ne choisir que fictivement le dépositaire. » (Père J.-B.-J. Ayroles, Jeanne d'Arc sur les autels et la régénération de la France, 1885, Rééd. Éditions Saint-Rémi, Cadillac 2009, p. 262.)

Incohérence de l'article 17 : décalage entre le beau discours sur la « propriété » «droit inviolable et sacré » et les vols des biens du clergé, de la Couronne et des émigrés

 

« Tandis que l'article 17 affirme que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité", l'Assemblée nationale constituante, deux mois et une semaine plus tard, décide de mettre "les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation". (L'Église) Le premier propriétaire de l'État se voit donc privé de sa propriété, pourtant "inviolable et sacrée", sans bénéficier pour autant de la moindre indemnité. Plus tard, les émigrés, les insurgés et les condamnés à mort de la Terreur verront à leur tour leur propriété confisquée purement et simplement. Jamais la propriété ne sera aussi peu respectée qu'après qu'elle aura été reconnue "inviolable et sacrée." » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 94-95)

 

«Le révolutionnaire Le Chapelier, déclara « que ce n'était pas seulement pour éviter la banqueroute qu'il fallait enlever ses biens à l'Église, mais "pour détruire l'ordre du clergé", au nom de l'égalité nécessaire.

Par 568 voix contre 346, un décret rédigé par Mirabeau, mit les biens du clergé à "la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres". Le décret parut sous la signature du roi et sous le contreseing du garde des sceaux Mgr Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux. (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 20.) Joli progrès du droit de propriété et de la laïcité en 1789 ! 

 

« On commença par dresser des inventaires. Puis une première tranche des biens confisqués – biens de la Couronne et biens du clergé – fut mise en vente pour 400 millions. Puis, par deux décrets, votés en juillet et octobre 1790, l'aliénation totale des biens ecclésiastiques fut autorisée. L'Église perdait donc à la fois toutes ses sources de revenus, les dîmes étant abolies et les autres richesses spoliées. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 20.) 

 

« L'État y gagna-t-il assez pour se sauver de la faillite ? Nullement. La mise en vente d'un seul coup d'une si grande quantité de terres et d'immeubles en fit baisser la valeur rapidement. Les "assignats", billets gagés sur les biens confisqués, ayant fait l'objet d'une inflation sans mesure, perdirent de leur valeur nominale très vite, au point qu'on devait en arriver à payer un hectare de bonnes terres au prix d'une motte de beurre. » (Daniel-Rops, Histoire de l'Église du Christ, IX, L'Église des Révolutions, ibid., p. 21.) 

 

Le vol des biens du clergé, c'est-à-dire la violation du droit de propriété proclamé par la déclaration des droits de l'homme de 1789 sera renouvelée avec la soit-disant loi sur la "laïcité" en 1905. L'année suivante, en 1906, dans l'encyclique Vehementer nos, le pape S. Pie X protesta contre cette loi de spoliation :

 

«la loi de séparation viole encore le droit de propriété de l'Eglise et elle le foule aux pieds! Contrairement à toute justice, elle dépouille cette Eglise d'une grande partie d'un patrimoine, qui lui appartient pourtant à des titres aussi multiples que sacrés. Elle supprime et annule toutes les fondations pieuses très légalement consacrées au culte divin ou à la prière pour les trépassés. Quant aux ressources que la libéralité catholique avait constituées pour le maintien des écoles chrétiennes, ou pour le fonctionnement des différentes oeuvres de bienfaisance cultuelles, elle les transfère à des établissements laïques où l'on chercherait vainement le moindre vestige de religion! En quoi elle ne viole pas seulement les droits de l'Eglise, mais encore la volonté formelle et explicite des donateurs et des testateurs! Il nous est extrêmement douloureux aussi qu'au mépris de tous les droits, la loi déclare propriété de l'Etat, des départements ou des communes, tous les édifices ecclésiastiques antérieurs au Concordat.» 

 

Le 24 avril 1793, Robespierre définissait la propriété comme "le droit qu'a tout citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui est est garantie par la loi." Pour lui, la propriété n'était pas naturelle, elle n'existait que par la loi, soumise à la volonté du législateur. Dès lors l'impôt devait permettre une redistribution des richesses afin d'être l'instrument d'une égalisation obligatoire et relative des conditions. Il proposa d'établir un impôt "progressif", idée que la république radical devait mettre en oeuvre au début du XXe siècle. (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 174.) 

 

« Les "acquis de la Révolution" désignent d'abord le gigantesque transfert de propriété des biens nationaux, [...] qui a permis à nombre de petits notables d'arrondir substantiellement leur patrimoine au détriment du clergé, des émigrés et des victimes de la Terreur. Les plus habiles et les plus cupides bâtirent alors de véritables fortunes, détruisant parfois de véritables chefs-d'oeuvre comme l'abbatiale de Cluny. Ils furent bientôt les grands notables de la bourgeoisie française.

Napoléon Bonaparte couronnera ces fortunes récentes de charges administratives, de décorations et, parfois même, de titres nobiliaires, enracinant dans le paysage social une nouvelle élite. » (Philippe Pichot-bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 246-247.)

 

« Quelques années plus tard, dans une lettre adressée au comte de Chambord, le 14 janvier 1852, Alexis de Tocqueville écrivait:

 

"Je ne suis pas de ceux qui disent avec assurance que la longue et terrible révolution à laquelle nous assistons depuis soixante ans aboutira nécessairement et partout à la liberté. Je dis, au contraire, qu'elle pourrait bien finir par mener partout au despotisme." » (Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Gallimard, Paris 1964, p. 89-90, dans Philippe Pichot-bravard, La Révolution française, Via Romana 2014, p. 267.)

De plus en plus de gens aujourd'hui savent que ce n'est pas les autres États européens qui déclarèrent la guerre à la France révolutionnaire, mais que c'est la république qui déclara la guerre à l'Europe. Ce n'est pas pareil...

 

Ce sont les révolutionnaires Girondins qui ont organisé la déroute pour établir la preuve de la trahison du roi : "En 1792 déjà, la rupture de l'alliance avec l'Autriche avait été décidée par les révolutionnaires en fonction de principes idéologiques et de calculs partisans : les Girondins avaient voulu, en déclarant la guerre à l'Autriche sous prétexte d'une imaginaire coalition internationale contre la Révolution, non seulement porter un coup fatal à l'alliance forgée par la monarchie, mais attaquer le roi dans ses alliances familiales et démontrer ainsi - à condition que cette guerre fût perdue dans les meilleurs délais - qu'il était, au coeur de la France révolutionnaire, le représentant et l'allié des ennemis de la Révolution. 'Nous avons besoin de grandes trahisons', avait avoué Brissot, l'un des artisans de ce projet, en se réjouissant par avance des défaites qui établiraient ainsi la preuve de la trahison royale." (Source: Patrice GUENIFFEY, Histoires de la Révolution et de l'Empire, Perrin, Collection Tempus, Paris 2011, p. 670.)

 

"Nous ne pourrons être tranquilles dit Brissot, que lorsque l'Europe, et toute l'Europe, sera en feu".

 

 

Jacques Pierre Brissot, qui avait des biens à Ouarville dans l'Eure-et-Loir, et qui en bon anglomane, se disait Brissot de Warville, était en fait le stipendié des banquiers et des hommes d'affaires (René Sédillot, Le Coût de la Terreur, Vérités et Légendes, Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 1990, p. 213-214), en plus d'être le secrétaire général et trésorier de chancellerie du duc d'Orléans, alors « Grand Maitre du Grand Orient de France » (Bernard Faÿ, La Grande révolution 1715-1815, Le Livre contemporain, Paris 1959; p. 183, 345 et suivantes, 367, 369, 407). Or, le girondin Brissot appelait à la guerre « révolutionnaire » (sic) « pour libérer les peuples » (re sic). Jusque-là, Brissot s'était illustré comme « philanthrope », « ami de l'humanité », un grand créateur (et financeur !) de sociétés dites « philosophiques », en réalité de véritables postes centraux maçonniques dispersés sur l'ensemble du territoire.

 

 

"La guerre de la liberté, (dit Brissot, Ndlr. ce 16 décembre 1791) est une guerre sacrée, une guerre commandée par le ciel; et comme le ciel elle purifie les âmes. [...] Au sortir des combats, c'est une nation régénérée, neuve, morale; tels vous avez vu les Américains: sept ans de guerre ont valu pour eux un siècle de moralité. [...] La guerre seule peut égaliser les têtes et régénérer les âmes. » (Jacques-Pierre Brissot de Warville, Discours du 16 décembre 1791, cité dans Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, p. 72.)

 

« Comment ne pas rapprocher ces propos de ceux, fréquents, chez Billaud-Varenne – par exemple dans son grand discours du 1er floréal an II (20 avril 1794) : "La guerre, qui paraissait devoir consommer notre ruine, est pourtant ce qui nous a sauvés. La guerre, en enflammant tous les esprits, en agrandissant tous les coeurs, en inspirant, comme passion dominante, la gloire de sauver la patrie, a rendu le peuple constamment éveillé sur ses dangers, sans cesse exaspéré contre les forfaits de la monarchie et du fanatisme." Comme chez Brissot, la guerre constitue ici une refonte morale, elle tend à créer le "caractère national" (expression de Billaud) que le gouvernement révolutionnaire recherche. » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, p. 72.)

 

« [L]a guerre avait également chez Brissot une visée économique : "Enfin, n'y a-t-il pas un commerce au milieu des guerres ?" [...] Il faut cependant signaler que les "brissotins" ne furent pas les seuls initiateurs de la guerre; comme l'ont signalé F. Furet et D. Rocher (La Révolution française), c'est tout le courant d'esprit démocratique en France qui s'enflamma pour elle ! » (L. Jaume, ibid., p. 73.)

 

« Les Brissotins (ou "Girondins") avaient voulu, en déclarant la guerre à l'Autriche (20 avril 1792), porter un coup fatal à la monarchie, en se réjouissant par avance de la défaite militaire de la France, qui établirait enfin la preuve de la "trahison du roi"... » (P. Gueniffey, Histoire de la Révolution et de l'Empire, Perrin, Collection Tempus, Paris 2011, pages 176, 227 et 670).

 

La prise des Tuileries le 10 août 1792

Au sujet de l'insurrection du 10 août 1792 au cours de la quelle le Palais des Tuileries, siège de l'exécutif fut pris, le politologue Lucien Jaume indique que « ces manifestants [...] ont été préparés politiquement et militairement, car l'insurrection n'est pas spontanée.» (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, note 65, p. 84.) « Le 10 août résulte, pour une part, de la collusion supposée entre La Fayette et les amis de Brissot, l'appel à la "grande lessive" au sein de l'Assemblée se formule et se prépare chez les Jacobins, tout en étant finalement exécutée par d'autres: les sections, les membres de la Commune, des organes insurrectionnels, le Peuple dans sa colère.» (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, p. 89.) « Sur le directoire secret, une synthèse est fournie par G. Maintenant : Les Jacobins, coll. Que sais-je? PUF, Paris 1984, p. 52-58.» (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, note 65, p. 425.)

 

Et l'abbé Barruel, en 1779, ajoute ces informations à propos de la « conspiration du 10 août » (sic) ourdie non pas par les royalistes comme l'a laissée entendre la propagande robespierriste (belle inversion accusatoire!) mais « ourdie par Brissot », ce qui n'est pas pareil ! (Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, éd. de Chiré, tome 2, Poitiers 2005, p. 468). 

En effet, après le 10 août, « dès lors, on les entend dire dans leur club, ce que Brissot écrivait ensuite aux généraux de sa Révolution: "Il faut incendier les quatre coins de l'Europe, notre salut est là !" (Voyez Considér. sur la nature de la Révol. par M. Mallett du Pan, p. 37).

Par la voie des adeptes et des clubs, répandus dans l'intérieur, ils excitent en même temps des troubles continuels, pour en faire retomber l'odieux sur le roi et sur la reine. Dans le sein de l'Assemblée, sous prétexte d'écarter le danger dans lequel tant de séditieux semblent mettre la France, sous le nom de Commission extraordinaire, ils composent ce Comité secret, dont la faction est appelée celle des Girondins. C'est là que Brissot, à la tête de ses Élus, [...] prépare et rédige, dans le silence des complots, les décrets consommateurs de la rébellion. Il voudrait lui donner l'apparence d'une révolution toute philosophique, toute sollicitée par un peuple philosophe, lassé de ses monarques, et ne voulant enfin avoir d'autre roi que lui-même. Il envoie ses émissaires dans les provinces; ils reviennent lui apprendre que le peuple français ne se résout point à se passer de roi. Il sonde l'Assemblée législatrice elle-même; la grande majorité se trouve encore disposée comme le peuple. Ce qu'il n'a pas pu faire en sophiste et par conviction, il le fera au moins en tyran, par les piques et les foudres des brigands. Il appelle tous ceux que la Révolution a rassemblés vers le midi, sous le nom de Marseillais. Les Jacobins de l'Occident sont avertis de faire avancer vers Paris leurs brigands de Brest. Dans Paris même, il dévoile ses projets à tous les chefs des Jacobins. Barbaroux et Panis, Carra et Beaujois, vicaire intrus de Blois, de Besse de la Drôme, Galissot de Langres, Fournier le Créole, le général Westermann, Kieulin de Strasbourg, Santerre, le brasseur, Antoine de Metz, Gorsas, le journaliste, se joignent aux Girondins. Les Conseils se tiennent tantôt chez Robespierre, tantôt à l'auberge du Soleil d'Or, auprès de la Bastille. Sieyès, avec son club des Vingt-deux et l'arrière-conseil des Jacobins, fournit tous ses moyens. Marat et Prud'homme, et Millin, et tous les journalistes du Parti, ajoutent chaque jour aux calomnies, contre Louis et son épouse. Alexandre et Chabot soufflent la rage aux faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. Philippe d'Orléans (grand-Maître du Grand Orient de France. NdCR.) les sert tous de son argent et de son parti, parce qu'il espère se servir de tous pour monter sur le trône après en avoir précipité Louis XVI. [...] Tous les conseils sont pris et les brigands sont arrivés; le tocsin a sonné toute la nuit; le 10 août paraît.

[...] Pour la conviction du lecteur, lisons ces paroles de Brissot : "[...] On m'accuse [...] d'avoir présidé la Commission extraordinaire; et si de bons esprits de cette Commission n'avaient pas préparé, et même longtemps avant le 10 Août, les décrets sauveurs de la France, de la suspension du Roi, de la convocation de la Convention, de l'organisation d'un ministère républicain. [...] Qu'on calomnie tant qu'on voudra la journée du 10 Août; la valeur des Fédérés, et les décrets réfléchis de l'Assemblée nationale, préparés par la Commission, immortaliseront à jamais cette journée." (Lettre de Brissot à tous les républicains de la France, de la Société des Jacobins, le 24 octobre 1792.) [...] Et parlant ensuite des Girondins, [...] continue Brissot, "[...] [l]a défaite des Patriotes était inévitable. Il fallait donc louvoyer pour se donner le temps, ou d'éclairer l'opinion publique, ou de mûrir l'insurrection, car la suspension ne pouvait réussir que par l'un ou l'autre. Tels étaient les motifs qui me dictèrent ce discours du 26 juillet (1792), qui m'a valu tant d'injures et me fit ranger parmi les royalistes."  [...] Ces insurrections, qu'on nous donne pour les grands mouvements du peuple, de la majorité de la Nation, ne sont précisément que les grands mouvements des factieux contre la majorité de la Nation; que si la Nation eût pensé comme ces factieux, ils n'auraient pas eu besoin de réunir tous leurs brigands pour triompher par les armes et la terreur, d'une Nation qui n'a que son opinion sans armes et prise au dépourvu.

Louvet

[...] L'historien pourra trouver toute l'histoire de cette atroce révolution du 10 août, dans les discours du député Louvet (journaliste, conventionnel régicide, député aux Cinq-Cents. NdCr;) : "Nous voulions la guerre; [...] nous la voulions, nous autres Jacobins, parce qu'à coup sûr la paix tuait la république... Parce qu'entreprise à temps, ses premiers revers inévitables pouvaient du moins se réparer, et devaient purger à la fois le Sénat, les armées et le trône... Ils appelaient la guerre, tous les Républicains dignes de l'être."

[...] Ainsi, ces conjurés législateurs ont fourni eux-mêmes à l'histoire toutes les preuves de leurs forfaits et de leurs complots contre la Royauté. » (Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, éd. de Chiré, tome 2, Poitiers 2005, p. 469-474.)

 

La guerre conçue comme un moyen d'arriver à la fin républicaine est une méthode bien analysée par Patrice Gueniffey : 

 

« L'incendie qui devait mettre le feu à toute l'Europe pendant un quart de siècle résulta des calculs et des intérêts des différents partis. [...] L'exploitation des tensions internationales, voire leur fabrication pure et simple au moyen de l'adoption de mesures exceptionnelles à des fins de politique intérieure: Brissot ne devait pas oublier la leçon, puisqu'il la mit en oeuvre dès le mois d'octobre (1791) pour son propre compte, dans un environnement international aussi peu propice à la guerre qu'il l'était en juillet (1791). [...] Les Girondins orchestrent la campagne d'opinion destinée à imposer la guerre. [...] Les sang versé devient un acte de justice, la source même de la vertu. La guerre qui extermine les ennemis de la liberté doit faire le même mouvement "régénérer" ceux qui la font, tuent et se font tuer. La guerre, clame Brissot, "purifie les âmes". Elle [...] enseigne l'égalité : "En confondant les hommes et les rangs, en élevant le plébéien, en abaissant le fin patricien, la guerre seule peut égaliser les têtes et régénérer les âmes." (Jacques Pierre Brissot, Discours sur la nécessité de déclarer la guerre aux princes allemands qui protègent les émigrés, prononcé le 16 décembre 1791, Paris, impr. du Patriote français, 1791, p. 14-16, dans Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 133;137; 161-162.)

Certains historiens robespierristes cherchent à défendre la Révolution en justifiant la violence révolutionnaire par le danger que représentait les « contre-révolutionnaires ». C'est la thèse de la « guerre défensive » à l'intérieur et à l'extérieur qui se résume grosso modo par l'adage illuministe d'Adam Weishaupt : « la fin sanctifie les moyens. » (Source de cet adage illuministe repris par tous les révolutionnaires jusqu'à aujourd'hui: Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, 1797, réédition Chiré, Poitiers 2005, tome II, p. 102.) 

 

Lire: Illuminés de Bavière : l'illuminisme au XVIIIe siècle

 

La fin chez les soit-disant philosophe et l'illuminisme du XVIIIe siècle justifie en quelque sorte l'emploi de tous les moyens. 

La Terreur n'aurait été qu'un réflexe défensif de la république contre la peur que lui aurait inspirée les insurrections populaires de 1793. Le peuple qui se souleva partout en France contre la levée en masse de 300.000 hommes (décret du 23 février 1793) suscita lui-même les mesures de violence que le gouvernement révolutionnaire décréta contre lui ! 

 

Aux insurrections spontanées à Marseille, Lyon, Toulon, Bordeaux, et en Vendée répondit la force armée et la « Terreur » au nom du « Peuple souverain », et de la « Liberté ». Les républicains ne craignent pas la contradiction : « Liberté » et surtout coercition ! « Qu'un sang impur abreuve nos sillons ! » 

 

« Nombre d'historiens ont expliqué, et implicitement justifié, la Terreur par le péril qui menaçait la patrie théorie des circonstances). Ainsi Jean-Clément Martin fait de la Terreur le fruit conjugué du péril extérieur et de la faiblesse de l'État.

 

« Plus qu'un excès d'État, […] c'est au contraire le manque d'État, […] qui explique cette explosion de violence » (J.-C. Martin, La Révolution française (1789-1799), une histoire socio-politique, Paris, Belin, 2008, p, 207. Du même auteur : Une nouvelle histoire de la Révolution française, Paris, Perrin, 2012). » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014, p. 208

 

 

« Cette affirmation n'a qu'un but, explicitement assumé : dédouaner le gouvernement révolutionnaire de 1793 de toute parenté avec les expériences totalitaires du XXe siècle » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014

p. 209.)

 

Parmi ces historiens, Jean-Clément Martin est « l'auteur, l'acteur et le continuateur de la politique de mémoricide », explique Reynald Sécher dans « Vendée: Du Génocide au Mémoricide. » Le mémoricide étant « un crime contre l'humanité qui consiste à concevoir, réaliser, être complice, tant dans la conception que dans la réalisation partielle ou totale, d'une volonté ou d'un acte dont la finalité est de nier, relativiser, justifier, partiellement ou totalement dans le temps, un acte premier de génocide. » (Reynald Sécher, Vendée: Du Génocide au Mémoricide, Mécanique d'un crime légal contre l'Humanité, Editions du Cerf, Paris 2001, p. 247 et 267.)

 

Philippe Pichot Bravard, explique que les colonnes exterminatrices dites « infernales » du général Turreau en Vendée commencèrent alors que les armées vendéennes avait été vaincues : le gouvernement révolutionnaire ne pouvait donc plus justifier le génocide au nom d'un pseudo « salut public ». Tout indique que la Révolution en 1793-1794 ne fut rien d'autre qu'une guerre de la république contre le peuple français et contre les peuples européens qualifiés (déjà) de « réfractaires au changement » ! 

 

« [L]es impératifs du salut public... ne permettent pas de comprendre la prolongation de la Terreur après l'automne 1793, après la prise de Bordeaux, de Lyon, de Toulon, après la déroute de l'armée vendéenne au Mans (12 décembre) et à Savenay (23 décembre), après les victoires de Wattignies (16 octobre), du Geisberg et de Wissembourg (26-27 décembre). Or, c'est précisément après ces victoires, alors que le danger s'éloignait, que la Terreur atteignit son apogée. Ainsi, les colonnes du général Turreau entreprirent l'extermination de la Vendée et de ses habitants après la destruction de l'armée vendéenne à Savenay, en application d'un plan général approuvé par le Comité de Salut public de la Convention. La loi de prairial an II aggrave à Paris la Terreur, alors que tout danger a disparu depuis plusieurs mois déjà, tant sur le théâtre extérieur que sur le théâtre intérieur. » (Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014, p. 210.)

 

Le génocide en Vendée démarre à l'automne 1793 par un décret-loi voté à l'unanimité par la Convention, le 1er octobre 1793, relatif à la création de l'armée de l'Ouest et à l'"extermination des brigands vendéens". "Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'Octobre : le salut de la Patrie l'exige." (Reynald Sécher, ibid., p. 241.) 

 

« Le Comité de salut public [11 novembre 1793],... a arrêté un plan vaste général tel que les brigands doivent disparaître en peu de temps non seulement de la Vendée mais de toute la surface de la république.» (Reynald Sécher, ibid., p. 81.)

 

« Le Comité de salut public [17 décembre 1793] La Convention nationale vous appelle à l'honneur d'exterminer les brigands fugitifs de la Vendée. (Reynald Sécher, ibid., p. 81.)

 

 

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Le général Turreau, organisateur des colonnes "infernales"

 

Le général « bon républicain », propose par écrit, le 24 janvier 1794, un nouveau plan d'extermination et d'anéantissement de la Vendée basé sur les colonnes mobiles dites « infernales » et espère ainsi sous quinze jours, avoir exterminé tous les habitants de la Vendée. Le 6 février 1794, le député Lazare Carnot, au nom du Comité de salut public, donne son accord à ce nouveau plan dit « Turreau »... (Reynald Sécher, ibid., p. 140-141.)

 

Le dernier bilan chiffré des victimes de la Terreur en vue de « salut public » oscille entre 117 000 et 200 000 :

 

« Dans sa thèse d'Etat, Reynald Secher affirme qu'il y en a eu "au moins 117 257 (R. Sécher, Le Génocide franco-français, La Vendée-Vengé, Paris, PUF, 1986, 2è éd., Perrin 2006) Il s'agit d'un minimum. Le chiffre réel est sensiblement plus élevé, avoisinant les 200 000, ce qui représente le quart ou le tiers de la population des paroisses insurgées. » (Philippe Pichot-Bravard, ibid., p. 222.)


 

« Terreur : Combien de morts ? Le bilan estimé des morts liées à la Révolution demeure toujours incertain, peut-être impossible. On s'en remet souvent aux calculs de Donald Greer en 1935 qui recense 30 000 à 40 000 victimes des procédures juridiques (fusillées et guillotinées). Il s'agit d'une base minimale à laquelle il faut ajouter environ 170 000 victimes vendéennes et sans doute 20 000 à 30 000 soldats républicains morts dans l'Ouest. » (Patrice Gueniffey, La Révolution française, Préface de Michel Winock, L'Histoire Editions, p . 119-120.)

Le grand absent des droits de l'homme de 1789: le droit à la sécurité

 

La déclaration des droits de l'homme (de 1789) n'était pas un droit à la sécurité. « Le doyen Georges Vedel soulignait que, dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le terme de sûreté désignait la liberté au sens de Montesquieu, le fait de ne rien craindre de l'autorité et de pouvoir aller et venir librement: bref la liberté individuelle. (Georges Vedel, Cours de droit constitutionnel, éd. Les Cours du droit, Paris 1952-1953, p. 173) Et Jean Morange, un des principaux spécialistes actuels des droits de l'homme, confirme que la sûreté consistait à ne pas risquer de faire l'objet d'une poursuite, d'une détention ou d'une arrestation arbitraire. (Jean Morange, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Puf, Paris 2002, p. 46). Cela n'a pratiquement rien à voir avec la reconnaissance d'un droit à la sécurité des personnes et des biens, refusé par l'idéologie des droits de l'homme.

 

[...] Pourtant, en 1789, [...] dans les cahiers de doléances rédigés en vue de la réunion des États généraux, on trouve de fréquentes plaintes contre le trop petit nombre des cavaliers de la maréchaussée: on en voudrait bien davantage. [...] Les droits de l'homme déclarés le 26 août 1789 n'ont pas pris en compte l'aspiration populaire à la sécurité des biens et des personnes. Les juristes bourgeois de la Constituante ont créé des droits répondant à leurs propres préoccupations: celles de politiciens fortunés ou aisés, contestataires et ambitieux, voulant pouvoir fronder en toute sécurité le gouvernement royal. Le droit-de-l'hommisme de la Révolution française fut un luxe d'idéologues nantis, très loin des mentalités populaires, lesquelles restaient très proches du Décalogue et de sa volonté de museler le mal présent en l'homme» (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 163-165.)

 

« Ce n'est pas la liberté ou la mort, c'est la liberté et la mort. » (Jean de Viguerie dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 218.) La république maçonnique ne laisse pas le choix : acceptez le "monde nouveau" ou mourez ! Cette devise rappelle celle de Benjamin Franklin, "Join or die !" ("Joignez-vous ou mourez!"). Voir un peu plus haut le paragraphe "Dans cette idéologie, le passé, en plus d'être falsifié, est systématiquement noirci."

 

« Les hommes de 1789 voulaient faire table rase de la France existante pour construire en France ex nihilo la cité idéale, puis très vite la faire passer du cadre national au cadre international. [...] La Révolution se pense comme le modèle de l'avenir radieux pour le monde entier. [...] La liberté était d'abord mis en avant, afin d'abattre le pouvoir des rois : la liberté ou la mort ! Mais, ensuite c'était l'égalitarisme qui passait au premier plan. Il y a eu à Bordeaux, une rue appelée : J'adore l'égalité. »  (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 202-203) 

 

Belle réussite ! La liberté fut d'abord mise en avant, afin d'abattre le pouvoir des rois: La Liberté ou la mort ! L'historien Jean de Viguerie a pu préciser : « Certains révolutionnaires en 1789 ont même dit : "La liberté ET la mort..." La mort à tous les points de vue, physique, spirituel, moral... »

La mort pour les réfractaires, les nobles, le petit peuple, la mort pour tous ceux qui ne voulaient pas de l'utopie millénariste.

 

« [...] La "Grande nation", ainsi que s'appelait elle-même la France révolutionnaire, s'est taillée par des interventions militaires présentées comme libératrices, tout un empire de pays annexés et d'États vassaux soumis au régime républicain - les républiques soeurs -, allant du sud de l'Italie au nord de la Hollande. (J.L. Harouel, Les républiques soeurs, Puf, Paris 1997.) Un impérialisme que Napoléon, qui fut à bien des égards la Révolution bottée, va reprendre et amplifier. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 202-203)

La république du soupçon des « Argus, Surveillants, Dénonciateurs, Sentinelles et Aveugles clairvoyants » repose tout entière et seulement dans l'exercice du soupçon (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 70) 

 

« Dès son commencement, l'histoire révolutionnaire est polémique. Les chefs du mouvement populaire et leurs agents, journalistes, pamphlétaires, orateurs, tribuns, dénoncèrent tout de suite le complot des gens de cour et des aristocrates contre la "volonté du peuple". » (Bernard Faÿ, L'homme mesure de l'histoire, La Recherche du Temps, Labergerie, Paris 1939, p. 77-80.) 

 

« L'idéologie révolutionnaire est à la recherche d'auteurs, de responsables, d'un ou plusieurs "individus" à désigner. » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin et la démocratie, Fayard, Saint-Amand-Montrond 1989, note 65, p. 170.) « La recherche et la dénonciation nominale des ennemis de la Nation ou du Peuple n'a pas été le propre des Jacobins; il s'agit d'une conduite généralisée dès le début de la Révolution. » (L. Jaume, Le Discours jacobin, ibid., p. 192.) 

 

« Lors du serment du Jeu de Paume, lors du soulèvement du 14 juillet, lors de l'émeute des 5 et 6 octobre, [le 10 Août] ce fut toujours la peur des "complots aristocratiques" qui entraîna le peuple et servit à le pousser à l'assaut. L'assassinat de Foulon et de Berthier, l'arrestation puis l'exécution de Favras n'eurent point d'autre cause. Plus tard les évènements qui suivirent, la fuite à Varennes, les affaires de juin 1791, celles de juillet et d'août, celles de septembre 1792 et toutes les "journées" que firent la Convention, les Thermidoriens et le Directoire, sont le résultat de l'orchestration de cette "lutte contre les conspirations." De 1788 à 1798, la presse et les brochures jacobines regorgent de ces dénonciations, démonstrations et déclarations. » (Bernard Faÿ, L'homme mesure de l'histoire, La Recherche du Temps, Labergerie, Paris 1939, p. 82.) 

 

« Le Jacobin [...] développe l'argumentation qui devient ensuite un lieu commun du discours de la Terreur : ce qui est un mal sous le régime du "despotique", devient un bien lorsque le peuple est au pouvoir par la médiation de ses vrais représentants : "Sous l'ancien régime, le rôle de dénonciateur était vil et abject, [...] mais depuis la Révolution tout est changé, et la dénonciation politique, loin d'être un crime en morale, est devenue une vertu et un devoir." De ce fait, il faut aller plus loin, et dire que le non-dénonciateur devient dénonçable : "Se taire, quand il y va du salut public, c'est se rendre complice des ennemis." » (Lucien Jaume, Le Discours jacobin, ibid., p. 204.) 

 

« En cela, les militants de l'an II [...] se croyaient fidèles au conseil que Rousseau avait énoncé: "Faire en sorte que tous les citoyens se sentent comme immédiatement sous les yeux du public, que chacun dépende absolument de tous" (Gouvernement de Pologne). » (L. Jaume, Le Discours jacobin, ibid., p. 209.)  

 

Après l'obsession de l'écrit pour donner une existence à de qui n'existe pas (Voir Mensonge l'article 1), « l'imaginaire du complot remplit une autre fonction encore. La crainte du "complot aristocratique" est en effet le vecteur par lequel la nation se constitue. [...] La nation [révolutionnaire. NdCR.] se définit par ce qu'elle rejette; elle prend forme forme matérielle, consistance et réalité, à travers la mobilisation qu'entraînent les rumeurs sur les complots qui le menacent. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 65.)

 

 « Le fantasme du "complot aristocratique" envahit très vite l'espace du discours révolutionnaire.

[...] [I]l suffit de considérer le flot ininterrompu des dénonciations qui sont adressées au Comité des recherches de l'Assemblée constituante (Pierre Caillet, Comité des recherches de l'Assemblée nationale 1789-1791, Inventaire analytique de la sous-série D XXIX bis, Paris, Archives nationales, 1993.)

L'inventaire de cette correspondance présente un tableau à la mesure de l'intensité de la passion égalitaire qui s'empare du pays en 1789. Il convient de préciser que cette frénésie dénonciatrice témoigne autant de l'irruption de l'esprit révolutionnaire que de la persistance de cette mentalité traditionnelle déjà évoquée et accoutumée à incriminer des conspirateurs.

« [...] En conduisant à l'organisation spontanée, dans toute la France, des gardes nationales pendant l'été 1789, l'obsession du complot a finalement donné un visage à l'idée plutôt abstraite d'une société d'individus sans autre lien réciproque que l'identité des droits possédés séparément par chacun d'entre eux. Le fantasme d'une menace pesant sur les droits récemment conquis a réalisé ce que ces droits ne pouvaient par eux-mêmes produire: la réinvention d'une communauté, par l'exclusion au moins symbolique d'une fraction de ses membres. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 64-65.)

 

« Le 23 juillet 1789, la Constituante fut saisie de deux propositions d'une l'une visait à créer un comité chargé de "recevoir les dénonciations contre les ennemis des malheurs publics"  et l'autre tendait à établir un "tribunal spécial pour juger les personnes arrêtées sur le soupçon de crime de lèse-nation" (Albert Métin, Les Origines du Comité de sûreté générale de la Convention nationale, La Révolution française, 1895, p. 257-270 et 340-363, ici p. 259, dans Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 81-82.)

 

« [...] Marat exerce très tôt, parce qu'il campe sans jamais faiblir sur la crête la plus élevée du radicalisme révolutionnaire, une sorte de "royauté" dans un domaine bien encombré : celui de la dénonciation. Car Marat n'est pas le seul à s'être donné pour mission la surveillance et la dénonciation des complots et des agissements coupables. [...] Argus, Surveillants, Dénonciateurs, Sentinelles et même Aveugles clairvoyants : telles sont les publications qui se bousculent aux étalages des libraires. [...] L'originalité de Marat [...] est dans son style théâtral, frénétique et compulsif, dans l'étendue des complots qu'il dénonce, dans le nombre de ceux qui s'y trouvent compromis, enfin dans la violence des solutions qu'il préconise. Au chapitre des châtiments indiqués pour déraciner le mal, Marat [...] exhorte ainsi ses lecteurs à passer les ennemis de la patrie au fil de l'épée; il voudrait qu'on les lapide, qu'on les poignarde, qu'on les fusile, qu'on les pende, qu'on les brûle, qu'on les empale ou qu'on les écartèle, et, à défaut, il conseille qu'on leur coupe les oreilles ou qu'on leur tranche les pouces afin de les identifier plus aisément.

Ce délire homicide n'exclut pas une grande précision lorsqu'il s'agit d'estimer le nombre des têtes à faire tomber. "Quelques têtes abattues à propos, écrit-il en 1790, arrêtent pour longtemps les ennemis publics."

[...] Lorsque Marat propose d'abattre "quelques têtes", ces mots n'ont pas le sens qu'on leur donne communément. Ici, "quelques têtes" signifie aussi bien plusieurs milliers. En juillet 1790, il déplore que l'on n'ait pas immolé les cinq cents coupables dont la mort aurait permis d'assurer, au moins quelque temps, le bonheur de la nation; un mois plus tard, le chiffre des victimes à sacrifier passe à six cents, puis bondit à la fin de l'année à vingt mille, pour doubler après la chute de la royauté et atteindre le chiffre très précis de deux cent soixante-dix mille traîtres à éliminer en novembre 1792. Violence regrettable sans doute, concède Marat, mais indispensable, et même humanitaire si on la compare aux vingt mille patriotes que la contre-révolution, assure-t-il, a déjà assassiné et aux cinq mille autres dont elle a juré la mort.

[...] Marat [...] n'est pas sans exprimer [...] quelque chose de la Révolution : il témoigne à sa façon, comme l'observe Mona Ozouf, du pouvoir acquis par cette nouvelle puissance qu'est l'opinion publique; il invente, mieux que d'autres peut-être par la forme paroxystique qu'il lui donne, le magistère du "journaliste redresseur et formateur de l'opinion", si absorbé par l'accomplissement de sa mission.» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 70-71.)

 

Aujourd'hui, l'imaginaire du complot revient dans le discours de l'Otan sur le "complot russe", seul complot autorisé : un discours fantaisiste destiné à renforcer la solidarité de l'organisation du Traité de l'Atlantique Nord par rapport à une menace qui n'existe pas. 

 

L'imaginaire du complot (en moins violent),a également pu être en 2016 celui d'une Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale décorée par la franc-maçonnerie (source) pour sa lutte contre le « complotisme », qui n'aurait pas démérité des grands ancêtres de 1789, pour sa dénonciation des « sites complotistes qualifiés d'"armes de désinformation massive". » « A peine vingt minutes après son arrivée et une remise de médaille plus tard, Najat Vallaud-Belkacem quittait déjà la Bourse - un bouquet de fleurs sous le bras. "Najat avait un rendez-vous urgent ou quoi ?", s'étonne un membre de l'assemblée. Cette visite est un "simple déplacement parmi tant d'autres", "déconnectée" du travail de lutte contre les théories du complot entamé par Najat Vallaud-Belkacem au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, insiste son cabinet :"Nous ne sommes pas dans une stratégie qui consisterait à faire le tour de toutes les organisations qui font fantasmer les complotistes. La ministre n'est pas du tout là-dedans". » (Source: Nouvel Obs

 

Dans cet imaginaire du complot, seul existe le complot des personnes qui contestent les fondements philosophiques des droits de l'hommes (le complot des francs-maçons, lui, n'existe pas...). La nation républicaine se constitue depuis 1789 contre les complotistes. Elle se constitue contre le complot royaliste ou aristocratique, aujourd'hui contre le complot des complotistes. La république ne se constitue pas par libre adhésion mais par opposition, par force et contrainte. On retrouve ici l'obsession gnostique du changement du monde par tous les moyens. « Marat, [...] Machiavel, plus que Montesquieu, l'a convaincu que le pouvoir est toujours conquis par la force ou par la ruse et qu'il ne peut se conserver qu'au moyen de la force. [...] Le despotisme n'est le destin possible d'aucun régime politique particulier; il est l'horizon nécessaire, inévitable, de tous les régimes. De ce point de vue, la démocratie ne possède aucune supériorité sur l'aristocratie, ou la république sur la monarchie. C'est pourquoi Marat sera citoyen de la république avec autant d'indifférence qu'il avait été sujet du roi sous la monarchie, bien persuadé que la forme de gouvernement n'est qu'un leurre. Ainsi, le suffrage universel, comme la séparation ou l'équilibre des pouvoirs ne sont à ses yeux qu'un masque qui recouvre la réalité oppressive de tout pouvoir. Ni la participation politique des citoyens ni le dispositif constitutionnel ne peuvent assurer la garantie de la liberté. Celle-ci repose tout entière et seulement dans l'exercice du soupçon qui dévoile et dénonce les attentats auxquels tout pouvoir, lors même que son discours est celui de la loi [ou des "droits de l'homme"] doit nécessairement recourir pour se maintenir et accroître sa puissance. » (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 72-73.)

 

Patrice Gueniffey ajoute ce commentaire : « Si la participation politique est un leurre et la loi un mensonge, l'exercice du soupçon est la seule fonction qui vaille pour le peuple, avec un moyen, la presse, et un organe, l'Ami du peuple en personne. Ce magistère de la surveillance et de la dénonciation ne peut être en effet assumé par le peuple lui-même. "Dans un combat de discussions épineuses, observe Marat dans le numéro du 23 septembre 1789, le peuple a tout à craindre des artifices de ses ennemis et il n'a rien à espérer de ses forces, de son audace. [...] Il lui faut donc des hommes versés dans la politique qui veillent jour et nuit à ses intérêts, à la défense de ses droits, au soin de son salut. Je lui consacrerai tous mes instants." » (Marat cité dans Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, ibid., p. 73.)

« Cette doctrine réduit la politique à l'exercice permanent du soupçon. » (Patrice Gueniffey, La politique de la Terreur, ibid., p. 74.)  

« [L]a politique du soupçon. Terreur permanente, nécessairement plus étendue et plus générale dans une démocratie que sous une monarchie, dans la mesure où, dans la démocratie, la multiplication des organes du pouvoir et la participation des citoyens élargissent considérablement le cercle des individus exposés à la surveillance : ici, les complots peuvent avoir des ramifications dans tout le corps social », résume parfaitement Patrice Gueniffey (La politique de la Terreur, ibid., p. 75.)

 

Aujourd'hui, pour imposer la religion des droits de l'homme, pour faire respecter les exigences de l'antiracisme, ou de l'anticomplotisme, des discussions ont cours pour surveiller les réseaux sociaux, en y plaçant des dénonciateurs, des surveillants, des mouchards chargés de traquer l'hérésie et l'hérétique.

 

En 1789, le « fantasme du "complot aristocratique" envahit très vite l'espace du discours révolutionnaire. [...] [I]l suffit de considérer le flot ininterrompu des dénonciations qui sont adressées au Comité des recherches de l'Assemblée constituante (Pierre Caillet, Comité des recherches de l'Assemblée nationale 1789-1791, Inventaire analytique de la sous-série D XXIX bis, Paris, Archives nationales, 1993.) L'inventaire de cette correspondance présente un tableau à la mesure de l'intensité de la passion égalitaire qui s'empare du pays en 1789. Il convient de préciser que cette frénésie dénonciatrice témoigne autant de l'irruption de l'esprit révolutionnaire que de la persistance de cette mentalité traditionnelle déjà évoquée et accoutumée à incriminer des conspirateurs.» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, Fayard 2000, réed. Tel Gallimard, Mesnil-sur-l'Estrée 2003, p. 64-65.)

 

En 1793-1794, « la Terreur [...] ne se confond pas avec la guillotine. Le plus souvent, elle est une menace diffuse qui pèse sur les actions et les propos les plus anodins. Chacun se trouve à la merci d'une dénonciation, du zèle d'un fonctionnaire, et menacé d'être pris dans un engrenage dont nul ne peut prévoir l'issue; peut-être de simples tracasseries, voire une amende, mais peut-être la prison, et même pis. Tous les Français ont subi cette Terreur au quotidien.» (Patrice Gueniffey, La Politique de la Terreur, Essai sur la violence révolutionnaire, ibid., p. 239.)

 

Le Décalogue est la vraie déclaration de droits universelle

 

« Au moment du vote de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, deux députés de la Constituante, parmi ceux que l'on appelait les aristocrates ou les "Noirs" (en raison du grand nombre de soutanes noires que l'on voyait de ce côté de l'Assemblée) - qui allaient très vite devenir la droite -, le vicomte de Mirabeau (Limoges) (dit Mirabeau-Tonneau) et l'évêque de Pamiers ont protesté que la Décalogue était bien suffisant. (Jacques de Saint Victor, La Chute des aristocrates, éd. Perrin, Paris 1992, p. 104).

Le propos paraît au premier abord surprenant, car le Décalogue est un code moral.

Mais à la réflexion, on se rend compte que l'intuition de Mirabeau et de l'évêque de Pamiers était juste.

Texte normatif ayant pour ambition de garantir la sécurité des personnes, des liens familiaux et des biens en agissant dans ce sens sur le comportement des individus composant la société, le Décalogue peut avoir les mêmes effets pratiques que s'il énonçait des droits. Avec ses commandements interdisant de tuer, de voler ou de commettre l'adultère, le Décalogue contient en creux la première déclaration de droits individuels : il énonce implicitement le droit de n'être pas assassiné, le droit ne n'être pas volé, le droit à ce qu'on ne vous prenne point votre femme, etc. Le Décalogue vise à offrir la garantir de vivre dans la sécurité avec sa famille et ses biens, ce qui est la plus fondamentale de toutes les garanties.

 

Ce projet de vie personne protégée de la violence et du vol correspond assez bien à l'idée d'un projet libéral minimal: chacun chez soi avec les siens, en toute sécurité. Fondé sur une conception pessimiste de la nature humaine, le Décalogue veut agir sur les esprits pour contenir au maximum le mal en l'homme, afin de fournir toute la protection possible contre ce qui est le plus grand danger pour la sécurité de chacun: l'autre. Inversement, les rédacteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne voulaient voir l'origine du mal que dans une certaine forme d'organisation politique (la monarchie qu'ils qualifiaient d'absolue) et dans une certaine forme d'organisation sociale (la société d'ordres et son inégalité institutionnelle), constituant selon eux deux pathologies à éliminer. 

On voit le résultat aujourd'hui où le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n'a jamais été aussi important, et où « la république française est elle-même totalement présidentialisée, même si elle ne s’affirme pas comme telle » avec « l’essentiel du pouvoir concentré entre les mains de son chef suprême qui n’est plus considéré comme un obstacle à la démocratie mais comme le principal vecteur de l’expression du peuple. » (Louis de Lauban).

 

« Pour le reste, ils professaient une conception optimiste de l'homme, venue de la gnose et du millénarisme, et ils refusaient à admettre que le principal danger pour la sécurité d'un individu vient de l'action du mal en l'autre. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 161-162.)

 

Une théocratie gnostique de droit occulte

 

La déclaration des droits de l'homme de 1789 : « [O]n commença à discuter de la Constitution le 17 août, et [...] on aborda la Déclaration des Droits. [...] On choisit comme base de discussion, le projet de La Fayette, celui de Sieyès et celui du 6e bureau. [...] Après avoir défini la loi comme l'expression de la volonté générale, proclamé la liberté individuelle, la liberté religieuse, celle des opinions et de la pensée, l'égalité devant l'impôt (la vieille réforme royale que les magistrats des cours parlementaires d'Ancien régime refusèrent obstinément...), le vote de l'impôt par la nation [...] [c]ette théorie des droits, mise au point par les juristes anglo-saxons au XVIIIe siècle, puis répandue par la Maçonnerie dans la haute société, se réclamait, non du juste, mais de l'utile, et correspondait aux besoins commerciaux des colonies anglaises de l'Amérique.

La "Déclaration" de la Constituante résume ainsi la pensée mercantile et optimiste du siècle, plus qu'elle n'offre une base solide et originale pour créer une nouvelle société française. [...] Depuis janvier 1787, la Révolution prenait son élan grâce à la triple intrigue des Parlements, d'Orléans et de la noblesse maçonnique. » (Bernard Faÿ, La Grande Révolution, Le Livre contemporain, Paris 1959, p. 185-186; 227.)

 

« Pendant l'essentiel du XIXe siècle, [...] en France, comme dans toute l'Europe, la gauche ne songe qu'à délivrer les nations des princes qui les gouvernent par la révolution et au besoin par la guerre. La gauche conserve de la nation une conception à la fois millénariste - toujours le paradis égalitaire - et conquérante. C'est toujours la même prétention de faire advenir un monde meilleur grâce aux conceptions révolutionnaires et aux droits de l'homme. 

 

[...] En ce temps-là, tout ce qui était bon pour la France était réputé bon pour le monde [...] Du fait des deux guerres mondiales et de la décolonisation, ce sont les Etats-Unis qui se sont emparés de la posture de la nation porteuse de l'universel, au détriment de la France. Celle-ci ne parvenant plus à se faire reconnaître das ce rôle par les autres nations, essaye au moins de se persuader elle-même qu'il est toujours le sien. Pour cela, la France a retourné contre elle-même sa passion de l'universel. Ce qui est bon pour le monde est maintenant réputé bon pour la France. Or ce n'est jamais vrai. Sous l'influence des idées de gauche, la France martyrise les Français au nom d'un universel avec lequel elle s'obstine à vouloir se confondre malgré l'évidence du contraire. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 203-205.)

 

« (Aujourd'hui) [...] Se trouvant en situation d'alliance objective avec l'immigration extra-européenne [...], cette bourgeoisie progressiste peut s'imaginer qu'elle incarne le sens actuel de l'histoire. En phase avec des médias presque entièrement de gauche, dont les journalistes se recrutent dans ses rangs, c'est elle aujourd'hui qui joue le petit jeu si ancien du mépris de l'élite à l'esprit subtil, qu'elle s'imagine être, envers l'esprit réputé grossier de la bourgeoisie traditionnelle et des classes populaires autochtones.

 

[...] Tout cela se fait avec la bénédiction du grand patronat qui voit dans l'immigration, surtout clandestine, une source de main d'oeuvre moins exigeante et donc moins onéreuse que la population d'origine. (Les nouveaux esclaves. Ndlr.)

 

« [...] D'origine gnostico-millénariste, le sentiment méprisant par lequel la gauche se persuade qu'elle est détentrice du vrai savoir quant à la marche souhaitable vers les changements sociaux d'ailleurs inscrits dans le sens de l'histoire est évidemment contradictoire avec l'idée de souveraineté du peuple qui fonde la démocratie. Car le peuple souverain ne décide pas forcément dans le sens voulu par ceux qui estiment détenir le savoir, par les nouveaux spirituels qui prétendent le guider dans la bonne direction, celle que dictent les dogmes de la religion de l'humanité. Telle est la raison pour laquelle la franc-maçonnerie a toujours été si hostile à l'idée de décision populaire par referendum. Il faut dire que, par sa nature, la franc-maçonnerie est aux antipodes de la démocratie (Philippe Nemo, La France aveuglée par le socialisme, éd. François Bourins, p. 57-88). C'est une organisation à caractère ésotérique qui, en dépit de toutes les variantes existant entre les différentes obédiences, offre la caractéristique globale d'oeuvrer dans le secret afin de conduire la société dans une certaine direction qui est la seule bonne selon l'idéologie maçonnique, laquelle est par définition progressiste. On retrouve ici la vieille certitude gnostique et millénariste d'être l'élite qui possède le monopole de la connaissance du vrai et du bien et qui va sauver l'humanité. 

 

« La maçonnerie se réfère à un sens de l'histoire qui est sensiblement celui qui résulte de la religion séculière des droits de l'homme, dont on sait combien elle est funeste à l'institution famille, au respect de la vie, au bon exercice de la justice, à l'avenir même des nations occidentales. Sous prétexte de conduire l'humanité vers la lumière de l'avenir radieux, la maçonnerie travaille patiemment et de manière occulte à la destruction progressive du monde occidental. Ainsi, depuis des décennies, la franc-maçonnerie a été largement à l'origine de la législation en matière familiale et sexuelle (divorce, droits des enfants adultérins, des concubins, glorification de l'avortement, union puis mariage des personnes de même sexe, PMA et bientôt GPA), avec pour objectif non-dit de disloquer la famille classique et pour effet de creuser un profond vide démographique qui n'est pas sans évoquer la phobie de la gnose à l'égard de la procréation...

 

« La franc-maçonnerie prétend conduire la société vers son bien supérieur sans lui demander son avis et au besoin contre sa volonté. C'est toujours la vieille croyance d'origine millénariste et gnostique qu'une élite de justes, élus du ciel ou initiés à une mystérieuse sagesse, a pour mission sainte de diriger la masse aveugle des hommes. C'est toujours le même clivage entre les gens ordinaires censés être englués dans la matière, et l'élite porteuse de lumière des pneumatiques à l'esprit subtil que prétendent être les francs-maçons.

 

« [...] L'État est en France un État-Église de la religion des droits de l'homme. Le parlement, le gouvernement, et l'administration sont le visage civil et officiel de cet État-Église; la franc-maçonnerie en constitue le visage religieux et occulte, celui dont partent les impulsions qui déterminent les grandes orientations de la nation pour le grand dommage de celle-ci. La symbiose entre ces deux éléments est d'autant plus complète que nombreux sont les hommes politiques ou les administrateurs qui sont aussi francs-maçons. Ce qui fait que le haut clergé de la religion des droits de l'homme est aussi en charge du pouvoir politique. C'est l'équivalent, pour un monde sécularisé, de ce que l'on appelle la théocratie

Le redressement de la France et même sa survie en tant que peuple exigent que soit mis fin à cette confusion du politique et du religieux - car la maçonnerie est de nature ecclésiale - qui constitue une telle régression par rapport au principe de disjonction du politique et du religieux issu de la parole christique ordonnant de rendre à César et à Dieu ce qui leur est respectivement dû. [...] Il faut en finir avec tous les avatars de la religion de l'humanité. Il n'y a pas de sens de l'histoire; une civilisation peut périr pour avoir cru à son existence.

[...] L'utopie est la toile de fond de toute la gauche. Il faut en finir avec les mirages suicidaires d'utopies qui peuvent être le tombeau de peuples entiers. Car si la gauche se croit le parti de l'avenir, en réalité elle compromet l'avenir du fait qu'elle rejette les valeurs de durée. » (Jean-Louis Harouel, Droite – Gauche, Ce n'est pas fini, Desclée de Brouwer, Paris 2017, p. 111)

Conclusion 

 

"L’élimination de Dieu et de sa loi, comme condition de la réalisation du bonheur de l’homme, n’a en aucune manière atteint son objectif ; au contraire, elle prive l’homme des certitudes spirituelles et de l’espérance nécessaires pour affronter les difficultés et les défis quotidiens. Lorsque ... il manque l’axe central sur une roue, c’est toute sa fonction motrice qui disparaît. Ainsi, la morale ne peut remplir sa fonction ultime si elle n’a pas comme axe l’inspiration et la soumission à Dieu, source et juge de tout bien. ... A l’époque post-moderne, Rome doit retrouver son âme la plus profonde, ses racines civiles et chrétiennes, si elle veut devenir promotrice d’un nouvel humanisme qui place en son centre la question de l’homme reconnu dans sa pleine réalité. Séparé de Dieu, l’homme serait privé de sa vocation transcendante. Le christianisme est porteur d’un message lumineux sur la vérité de l’homme, et l’Eglise, qui est dépositaire de ce message, est consciente de sa responsabilité à l’égard de la culture contemporaine." (Benoît XVI, Discours du pape Benoît XVI au Capitole à Rome le 9 mars 2009)

''La vérité du développement réside dans son intégralité: s’il n’est pas de tout l’homme et de tout homme, le développement n’est pas un vrai développement. Tel est le centre du message de Populorum progressio, valable aujourd’hui et toujours. Le développement humain intégral sur le plan naturel, réponse à un appel du Dieu créateur, demande de trouver sa vérité dans un « humanisme transcendant, qui (…) donne [à l’homme] sa plus grande plénitude: telle est la finalité suprême du développement personnel » [49]. La vocation chrétienne à ce développement concerne donc le plan naturel comme le plan surnaturel; c’est pourquoi 'quand Dieu est éclipsé, notre capacité de reconnaître l’ordre naturel, le but et le “bien” commence à s’évanouir''. (Benoît XVI, Discours aux jeunes, Sydney 17 juillet 2008 in Caritas in veritate § 18).

Du point de vue économique, "la richesse mondiale croît en terme absolu, mais les inégalités augmentent... Dans les pays riches, de nouvelles catégories sociales s’appauvrissent et de nouvelles pauvretés apparaissent." (Caritas in veritate § 22).

La promesse de bonheur (« pursuit of happyness »), politique de la carotte « afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous », « les seules causes des malheurs publics » étant « l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme » est une promesse au bonheur terrestre qui n'est pas fondée du point de vue philosophique. Le philosophe Alain (1868-1951) le dit très justement : 

« Dès qu'un homme cherche le bonheur, il est condamné à ne pas le trouver. [...] Le bonheur n'est pas comme cet objet en vitrine, que vous pouvez choisir, payer, emporter; si vous l'avez bien regardé il sera bleu ou rouge chez vous comme dans la vitrine. Tandis que le bonheur n'est bonheur que quand vous le tenez; si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme on ne peut ni raisonner ni prévoir au sujet du bonheur; il faut l'avoir maintenant. » (Alain, Propos sur le Bonheur, Folio, Essai, 1997, Victoires LXXXVII, p. 198-199.)

 

Le décalage croissant entre les promesses de la Révolution et la déception devant une réalisation qui ne confirme pas les promesses de bonheur, les violences et les suicides, les inégalités croissantes, imposent d'ouvrir une réflexion différente sur ce que nous devons individuellement et collectivement faire pour bâtir un monde plus efficace, plus cohérent, bref, plus rationnel et démystifié...

Le bonheur ne se trouve pas dans un matérialisme juridique où l'homme est seul face à lui-même et à l'Etat, mais dans une juste compréhension du développement humain intégral que l'on trouve dans la transcendance en Dieu, véritable écologie humaine. 

''La Révolution échoue dans toutes ses tentatives, dans toutes ses promesses, et jusque dans ses généreux désirs, écrivait en 1873 Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Elle a jeté les âmes dans l’erreur, les nations dans l’anarchie, les ouvriers dans la misère, la France dans l’angoisse et les familles dans le malheur.  […] En voyant la nature de nos malheurs, la Révolution doit se sentir elle-même profondément atteinte dans ses plus chères illusions. La barbarie a reparu parmi les hommes..." (Antoine Blanc de Saint-Bonnet dans La Légitimité, Tournai Vve H. Casterman, Rome 1873, p. 1.)

La barbarie a donc reparu. Ce qui signifie que nous enjambons deux mille ans de civilisation chrétienne pour retourner à avant même le paganisme, à la vie primitive et barbare sans secours divin possible, Dieu ayant été chassé de nos institutions par des professionnels du mensonge.

"Les temps modernes sont les plus irrationnels et les plus violents de toute l'histoire de l'humanité.'', écrit justement Alain PASCAL (La Guerre des Gnoses, Les ésotérismes contre la tradition chrétienne **, Islam et Kabbale contre l’Occident chrétien, éd. Cimes, 2e éd. revue et augmentée, Paris 2015, p. 8.)

''La corruption des idées a entraîné la corruption des mœurs, et celle-ci une sorte de décomposition de l’homme. Nous connaissons tant de malheurs pour nous êtres livrés sans mesure à l’ingratitude. Notre faute rappelle en quelque sorte celle d’Eve : méfiance envers Dieu, crédulité à l’égard du serpent. D’ailleurs, quitter le christianisme pour ce donner à des sottises ! Tomber des sources du génie pour courir vers des apparences ou suivre des idées dont on n’a saisi que les mots !'' (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimitéibid., 9). Quitter le Christ-Roi pour le règne de la barbarie et de la sottise ! Quelle erreur !

"Le péché de la France est de s’être éloignée de Dieu. ... L’homme succombe sous le joug de l’homme. En péchant contre le Créateur, il a péché contre lui-même, il a perdu ses droits, son repos, son bonheur ; tout un peuple a perdu sa gloire." (Antoine Blanc de Saint-Bonnet, La Légitimitéibid., 9).

 

La logique interne de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, faisant de l'homme en quelque sorte l'homme-Dieu (des rosicruciens satanistes et de la franc-maçonnerie) est résolument athée : le choix moral n'a plus à voir avec une loi morale divine à laquelle il faudrait se conformer pour atteindre les formes les plus authentiques de bien-être et de bonheur spirituels collectifs. De telles normes morales divines sont considérées comme oppressives et anti-humaines dans la logique de la déclaration dites des "droits de l'homme'' sans Dieu, et l'ensemble du projet moderne peut être considéré comme une série lente mais inexorable de transgressions sans fin de tout ce qui a précédé, une rébellion ouverte contre toutes la morale divine. Mais les contraintes, et les limites morales ne sont-elles pas la discipline qui seule, apporte le vrai bonheur comme tout parent d'adolescent cherche à l'inculquer à son enfant rebelle la discipline sans laquelle nous sommes tous comme du béton mouillé versé sans but sur le sol et non dans une forme qui lui donne une vraie forme ?

 

Le résultat de l’athéisme latent de la déclaration est qu'il ne nous donne aucun sens transcendant à nos souffrances, à nos sacrifices pour poursuivre la morale privée et publique vers le bien privé et commun. Il est par exemple difficile  voire impossible  d'apprivoiser notre concupiscence sexuelle sans un tel repère transcendant, qui seul peut alimenter notre prise de conscience qu'eros est destiné à quelque chose de tellement plus et tellement mieux ! Seul un tel repère peut donner un sens aux souffrances que nous infligent les maladies corporelles et les maladies mentales. Et bien sûr, pour une personne moderne vivant dans un monde moderne qui n’a pour repère que la déclaration moderne des droits de l'homme, de telles souffrances semblent vaines et inutiles, une incongruité. C'est pourquoi le lien commun dans la déclaration moderne est l'angoisse de n'être pas heureux. Et qui doit (et peut) soulager cette peur ? L'Église. Qu'a-t-elle à offrir comme eau vive pour étancher notre soif existentielle de quelque chose de plus que le magasin d'horreurs séculaires dans lequel nous sommes piégés depuis 1789 ? L'Église a le Christ crucifié et ressuscité, le seul véritable remède. Notre seule Constitution.

 

La réflexion à mener se trouve donc dans l'articulation entre l'individuel et le collectif, comment recréer du collectif et de l'égalité dans une société individualiste qui en rejetant le Créateur pour choisir l'homme-Dieu, est source de toujours plus d'irrationnel, et donc de violences et d'inégalités. C'est que tout en revendiquant des valeurs évangéliques, les révolutionnaires en expulsant le Dieu véritable pour le remplacer par le culte de l'« être suprême » se sont coupés de la source sans laquelle on ne peut plus reconnaître les fruits.

 

''Une liberté qui n'est pas donnée par un Père est un mouvement incohérent; une égalité qui ne reconnaît pas le choix préférentiel d'un amour est mensongère et une fraternité qui s'autoproclame sans référence à une origine commune est fausse.. Vouloir tuer le Père tout en gardant les valeurs, par lui, léguées est impossible.'' (Fr. Jean-Michel Potin, dans Le Livre noir de la Révolution française, Les Editions du Cerf, Paris 2008, p. 415-416.) On aime son prochain non parce qu'une déclaration écrite nous l'impose, on aime son prochain par amour pour Dieu. Voilà la différence. Il y a dans cet amour et cette égalité une part de don, libre, de gratuité de l'offrande, une part de liberté intérieure qu'aucune loi écrite ne pourra contraindre.

 

Au total, nous seuls chrétiens, par notre doctrine de sanctification et de purification intérieure, sommes les vrais défenseurs du Bien commun, de l'intérêt général, de la société, les protecteurs de l'Etat, de la loi et de l'ordre public. Nous seuls chrétiens, par notre doctrine dogmatique sommes le seuls détenteurs de la Raison, les seuls organisateurs d'un monde rationnel lorsque les tenants de la déclaration moderne sombrent eux-mêmes dans l'angoisse, l'irrationnel, le magique, le totalitarisme.

En 2005, Benoît XVI "a rappelé à la catholique Italie qu'une "saine laïcité de l'État, en vertu de laquelle les réalités temporelles sont régies selon leurs règles propres", ne doit cependant pas oublier "les références éthiques qui trouvent leurs fondements ultimes dans la religion". Quand la communauté civile écoute le message de l'Église, elle est 'plus responsable', plus 'attentive à l'exigence du bien commun'. Son livre, L'Europe de Benoît dans la crise des cultures, a été présenté le 21 juin 2005 à Rome est un recueil de trois conférences en italien données de 1992 à 2005 par celui qui était alors le gardien de la doctrine de l'Église. Le futur pape estimait que la crise de l'Europe était due au développement d'une culture "qui, de façon inconnue jusqu'ici, exclut Dieu de la conscience publique." (Source: Le Vatican : Hervé Yannou, Le Figaro, Benoît XVI veut réconcilier l'Europe autour des valeurs chrétiennes, 25 juin 2005).

 

Pas de liberté, pas d'amour possible, donc pas d'égalité ni de fraternité dans le mensonge, l'erreur ou la contradiction. L'impasse elle-même des droits de l'homme aujourd'hui réside dans la contradiction entre liberté et égalité qui se résoudrait simplement dans un horizon démocratique (celle de l'économie de marché qui est prétendue rendre spontanément le bonheur aux gens selon les déclarations des droits de l'homme américaine et française), sans transcendance (hormis aux Etats-Unis mais les démocrates s'y opposent) et donc sans responsabilité... Or, s'il n'y a pas de transcendance, il n'y a pas de responsabilité, ce système peut parfaitement se conjuguer avec le totalitarisme communiste, qui met l'économie au service de son hégémonie. Tout l'enjeu pour l'Occident, est d'inscrire ses valeurs démocratiques de liberté et d'égalité dans la transcendance chrétienne qui les a vu naître et se développer... Or, la tendance actuelle des gouvernements occidentaux maçonniques est de combattre le christianisme. S'il n'y a pas de liberté authentique dans le carcan étatique, il n'y a pas non plus d'égalité dans une civilisation où la liberté est déresponsabilisée dans un système horizontalisé qui nie et combat la responsabilité de chacun devant la transcendance.

On ne peut pas ignorer que ce fut la négation de Dieu et de ses commandements qui créa, au siècle passé, la tyrannie des idoles exprimée à travers la glorification d’une race, d’une classe, de l’Etat, de la nation, du parti, au lieu du Dieu vivant et véritable.


C’est précisément à la lumière des évènements tragiques du vingtième siècle que l’on comprend comment les droits de Dieu et de l’homme s’affirment ou disparaissent ensemble.

Saint Jean-Paul II, message au cardinal Antonio María Javierre Ortas à l'occasion du congrès pour le 1200ème anniversaire du couronnement de l'empereur Charlemagne, 16 décembre 2000

Réinscrire nos valeurs dans la transcendance et la logique. Mettre fin au magique

 

Le monde moderne inverse l'ordre classique où Dieu était central, elle met l'homme à la place (c'était déjà le projet des « Humanistes »), et l'Homme-Dieu.

 

Le « Grand architecte » de la déclaration n'est pas le Dieu de la Bible, c'est le dieu des « philosophes » francs-maçons : tout part de l'homme et y revient. Cette magie irrationnelle (puisqu'elle n'a pas d'autre explication du monde que l'homme), ne donne pas de réponse au mal.

Cette vision est désormais dépassée par la science elle-même.

Selon un article de Science et Vie du 5 avril 2023 ( à lire en Pdf : http://michelbeja.com/wp-content/uploads/2020/08/D-SC-ET-VIE.pdf ), "après quinze siècles de recherches menées par les plus grands penseurs, les mathématiques et l'informatique ont parlé : selon les règles de la logique, l'existence de Dieu est nécessaire ! [...] [L]’existence de Dieu est nécessaire à tout système de pensée logique. [...] Le théorème [...] affirme [...] qu’il est irrationnel de dire qu’il (Dieu) n’existe pas." 

Source : https://www.science-et-vie.com/article-magazine/existence-de-dieu-les-mathematiques-ont-enfin-la-reponse

Source : https://www.science-et-vie.com/article-magazine/existence-de-dieu-les-mathematiques-ont-enfin-la-reponse


La révolution a commencé par la déclaration des droits de l'homme : elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu.

Louis de Bonald

Notes

 

[1] L'abbé jésuite Augustin Barruel appela Jean-Jacques Rousseau "'le père de Weishaupt,... sophiste prévenant les leçons du moderne Spartacus..." (Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, Editions de Chiré, Chiré-en-Montreuil 2005, tome 2, p. 163-164).

[2] Robespierre à Danton, 15 février 1793, dans Correspondance de Maximilien et Augustin Robespierre, publ. G. Michon, 2 vol., Paris 1926 et 1941, t. 1, p. 160, cité dans Xavier Martin, Voltaire méconnu, Aspects cachés de l'humanisme des Lumières, 1750-1800, Dominique Martin Morin, Mayenne 2007, p. 296-297.

[3] Lys de France

[4] De la même manière qu'aujourd'hui le seul complot autorisé est le complot russe, à l'époque le seul complot autorisé était le "complot royaliste". Aujourd'hui on n'est plus très loin du moment où ils parleront du complot des "complotistes" ! 

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 12:10

Mise à jour en orange dans le texte le 26/12/2021.

Un débat a été organisé par France Inter autour de la parution du dernier livre d'Éric Zemmour, « Destins français ». Après une joute sur les Croisades qu'Eric Zemmour réhabilite pour avoir préservé l'Europe d'une invasion islamique dès le XIe siècle et permis l'éclosion de la Renaissance et de la civilisation européenne (Zemmour cite le grand orientaliste René Grousset à ce sujet), Raphaël Glücksman donne les vraies raisons de la détestation médiatique : la réhabilitation de Pétain, et l'attaque des "Lumières" que furent Voltaire et Victor Hugo :  

En réponse à Raphaël Glucksman, Eric Zemmour cite Suarès 

 

« Je vais vous répondre tout d'abord par une phrase d'André Suarès et vous allez comprendre exactement mon point de vue qui est aux antipodes du vôtre. Vous avez tout à fait raison. André Suarès est un auteur des années 30, oublié malheureusement alors que c'est un très grand écrivain et qui avait écrit des livres terribles pour passer à la guerre contre Hitler, fils de juif italien et patriote français, et surtout grand écrivain, fou de Pascal et qui avait fini presque par écrire aussi bien que Pascal. Et qui disait - et vous allez voir que c'est la réponse à notre querelle : "Que le peuple français aille ou non à l'Église, il a l'Évangile dans le sang. Et ses plus grandes fautes sont quand il met du sentiment dans la politique."

 

« [...] (Victor) Hugo, en politique, s'est trompé sur tout. Il est l'incarnation de ce que je viens de dire, le sentiment dans la politique. (Charles) Péguy lui-même dit (de Victor Hugo): "il aime les assassins." Et c'est une part de sa naïveté. Il nous a introduit dans cette victimisation.

 

« Voltaire, le chantre de "la liberté" était le plus sectaire du monde. Relisez Augustin Cochin. »

 

En réponse, Raphaël Glucksman déclare: « Quand vous citez l'Évangile, moi je ne nie absolument pas le fait que la France ait une histoire chrétienne et que dans ses veines coulent les Évangiles. Simplement ce que vous, vous écrivez dans votre livre - parce que même nos conceptions du christianisme diffèrent totalement, on est à l'opposé absolument - , vous écrivez dans votre livre, vous dites clairement : "Je suis pour l'Église et contre le Christ." Quand vous dites cela, vous ne comprenez rien à la Révolution française, vous ne comprenez rien à tout ce qui fait l'histoire des révoltes françaises pour la liberté puisque, eux, épousent le Christ contre l'imposition verticale. »

 

Eric Zemmour fait une réponse curieuse qui mériterait une explication en profondeur : « Mais biensûr, vous êtes pour le christianisme et moi pour le catholicisme. »

 

Sur ce point, Eric Zemmour exagère et déforme sans aucun doute le vrai christianisme. Le terme « christianisme » englobe les hérésies protestantes, le catholicisme ne rejette pas ce qu'il y a de chrétien (catholique) dans ces hérésies (raison pour laquelle par exemple le Concile de Trente reconnaît les baptêmes protestants valides si faits au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et en raison de faire ce qu'a toujours fait l'Église). Zemmour tombe dans le piège des hérétiques gnostiques des premiers siècles comme des protestants aujourd'hui, en sous-entendant que le catholicisme serait opposé au christianisme : ceci est faux bien évidemment. [Le catholicisme, tronc d'origine du premier christianisme, n'est pas une ''secte du christianisme'' comme on l'entend dire dans certains cercles (comme les ''Témoins de Jéhovah'' par exemple). Le terme grec, kajolik´ov, catholicos qui avait déjà chez les auteurs grecs (Aristote, Zénon, Polybe) le sens d’universel, de total, de général, est employé depuis le début du IIe siècle, presque exclusivement par les auteurs chrétiens, et pour la première fois par Ignace d’Antioche en 112 ap. J.-C., dans sa Lettre aux chrétiens de Smyrne (VIII,2), pour désigner l’Église de Jésus-Christ. Dès ce moment, le mot a un double sens: il désigne la foi catholique commune à toute l'Église déjà répandue dans de nombreux pays, par opposition aux communautés ayant assez tôt dévié de la foi apostolique (nicolaïtes, gnostiques de toutes obédiences, et hérétiques tels que définis par saint Irénée de Lyon). "C'est l'orthodoxie qui crée l'hétérodoxie et non pas l'inverse : c'est en se considérant orthodoxes que ceux qui ne le sont pas sont rejetés comme hétérodoxe." (Simon Claude MIMOUNI, Le judaïsme ancien et les origines du christianisme, Bayard, Italie 2018, p. 296-297)]. Sur ce point, aussi bien Glücksman qui assimile l'Église catholique à une « imposition verticale » que les révolutionnaires de 1789 auraient voulu rejeter (ce qui ferait d'eux en quelque sorte les vrais chrétiens, avant d'imposer leur propre religion celle des droits de l'homme !...), que Zemmour avec son "Je suis pour l'Église et contre le Christ", sont dans l'erreur. Ne lisons-nous pas dans l'Évangile de ce dimanche 30 septembre, qui tombe à point :

 

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc 9:38-48: En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. » Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » (Fin de citation de l'Evangile) 

Jésus explique ici la vraie tolérance qui vient de Dieu et nous explique que les hérétiques n'étant pas contre nous sont pour nous. Et ceci a toujours été la position de l'Église catholique qui a toujours cherché à ramener les hérétiques à la pleine communion.

 

Décrivant son activité messianique, Jésus a dit de Lui-même qu'il était venu porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu'ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés. (Luc 4:18). Les Évangiles nous montrent ceux qui sont contre Jésus : les pharisiens viennent Le voir, et devant les guérisons que fait Jésus, ces faux docteurs veulent troubler l'activité messianique de Jésus en faisant passer le bien pour le mal, jusqu'à faire passer le Christ pour un auxiliaire de Satan : Il chasserait les démons par le prince des démons. Et l'on comprend que Jésus ait alors dit d'eux : « Tout royaume divisé contre lui-même devient un désert ; toute ville ou maison divisée contre elle-même sera incapable de tenir. Si Satan expulse Satan, c’est donc qu’il est divisé contre lui-même ; comment son royaume tiendra-t-il ? Et si c’est par Béelzéboul que moi, j’expulse les démons, vos disciples, par qui les expulsent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. Mais, si c’est par l’Esprit de Dieu que moi, j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous. Ou encore, comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison de l’homme fort et piller ses biens, sans avoir d’abord ligoté cet homme fort ? Alors seulement il pillera sa maison. Celui qui n'est pas avec moi est contre moi; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » (Matthieu 12:30)

 

À bien analyser aussi bien le discours de Raphaël Glucksman que celui de Zemmour, aucun des deux ne semblent consister précisément à être contre Jésus, même si pour le coup, la position de Zemmour qui déclare être pour l'Église et contre le Christ (en pensant certainement être contre les hérésies protestantes qui se disent chrétiennes) est maladroite, inexacte, contre-productive, pour le moins ambigüe. Les deux expressions pourraient bien être aussi éloignées l'une que l'autre du Christ en produisant pour l'une la religion des droits de l'homme, pour l'autre en privant le catholicisme de son amour du prochain, une simple doctrine autoritaire et intolérante.

 

Être "contre" le Christ c'est choisir volontairement l'enfer.

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2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 00:00
Croisades

Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître aux croisades une dette. La civilisation européenne doit tout ce qu'elle est aux croisades.

 

Note du rédacteur. Nous avons voulu résumer ici tout ce qu'il faut savoir sur les Croisades, les évènements et les concepts politiques qui en ont découlé. Cet article pourra être augmenté au fil de la publication d'ouvrages ou d'informations nouvelles sur le sujet. 

Croisades

Deux siècles d'hégémonie européenne au Levant vont en découler, deux siècles durant lesquels l'avance turque reculera non seulement devant la conquête franque en Syrie et en Palestine, mais encore devant la reconquête byzantine en Asie Mineure. [...] La catastrophe de 1453, qui était à la veille de survenir dès 1090, sera reculée de trois siècles et demi. [...] Le cours du destin va être arrêté et brusquement refluera.

René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 18, 35

Les Croisades auront permis l'éclosion de la civilisation européenne. Deux siècles de répit face à l'avancée militaire de l'islam, ont empêché que l'Europe ne devienne islamique dès le XIe siècle. Sans les Croisades, ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni les libertés publiques, ni les droits de la femme n'eurent pu éclore. La meilleure preuve est la survie de l'esclavage dans les sociétés musulmanes aujourd'hui en 2018, comme au Qatar. Un esclavage qui avait été aboli chez nous au VIIe siècle, par la reine Bathilde (626-680).

 

En ce sens, on peut dire qu'en dépit de l'échec final apparent des croisades (la perte de la cité terrestre de Jérusalem), les Croisades auront gagné aux européens une autre cité, plus céleste, un autre royaume, plus spirituel : la civilisation européenne. On peut y voir, sans aucun doute, l'oeuvre de la Providence. Cette conclusion est d'ailleurs celle en filigrane du film de Ridley Scott, intitulé "Kingdom of heaven" (2005) : "Le Royaume des Cieux".

En voici l'histoire :

La laïcité est une invention spécifiquement chrétienne. Le christianisme a inventé la distinction du sacré et du profane, du religieux et du politique, du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Cette distinction est la marque spécifique et le fondement même de la civilisation chrétienne. [...] C'est d'elle qu'est née la liberté de l'individu, laquelle est à l'origine non seulement des libertés publiques européennes mais encore de la dynamique occidentale. [...] L'avènement de la science et de la technique moderne est certes un miracle européen, mais plus profondément encore un miracle chrétien.

[...] Frédéric Lenoir écrit que les règles morales que Jésus "instaure [...] ont historiquement débordé le champ du christianisme pour fonder une éthique que nous considérons aujourd'hui en Occident comme universelle et laïque : l'égalité entre tous les êtres humains, la fraternité, la liberté de choix, la promotion de la femme, la justice sociale, la non-violence, la séparation des pouvoir spirituel et temporel...."

[...] L'universitaire américain Rodney Starck a donné pour sous-titre à un de ses livres : "Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme". (R. STARCK, Le triomphe de la Raison, 2007.)

[...] Dans la perspective historique, celle du long terme, c'est le christianisme, dans son ensemble, qui a inventé le progrès technique, économique et social. Le processus de modernisation économique a commencé en Europe occidentale dès avant la fracture de la Réforme, et s'il a connu ensuite une ampleur spectaculaire en terre protestante, il s'est poursuivi aussi dans des pays restés catholiques.

[...] En inventant progressivement la modernité scientifique, technique et économique, la chrétienté occidentale a engendré la civilisation de loin la plus puissante matériellement ayant jamais existé jusque-là dans l'histoire du monde.

[...] Dès le XVIIe siècle et surtout le XVIIIe siècle, il y avait une énorme supériorité scientifique et technique de l'Europe occidentale chrétienne sur le reste du monde. C'est cela qui explique la colonisation. [...] La confrontation en Égypte de Bonaparte et du monde musulman fut un choc traumatique pour celui-ci, tant il s'est brusquement perçu comme déclassé par des chrétiens qu'il avait l'habitude séculaire de mépriser.

[...] Certes, il y a eu ensuite le "miracle japonais". [...] Puis, plus récemment, ont eu lieu d'autres miracles (israélien, coréen, chinois, indien, etc.) Mais on ne saurait oublier que tous sont des greffes du "miracle chrétien".

[...] Dans les vieux âges, la religion et l'État ne faisaient qu'un. [...] La religion commandait alors à l'État, et lui désignait ses chefs par la voie du sort ou par celle des auspices; l'État, à son tour, intervenait dans le domaine de la conscience et punissait toute infraction aux rites et au culte de la cité. Au lieu de cela, Jésus-Christ [...] sépare la religion du gouvernement [...] : "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu." (Matthieu 22:21) C'est la première fois que l'on distinguait si nettement Dieu de l'État. Car César, à cette époque, était encore le grand pontife, le chef et le principal organe de la religion romaine.

[...] Certes les Grecs sont considérés comme les inventeurs de la liberté politique, et la démocratie athénienne du Ve siècle avant notre ère reste dans ce domaine la grande référence. Mais, faute de séparation du politique et du religieux, la religion déterminait tout, ce qui empêchait une liberté individuelle préfigurant celle des sociétés libérales modernes.

[...] Commentant la pensée de saint Thomas, le grand philosophe du droit Michel Villey souligne que "les origines des libertés individuelles du droit européen moderne" résident dans le fait que "l'individu, pour une part, échappe au contrôle de l'État".

[...] La Chine ancienne n'a pas réellement mis ses découvertes au service de la production et de la vie économique. Les inventions chinoises n'ont pas débouché sur une révolution industrielle, et c'est bel et bien l'Europe chrétienne qui a inventé le progrès technique, économique et social. [...] (En Chine) "La décision d'un despote suffisait à arrêter une innovation". Inversement, "l'Europe n'a jamais eu de despote capable de tout verrouiller". (J. DIAMOND, De l'Inégalité parmi les sociétés, Paris 200, p. 620-625).

[...] On ne le dira jamais assez : le miracle européen que fut l'invention du progrès technique, économique et social a fondamentalement été un miracle chrétien. Celui qui recherche aux évolutions sociales et économiques des clés d'explication en faisant l'impasse sur le facteur religieux se condamne à la cécité.

[...] À la différence du christianisme, l'islam n'a fait que s'inscrire dans la continuité des civilisations anciennes. [...] Faute d'une distinction du sacré et du profane, l'État n'a pas de légitimité propre, il n'existe que pour servir la religion. [...] Les sociétés musulmanes sont holistes, et ne laissent guère de place à l'individu.

[...] Le spectaculaire décollage de l'Occident eut pour conséquence le déclassement de la civilisation musulmane - tout comme d'ailleurs celui d'autres grandes civilisations telles que la Chine et l'Inde.

[...] Bernard Lewis le marque clairement à propos de l'infériorité militaire du monde islamique par rapport à l'Occident à partir de la fin du XVIIe siècle : "Le problème ne résidait pas, comme d'aucuns l'ont prétendu dans le déclin du monde musulman. [...][C]'étaient l'inventivité et le dynamisme déployés par l'Europe qui creusaient l'écart entre les deux camps." [...] L'Empire ottoman [...] était presque entièrement dépendant de l'Occident pour l'équipement de ses armées en matériel moderne. [...] L'énorme canon projetant des boulets de 400 kg qui permit à Mehmet II de prendre Constantinople (en 1453) en anéantissant tout un segment de l'inexpugnable muraille terrestre protégeant la ville avait été fabriqué par un Allemand. C'était un Saxon nommé Urban. Le monde islamique n'a inventé "ni canons, ni arquebuses, ni tactiques originales", mais s'est procuré à prix d'or des "transferts de technologie" effectués par des "transfuges" européens que le sultan "paie généreusement". Cependant, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, apparaît une nette "infériorité" de l'artillerie ottomane "qui ne sera pas surmontée, malgré les appels aux spécialistes et aux techniques d'Occident." (S. YERASIMOS, Pourquoi les Turcs ont pris Constantinople", dans Les Collections de l'Histoire, n° 45, oct.-déc. 2009, p. 17-19; G. VEINSTEIN, "L'Artillerie fait merveille", ibid., p. 18.)

Jean-Louis Harouel, Le Vrai génie du christianisme, Laïcité, Liberté, Développement, éditions Jean-Cyrille Godefroy, , Clamecy 2012, p. 11; 13; 20-21; 36-39; 64; 76-77.

Introduction

 

Sans les croisades, l'Europe aurait été musulmane dès le XIIe siècle. Ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni même notre culture moderne libérale occidentale n'aurait pu éclore. Pourtant, "aujourd'hui, dans les manuels d'histoire, le sujet des croisades frôle la repentance. Et chez les humanistes, les croisades sont considérées comme une horrible agression perpétrée par les Occidentaux violents et cupides à l'encontre des musulmans tolérants et raffinés..." [Jean Sévillia, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique, Perrin, Saint-Amand-Montrond 2003, p. 36-38] C'est au XVIIIe siècle que commence avec les "philosophes" des "Lumières" la légende noire des Croisades, fruit du "fanatisme" et de l'"intolérance" de l'Église. La réalité est pourtant bien loin de ce tableau caricatural. Si l'Europe est ce qu'elle est aujourd'hui, elle le doit au sacrifice des croisés qui arrêtèrent l'expansion de l'islam, le temps suffisant de prendre le dessus techniquement sur le monde islamique et d'empêcher l'invasion de l'Europe.

Dans les manuels de l'école républicaine du début du XXe siècle, les Croisés étaient dépeints en guerriers violents et sanguinaires. Mais les Croisades , elles-mêmes, étaient regardées d'un œil favorable : les laïcistes y voyaient une expédition qui avait fait rayonner la culture française. Les manuels scolaires républicains (Brossolette, cours moyens, p. 23) reconnaissaient "les bons résultats des Croisades sur la civilisation et le commerce"... [in Jean Guiraud, Histoire partiale, Histoire vraie, éditions Beauchesne, 1912, p. 247]

L'image négative des Croisades est étonnante vu que « pendant des siècles, l'Europe a chanté la grandeur de ses expéditions Outre-mer, d'abord dans des chansons de geste, puis dans la Jérusalem délivrée (poème épique) du Tasse, la plus grande épopée du XVIe siècle, et même dans l'opéra, où les amours de Tancrède ont inspiré compositeurs et librettistes, de Monteverdi à Rossini. C'est dans les Croisades que bien des familles ont cherché leurs lettres de noblesse, et les colonisateurs un référent historique. Pourtant au siècle des Lumières, écrit Laurent Vissière, la tendance commence à s'inverser. Voltaire stigmatise l'intolérance et la brutalité des Croisés. Au XXe siècle, dans un contexte de décolonisation et de mauvaise conscience occidentale, prévaut l'image noire des Croisades. On parle alors d'un "grand malheur", d'un "crime", ou, pour reprendre la pittoresque formule d'Amin Maalouf, d'un "viol" que les méchants croisés auraient commis à l'égard des paisibles populations musulmanes... En Orient, [...] avec le réveil politique et religieux du monde arabe, on assiste à la re-construction d'une mémoire mythique, dans laquelle la terre d'Islam est toujours agressée par l'Occident; et de ce fait, Saladin, sorti de l'oubli, sert de modèle aux dictateurs laïques comme aux ayatollahs. Bref, des deux côtés de la Méditerranée, s'impose un schéma parfaitement manichéen de la première croisade, dont on ne parle plus qu'en termes moraux. » [Laurent Vissière, Revue HISTORIA N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 4]

 

L'historien britannique de vulgarisation des croisades, Sir Steven Runciman, termina en 1954 ses trois volumes de magnifique prose avec un jugement lapidaire : les croisades n’étaient « rien de plus qu’un long acte d’intolérance au nom de Dieu, qui est le péché contre le Saint-Esprit» [Sir Steven Runciman, A History of the Crusades: Vol. III, The Kingdom of Acre and the Later Crusades, Cambridge: Cambridge University Press, 1954, 480

 

En 2001, à la suite des attentats islamistes du 11 septembre, l’ancien président américain Bill Clinton prononçait un discours à l’Université de Georgetown dans lequel il discutait de la réponse de l’Occident. Le discours contenait une référence brève mais significative aux croisades. Il faisait remarquer que "lorsque les soldats chrétiens ont pris Jérusalem [en 1099], ils... se sont mis à tuer chaque femme et chaque enfant musulman sur le Mont du Temple". Et il cita "des compte-rendus contemporains de l’événement" décrivant "des soldats qui marchaient sur le Mont du Temple avec le sang coulant jusqu’aux genoux". Cette histoire continuait à être "racontée aujourd’hui au Moyen-Orient et nous continuons à payer pour cela", déclara sur un ton emphatique M. Clinton. Cette vision des croisades n’est pas inhabituelle, elle imprègne les manuels scolaires comme la littérature populaire, a constaté l'universitaire américain Paul F. Crawford, dans un article paru au printemps 2011, dans la Intercollegiate Review, article traduit sur le site Medias-presse.Info. [1] L’auteur prend en compte les arguments des adversaires des Croisades dont il démontre le simplisme et le "politiquement correct". "Les croisades étaient une sorte de début de l’impérialisme". [R. Scott Peoples, Crusade of Kings, Rockville, MD: Wildside, 2009, 7Raccourci pratique mais anachronique et inexact, compte tenu des buts limités de la croisade, que nous évoquerons un peu plus loin. 

 

Le successeur de Bill Clinton, le président néo-conservateur George Bush parla lui-même de "croisade" et de "guerre contre le terrorisme qui va prendre du temps" pour justifier sa néfaste invasion de l'Irak, soldée par un fiasco, comme en Libye, avec des conséquences dévastatrices en terme de déstabilisation de ces régions et de migrations. La comparaison de George Bush était d'autant plus anachronique et intellectuellement risquée que le but n'était pas le même que celui des croisades médiévales. Faisant d'une pierre deux coups, « le président américain G. W. Bush promettait de lancer contre ces fanatiques musulmans une nouvelle "croisade", expression malencontreuse qui confortait du même coups la perception réductrice et même fautive de ses adversaires...", écrit Jean Flori dans Idées reçues sur les croisades. » [Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 11]. Il relançait (volontairement ?)  la légende noire des croisades que Voltaire et les philosophes des dites "Lumières" avaient contribué, en France du moins, à répandre.

 

Le verdict semble unanime, les croisades sont dépeintes comme un épisode déplorable de violence dans lequel des soldats violents et cupides d’Occident, sont venus sans aucune provocation, assassiner et piller gratuitement des musulmans raffinés et épris de paix, et fixer des modèles d’oppression qui se seraient répétés tout au long de l’histoire par un Occident diabolique... Dans de nombreuses régions du monde occidental aujourd’hui, cette vue simpliste est trop banale et apparemment trop évidente pour être seulement remise en cause. Mais de la même manière qu'une majorité ne détient pas toujours la vérité, l’unanimité n’est pas une garantie d’exactitude.

La situation respective, territoriale et spirituelle du monde musulman et de la Chrétienté en 1095

 

Un retour sur le passé est "nécessaire pour établir la situation respective, territoriale et juridique, du monde musulman et du monde byzantin à l'arrivée des Croisades", écrivait déjà en 1934 le grand orientaliste René Grousset dans son introduction à sa monumentale Histoire des Croisades (I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, p. 19)

Partage de l'Empire en 395 entre les fils de Théodose, Honorius (Occident) et Arcadius (Orient)

Partage de l'Empire en 395 entre les fils de Théodose, Honorius (Occident) et Arcadius (Orient)

Même si la matière s'est depuis considérablement enrichie d'une bibliographie surabondante et de débats qui se poursuivent sur des points controversés, le travail de René Grousset reste d'autorité. L'objectivité de l'auteur apparaît lorsque lorsque il ne réserve pas sa sympathie aux seuls "Francs" (qu'il juge même parfois sévèrement) : il parle avec la même admiration des paladins musulmans qu'ils combattaient. Notre époque serait peut-être même plus réservée sur le personnage de Saladin, en qui René Grousset voyait - comme les Francs du XIIIe siècle - un héros de roman de chevalerie. De même, a-t-il malmené l'empereur Frédéric II, qui a voulu dénationaliser la Syrie franque, tout en dressant néanmoins un hommage pour le génie de ce même empereur, dans Figures de proue (1949).

Le grand mouvement des croisades se produisit sous le règne de Philippe Ier (1060-1108). Or presque tous les rois qui, à cette date, régnaient en Europe, étaient brouillés avec le Saint-Siège; Philippe Ier, roi de France, Guillaume II, roi d'Angleterre et l'empereur allemand Henri IV étaient excommuniés. La croisade des chevaliers (1096-1099) ne put avoir à sa tête que de grands féodaux. Le roi de France, néanmoins, ne s'en désintéressa pas: il y fut représenté par son frère Hugue, comte de Vermandois, dit le Mainsné (cadet). [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934 , p. 28] Hugues de Vermandois prit la croix avec Godefroy de Bouillon et combattit au siège de Nicée, à Dorylée. Lors de la prise d'Antioche (3 juin 1098), il gagna le surnom de "Grand". Mais les Turcs assiégeant la ville, découragé, il abandonna les croisés et revint en France sans avoir accompli son vœu. La prise de Jérusalem un an plus tard (15 juillet 1099) le couvrit de honte et, pour réparer son manquement, il repartit en croisade ; blessé dans un combat au bord du fleuve Halys, il mourut à Tarse, en Cilicie (1101).

Expansion du christianisme à l'apparition de l'islam

Expansion du christianisme à l'apparition de l'islam

 

Situation territoriale

 

En 632 ap. J.-C., Jérusalem (comme l'ensemble des territoires de l’Égypte, de la Palestine, de la Syrie, de l’Asie Mineure, de l’Afrique du Nord, de l’Espagne, la France, l’Italie et les îles de Sicile, la Sardaigne et la Corse) était chrétienne (carte ci-dessus). Ces territoires faisaient partie de l'Empire romain, qui existait encore en sa partie orientale sous le nom d'"empire romain d'Orient" (ou "empire byzantin"). Cet empire romain dura donc encore mille ans après la chute de sa partie occidentale en 476 suite aux invasions germaniques. Les territoires de l'ex-empire romain avaient pour religion le christianisme, qui, après avoir été persécuté et avoir reçu la liberté de culte avec l'édit de Milan de l'empereur Constantin, fut adopté comme religion de l'Empire avec les édits de 392 de Théodose le Grand et ses successeurs. La mère de Constantin, Ste Hélène fit un pèlerinage à Jérusalem en 326, elle y découvrit  la Vraie Croix au lieu du Calvaire, et  fit détruire le temple de Vénus bâti par l'empereur Hadrien sur le lieu du Temple de Jérusalem (qu'il avait lui-même détruit), et fit ériger la basilique du Saint-Sépulcre sur le lieu de la crucifixion (le Golgotha), à proximité de la grotte où le corps du Christ fut déposé après sa mort. 

En dehors des strictes limites territoriales de l'Empire, il y avait d’autres anciens territoires romains qui comprenaient des communautés chrétiennes, pas nécessairement orthodoxes et catholiques, mais chrétiennes. Par exemple la plus grande partie de la population chrétienne de Perse était des Nestoriens. En dehors de sstrictes limites frontalières de l'Empire romain, il y avait également de nombreuses communautés chrétiennes en Arabie à l'apparition de l'islam en 632. Cependant, à la fin du règne de l'empereur byzantin Héraclius († 641) les Arabes avaient envahi la Syrie, la Palestine et l’Afrique du Nord (l'Égypte sera perdue en 646 sous le règne de son successeur l'empereur Constant II).

En 732, les chrétiens perdirent l’Espagne, la plus grande partie de l’Asie Mineure (la Turquie actuelle), ainsi que le sud de la France, l’Italie et ses îles associées étaient menacées. Les îles devaient tomber sous la domination musulmane au siècle suivant avant d'être reprises par les Normands.

Les communautés chrétiennes d’Arabie furent entièrement détruites en 633, alors que les Juifs et les chrétiens étaient expulsés de la péninsule. [Francesco Gabrieli, The Arabs: A Compact History, trans. Salvator Attanasio, New York: Hawthorn Books, 1963, 47]  

Avancée de l'islam au VIIIe siècle

Avancée de l'islam au VIIIe siècle

Constantinople (ancienne Byzance), la cité fondée par l'empereur romain Constantin en 324, fut attaquée deux fois, sans succès par les Arabes; une première fois en 673-678, où l'empereur Constantin IV repoussa les Arabes grâce au feu grégeois, et une seconde fois en 718 où Léon III l'Isaurien défendit brillamment la Cité.

 

La ville sainte de Jérusalem fut prise par les musulmans en 638 sous le règne du deuxième calife, un certain Omar, parent de Mahomet. "Les chrétiens n'opposèrent aucune résistance : Omar leur garantit, dans un arrêté qu'il établit expressément pour eux, une 'sécurité absolue pour leur vie, leurs biens et leurs églises'. Les Arabes se montrèrent dans un premier temps également tolérants dans les autres territoires soumis." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, Pour en finir avec vingt siècles de polémiques, Artège, Paris 2017, p. 175-176] 

 

Cependant les Chrétiens étaient contraints de porter des signes distinctifs. Par leur statut de dhimmi, ils étaient "soumis à des mesures discriminatoires, telle que le port de deux bandes d'étoffes jaunes sur l'épaule, l'interdiction de monter à cheval et de porter les armes, ou encore de construire de nouvelles églises et de nouveaux monastères ainsi que d'exhiber les croix et les bannières." [Revue HISTORIA N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 27] Moyennant le port de signes distinctifs et le paiement d'un impôt spécial, la djizya, ils étaient autorisés à pratiquer leur culte. Mais, il leur était interdit de construire de nouvelles églises (Pacte d'Omar), ce qui à terme, les condamnait. Les pèlerinages européens pouvaient continuer, à condition d'acquitter un tribut, notamment pour accéder au Saint-Sépulcre. "Il ne s'agissait pas seulement de provinces perdues, de terres et de villes, métropoles et berceaux du christianisme, tombés en d'autres mains; ni seulement du souvenir des combats, ni des humiliations comme, en certains lieux, le port de signes distinctifs, regardés comme des signes d'infamie; mais de pouvoir accomplir les dévotions aux Lieux saints en paix, sans tourments ni dépenses excessives", écrit Jacques Heers, dans La Première Croisade. [Jacques Heers, La Première Croisade. Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 26] 

 

« Le jizya était un impôt local, inspiré de la sourate IX:29 ("Combattez-les jusqu'à ce qu'ils payent directement le tribu après s'être humiliés") devait être payé individuellement pendant une cérémonie humiliante qui rappelait aux dhimmis qu'ils étaient inférieurs aux croyants. Pour le commentateur musulman al Zamakhshari (1075-114), le verset IX:29 veut dire que "le jizya leur sera pris en les rabaissant et en les humiliant. (Le dhimmi) viendra en personne, à pied, en marchant. Quand il payera, il se tiendra debout, pendant que le percepteur sera assis. le percepteur le tiendra par la nuque, le secouera et dira : paye le jizya! et, pendant qu'il paye, on le frappera sur la nuque." Autres taxes. Outre qu'ils payaient des taxes commerciales et des droits d'octroi plus élevés que les musulmans, les dhimmis étaient soumis à d'autres formes d'oppression fiscale. [...] Ces taxes représentaient un tel fardeau que les dhimmis abandonnaient leurs villages et se réfugiaient dans les montagnes ou essayaient de se perdre dans l'anonymat des grandes villes pour échapper au percepteur. En Basse Égypte, par exemple, les coptes complètement ruinés par les taxes se révoltèrent en 832. le gouvernement arabe réprima impitoyablement l'insurrection en brûlant les villages, les plantations et les églises. Ceux qui réchappèrent au massacre furent déportés.

 

[...] Les incapacités qui frappent les dhimmis sont résumées dans le Pacte d'Omar qui fut probablement rédigé (au VIIIe siècle) par le calife Omar ben Abd al Aziz (Omar II, v. 717-720) :

 

"Nous ne construirons pas dans nos cités ou dans leurs environs ni monastère, église, ermitage ou cellule de moine. Nous ne réparerons pas, de jour comme de nuit, ce qui est tombé en ruine ou ce qui se trouve dans un quartier musulman.

[...] Nous n'organiserons pas de cérémonie publique. Nous ne ferons pas de prosélytisme. Nous n'empêcherons aucun de nos parents d'embrasser l'islam s'il le désire.  Nous montrerons de la déférence envers les musulmans et nous leur cèderons la place quand ils désireront s'asseoir.  

[...] Nous ne chevaucherons pas sur des selles.   Nous ne porterons pas d'épée ou n'importe quelle autre arme, ni ne les transporterons.  Nous ne vendrons pas de porcs.

[...] Nous ne montrerons pas nos croix ou nos livres dans les rues empruntées par les musulmans ou sur les marchés. Nous ne ferons sonner nos cloches que dans nos églises et très discrètement. Nous n'élèverons pas la voix en récitant nos prières, ni en présence d'un musulman. Nous n'élèverons pas non plus la voix pendant les processions funéraires.  Nous ne construirons pas nos maisons plus haut que les leurs."

 

En Espagne, « les musulmans ont implanté en Al-Andalous un "régime pervers", qui a humilié continuellement" les Juifs et les Chrétiens. » [Déclaration de Rafael Sanchez Saus, à l'occasion de la publication de son livre Al-Andalus et la Croix (2016), EFE / Madrid et Journal ABC, 13/01/2016 cité in Serafin FANJUL, Al-Andalus, L'Invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, L'Artilleur, Condé-sur-Noireau 2017, p. 21]

 

L'auteur du livre Al-Andalous, L'invention d'un mythe (Serafin Fanjul), affirme qu'il s'agissait d'"un régime très semblable à l'apartheid sud-africain" et d'une époque globalement "terrifiante".

 

 

[...] (Après les Croisades) [p]endant au moins trois cents ans, les chrétiens durent subir une humiliation dont il est rarement fait mention, la pratique du devshirme. Il fut instauré par le sultan Orkhan (1326-1359) et consistait à prélever régulièrement un cinquième des fils des familles de l'aristocratie chrétienne qui vivaient dans les territoires conquis. Grecs, Serbes, Bulgares, Arméniens et Albanais, souvent des fils de prêtres. Convertis à l'islam, ces enfants étaient destinés à alimenter les corps des janissaires. Ces enlèvements périodiques devinrent annuels. À dates fixes, tous les pères devaient présenter leur fils sur la place publique. En présence d'un juge musulman, les agents recruteurs choisissaient les enfants les plus vigoureux et les plus beaux. Les pères qui tentaient d'échapper à cette obligation étaient sévèrement punis. [...] Les agents recruteurs prenaient souvent plus d'enfants qu'il n'était nécessaire et revendaient le surplus à leurs parents. Ceux qui étaient incapables de racheter leurs enfants devaient se résoudre à les voir vendus comme esclaves. Cette pratique fut abolie en 1656. Toutefois, un système similaire qui prenait les enfants de six à dix ans pour être formés au service du sérail, continua jusqu'au XVIIIe siècle. Le nombre des enfants ainsi enlevés chaque année fluctuait selon les spécialistes entre huit et douze mille. Le devshirme était une violation évidente des droits des dhimmis.

[...] Tavernier, l'explorateur français du XVIIe siècle, décrit comment en Anatolie (Turquie), "il y a quantité de Grecs qu'on force tous les jours à se faire Turcs." Les Chrétiens arméniens ont, de toute évidence, subi des persécutions rigoureuses de la part des musulmans. En 704-705, le calife Walid Ier rassembla des nobles arméniens dans les églises de Saint Grégoire à Naxcawan et de Xram sur l'Azaxe et les incendia. Les autres furent crucifiés ou  décapités, cependant que leurs femmes et leurs enfants étaient pris comme esclaves. [...] Chaque siècle a eu son compte d'horreurs. Au VIIIe siècle, ce furent les massacres du Sind. Au IXe, celui des chrétiens de Séville. Au Xe, les persécutions organisées par le calife al-Hâkim. » [Fin de citation, Ibn WARRACQ, Pourquoi je ne suis pas musulman, Préfaces de Taslima Nasrin et du général J. G. Salvan, L'Âge d'homme, Mobiles géopolitiques, Clamecy 2002, p. 283-286.]

 

Au VIIIe siècle, les îles de la Méditerranée sont entre les mains des musulmans: Chypre, Crète, mais aussi Sicile, Baléares, Corse, Sardaigne, etc. Leurs razzias viennent ravager les côtes de Provence et d'Italie.

 

« Au milieu du IXe siècle, Rome est plusieurs fois pillée. L'Europe chrétienne ressemble à une forteresse assiégée. [...] Rome, territoire pontifical (est) plusieurs fois pillé par les Sarrasins en 846 et 847. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 15]

 

En Méditerranée, "les razzias des pirates et des musulmans de Sicile entretenaient un lourd climat d'insécurité". [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p.22] 

 

"Des brigands et des voleurs infestaient les chemins, surprenaient les pèlerins, en détroussaient un grand nombre et en massacraient beaucoup." [Jacques de Vitry, historien et auteur spirituel du XIIe s., cité dans Régine Pernoud, Les Templiers, Presses Universitaires de France, Que Sais-je ? Vendôme 1996, p. 5

 

Au Xe siècle, les Byzantins ayant reconquis une partie de la Syrie, les Arabes déclarèrent le jihad ; Pour se venger, ils se déchaînèrent contre les Chrétiens de Jérusalem en 966 et incendièrent à cette occasion les toits de l'église de la Résurrection.

 

 

En 979, lors de la prise de Jérusalem par le calife fatimide Ibn Moy, le porche de l'église de la Résurrection fut incendié, les coupoles s'effondrèrent et le patriarche mourut dans les flammes. [Michael HesemannLes Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid.p. 176-177] 

 

 

"L'occupation d'une bonne part de l'Orient byzantin par les musulmans plaçait les chrétiens dans une situation particulière, et par beaucoup, jugée insupportable.

 

Dans le même temps, en Europe, la reconquête chrétienne, pourtant, commençait à s'organiser dans l'Espagne occupée par les musulmans (Al-Andalous). 

Avancée et reflux de l'islam en Espagne sous l'effet de la Reconquista. Carte tirée de l'ouvrage de Serafin FANJUL, "Al-Andalous, L'invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, éd. L'artilleur, Paris 2017

Avancée et reflux de l'islam en Espagne sous l'effet de la Reconquista. Carte tirée de l'ouvrage de Serafin FANJUL, "Al-Andalous, L'invention d'un mythe, La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, éd. L'artilleur, Paris 2017

[...] Les chrétiens, ceux d'Occident surtout, se trouvaient dépossédés, chassés de leurs principaux sanctuaires; fidèles d'une religion qui, à un moment dont ils gardaient bien sûr la mémoire, avait évangélisé le monde, ils voyaient les lieux où avaient vécu le Christ et les apôtres occupés par d'autres; ils ne pouvaient y prier qu'en étrangers, tolérés, rançonnés, parfois malmenés, en tout cas soumis à toutes sortes d'exactions et d'aléas, dans des pays livrés à de constants désordres, à des conflits dynastiques, aux exigences imprévisibles de chefs mal contrôlés.

 

[...] En Asie, sur les routes de l'Anatolie (Turquie actuelle), [....] [l]es pèlerins se trouvaient là sans protection, en butte généralement aux abus, agressés et rançonnés par les bandes de bédouins, pasteurs et pillards, que les califes ou les émirs des cités contrôlaient très mal." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 26-27

 

En France, "les guerres répétées contre les Sarrasins d'Espagne avaient pris une grande place dans les préoccupations de la chevalerie française. Nombreuses étaient les expéditions que les seigneurs des bords de la Seine, de la Loire et de la Saône avaient dirigées contre eux. Les sentiments qui en naquirent furent exaltés non seulement parmi la noblesse, mais dans les couches profondes de la population, par nos grands chants épiques qui étaient à cette époque, dans la seconde moitié du XI s., en leur plein épanouissement : ces chants traduisaient, en termes d'une beauté et d'une puissance incomparables, les luttes des Chrétiens et plus particulièrement des Français contre les Sarrasins", écrit Frantz Funck-Brentano, dans son livre "Les Croisades" (Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934).

L'avancée de l'islam sous Charlemagne

L'avancée de l'islam sous Charlemagne

La bataille de Roncevaux (778) fait suite à l'échec de Charlemagne devant Saragosse, occupée par les Arabes. Au retour vers la France, Charlemagne rase Pampelune, mais son arrière-garde est surprise par l'armée basque au col de Cize (Garazi en basque, dans la province de Basse-Navarre, formé par la haute vallée de la Nive, dans le département actuel des Pyrénées-Atlantiques, capitale Saint-Jean-Pied-de-Port)expression "porz de Sizer" que l'on retrouve dans la Chanson de Roland, qui évoque les Sarrasins. « La Chanson de Roland, le plus beau, le plus émouvant de tous les chants épiques, poursuit F. funck-Brentano, date, dans la forme que nous lui connaissons, approximativement de l'année 1080. Elle eut un retentissement que nous n'imaginons plus aujourd'hui. C'est en Chantant de Roland que les soldats de Guillaume le Conquérant combattaient à Hastings. Elle (la Chanson de Roland) fut aussitôt répandue, traduite dans l'Europe entière. La Chanson de Roland est à l'origine de l'épopée nationale des Espagnols; dès le XIe siècle elle était populaire en Italie, en Allemagne. l'image de Roland et celle de son compagnon Olivier furent par toute l'Europe sculptées aux porches des cathédrales, peintes aux parois des églises, enluminées dans l'éclat des vitraux. [...] Nous lisons dans les Annales du règne de Charlemagne, d'une rédaction quasi officielle : "Le souvenir de cette blessure effaça presque entièrement, dans le coeur du roi Charles, la satisfaction des succès qu'il avait obtenus en Espagne". La douleur du roi fut bientôt celle de la nation et elle se transmit traditionnellement aux générations suivantes.

[...] À la Chanson de Roland [...], vient se joindre la Chanson de Guillaume d'Orange, elle aussi de cette seconde moitié du XIe siècle et parlant, elle aussi, en des termes souvent d'une poignante émotion, des combats soutenus par les Chrétiens de France contre les Sarrasins. [...] Ces chants étaient colportés par les jongleurs et les troubadours parmi les masses populaires; ils les chantaient aux pèlerinages qui attiraient des foules nombreuses, aux foires et aux lendits. [...] Notons ceci: dans la pensée des contemporains, ces chants épiques n'étaient pas poésie d'imagination; ils représentaient pour ceux de l'histoire, des faits jaillis de la réalité et fidèlement reproduits. » [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934, p. 3-4]

 

Bataille de Las Navas de Tolosa. Peinture à l’huile du XIXe siècle, de F. P. van Halen, exposée au palais du sénat à Madrid

 

De ce contexte il ressort que l'idée de croisade, la volonté de délivrer le Saint-Sépulcre à Jérusalem, berceau de la chrétienté, le désir lancinant de libérer du joug musulman les territoires européens (Espagne, sud de la France, Sicile, etc.), la volonté de répondre par une "contre-offensive à l'offensive généralisée de l'islam contre la chrétienté" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.,, p. 7], ne remontent pas à l'appel lancé par le pape Urbain II en 1095.

 

« La "Reconquête" commence en Espagne dès lors que Charlemagne, malgré son échec de 778 et le désastre de Roncevaux, ajoute dans les premières années du IXe siècle aux principautés demeurées chrétiennes - la Galice, la Cantabrie, les Asturies - une "marche d'Espagne" qui se mue en un comté de Catalogne et un royaume de Navarre. Dès le IXe siècle, la Reconquête donne naissance à l'Ouest au royaume de Leon. Au milieu du Xe siècle, s'ébauchent autour de Burgos un royaume de Castille et au sud de la Navarre un royaume d'Aragon. C'est de ces deux royaumes que partent les principales entreprises en direction du centre de la péninsule qui aboutiront en 1212 à Las Navas de Tolosa, à la défaite des Almohades qui s'effondrent sous les coups portés par les chrétiens enfin réunis. » [Jean Favier, Les Grandes découvertes, d'Alexandre à Magellan, Fayard, Paris 1991, p. 132-133]

Huit moments de la Chanson de Roland (enluminure)

Huit moments de la Chanson de Roland (enluminure)

George Bordonove précise que "la mort de Roland à Roncevaux [...] n'est qu'un épisode de la difficile campagne de Charlemagne contre les Maures d'Espagne (ou Sarrasins). L'empereur put néanmoins établir de solides Marches d'Espagne en Aragon et en Navarre qui furent le point de départ de la Reconquista et mirent la France à l'abri des incursions." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 9]

 

Pour la rédaction de son Décret de 1139, base du droit canonique, le moine bénédictin Gratien s'est servi à deux reprises des compilations juridiques d'Yves de Chartres au sujet de la lutte contre l'Islam. Il lui remprunte d'une part l'exemple en 849, du pape Léon IV qui conduisit en personne les Romains vers l'embouchure du Tibre pour lutter contre des pirates sarrasins (c. 23, q. 8, c. 7). Et en 1064, l'exemple du pape Alexandre II qui rédigea une lettre à l'épiscopat hispanique : "Le cas cas des Juifs et des sarrasins diffère du tout au tout. Il est juste de combattre les seconds qui persécutent les chrétiens et qui les chassent de leurs villes et propriétés" (q. 8, c. 11). Cette épître publiée à l'époque de la prise de la ville aragonaise de Barbastro sur les Maures (1064), lors de la croisade dite de Barbastrofélicitait les évêques languedociens d'avoir protégé les juifs des exactions des guerriers français traversant leurs terres en direction des Pyrénées. Pourtant, la reconquête de la péninsule ibérique n'obéit pas tout à fait à la même logique que la croisade en Orient. Elle se veut avant tout une restauration du royaume wisigothique injustement détruit par les Arabes et les Berbères, qu'il est licite d'expulser des terres qu'ils ont usurpées. Les médiévistes reconnaissent toutefois des similitudes entre la campagne de Barbastro et l'expédition prêchée en 1095, ne serait-ce que par les bienfaits spirituels accordées, dans les deux cas, par le pape aux belligérants chrétiens. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, Le Grand Livre du mois, Librairie Arthème Fayard, Saint-Amand-Montrond 2013, p. 47-48]. 

Avancée de l'islam au XIe siècle. Georges Bordonove, Carte tirée de Georges Bordonove, "Les Croisades et le Royaume de Jérusalem", éd. Pygmalion, Paris 1992

Avancée de l'islam au XIe siècle. Georges Bordonove, Carte tirée de Georges Bordonove, "Les Croisades et le Royaume de Jérusalem", éd. Pygmalion, Paris 1992

Les populations chrétiennes de Perse étaient sous forte pression, les deux tiers de l’ancien monde romain chrétien étaient maintenant gouvernés par les musulmans. Qu’était-il arrivé?

Chacune des régions citées a été prise au contrôle chrétien par la la guerre en l’espace d’une centaine d’années, dans le cadre de campagnes militaires délibérément conçues pour étendre le territoire musulman au détriment des voisins de l’islam. Cela ne mit pas non plus un terme au programme de conquête du mahométisme. Les attaques se poursuivront, ponctuées de temps à autre par des tentatives chrétiennes pour récupérer les territoires perdus et pour refluer l'islam. Charlemagne bloqua l’avance musulmane dans l’extrême ouest de l’Europe vers l’an 800, mais les forces islamiques déplacèrent simplement leur objectif et commencèrent à aller d’île en île de l’Afrique du Nord vers l’Italie et la côte française, attaquant le continent italien vers 837. Une lutte confuse pour le contrôle du sud et du centre de l’Italie a continué durant le reste du IXe siècle et au cours du Xe. Au cours des cent années entre 850 et 950, les moines bénédictins furent chassés des anciens monastères, les États pontificaux furent envahis, et des bases musulmanes pirates s'établiront le long de la côte du nord de l’Italie et du sud de la France, à partir desquelles les musulmans feront des attaques sur l’arrière-pays (les Sarrasins en Provence). Prêts à tout pour protéger les chrétiens victimes, les papes se sont impliqués, au cours du dixième siècle et au début du onzième. 

Après avoir perdu tellement de terrain au cours des VIIe et VIIIe siècles, brutalement amputé par les musulmans, les Byzantins mirent beaucoup de temps pour acquérir la force de se battre à nouveau. Au milieu du IXe siècle, ils montèrent une contre-attaque sur l’Égypte, c’était la première fois depuis 645 qu’ils osaient aller aussi loin au sud. Entre les années 940 et 970, ils firent de grands progrès en recouvrant des territoires perdus. L’empereur Jean Tzimiskes reprit à l'islam une grande partie de la Syrie et une partie de la Palestine, allant jusqu’à Nazareth, mais ses armées furent débordées et il dut mettre fin à ses campagnes en 975 sans parvenir à reprendre Jérusalem elle-même. De vives  contre-attaques musulmanes suivirent. Les Byzantins réussirent tout juste à conserver Alep et Antioche. La lutte se poursuivit sans relâche au siècle suivant.

En 1009, un calife fatimide fou, Abu Ali al-Mansour al-Hâkim, se réclamant d'un islam chiite rigoureux, fit détruire tous les églises du Caire, détruisit la basilique constantinienne de la Résurrection (Saint-Sépulcre) à Jérusalem, mit à bas les autres sanctuaires de la ville, confisqua les biens des religieux, ainsi que les objets du culte et les pièces d'orfèvrerie. Il  ordonna littéralement "d'effacer tous les symboles chrétiens et de faire disparaître toute trace et tout souvenir du christianisme", et organisa de grandes persécutions des chrétiens et des juifs. Les processions publiques furent interdites, les chrétiens évincés de toutes les charges publiques ou contraints de se convertir à l'islam. Sous son règne (996-1021), près de 30 000 églises furent vidées de leurs biens et pillées. « Aux dires de certains auteurs musulmans, écrit Jacques Heers, Hâkim aurait voulu décourager les chrétiens d'Égypte qui se rendaient en pèlerinage à Jérusalem, en particulier au moment des fêtes de Pâques, pour y assister au miracle du "feu sacré". Le Samedi saint, on procédait dans les églises à la cérémonie du "feu nouveau" en allumant le cierge pascal avec un briquet frotté contre une pierre. Cette solennité avait été introduite au IXe siècle, dans l'église du Saint-Sépulcre par des moines latins et, peu après, les chrétiens affirmaient que les lampes suspendues dans le sanctuaire ce jour-là et à la neuvième heure, s'allumaient miraculeusement par un feu descendu du ciel. Hâkim fit crier aux supercheries et accusa les prêtres chrétiens d'user de stratagèmes. Aussitôt connues, la destruction des églises de la Ville sainte et ces attaques violentes contre un miracle attesté depuis longtemps par des témoins insignes (en 1027, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, en 1037, Odelric évêque d'Orléans) firent grand bruit et forte impression en Occident (M. Canard, La Destruction de l'Eglise de la Résurrection par le calife Hâkim et l'histoire de la légende du feu sacré in Byzantion, 1965, t. XXXV, p.16-43). Le sultan et les "Sarrasins" s'affichaient ennemis résolus du peuple chrétien ». [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 28] Al-âkim fut bientôt déposé. En 1038 les Byzantins négocièrent le droit d’essayer de reconstruire la structure, mais d’autres événements rendaient également la vie difficile pour les chrétiens de la région, en particulier le remplacement des chefs musulmans arabes par la dynastie turque des Seldjoukides, qui à partir de 1055, ont commencé à prendre le contrôle du Moyen-Orient. En 1056, 300 chrétiens de Jérusalem furent expulsés et des pèlerins européens refoulés à l'entrée de l'église du Saint-Sépulcre. Les routes du pèlerinage n'étaient plus sûres, des actes de violence contre les pèlerins pacifiques étaient devenus monnaie courante. En 1076, les Seldjoukides prirent la Syrie, et en 1077 Jérusalem. Bien que leur émir Atziz bin Uwaq promît, lui aussi, d'épargner les habitants de la Cité sainte s'ils se rendaient sans combattre, ses hommes massacrèrent 3000 civils musulmans." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 179] Les pèlerins d’Occident commencèrent alors à se regrouper et à porter des armes pour se protéger alors qu’ils tentaient de se frayer un chemin vers les lieux saints de la chrétienté : des pèlerinages armés célèbres vers Jérusalem eurent lieu en 1064-65 et 1087-91.

En Méditerranée occidentale et centrale, l’équilibre du pouvoir basculait vers les chrétiens au détriment des musulmans. En 1034, les Pisans délogèrent une base musulmane en Afrique du Nord, étendant leurs contre-attaques à travers la Méditerranée. Ils montèrent également des contre-attaques en Sicile en 1062-1063. En 1087, une alliance italienne à grande échelle fit tomber Mahdia, en Tunisie actuelle, dans une campagne parrainée conjointement par le pape Victor III et la comtesse de Toscane. Il est clair que les chrétiens italiens prenaient le dessus.
Mais alors que le pouvoir chrétien, en Méditerranée occidentale et centrale se renforçait, il était en difficulté à l’Est. La montée des Turcs musulmans avait déplacé le poids de la puissance militaire contre les Byzantins, qui perdirent à nouveau beaucoup de terrain dans les années 1060. Une tentative des Byzantins de lancer de nouvelles incursions dans l’extrême-est de l’Asie Mineure en 1071, s’acheva sur une défaite dévastatrice contre les Turcs à la bataille de Manzikert (en turc : Malazgirt). À la suite de cette bataille, les chrétiens avaient perdu le contrôle de la quasi-totalité de l’Asie Mineure, et de la Syrie, avec ses ressources agricoles et sa base de recrutement militaire. Un sultan musulman installa une capitale à Nicée, le site de la création du Credo de Nicée en l’an 325, à moins de 125 miles de Constantinople...

George Bordonove résume : "Le 19 août 1071 est une date capitale. Elle marque l'échec définitif des 'croisades' byzantines."  [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 12] 

Les croisades devraient être comprises comme le moyen le plus sûr de vaincre la religion du "faux prophète" et de stopper son expansion. Et ce jusqu'au XVIIIème siècle où Chateaubriand affirmait dans ses Mémoires d'outre-tombe :

"les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe, ni dans leur résultat. [...] Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l'Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes..."

René Grousset, qui a su utiliser toutes les sources possibles tant du côté musulman que du côté chrétien, et qui reste la référence pour connaître et comprendre les Croisades, écrit : 

 

"De Nicée où l'islam avait pris pied, il pouvait à tout instant surprendre Constantinople. La catastrophe de 1453 pouvait se produire dès les dernières années du XIe siècle." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 13] 

[...] Vers 1090, l'islam turc, ayant presque entièrement chassé les Byzantins de l'Asie, s'apprêtait à passer en Europe. Dix ans plus tard, non seulement Constantinople sera dégagée, non seulement la moitié de l'Asie mineure sera rendue à l'hellénisme, mais la Syrie maritime et la Palestine seront devenues colonies franques. La catastrophe de 1453, qui était à la veille de survenir dès 1090, sera reculée de trois siècles et demi. [...] Le cours du destin va être arrêté et brusquement refluera."

Entretemps, René Grousset ajoute : "deux siècles d'hégémonie européenne au Levant vont en découler, deux siècles durant lesquels l'avance turque reculera non seulement devant la conquête franque en Syrie et en Palestine, mais encore devant la reconquête byzantine en Asie Mineure." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, ibid., p. 18, 35]

Selon Jacques Heers Le mot croisade « n'est pas apparu avant les années 1500. Urbain II prêchant à Clermont et les quatre chroniqueurs, témoins des combats et de la prise de Jérusalem [...] n'ont jamais employé ce mot. Pour tous, les hommes qui abandonnaient leurs familles et leurs biens pour se mettre au service du Christ et délivrer le Saint-Sépulcre étaient des "pèlerins", non des "croisés". Il en fut ainsi pendant des siècles. Si Joinville parle, en un seul moment, d'un "doux croisement", c'est pour évoquer la prise de la croix de son roi, non l'expédition armée en terre d'outre-mer. Le mot n'est pas "croisade" et le sens est différent.

[...] "[C]roisade" ne figure pas dans les bulles pontificales et pas davantage dans les quelques vingt serments retranscrits par Olivier de la Marche parmi ceux prêtés par les seigneurs bourguignons lors du banquet du voeu de faisan, à Lille, le 17 février 1454. Le Littré ne cite que deux exemples d'un mot approchant et certainement peu courant : Monstrelet dit que le pape a ordonné une "croisade" contre les Pragois et Mathieu de Coucy (Histoire de Charles VII) parle d'une "croisée" contre les Turcs. Ce mot que nous employons tous et qui paraît aller de soi n'est pas apparu avant les années 1500, sous la plume d'auteurs qui parlaient d'un passé bien révolu. Jérusalem et les Lieux saints n'étaient plus de saison. C'est donc bien une invention non des contemporains, engagés dans l'évènement, mais d'écrivains appliqués à décrire et à interpréter, inévitablement à donner une couleur particulière. Mot "historique", trouvé longtemps après coup, forcément suspect ». [Jacques Heers, L'Histoire assassinée, Éditions de Paris, 2006, p. 190]   

"On disait antérieurement: le Passage, le Grand Passage, le Voyage de Jérusalem ou le Pèlerinage de la Croix".  [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 17]  

Pour Michel Balard, on commence à parler de 'passage' puis de 'voyage d'outre-mer' au XIIIe siècle, lorsque les itinéraires terrestres vers la Palestine sont abandonnés au profit de la voie maritime. Après 1250, apparaît le mot de croisade pour désigner l'expédition vers Jérusalem des soldats du Christ, marqués du signe de la croix (crucesignati). C'est en ce sens que l'on emploie habituellement le mot. [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 9]   

Au cours du septième siècle, trois des cinq sièges épiscopaux primaires du christianisme (Jérusalem, Antioche, Alexandrie) furent attaqués. Les deux autres (Rome et Constantinople) le seront dans les siècles précédents les Croisades. Le dernier devait être pris en 1453, ne laissant qu’un seul des cinq (Rome) aux chrétiens en 1500. Loin d’être sans raison (c'est-à-dire sans agression), les Croisades représentaient la première grande contre-attaque chrétienne occidentale contre des invasions armées continues de musulmans, depuis l'apparition de l'islam en 632 jusqu’au XIe siècle. Rome sera de nouveau menacé au XVIe siècle. Ceci n’est pas absence de provocation : il s’agit d’une menace mortelle et persistante, à laquelle il fallait répondre par la force si la Chrétienté voulait survivre et s'épanouir. Pour mettre la question en perspective, il suffit de considérer combien de fois les forces chrétiennes ont attaqué La Mecque ou Médine ? La réponse, bien sûr, est: jamais.[2]

 

Pierre Chaunu résume ainsi la situation : « La chrétienté, c'est l'espace des chrétiens, l'ensemble des lieux que peuplent et contrôlent les chrétiens. Cette notion a pris corps dans l'Empire romain à la fin du IVe siècle - l'empire théodosien plus et mieux que constantinien - elle l'emporte au VIII-IXe siècle dans la lutte armée contre le sarrazin et le saxon, au moment de l'invasion normande. La chrétienté est évidente au XIe siècle, quand [...] se prépare la première coisade. La chrétienté est née de l'Islam, de la perte de la moitié sud de l'espace que l'église chrétienne pensait s'être acquis» [Pierre Chaunu, Église, Culture et Société, Essais sur Réforme et Contre-Réforme 1517-1620, S.E.D.E.S, Paris 1981, p. 42.]

 

Régine Pernoud relate le massacre des pèlerins de l'évêque Günther de Bamberg à Ramla au printemps 1065 : « Gunther, évêque de Bamberg, ayant décidé de faire un pèlerinage en Terre sainte, il se trouva pour le suivre plus de douze mille fidèles de son diocèse et des diocèses voisins, "des barons et des princes, des riches et des pauvres". Cette énorme foule chemina sans trop de difficultés, et, au printemps de l'année 1065, se trouvait en Palestine; à mesure qu'ils avançaient vers Jérusalem, l'idée de célébrer la fête de Pâques, qui était proche, dans la Cité sainte, faisait oublier aux pèlerins leur fatigue. Le Vendredi saint, ils n'étaient plus qu'à deux jours de marche à peine de leur but, entre Césarée et Ramla. C'est alors que surgit une troupe de Bédouins. Une grêle de flèches s'abattit sur la foule exténuée, dont le seul recours fut la protection dérisoire que pouvaient offrir les chariots transportant malades, femmes et enfants, hâtivement disposés en barricades. La plupart avaient voyagé sans armes. [...] Le massacre n'en dura pas moins du Vendredi saint à Pâques, et ne s'arrêta vraisemblablement que parce que les pillards étaient à court de flèches, ou fatigués de tuer, ou parce que le butin n'en valait plus la peine.» « [...] succomber à une attaque de pillards représentait d'ailleurs un sort à peine plus cruel que celui qui consistait à alimenter les marchés d'esclaves de Syrie ou d'Égypte », ajoute Régine Pernoud. [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 17-18]

 

Dans son ouvrage consacré à Richard Coeur de Lion, Régine Pernoud précise que « l'hécatombe qui en avait résulté [...] avait eu quelque influence sur la réponse faite par Urbain II lorsque celui-ci, trente ans plus tard, au Concile de Clermont, était venu appeler à la défense des pèlerins de Terre sainte. Aujourd'hui, le nom de Ramla qui s'inscrit sur les plaques de signalisation de l'autoroute éveille toujours, pour ceux qui connaissent l'histoire médiévale, une vive émotion.» [Régine Pernoud, Richard Coeur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 177

 

Le Moyen-Âge croit en Dieu

 

Au Moyen Age, [...] L'Europe est chrétienne, et cette foi lui confère une communauté de civilisation, dans un temps où les nations ne sont pas constituées. Cette foi médiévale rend ténue, même si la tradition chrétienne distingue le domaine de Dieu et le domaine de César, la frontière entre le temporel et le spirituel. L'homme de 1003, lui, adore Dieu et craint le diable. Il y a pour lui beaucoup plus important que la vie terrestre : la vie au Ciel, qui n'est pas gagnée d'avance puisqu'il faut, pour la mériter, faire son salut afin d'échapper à l'enfer. L'Église, qui enseigne la parole divine, est gardienne du dogme : le Moyen Age est dogmatique sans complexe. Et puisque la vérité ne se divise pas, la liberté religieuse, à l'époque est au même degré inenvisageable. Si l'on oublie ces données, on ne peut pas comprendre les motivations des Croisés.

Imaginons un voyage à pied ou à cheval, au XIe siècle, depuis la Touraine jusqu'à la Palestine ! Des milliers de kilomètres sur un itinéraire incertain (ni panneaux ni cartes), en traversant des contrées hostiles (pas de téléphone en cas de problème), en affrontant la faim et la soif (l'intendance n'était pas prévue), et tout cela pour se diriger vers un pays dont les pèlerins ne savaient rien. Pour les gens du peuple, c'était la folie absolue. Pour les seigneurs aussi, avec en prime un risque financier, car ils devaient entretenir sur leur cassette leurs soldats et les pauvres qui les accompagnaient : la croisade a ruiné de nombreux seigneurs qui ont dû emprunter ou vendre des biens fonciers afin d'équiper leurs compagnies. Est-ce l'appât des terres qui les a attirés ? Même pas : l'historien Jacques Heers montre que de larges étendues étaient encore en friche en Occident, bien plus accessibles. Il n'y a pas de doute : ce qui a poussé les premiers Croisés à partir, c'est la foi. "Dieu le veut", s'exclamaient-ils.

Statue d'Urbain II, à Châtillon-sur-Marne

En Orient, « Alexis Comnène (1081-1118) tente d'obtenir de l'Occident chrétien le renfort de valeureux guerriers, en particulier des chevaliers "francs", réputés pour leur vaillance et la puissance irrésistible de leur charge collective. Lors d'un concile tenu à Plaisance en mars 1095, ses ambassadeurs obtiennent du pape la promesse d'un appui militaire. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 16]

 

C'est alors que « dans son prêche du 27 novembre 1095 (10e jour du Concile de Clermont), le pape Urbain II lança un appel à la pitié, pour ces chrétiens et ces pèlerins agressés, humiliés, incapabales de prier Dieu sans s'exposer à tant de dangers: les Arabes, les Sarrazins, les Persans et les Turcs avaient pris de grandes cités: Antioche, Nicée, Jérusalem. "Ils détruisaient les églises, ils immolaient les Chrétiens comme des agneaux". » [Orderic Vital, Histoire ecclésiastique 31, p. 408-413, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107ibid., p. 71]

 

Il faut arracher aux musulmans les lieux saints profanés, en particulier le tombeau du Christ, qui attire chaque années des milliers de chrétiens. Nous avons là dès le départ un but bien délimité, de ce qu'on appellera plus tard la "croisade". 

 

« La première croisade n'est donc pas une guerre à l'islam en tant que religion. C'est une guerre de reconquête et de "libération de la Palestine". Ce n'est pas une guerre missionnaire : la conversion des musulmans n'est pas envisagée en tant que telle. [...] La conversion des musulmans n'a été envisagée que plus tard, à partir du XIIe siècle, lorsque la connaissance de l'islam s'est améliorée grâce à des traductions du Coran et des écrits arabes. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 29]

 

"Le 15 juillet 1099, les Croisés s'emparaient de Jérusalem, trois ans après leur départ d'Occident. La grande presse et ce qu'il est convenu d'appeler les médias, les causeurs du grand cirque, n'en diront que peu de choses..., écrit Jacques Heers. [...] Guerre de conquête? Non pas. Il est vraiment curieux de continuer à parler de cette croisade comme si les chrétiens étaient partis chasser ces peuples installés là depuis toujours. C'est oublier que ces terres de Palestine et de Syrie, berceau du christianisme, ont été pendant des siècles, sous l'autorité des empereurs de Constantinople, de remarquables foyers de civilisation chrétienne. Jérusalem, Antioche et Alexandrie furent les sièges des patriarches de l'Eglise du Christ... C'est oublier, de plus, que ces empereurs de Constantinople avaient, plus de cent ans avant les croisés, conduit leurs armées à la reconquête de ces pays: Alep fut repris en 962, Antioche en 969 et Jean Tsimiscès (empereur de 969 à 975) ne s'arrêta, après avoir repris Beyrouth, que devant Tripoli. Les Turcs, venus de fort loin, chassèrent les garnisons impériales, mais rappelons tout de même que lorsque les Francs, le 20 octobre 1097, se présentèrent devant Antioche, ces Turcs n'étaient maîtres de la ville que depuis quatorze ans. Pour l'Espagne, nous disons bien Reconquista, mais, pour l'Orient, nous acceptons que nous soient imposés le mot et l'idée d'une simple 'conquête', accaparement de terres où d'autres se trouvaient là de plein droit..." [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, n° 129, La Croisade aujourd'hui, ni oubli ni repentance, p. 40-41] 

En entrant dans la ville le 15 juillet 1099, "les barons chrétiens ont tué et pillé, c'est certain. La légende noire y voit la preuve de leur injustifiable violence. C'est oublier que les Croisés se sont conduits comme tous les guerriers de l'époque...", remarque justement Jean Sévillia. [Croisades : la grande épopée, 05 juillet 2003]  

 

Voici quelques exemples qui le démontrent : 

 

« En 966, explique René Grousset, Musulmans et Juifs avaient mis le feu aux portes de la basilique du Saint-Sépulcre, fait effondrer la coupole, envahi et pillé le sanctuaire, puis dévasté de même l'église de Sion. (Récit de Yahyâ d'Antioche, in VINCENT et ABEL, Jérusalem, II, 243). 

 

[...] En 1009, le calife fatimide al-Hâkim avait fait détruire l'église de la Résurrection à Jérusalem, mais c'était surtout la conquête seljoukide qui aggrava la situation des Lieux Saints: ce sont les Turcs et leur barbarie, que d'après les chroniqueurs, incrimine Urbain II. La conquête de Jérusalem par les Turcs sur les Fatimides en 1071 allait provoquer cinq ans plus tard de nouvelles catastrophes. Jérusalem s'étant révoltée contre le général seldkoukide Atziz, celui-ci la reprit de force et se vengea par un terrible massacre "auquel échappèrent seuls ceux qui se réfugièrent dans la Mosquée d'Omar (la Qubbel al-Sakhra), tandis que ceux qui se réfugiaient dans la Mosquée al-Aqsâ étaient exterminés" (1076-1077) (Ibn al-Athîr, X, 46, 61, 68). [...] Jamais la ville sainte n'avait été aussi malheureuse que depuis qu'elle était devenue l'enjeu sans cesse pris et repris de la guerre entre Arabes Fatimides et Turcs Seljoukides», écrit René Grousset. [Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 81 et 75] 

 

"En 1059, [...] les Turcs s'avançèrent jusqu'à Sébaste (Sîwâs) qu'ils surprirent et où ils massacrèrent une partie de la population (juillet 1059)." [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, ibid., p. 41]

 

Les Turcs avaient massacré la population de Jérusalem en 1077. "En 1077, lorsque les Turcs s'emparèrent de Jérusalem, ils massacrèrent de la même manière toute la population musulmane qui s'était réfugiée dans la mosquée al-Aqsa. Pourtant, de cela les medias n'en parlent pas. Il faut surtout insister sur les exactions des chrétiens, occulter celles des musulmans." [Laurent Vissière, Revue Historia Croisade, mai-juin 2005, N°095]

 

Le 10 août 1096, 12 000 "pauvres gens" de la croisade populaire seront massacrés par les Turcs.

 

Le 4 juin 1098, devant Antioche, les Turcs et les Arabes passeront au fil de l'épée la garnison chrétienne de la forteresse du Pont de Fer. Le 26 août 1098, les Égyptiens arracheront Jérusalem aux Turcs et anéantiront les défenseurs de la ville, des musulmans liquidant d'autres musulmans... [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia]

 

C'est le chroniqueur et chapelain de Raymond de St Gilles, Raymond d'Aguilers, qui a raconté que "l'on devait se frayer un chemin sur les cadavres d'hommes et de chevaux dans le temple de Salomon et les galeries royales, les soldats avançaient avec du sang jusqu'aux genoux et aux mors". Michael Hesemann a fait litière de ce cliché : "Du point de vue ne serait-ce que de la vraisemblance, la description d'une marée de sang montant à hauteur des genoux est rigoureusement imaginaire. De même, en ce qui concerne le nombre de victimes, qui a été démesurément exagéré, en particulier par les sources arabes. Il ne pouvait s'agir de 72 000 (d'après Ibn al-Jawzi et encore moins de 100 000 morts (selon Ibn Taghribirdi) quand on sait, comme aujourd'hui qu'à l'époque de la croisade, Jérusalem comptait au maximum 10 000 habitants. Et alors que les sources prétendent que tous les juifs seraient morts dans l'incendie d'une synagogue, les archives de la synagogue du Caire mentionnent les noms de nombreux juifs qui émigrèrent en Égypte après la conquête de Jérusalem. En réalité, les assiégeants ont permis à des milliers de chrétiens, de juifs et de musulmans de quitter la ville avant la tempête. Seuls ceux qui voulurent s'y maintenir et opposer consciemment une résistance, y demeurèrent". [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 189-190]

 

"Le chevalier, protecteur de la veuve et de l'orphelin, naturellement respectueux des clercs et de leurs biens, le chevalier qui refusait la guerre privée, cause de tant de violences et de désordres qui offensaient Dieu, était prêt à combattre en son nom, sous la bannière de la foi. C'est en ce sens que la croisade est une 'guerre sainte' : non une entreprise pour exterminer ni même convertir les autres, mais une campagne contre les ennemis, une reconquête des terres perdues, sous le regard et avec l'aide de Dieu." [Jacques Heers, Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 42-47].

 

Situation spirituelle: la Chrétienté a été divisée

 

C'est donc dans ce contexte plus large d'invasions musulmanes et de "contre-offensive" (G. Bordonove) qu'il faut replacer l'appel à la Chrétienté du pape Urbain II le 27 novembre 1095 à Clermont« En Terre sainte, expliquait-il, beaucoup de chrétiens avaient été "réduits en esclavage", les Turcs détruisant leurs églises.

Au départ, la croisade a un objectif limité : défendre ou libérer les chrétiens opprimés, libérer l'accès aux Lieux Saints.

 

On peut noter ici immédiatement la différence entre le concept limité de la croisade, dans le christianisme, et celui, universel, de djihad dans l'islam. Lorsque Jésus dit : "Rentre ton épée, car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges'" (Mt 26: 51-53), il ne résulte aucunement de ces paroles, que Jésus ne veuille pas régner socialement sur les nations (La Royauté sociale de N.S. Jésus-Christ, d'après le Cardinal Pie), ni que les nations ne puissent légitimement se défendre lorsqu'elles sont injustement attaquées (Cf. Concept de la guerre juste); cela signifie simplement que son Règne ne s'impose pas par la force.

 

Si l'objectif de la croisade est limité, il n'en va pas de même dans l'islam. "Le djihad, au contraire, a un objectif universel qui s'impose à tous les fidèles de Mahomet: combattre les non-musulmans jusqu'à ce que toute la terre soit soumise à Allah." [Sourate VIII Le Butin, 40/39 Appel aux armes. NdCR.[Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 124]

 

"Au niveau des doctrines, la situation était inverse : la guerre sainte catholique ne peut être que défense et libération des chrétiens opprimés et de la Terre sainte lorsqu'il s'agit de la croisade, même si ces motifs servent à justifier des conquêtes; le djihad, en revanche, est une guerre offensive destinée à soumettre les infidèles jusqu'à ce qu'ils reconnaissent la loi de l'Islam." [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, p. 116]

 

Cependant dès le XIIe siècle, l'idéal de croisade, pèlerinage en armes, est incompréhensible aux Grecs : ceux-si s'indignent de voir la papauté déclencher la guerre qui, à Byzance, est toujours considérée comme le fait du prince. Michel Balard explique qu'"à aucune moment, un front commun des Grecs et des Latins n'a été possible sur le plan religieux. Les premiers jugent la croisade dangereuse pour l'existence même de l'empire ; les seconds sont indignés de la défiance du basileus, auquel ils attribuent la responsabilité de leurs échecs. [...] La prise de Constantinople par les Latins en 1204 est l'aboutissement de cette incompréhension réciproque." [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 73, 76]

 

Plus amples encore seront les critiques nées des échecs de la croisade, qui conduiront à s'interroger sur l'opportunité de telles expéditions. Avec l'échec de la deuxième croisade (1145-1148), on commence à douter que la croisade est une oeuvre pie, puisque Dieu abandonne ceux qui combattent pour lui. Toutes ces critiques nouvelles affaiblissent l'idée de croisade. On accuse le prédicateur et l'organisateur de l'expédition, saint Bernard, qui devient le bouc émissaire du fiasco. Très humblement, Bernard fait face à la critique en relevant les maux dont souffre l'Église du temps. Il entend à l'imitation du Christ, assumer les reproches et les critiques qui s'abattent sur lui. Sa tirade rappelle à un moine devenu pape, mais aussi à tous ses lecteurs à venir, que la poursuite d'une gloriole mondaine nuit au sens du devoir. Elle suit une longue tradition biblique et patristique selon laquelle l'homme de Dieu récolte toujours du mépris. Il n'empêche qu'elle atteste un courant d'opinion, largement généralisé, d'hostilité à la croisade qu'ont provoqué les défaites récentes. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 69]

 

Les nombreuses chroniques de la première croisade insistent sur la justice immanente qui récompense ou punit, déjà sur terre, les actes humains. Dès l'appel de Clermont, Urbain II attribue au péché l'occupation musulmane de la Terre sainte. Au cours de l'expédition, la confession, le jeûne ou la procession pénitentielle permettent aux croisés de se tirer de situations désespérées, comme au siège d'Antioche. À suivre les chroniques, la repentance entraîne presque toujours la victoire jusqu'à la conquête de Jérusalem. A contrario, à partir de 1101, les premières défaites sont "exigées par nos péchés." (Elizabeth Siberry, Criticism of crusading, 1095-1274, New-York-Oxford, 1985, p. 70-77). L'explication devient prépondérante au lendemain du siège avorté de Damas (1148). On ne retiendra qu'un seul passage, extrait de la Continuation de Gembloux : "J'ignore à la suite de quel jugement secret de Dieu cette catastrophe arriva. Il est, toutefois, vrai que les croisés perpétrèrent beaucoup de crimes, transgression à la loi et infamies. C'est pourquoi le courroux divin se déchaîna sur eux. Dès lors, toutes leurs tentatives furent vaines". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 73]

 

L'évêque de Freising en Bavière, le cistercien Otton († 1158), un des grands théoriciens de l'histoire de l'époque médiévale, ne veut guère s'arrêter sur la croisade, "une tragédie dont le dénouement a été exigé par nos péchés." (Gestes, I, 47) L'orgueil et la luxure, vices évoqués par Otton, reviennent souvent sur la liste des péchés qui ont exigé la défaite. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 65-66; 77]Un autre cistercien, Jean, abbé de Casamari, un monastère du Latium directement affilié à Clairvaux en 1140 écrit à Bernard pour le consoler, dit-il, de l'insuccès de la croisade et, sans doute aussi, des critiques qui s'ensuivent. Il lui fait remarquer que, par la défaite, Dieu a purifié ses participants de leurs multiples péchés (ep. 376). Il a entendu les rescapés parler des moribonds qui se disaient heureux de quitter le monde, où ils seraient retomber dans leurs anciens vices. Il raconte à Bernard avoir joui d'une apparition des saints Jean et Paul qui, à ses questions sur la croisade, ont répondu que "les guerriers tués avaient repris au ciel les sièges laissés vides par les anges déchus.

 

La Continuation à Sigebert du bénédictin d'Anchin, près de Douai; ne dit rien d'autre: "Si on n'entendit jamais parler d'un tel malheur corporel pour une armée chrétienne, l'âme de tous ceux, nombreux, qui furent tués par les sarrasins ou qui moururent de faim fut sauvée." Aussi marqué que sous la plume d'Otton de Freising, le contraste entre le "corporel" et le "spirituel" transforme la défaite terrestre en une victoire au paradis." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 66] 

À mesure que l'objectif initial de la croisade se perdait, ou s'élargissait (Cf. concept de déviation), l'idée de croisade perdit de sa force. Ainsi, dès la deuxième croisade (1145-1148), tandis que la croisade était déviée dans le nord de l'Allemagne avec une expédition contre les Wendes menée par le duc de Saxe, que le pape étendait en 1147 les privilèges de la croisade aux Espagnols qui prirent Almeria, une expédition contre Lisbonne était conduite par une flotte anglo-flamande. Au XIIIe siècle, les privilèges de croisade seront étendus à toutes sortes d'expéditions dirigées contre les "ennemis de la foi" en général et ceux de la papauté, fussent-ils chrétiens. En 1204, si on ne peut imputer directement la prise de Constantinople au pape Innocent III, son rôle dans la déviation de la croisade est incontestable. "Dès 1199, il menace de lancer une croisade contre un partisan de l'Empire. Surtout, à partir de 1207-1208, il fait prêcher en France la croisade contre les hérétiques albigeois (les cathares). [...] Innocent III a ouvert la voie à ses successeurs et forgé l'instrument des 'croisades politiques' ultérieures. [...] Les papes du XIIIe siècle utilisent la croisade à une fin politique essentielle: assurer l'indépendance de la papauté en empêchant l'Empire de contrôler l'Italie du Sud et la Sicile. [...] En 1239, la guerre qui reprend entre le pape et l'empereur est une véritable croisade: on offre aux soldats les mêmes privilèges que s'ils partaient en Terre sainte. [...] La lutte (entre la papauté et l'Empire) est à son apogée au moment même où Louis IX est en Égypte et en Syrie: les forces françaises sont seules à lutter pour la Terre sainte, tandis qu'Innocent IV appelle Allemands et Italiens à la croisade contre l'empereur." [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, ibid., p. 57-58]. Les poètes accuseront le pape d'avoir sacrifié la croisade de Louis IX à ses entreprises contre l'empereur.

 

La papauté n'est pas complètement responsable de cette situation. Des théoriciens politiques contestant en effet sa puissance temporelle, militaient pour une absorption de l'Église dans l'État qui prendrait lui-même la direction de la croisade. On ne peut dans ces conditions reprocher à l'Église de chercher à défendre son indépendance.

 

Cependant, les échecs répétés entraîneront le scepticisme quant au but et aux objectifs de la croisade. La croisade était-elle utile, puisque Dieu lui-même ne la favorisait pas ?

 

L'un des premiers à porter un regard critique sur la croisade sans en remettre nullement en cause le bien-fondé fut Albert d'Aix (1060-1120), chroniqueur allemand de langue latin, qui exigeait des croisés une droiture morale sans faille. Le guerrier chrétien devait raison garder. Il ne devait pas se laisser aller à la haine sanguinaire ni à la soif de vengeance. C'est un message éthique qu'il entendit transmettre entre les lignes de son récit. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 27] 

 

La théorie catholique de la "guerre juste" , codifiée dans la Cause 23 du Décret du moine bénédictin Gratien (1139), fonde la légitimité d'un usage de la force afin de rétablir la paix et la justice (aujourd'hui on parle d'usage légitime de la force en vue de la défense du Bien commun et de l'ordre public...), et y ajoute la nécessité d'une intention droite, bannissant la haine, la vengeance ou la violence. La Cause 23 du Décret de Gratien eut une application immédiate pour soutenir le combat des Francs en Terre sainte. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 42-43; 48-49] 

 

Sans les Croisades, ni la Renaissance, ni l'humanisme, ni les libertés publiques, ni les droits de la femme n'eurent pu éclore, écrivions-nous en introduction. Sans les croisades, sans l'Église, pas de civilisation !

 

La théorie de la guerre juste prend sa racine dans le droit romain classique. Elle est cependant christianisée sur plusieurs points, comme la prise en compte des dispositions intérieures des combattants. À l'époque où le christianisme devient la religion officielle de l'Empire romain, cette doctrine est mise en forme par Saint Augustin (354-430), qui ajoute que l'autorité épiscopale peut demander à l'autorité civile d'user de la force pour réprimer l'hérésie, et rétablir l'ordre moral.

 

Les chrétiens médiévaux ont considéré les Maccabées, Juifs qui ont rétabli le temple de Jérusalem au culte juif, et fondé la dynastie royale des Hasmonéens, comme prototypes des croisés chrétiens qui se sont battus pour reprendre la ville sainte.

 

 

Anselme de Cantorbéry

Anselme de Cantorbéry (1033-1109), moine bénédictin, ne s'oppose pas à l'expédition prêchée par Urbain II, il admet la croisade, il l'interdit cependant pour les moines. Elle présuppose esprit religieux et pureté d'intentions. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 38]  

 

À propos des violences déclenchées par des chrétiens, S. Bernard, se fondant sur l'histoire sainte, l'exégèse biblique, la patristique et le droit canonique, développe la théorie de la guerre juste, proche du concept actuel sécularisé de légitime défense, pour leur interdire toute première agression, même contre des païens. Il cite le vieux principe du droit romain Vim vi repellere, "Repousser la violence par la violence". La croisade n'est, à ses yeux, qu'une riposte légitime aux envahisseurs de la Terre sainte. En revanche, rien ne justifie qu'on s'en prenne aux Juifs. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 59-62. 347] 

 

Dans le saint empire romain germanique, la faillite de la seconde croisade devant Damas (1149) est sévèrement relevée par l'annaliste de Wurtzbourg et par Gerhoh de Reichersberg qui établissent un lien entre le revers subi par les croisés et les disputes entre papauté et empire. Un tournant est désormais marqué. Les intellectuels qui avaient naguère soutenu à grands cris l'expédition changent d'avis.

 

Les Annales de Würzburg, tenues vraisemblablement par un clerc de l'évêque de cette ville bavaroise, contiennent de nombreuses informations sur la campagne de Conrad III, glanées auprès de ses vétérans, "certains d'entre eux libérés des geôles barbares après avoir été aveuglés ou mutilés d'un bras, d'une main ou d'un pied". Elles ouvrent l'année 1147 par une diatribe sans appel contre "les pseudo-prophètes, fils du démon Bélial et témoins de l'Antéchrist", dont les "paroles illusoires" et les "vaines prédications" ont fomenté la deuxième croisade. Cette tirade vise indirectement Bernard. Suivent quelques remarques sur l'intention peu droite de la plupart des membres de l'armée partie en Terre sainte et sur les pogroms effroyables par lesquels ils s'acharnent à forcer les juifs au baptême. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 57-58]  

 

Près de Cologne, les Annales de Saint-Nicolas de Brauweiler, monastère bénédictin, dressent un portrait plus flatteur de Bernard. Selon leur auteur anonyme, autant - si ce n'est plus que sa parole -, ce sont sa haute sainteté et ses oeuvres admirables qui poussent beaucoup à se croiser. Néanmoins, le bénédictin de Brauweiler semble aborder la prédication du cistercien et ses fruits avec une scepticisme détaché. Il n'est pas sûr, en tout cas, de leurs origines surnaturelles. "Je ne sais pas si Bernard était alors poussé par l'esprit de l'homme ou par l'esprit de dieu", avoue-t-il.

Les Annales de Brauweiler décrivent les croisés "reprenant, affligés, le chemin du retour, sans avoir accompli rien de profitable, laissant derrière eux bien des morts de leur troupe". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 53;58]  

 

De même, en Thuringe, la Chronique de Saint-Pierre d'Erfurt regrette que, dans cette expédition, "rien d'heureux ni d'honorable ne fût acquis pour la renommée des Allemands ni pour la dignité impériale". La réputation de Conrad III en a pâti et, avec elle, celle de tout son peuple. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 54] 

 

En Flandre, la Continuation de la chronique du moine bénédictin Sigebert de Gembloux († 1112), réalisée dans son propre monastère, confère une dimension catastrophique à l'échec de 1149 : "Il n'est pas facile de trouver dans les livres d'histoire ou dans les annales que, depuis les origines du christianisme, une si grande portion du peuple de dieu ait été anéantie si vite et de façon si misérable." 

 

Une autre Continuation, effectuée cette-fois-ci à Gand, conclut que "la tentative des croisés fut vaine, parce que Dieu n'était pas avec eux. [...] Pourtant, le fiasco ne doit pas leur être imputé en exclusif: la responsabilité est collective. La Chrétienté pécheresse tout entière a subi la pire des punitions. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 54] 

 

Selon le clerc de Würzburg, le pharisaïsme est le lot des criminels qui, mêlés aux croisés plus honnêtes, simulent une piété de façade. Selon les chroniqueurs, les chevaliers de la deuxième croisade se sont contentés d'un culte extérieur sans incidence aucune sur leurs dispositions profondes. Leur foi ne pouvait qu'être défaillante. C'est pourquoi ils se sont trop fiés  à leur propre puissance. Une telle arrogance leur a été fatale. Elle leur a a valu la punition divine, selon les Annales rédigées en Hollande par les moines d'Egmond: "Ils mettaient leur confiance, non pas dans le Seigneur, mais dans leurs propres forces. Vaquant à leurs divertissements et à leurs débauches, ils se vantaient d'anéantir bientôt tous les païens." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 78]

 

Saint Bernard

En France, alors qu'en avril 1150, encouragé par l'abbé Suger de Saint-Denis, son plus proche conseiller, Louis VII convoque ses fidèles à Laon et à Chartres pour programmer une nouvelle croisade, à laquelle il souhaitait amener saint Bernard de Clervaux en personne. Le célèbre prédicateur ne peut que constater que leur toute proche expérience empêche les chevaliers de prendre la croix : "Le coeur des barons reste insensible. C'est en vain qu'ils portent l'épée, qu'ils ont préféré gainer d'une peau de bête morte et attendre qu'elle rouille. Ils n'oseront pas la tirer, tandis que Jésus souffre", écrit-il alors dans l'une de ses lettres. Dans son esprit, l'Église est le corps mystique du Christ qui pâtit sous la domination musulmane. [R.C. Smail, Latin Syria and the West, 1149-1187, Transactions of the Royal Historical Society, 5e série, 19, 1969, p. 5-7, in Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 53-54]

 

 

Outre-Manche, la conscience du fiasco est la même. Dans son Histoire des Anglais, Henri de Hutingdon († 1154) archidiacre de Lincoln, dédaigne la puissance de "l'armée de l'empereur d'Allemagne et du roi des Francs, qui avançait d'une superbe hautaine sous la conduite de grands chefs, mais qui ne parvint à rien car Dieu la méprisa." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 79]

 

Même cistercien, Jean, prieur de Forde (1140-1214) n'épargne pas une croisade dont il sait pourtant les promoteurs membres de son propre ordre. Écrite dans les années 1180-1185, sa Vie de saint Wulfric, rapporte comment cet ermite de Aselbury, près d'Exeter, interdit au baron anglo-normand Alfred de Lincoln, de s'engager dans une nouvelle croisade qui ne devrait aboutir, à suivre sa prophétie, qu'à une catastrophe "pour la confusion des orgueilleux" (III, 28). Jean de Forde vilipende "cette célèbre et lamentable expédition contre les sarrasins de Jérusalem, où s'embarquèrent d'innombrables nations sous le pontificat d'Eugène III. Puisse son histoire ne plus être racontée à Gath ni dans les rues d'Ascalon!" (II S 1,20).

 

Guillaume de Newburgh (1136-1198), chanoine augustin du Yorkshire, rédige son Histoire à la fin du XIIe siècle. Il insiste sur les péchés des croisés, qui leur ont ôté la faveur divine. Tandis qu'il commente la répudiation d'Aliénor d'Aquitaine par Louis VII en 1152, il revient sur la luxure des croisés. Il rappelle qu'en 1147 le roi de France "vaincu par la vénusté de sa très jeune épouse, éprouvait une jalousie plus que véhémente pour elle." Cette passion immodérée l'aurait poussé en dépit du bon sens à l'amener avec lui. "Beaucoup de nobles, en suivant son exemple, prirent aussi avec eux leurs épouses qui, incapables de se passer de leurs servantes, introduisirent une multitude de femmes dans les camps chrétiens, qui auraient dû rester chastes." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 91-92] 

 

La conscience de l'inutilité de la croisade affecte le sommet même de l'Église. Eugène III, principal instigateur de la croisade, quelques mois après la levée du siège de Damas, ne peut que reconnaître que l'aventure dans laquelle il s'est engagé avec Bernard était inutile. Le 25 avril 1150, apprenant la nouvelle agitation de Louis VII, il adresse une lettre à Suger pour qu'il l'en dissuade. Il lui rappelle combien la deuxième croisade a signifié "un grave dommage pour la renommée des chrétiens, subi par l'Église de Dieu". Le coeur n'est plus à la croisade, l'expérience ne sera pas relevée de si tôt.

 

L'ordre cistercien se ressent de l'engagement d'Eugène III. Au lendemain de la croisade, les moines blancs semblent désappointés. À l'instar de leur pape, ils décident de ne plus apporter de soutien à une prochaine expédition.

 

Le décrétiste (glossateur du Décret de Gratien de 1139) Huguccio de Pise (1140-1210), maître à Bologne, s'il croit que les musulmans doivent être expulsés de la Terre sainte, dont le territoire revient en droit à la Chrétienté, n'en admet pas moins qu'il faut les respecter ailleurs s'ils sont pacifiques. Sans rejeter la croisade, le canoniste lui impose un cadre dérivant du jus gentium, les droits minimaux que les Romains reconnaissaient aux peuples étrangers. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 49-50]

 

Le cistercien Isaac, abbé de l'Étoile († 1178), à Poitiers, formule une critique radicale des ordres militaires. Son Policraticus contient à leurs sujets un jugement sans appel, opposant de façon expressive le sacrifice de la messe aux tueries de musulmans : "Les chevaliers du Temple, qui sont censés administrer le sang du Christ aux fidèles, ont profession de verser du sang humain" (VII, 21). Isaac de l'Étoile appartient au même milieu intellectuel que Pierre Abélard et Jean de Salisbury. Il pastiche avec ironie l'Éloge de la nouvelle chevalerie, de Saint Bernard, qu'il respecte. Pour lui, tant les religieux guerriers que les théologiens rationalistes produisent de bons fruits, mais risquent à la longue de se gâter la décadence de l'ordre militaire est inscrite dans sa nature viciée. S'il connaît un certain succès au début, il déclinera inéluctablement en raison de son péché de fondation. Isaac de l'Étoile reste fidèle à l'enseignement pré-grégorien qui interdisait au clergé de se mêler de la guerre. Aussi coupable lui paraît de forcer à la conversion. Hostile à toute violence, Isaac affiche sa fidélité à la règle de Saint Benoît, à laquelle Cîteaux voudrait revenir dans toute sa rigueur. Au nom de cet attachement à la tradition monastique et à la modération bénédictine, il ne peut que rejeter le "monstre nouveau", l'hybride débridé qu'est le religieux combattant. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 98; 100]

 

Raoul le Noir (1140-1200), théologien anglo-normand, élève de Jean de Salisbury, qui fit partie de l'entourage de l'archevêque Thomas Becket, défend étonnamment la liberté et l'égalité. Il critique le roi Henri II qui abolit toute liberté. C'est l'Église qui pâtit le plus de son gouvernement autoritaire. Le roi impose à son gré ses courtisans les plus flagorneurs aux sièges épiscopaux et abbatiaux; les anciens évêques voient leurs possessions confisquées, pour devenir les gardes de son chenil, ils sont contraints de de jurer sa loi perverse. La responsabilité de l'assassinat de Thomas Becket, l'opposant courageux à cette politique lui revient en propre. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 141]

 

Dans son Art militaire, Raoul le Noir remet en cause l'existence même de la croisade pour reprendre Jérusalem, au motif qu'il vaut mieux combattre les hérétiques chez nous en Occident avant de les combattre dans une expédition en orient. L'ennemi intérieur devrait primer sur l'ennemi extérieur: "L'Occident devrait-il envoyer de l'aide à l'Orient alors qu'il souffre de ses propres divisions? Pourquoi libérer la Palestine des sarrasins, tandis que le mal de l'infidélité se diffuse dans notre propre maison? (...) Faut-il combattre l'incroyance dehors, alors que la pureté de la foi est écrasée et moquée dedans?" (III, 66.)" Il sent lui aussi que la croisade est inopportune : "Dieu ne désire pas la vengeance humaine, ni la propagation de la foi par la violence."

 

En 1188, dans un texte intitulé De re militari, alors que se prépare la Troisième croisade, il critique le principe des croisades en se fondant sur la Bible. "C'est Dieu qui a dit: 'Je ne veux pas la mort du pécheur.' (Ez 33,11). "[...] Les hommes doivent en effet plutôt être frappés du glaive de la parole de Dieu pour qu'ils parviennent à la foi volontairement et sans coaction, parce que Dieu déteste les services contraints. Prétendre propager la foi par la violence est outrepasser la discipline de cette même foi. (III, 90)

 

Burchard de Worms

Raoul le Noir évoque la doctrine de l'égalité fondamentale des êtres humains : "Les sarrasins sont des hommes: leur condition naturelle est la nôtre". Il rappelle les prohibitions canoniques contre la conversion forcée : "Prétendre propager la foi par la violence est outrepasser la discipline de cette même foi." (III, 90) Sa position, tenant compte du respect qu'on doit aussi bien à la vie qu'à la religion de chaque personne, est ancienne dans l'Église. En 1010, un canon du décret (Decretum) de l'évêque Burchard de Worms († 1025), auteur d'un recueil de droit canon, la résume, tandis qu'il impose une peine aux homicides involontaires d'un juif ou d'un païen "parce que celui-ci a été créé à l'image de Dieu et que le tueur lui interdit une future conversion" (VI, 33). 

 

Vers 1199, le théologien Alain de Lille (1116-1202) copie intégralement cette loi dans son Pénitentiel, le premier manuel de confession connu (II, 58.)  [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 154; 156-157]Le Decretum de Burchard de Worms sera l'une des sources du Décret de Gratien de 1140.   

La défaite de Saint-Louis à Mansûra (1250) provoque rancoeur et blasphèmes en France; mais Rutebeuf, tout en exprimant en 1267 le point de vue du 'descroizié' n'est pas hostile à la croisade elle-même.

 

Les critiques diffuses sont reprises par les auteurs des trois mémoires sur la croisade soumis au pape Grégoire IX lors de la convocation du second concile de Lyon. Humbert de Romans (1190-1277), maître général des Dominicains, Gilbert de Tournai (1200-1284), moine franciscain, et Bruno d'Olmütz accusent la papauté d'avoir tué l'esprit de croisade, mais n'en défendent pas moins la nécessité de telles expéditions, pour empêcher l'extension de l'islam. [Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 85]

 

La critique radicale vient des clercs eux-mêmes conscients des abus entraînés par l'organisation des croisades, mais surtout préoccupés du tort que l'emploi de la violence fait à la foi chrétienne. Comme le prouve par exemple la Collectio de scandalis ecclesie (Collection de scandales de l'Église), mémoire du franciscain Gilbert de Tournai (1200-1284) adressé à Grégoire IX, avant le concile de Lyon, où le religieux se montre l'adversaire des templiers et des hospitaliers, et suggère de les unifier en une seule institution, fustige la négligence des chrétiens envers la Terre sainte, mais appelle encore à une nouvelle croisade, toutefois purifiée de ses anciens vices.

 

"La guerre ne sert de rien contre eux (les infidèles)... Ce n'est pas ainsi qu'ils seront convertis... leurs fils qui survivront à la guerre seront de plus en plus soulevés contre la foi chrétienne... les conversions deviendront impossibles.. surtout Outre-Mer et en Prusse...", écrit le franciscain Roger Bacon, dans Opus majus (Œuvre majeure, 1267), ouvrage qu'il adressa au pape Clément IV.

 

De même le dominicain Guillaume de Tripoli prône la conversion plutôt que la destruction des Sarrasins, et l'envoi de missionnaires plutôt que de soldats en Terre sainte. Depuis le début du XIIIe siècle, et la tentative de saint François à Damiette de convertir le sultan  al-Kamil, l'esprit de mission pacifique [Cécile Morrison, Les Croisades, Presses Universitaires de France, Que Sais-je, Paris 1969, p. 111]. En 1220, les Franciscains martyrs du Maroc, envoyés par S. François prêcher la bonne nouvelle furent décapités de la main même du Miramolin Yusuf al-Mustansir

 

Dans l'esprit ce ceux qui la proposent, la mission n'est pas antinomique de la croisade: S. François lui-même ne la condamne pas; Raymond de Peñafort désapprouve les conversions forcées, mais prêche cependant la croisade en Espagne sous Grégoire IX et Raymond Lulle, qui rêve de mettre la chrétienté en état de mission permanent, écrit en 1309 un traité De acquisitione terrae sanctae des plus traditionnels. À la même date, les franciscains s'établissent à demeure en Palestine et commencent leur garde aux Lieux saints avec l'autorisation du sultan (1333) : la militia christi peut être accomplie tous les jours dans le renoncement et la pratique de l'Évangile. L'idée de croisade a vécu, écrit Cécile Morrison, dans Les Croisades [Cécile Morrison, ibid., p. 110.] 

 

Pour Raymond Lulle, tertiaire de Saint-François (c'est-à-dire un laïc dans la mouvance franciscaine), dans le débat avec l'islam, la Trinité et l'Incarnation doivent être démontrées de manière rationnelle. D'après le Livre de la Contemplation, la seule démarche possible en Palestine est apostolique : "Seigneur, la Terre sainte ne doit être conquise autrement que de la façon dont vous et vos apôtres l'avez conquise : amour, prières, versement de larmes et effusion de sang."

 

Raymond Lulle dénigre l'utilisation de la force au service de la religion. Nullement violente, cette pastorale s'inscrit dans le droit fil de l'évangélisation par le Christ et par les apôtres, que les missionnaires de la fin du Moyen Âge ne font qu'actualiser.

 

Jean Peckam († 1292), provincial franciscain d'Angleterre et archevêque de Cantorbéry, consulté en 1291 par le pape Nicolas IV sur la reconquête de la Terre sainte, lui écrit une lettre reprenant l'expression chère à Raymond Lulle de "guerriers spirituels". [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 330; 336]

 

Frédéric II, roi de Jérusalem

On peut dire que l'idée de croisade est morte en 1229 lorsque l'empereur Frédéric II, excommunié parce qu'il tarda à se croiser, réussit à obtenir par la tolérance envers les infidèles des résultats que la guerre n'avait pas obtenu (traité de Jaffa : restitution de Jérusalem et accès aux Lieux Saints).

 

Au XIVe siècle encore, les farouches adversaires de la papauté comme John Wyclif et les lollards anglais critiquent l'usage de la croisade contre des chrétiens, mais non le concept même. Roger Bacon, Ramon Lulle (1232-1316) et le poète anglais John Gower (1330-1408), hostiles au sang répandu, ne condamnent pas formellement la croisade.

 

Le dominicain anglais Robert Holcot préconisait encore vers 1340 la christianisation à la pointe de l'épée; cinquante ans plus tard, son compatriote John Gower rejetait totalement la croisade

 

En fait, jusqu'au début du XVe siècle, l'enthousiasme pour la croisade reste grand.

 

La papauté elle-même a tué l'esprit de croisade en faisant de toute guerre sainte, menée sur ordre pontifical, une croisade, quel que soit l'adversaire, et sans maintenir l'objectif originel, le recouvrement de la Terre sainte et du Saint-Sépulcre. [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 85]

 

Pour l'instant, en 1095, le souverain pontife exhorta les chrétiens à "repousser ce peuple néfaste". À Limoges, Angers, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Toulouse et Carcassonne, Urbain II renouvela son appel.

 

Voilà le point de départ d'une entreprise que l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie n'hésite pas à qualifier de "magnifique aventure". [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia [05 juillet 2003]

 

Une historiographie partiale

 

Selon l'idée reçue et propagée par les dites "Lumières", les croisés étaient surtout motivés par l"appât du gain. Ainsi, pour Voltaire, "le butin devait se  partager selon les grades et selon les dépenses des croisés. C'était une grande source de division, mais c'était aussi un grand motif. La religion, l'avarice et l'inquiétude encourageaient également ces émigrations." (Voltaire, Essai sur les Moeurs et l'Esprit des nations, 1785)

 

À l’heure où les manuels scolaires de la IIIe République commençaient à étaler une explication partiale et donc faussée de l’histoire de l’Église et de tout ce qui touche à celle-ci, Jean Guiraud démonta pièce par pièce les faux arguments de l’anticléricalisme. Ces faux arguments firent néanmoins leur chemin dans les esprits, de telle sorte qu’il n’est pas anachronique d’avoir recours à l’argumentation donnée par Jean Guiraud dans son ouvrage "Histoire partiale, Histoire vraie" (éditions Beauchesne, 1912), où il consacre un chapitre à chaque thème ; dans chaque chapitre, il commence par citer les extraits discutables des manuels scolaires avant de livrer la réfutation. Ainsi, apprend-on à propos de Aulard et Debidour, "auteurs d'un livre destiné à de jeunes élèves (Cours moyen)" qui "les accablaient de slogans et d'affreux clichés" (Jacques Heers, L'Histoire assassinée, Éditions de Paris, 2006, p. 148) :

 

"AULARD et DEBIDOUR (Cours supérieur, p. 92) Les croisades firent beaucoup plus de mal que de bien.

(Cours moyen, p. 28). Les croisade d’Orient échouèrent et rendirent plus violente cette haine des musulmans contre les chrétiens, encore aujourd’hui si regrettable. Elles firent tuer des millions d’hommes et amenèrent la destruction de beaucoup de villes même chrétiennes, comme Constantinople, qui fut pillée et brûlée par les croisés... On a dit qu’elles avaient étendu le commerce de l’Europe et fait connaître à l’Occident des cultures, des arts, des inventions qui devaient l’éclairer et l’enrichir ; mais les peuples seraient devenus plus riches et plus éclairés en vivant en paix les uns avec les autres qu’en s’entrégorgeant pour cause de religion.

(Récits familiers, p. 57). (Après la prise de Jérusalem), les croisés massacrèrent toute la population ; 60000 Musulmans périrent. Des monceaux de pieds, de mains, de têtes humaines couvraient les places et les rues de Jérusalem.

(Ibid., p. 64). Les croisades avaient fait couler des flots de sang et causé la destruction de villes admirables. Elle avaient amené les chrétiens et les Musulmans à se connaître mieux, mais aussi à se haïr plus que par le passé. Par suite, elles avaient rendu plus difficile le commerce avec l’Orient. En somme, elles avaient fait plus de mal que de bien.

BROSSOLETTE (Cours moyen, p. 23). Récit sur la prise de Jérusalem : raconte au long, comme Aulard, les massacres de Musulmans ; reconnaît cependant les bons résultats des Croisades sur la civilisation et le commerce.

CALVET (Cours moyen, p. 34). Ne leur attribue que des mobiles intéressés, ne voit l’enthousiasme religieux que chez le peuple. "La papauté voyait dans une guerre sainte en Orient le moyen de montrer sa force et de servir ainsi sa prétention à la domination du monde… Quant aux barons, ils ont vu dans ces entreprises de beaux coups à donner, peut-être des royaumes à acquérir ; du reste ils s’ennuyaient dans leurs châteaux… enfin c’est l’amour des richesses qui a poussé beaucoup de gens…

 

Puis Jean Guiraud poursuit avec la réfutation : 

"[...] Les philosophes du XVIIIe siècle avaient déjà entrepris cette œuvre de calomnie et dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, Chateaubriand leur avait magnifiquement répondu. Les auteurs des manuels condamnés ont repris leurs assertions tendancieuses."

Le site internet consacré à l'histoire, herodote.net, a cette phrase étonnante (et pourtant si vraie!):

"Les excès et les massacres qu'on leur attribue (aux Croisés) ne sortent pas de l'ordinaire de l'époque et sont plutôt moins choquants que les horreurs du XXe siècle issu des Lumières..."

« Comme toute oeuvre humaine, les croisades présentent des taches ; mais cela ne saurait justifier les jugements partiaux portés contre elles, poursuit Jean Guiraud. [...] Qu’au cours d’expéditions qui se sont succédé pendant cinq siècles, des abus puissent être signalés, rien de plus naturel. Tous les croisés n’étaient pas des saints ; la passion, la fureur de la guerre, le fanatisme religieux ont pu les entraîner à des actes blâmables ; parmi eux, ont pu se glisser des aventuriers cherchant à tirer parti de guerres entreprises au nom de Dieu. Lorsqu’on a souffert, lorsqu’on a vu ses amis tomber sous les coups d’ennemis barbares et sans pitié, on a une tendance naturelle à se venger ; s’en abstenir, et garder au milieu de la victoire le sang-froid et la charité, c’est le signe d’une nature d’élite ; or, tous ceux qui prirent la Croix ne furent pas des natures d’élite parce que dans l’humanité, elles sont des exceptions. Nous ne faisons dès lors aucune difficulté de reconnaître et de flétrir les cruautés qui furent commises au cours de ces expéditions. Après la prise de Jérusalem, les soldats de Godefroy de Bouillon se livrèrent contre les Musulmans à des massacres que MM. Aulard et Debidour, ainsi que M. Brossolette, racontent avec complaisance. Nous n’atténuerons ni n’excuserons l’horreur de ces scènes, que nous rapportent les chroniqueurs contemporains. Mais pour être tout à fait justes, MM. Aulard et Debidour et M. Brossolette auraient dû faire remarquer qu’elles furent l’œuvre d’une foule en délire, exaspérée par les souffrances qu’elle avait endurées, dans sa pénible traversée de l’Asie et par les cruautés inouïes que lui avaient fait subir les Musulmans. Ils auraient dû rappeler que, pendant plusieurs siècles, les pèlerins chrétiens qui étaient venus à Jérusalem avaient été l’objet de la part des Mahométans des pires insultes et des plus indignes traitements ; le récit qu’en avait fait Pierre l’Ermite, au concile de Clermont, avait arraché des larmes et des cris d’indignation à toute l’assistance. Il aurait fallu rappeler aussi que trois chefs de l’armée, Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles et Baudouin, non seulement ne prirent aucune part à ce carnage, mais s’efforcèrent de l’empêcher. S’ils n’y réussirent pas, ils eurent du moins la joie de sauver un grand nombre de vaincus ; à la différence de la foule, en général aveugle et implacable quand elle est déchaînée, les chefs de l’expédition conservèrent, au milieu de leur victoire, des sentiments chrétiens ! En décrivant longuement les actes de cruauté, en taisant soigneusement les actes d’humanité, nos manuels accusent leur partialité. Ils la trahissent encore plus lorsque, dans tout le mouvement des Croisades, ils ne voient que misères, mesquineries et ruines, laissant de côté les sentiments élevés qui l’ont inspiré et les magnifiques conséquences qui en sont résultées non seulement pour l’Église, mais encore pour l’humanité et la civilisation. [...] MM Aulard et Debidour n'ont pas abordé de front cette question. [...] Ils ont cru plus habile d'examiner les résultats particuliers et secondaires des Croisades et de conclure par cette condamnation sommaire : "elles ont fait beaucoup plus de mal que de bien". Il semble qu'une pareille conclusion aurait dû être précédée d'un bilan, où l'on aurait confronté le bien et le mal sortis des Croisades. MM Aulard et Debidour ont une manière de faire un bilan; ils suppriment le bien et n'énumèrent que les maux. Tout en reconnaissant dans cette phrase que les Croisades ont fait du bien, ils ne mentionnent au celles de leurs conséquences qui leur semblent fâcheuses; encore un procédé qui peut faire mesurer leur partialité! ». (p. 249-250; 257)

 

Les Croisades n’ont pas conquis définitivement le tombeau du Christ à la chrétienté, mais elles ont réussi à en rendre l’accès libre et à le protéger contre toute profanation. [Ce qui est un droit tout à fait légitime].

« Les écrivains du XVIIIe siècle se sont plu à représenter les croisades sous un jour odieux, écrit Chateaubriand. J’ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. Les croisades ne furent des folies, comme on affectait de les appeler, ni dans leur principe ni dans leur résultat. Les chrétiens n’étaient point les agresseurs. Si les sujets d’Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l’Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l’Espagne, sur la France même, où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France, n’auraient-ils pas fait le tour de l’Asie pour se venger des descendants d’Omar jusque dans Jérusalem ? C’est un grand spectacle sans doute que ces deux armées de l’Europe et de l’Asie marchant en sens contraire autour de la Méditerranée et venant, chacune sous la bannière de sa religion, attaquer Mahomet et Jésus-Christ au milieu de leurs adorateurs. N’apercevoir dans les croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c’est montrer une vue très bornée en histoire. Il s’agissait non seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l’emporter sur la terre, ou d’un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l’ignorance, au despotisme, à l’esclavage, ou d’un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité et aboli la servitude. Il suffit de lire le discours du pape Urbain II au concile de Clermont pour se convaincre que les chefs de ces entreprises guerrières n’avaient pas les petites idées qu’on leur suppose, et qu’ils pensaient à sauver le monde d’une inondation de nouveaux barbares. L’esprit du mahométisme est la persécution et la conquête ; l’Evangile, au contraire, ne prêche que la tolérance et la paix.

[...] Où en serions-nous si nos pères n’eussent repoussé la force par la force ? Que l’on contemple la Grèce, et l’on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des musulmans. Ceux qui s’applaudissent tant aujourd’hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d’Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. » (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, éd. Garnier, 1861, p. 334-335).

Loin d’accroître la haine contre les infidèles, elles ont développé la pratique de la tolérance. MM. Aulard et Debidour n’ont pas abordé de front cette grande question dont ils pressentaient la solution contraire à leurs désirs. Ils ont cru plus habile d’examiner les résultats particuliers et secondaires des croisades et de conclure par cette condamnation sommaire : "elles ont fait beaucoup plus de mal que de bien." Il semble qu’une pareille conclusion aurait dû être précédée d’un bilan, où l’on aurait confronté le bien et le mal sortis des croisades. MM. Aulard et Debidour ont une manière à eux de faire un bilan ; ils suppriment le bien et n’énumèrent que les maux. Tout en reconnaissant dans cette phrase que les Croisades ont fait du bien, ils ne mentionnent que celles de leurs conséquences qui leur semblent fâcheuses : encore une procédé qui peut nous faire mesurer leur partialité !

"Ces expéditions, disent-ils, rendirent plus violente cette haine des musulmans contre les chrétiens, encore aujourd’hui si regrettable." On pourrait, avant d’aller plus loin, demander à MM. Aulard et Debidour, pourquoi ils rendent les chrétiens responsables de ces haines. Ont-ils été les agresseurs ? Lorsque le flot musulman, déchaîné par les prédications sectaires de Mahomet et des premiers califes, se répandit en Syrie, en Perse, dans l’Empire grec, dans l’Afrique du Nord tout entière, détruisit, à Xérès, le royaume wisigoth d’Espagne et vint se briser à Poitiers contre les forces franques de Charles Martel, était-ce le monde chrétien qui propageait la haine contre le monde arabe ?

Lorsque les chrétiens venus à Jérusalem étaient soumis aux pires traitements, faut-il incriminer le fanatisme chrétien ou le fanatisme musulman ?

Le manuel Gauthier et Deschamps dit vrai quand il déclare que les croisades avaient été rendues nécessaires par l’intolérance musulmane et que, menacée dans son existence, l’Europe chrétienne devait se défendre et réduire l’Islam à l’impuissance. Est-ce l’agneau que l’on doit rendre responsable de la haine qui existe entre lui et le loup ?

Les historiens d’ailleurs ont fait une constatation qui va à l’encontre des affirmations de MM. Aulard et Debidour et qu’enregistre M. Calvet lui-même. Au lieu de les accroître, les croisades atténuèrent les haines qui existaient entre chrétiens et infidèles. Au cours de la troisième croisade s’établirent, entre l’armée du sultan Saladin et celle de Philippe Auguste et de Richard Coeur de Lion, des relations courtoises qui auraient certainement étonné les premiers croisés. "Chrétiens et musulmans, dit l’historien Henri Martin, n’avaient plus les uns pour les autres cette superstitieuse horreur des temps passés. L’Orient et l’Occident, en se connaissant mieux, se haïssaient moins… Les chevaliers français étaient étonnés et joyeux de retrouver leurs idées et, jusqu’à un certain point, leurs mœurs parmi les valeureux compagnons de Saladin. Dans l’intervalle des combats, on se visitait, on joutait, on trafiquait, on banquetait ensemble ; les troubadours mêlaient leurs cançons aux gazzels des lauréats du Caire, la métropole des lettres orientales" (Henri Martin, Histoire de France, III, 532). Vincent de Beauvais rapporte un fait, qui nous prouve à quel point la tolérance entre les chrétiens et les musulmans avait grandi au XIIIe siècle : des alliances de famille et des mariages mixtes furent négociés parfois entre Turcs et chrétiens. En 1243 (Vincent de Beauvais cité par Lenain de Tillemont. Histoire de saint Louis, chap. 182), le sultan tartare demanda en mariage une nièce de l’Empereur latin de Constantinople Beaudouin, "avec assurance qu’elle et tous ses officiers laïques et ecclésiastiques auraient une entière liberté pour la religion… L’amiral promit même que le sultan ferait bâtir des églises dans toutes les villes et obligerait tous les évêques grecs ibériens et russes, qui étaient en grand nombre dans ses états, à reconnaître le patriarche de Constantinople et la communion romaine ; et il ajouta que si la princesse savait adroitement ménager l’esprit du sultan, elle n’aurait pas de peine à lui faire embrasser la foi catholique."

Qui ne connaît l’histoire rapportée par Joinville (Tillemont, op. cit., ch. 291), des Mamelucks d’É gypte pensant à donner comme successeur au sultan qu’ils venaient de tuer dans leur révolte, saint Louis lui-même, malgré sa qualité de chrétien ?

Catholiques et musulmans ne se considéraient donc plus comme ennemis irréconciliables. Ils avaient appris à se combattre loyalement, et usaient les uns vis-à-vis des autres de procédés chevaleresques. Souvent ils signèrent des traités, des trêves et des alliances qui furent le résultat de négociations courtoises, et amenèrent des relations amicales entre ennemis de la veille. La guerre eut donc pour effet d’établir entre des adversaires qui s’étaient mesurés sur le champ de bataille, en s’admirant mutuellement, une estime réciproque et au point de vue religieux, des sentiments de tolérance. ... Aussi M. Calvet est-il plus juste et plus sincère que MM. Aulard et Debidour, quand il reconnaît que les croisades atténuèrent les haines entre les chrétiens et les infidèles et firent faire de grands progrès à la tolérance.

Magnifiques conséquences directes ou indirectes des croisades M. Calvet et M. Brossolette admettent qu’aux points de vue politique, économique et social, les croisades ont eu les plus heureux résultats. MM. Aulard et Debidour n’osent pas le nier ; mais ils prétendent que les peuples seraient devenus aussi riches et aussi cultivés, en vivant en paix, et n’auraient pas eu besoin pour cela des croisades. Nous nous contenterons de rappeler à ces deux historiens que leur affirmation est une pure hypothèse. Nous savons bien ce qu’a été la civilisation occidentale après les croisades, parce que nous pouvons nous en rendre compte d’après des faits positifs et tangibles ; tandis que, chercher à savoir ce qu’elle aurait été sans les croisades, c’est faire œuvre de pure imagination, c’est-à-dire employer un procédé tout à fait contraire à la science et par là même interdit en histoire.

Au point de vue politique, les croisades eurent un résultat imprévu et indirect, mais bien certain : elles accentuèrent l’ascension du Tiers-Etat vers la liberté. Un grand nombre de seigneurs prirent part à ces expéditions ; leur absence permit parfois aux bourgeois des villes de se constituer en communes et aux habitants des campagnes de proclamer leur liberté. Souvent aussi, les seigneurs, ayant besoin d’argent soit pour s’équiper, soit pour réparer les pertes qu’ils avaient faites dans ces guerres lointaines, vendirent aux riches commerçants des chartes communales, aux serfs qui pouvaient les payer des chartes d’affranchissement. Cet affaiblissement de la féodalité, décimée par des combats meurtriers, profita aussi à la royauté qui exerça sur ses vassaux et ses arrière-vassaux une autorité de plus en plus étroite et incontestée. Or ces progrès de la royauté mirent de l’ordre dans la société jadis morcelée à l’excès et firent faire les plus grands progrès à l’unité nationale.

En même temps qu’elles disciplinaient et libéraient la société occidentale, les croisades élargissaient ses horizons et lui révélaient l’immensité et la variété du monde. Tandis que, avant l’an mil, les peuples chrétiens avaient été en quelque sorte repliés sur eux-mêmes, après la première croisade, ils entrèrent en relations chaque jour plus étroites avec des peuples nouveaux et des civilisations qu’auparavant ils avaient à peine entrevues. Sans doute, dès les temps carolingiens et même mérovingiens, ils avaient connu les Byzantins et même les Arabes; nous en avons pour preuve les rapports de Charlemagne avec l’impératrice de Constantinople, Irène, et le calife de Bagdad, Haroun-al-Raschid. Mais pendant les croisades, ce ne furent pas seulement les princes par l’intermédiaire d’ambassades solennelles, ou de rares pèlerins partis pour des voyages lointains et périlleux, qui entrèrent en contact avec les populations orientales ; ce furent les nombreux croisés s’engageant, presque chaque année, pour la défense de la Terre Sainte, et à leur suite, ce furent les marchands et les négociateurs. Bientôt, les grands ports de la France et de l’Italie créèrent des établissement dans les Échelles du Levant pour faciliter leur commerce, y fondèrent des colonies et des consulats, et généralisèrent, dans toute la Méditerranée orientale, la Mer de Marmara et la mer Noire, ce qu’avaient déjà tenté, avant l’an mil, les marchands de Salerne et d’Amalfi.

Les invasions mongoliques étaient venues, avant l’époque des croisades, disputer aux Arabes la Syrie et l’Asie mineure ; elles furent encore plus nombreuses au XIIe et au XIIIe siècles et les croisés se trouvèrent en rapports non seulement avec les Arabes et les Turcs, mais encore avec les Tartares et les Mongols. Bientôt, on négocia avec eux et des voyageurs intrépides pénétrèrent, au prix de mille difficultés, dans les steppes de l’Aral, dans les plateaux glacés du Karakoroum, dans les déserts de Chine, allant porter aux chefs de la Horde d’Or ou de la Chine, les lettres des rois de France et des Souverains pontifes. A leur suite, marchaient les missionnaires franciscains et dominicains; et ainsi, au XIIIe et au XIVe siècles, l’Asie était parcourue, jusqu’à Pékin et jusqu’à Malacca, par les envoyés de l’Occident. Le vieux monde voyait ses cadres s’élargir et c’était le dernier aboutissement du mouvement d’expansion qu’avaient inauguré les croisades.

Les croisades activèrent surtout le commerce maritime : "Le midi de la France reçut des cargaisons de sucre, de soie, de coton et de substances tinctoriales propres à alimenter divers métiers ; et ces divers produits tirés non seulement de l’Asie mineure et de la Syrie, mais encore de l’Asie tout entière, surtout de l’Inde et de la Chine, eurent pour effet de développer les industries européennes déjà existantes et d’en créer de nouvelles. L’industrie textile de l’Italie, du midi de la France, des Pays-Bas, prit un nouvel essor à la suite des croisades. Devenu plus intense, le commerce dut multiplier et simplifier ses moyens d’action. On créa, dès lors, ces grandes foires internationales de Beaucaire, de Champagne, qui devinrent, pendant des mois entiers, les lieux de rendez-vous des marchands d’Europe et d’Asie. Le Juif Benjamin de Tulède nous dit que de son temps (1173), les Arabes d’Afrique et d’Asie affluaient aux foires de Montpellier. D’autre part, les négociants de Marseille, Gênes, Pise, Narbonne et Venise envoyaient chaque année des flottes en Syrie, pour en exporter les produits de Palestine et recevoir ceux qu’apportaient les caravanes des régions les plus éloignées de l’Asie (Calvet, Cours moyen, p. 34). 

"Voilà le tableau qu’auraient dû esquisser les manuels scolaires pour donner une idée sommaire de l’influence considérable qu’ont exercée les croisades sur les institutions, la civilisation, l’agriculture, le commerce et l’industrie. On peut dire que, directement ou indirectement, soit par elles-mêmes, soit par le mouvement d’idées et d’échange qu’elles ont déterminé, elles ont transformé la face de l’Europe, et élargi pour les Occidentaux les limites du monde. Ce n’est assurément pas ce que cherchaient les pauvres paysans et les chevaliers qui répondaient par le cri de Dieu le veut ! aux prédications touchantes de Pierre l’Ermite : ils ne songeaient qu’à délivrer le tombeau sacré profané par l’Infidèle. Leur dévouement a produit, pour l’histoire de la civilisation, des résultats bienfaisants qu’ils ne soupçonnaient même pas. C’est une application historique de la profonde parole de l’Évangile : "Cherchez d’abord le royaume de Dieu et toutes choses vous seront données par surcroît." On ne peut pas dire, en tout cas, que les multitudes de chrétiens qui sont allés mourir glorieusement dans les montagnes de Judée ou dans les plaines d’Égypte, aient versé inutilement leur sang. Ils ont travaillé héroïquement pour la cause de Dieu et de la civilisation et c’est une raison suffisante pour qu’au lieu de les mépriser, comme le font certains manuels "laïques", on salue en eux des héros de l’Église et du progrès", conclut Jean Guiraud.

"En Syrie, à Rhodes, à Chypre, les Croisés bâtirent des châteaux-forts, des églises, des abbayes, des hôpitaux, des auberges, qui sont des châteaux, des églises, des maisons de chez nous. La domination chrétienne en Palestine et en Syrie se maintint pendant deux siècles (jusqu'en 1291), beaucoup plus longtemps encore dans les îles de Rhodes (jusqu'en 1522) et de Chypre (jusqu'en 1571). Le français fut dans les nouveaux états, la langue officielle et courante. De ce temps date l'influence particulière de notre pays à l'Est de la méditerranée, telle qu'elle s'est fait sentir jusqu'au milieu de ce siècle [1950]. Presque jusqu'à nos jours, tous les Européens y étaient confondus sous le nom de Francs," écrit l'académicien Pierre Gaxotte. [Histoire des Français, 1951, rééd. Flammarion, Saint-Amand 1972, p. 187-188]

Loin d'être une aventure gratuite, les Croisades sont une riposte de l'Occident à l'expansion militaire de l'islam.

Les Croisades: une riposte à l'expansion militaire de l'islam

 

"Il faut un bel aplomb pour accuser les hommes du passé, chrétiens bien entendu, d'intolérance alors que nous vivons, apparemment satisfaits, en un temps où toutes formes d'écrit et de pensée sont soumises à un contrôle de plus en plus sévère. Certes, l'intolérance est hautement proclamée détestable mais seuls en sont accusés les hommes libres qui osent manifester leurs propres convictions et poussent l'insolence jusqu'à se défendre contre d'odieuses attaques. Les "intolérants" sont les dissidents, montrés du doigt, agressés, exclus. Non pas les gardiens stipendiés du temple qui, eux, ne supportent pas la moindre résistance à leurs schémas, pas la moindre critique à leurs discours toujours "conformes" -, d'un conformisme bête à rire. Regardons-nous vivre avant de parler de temps que nous ne voulons pas même tenter de vraiment connaître et de comprendre.

La Croisade de 1095-1099 fut d'abord et avant tout une aventure spirituelle. Pour en rechercher les origines et pour l'analyser, les thèses matérialistes ont fait long feu. Invoquer la soif de conquêtes ou la recherche de nouveaux espaces et la quête des épices, était de bon ton il y a cinquante ans, alors que le matérialisme historique s'imposait sans partage dans nos universités... Ce temps, enfin, n'est plus et nous savons que rien de cela ne tient. De simples réflexions de bon sens mettent tout en l'air. Les paysans de l'an Mil étaient sans doute plus nombreux qu'autrefois. Ils ont souvent divisé leurs héritages et cherché des terres nouvelles à emblaver. Mais aller si loin, l'idée ne s'imposait pas! Ils venaient tout juste de commencer les défrichements des grandes forêts de Germanie, Europe centrale ou dans le Sud-Ouest français même. L'assèchement et la bonification des marais étaient à peine amorcés. Pourquoi affronter de telles fatigues et de tels périls pour courir s'établir sur des terres lointaines que l'on savait, aux dires des pèlerins qui en revenaient..., arides pour la plupart, vouées à une économie pastorale demi-nomade, totalement contraire à leur manière de vivre et de travailler? Négliger les terres proches pour aller là-bas, où tout était à construire ou à reconstruire?

"Nous lisons encore, en tel ou tel manuel d''enseignement', que les grands marchands italiens furent les instigateurs de cette croisade, à seule fin de pouvoir ramener d'Orient des épices à meilleur prix... Mais c'est faux: les Génois, Vénitiens et Pisans n'ont pas participé aux premières expéditions; ils ne sont intervenus qu'en un second temps, comme des guerriers avec leurs chevaux et leurs machines de guerre, non comme marchands. La Terre Sainte ne les intéressait que médiocrement. Déjà établis à Constantinople, où ils bénéficiaient de privilèges fiscaux, et au Caire, où leurs négociants pouvaient loger dans des fondouks, ils se trouvaient au coeur même des grands trafics d'Orient. La Syrie de la côte et la Palestine n'offraient pas, et de très loin, les mêmes ressources; à l'écart des grandes routes caravanières, ces pays n'avaient alors ni belles cultures exotiques (canne à sucre, coton) ni industries de luxe. Pour tout dire, face à Constantinople, à Damas, Bagdad et Le Caire, Jérusalem faisait, sur ce plan, figure de bourgade." [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, n° 129, La Croisade aujourd'hui, ni oubli ni repentancep. 41-42]

 

"Il n'y eut en réalité aucune promesse de richesse matérielle. Le décret du concile de Clermont affirma même exactement le contraire, sans aucune équivoque possible : 'Quiconque par seule piété, non pour gagner honneur ou argent, aura pris le chemin de Jérusalem en vue de libérer l'Église de Dieu, que son voyage lui en soit compté pour seule pénitence.' Le départ pour la Terre sainte, l'abandon de tous ses biens, et même de sa famille dans l'incertitude de jamais revoir un jour le pays natal, c'était le sacrifice ultime, compris au sens de ceux qui suivent le Christ sans condition, exactement comme l'a défini S. Pierre : 'nous voici que nous tout quitté, et que nous t'avons suivi; quy aura-t-il donc pour nous?' (Mt 19:27). Les testaments laissés par de nombreux Croisés constituent le témoignage éloquent de leurs attitudes profondément religieuse.

Quant aux princes laïcs de la première Croisade - Godefroy de Bouillon, Robert de Normandie, Bohémond de Tarente, Raymond IV de Toulouse, Baudouin de Boulogne -, ils étaient tous, à l'exception de Baudouin, les fils aînés et les héritiers de duchés et de comtés considérables. Deux d'entre eux hypothéquèrent, voire mirent en vente la totalité de leurs biens et propriétés afin de... financer l'expédition. Lorsqu'on voulut confier à Godefroy de Bouillon la couronne de Jérusalem, il la refusa : il ne voulut pas régner comme roi dans cette ville où Jésus-Christ n'avait porté que la Couronne d'épines. Il préféra plutôt se voir attribuer le titre d''avoué du Saint-Sépulcre'." [Michael Hesemann, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 184-185] 

 

« De tous les pèlerinages, il n'en était pas de plus saint que Jérusalem. C'est le rite de la grande pénitence, de la purifaction individuelle. "Il créé une vie neuve, il marque la crise décisive où le vieil homme se dépouille." Il est aussi sacrifice, car il se fait dans un esprit de pauvreté qui exalte la vertu salvatrice du dénuement et il comporte le risque de perdre la vie.» [Pierre Gaxotte, de l'Académie française, Histoire des Français, 19511, ibid., p. 182]

 

« Des historiens partisans. Grands seigneurs pressés de se tailler des principautés sur de vastes territoires et sur des villes de rêve?" Ce sont là des images forgées de toutes pièces, pour illustrer la thèse des historiens partisans, appliqués à médire et du christianisme et de la féodalité. Les chefs croisés, ceux des premières marches et même ceux venus ensuite porter renfort, n'étaient en aucune façon des laissés-pour-compte, cadets ou exclus du clan, à la recherche d'un quelconque établissement, contraints de courir la folle aventure. Godefroy de Bouillon, duc de Basse-Lorraine, possédait de bons fiefs et de bons châteaux, ancrés sur des terres riches. Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, celui qui réunit le plus grand nombre d'hommes et dépensa les plus fortes sommes d'argent, était après le roi (de France), le plus puissant prince du royaume, nullement contesté ou menacé. Son départ l'a privé d'un magnifique héritage et il est mort en Terre Sainte, sans avoir pu mettre la main sur Tripoli », et en refusant de rentrer paisiblement dans son Languedoc, voulant comme il le dit rester croisé jusqu'à la mort « à l'exemple du Christ qui a refusé de descendre de la Croix.»

 

« Les chroniques du temps parlent bien des "Francs" ou des "Chrétiens", mais, toujours, les qualifient de "pèlerins". Les hommes se sont rassemblés et armés parce qu'il n'était plus supportable d'apprendre que les pèlerins allant en Palestine devaient le faire au péril de leur vie, supportant, en tout cas, de dures humiliations et des taxes qui s'alourdissaient d'année en année. Ce pèlerinage fut, dès lors, au centre de toutes les préoccupations et initiatives, et les croisés, pour la plupart, n'avaient d'autres projets que de délivrer la ville sainte, d'y reconnaître le parcours du Christ, de la Vierge et des apôtres, d'y prier et de rentrer chez eux. Ne sont demeurés auprès de Godefroy de Bouillon (après la libération de Jérusalem) qu'une poignée de chevaliers. La construction des places fortes et la défense du royaume latin, face aux attaques des Égyptiens ou des Turcs, ne furent possible que par l'arrivée, chaque année, de nouveaux pèlerins qui participaient aux travaux et aux combats, puis repartaient. » [Jacques Heers, Fideliter, Mai-Juin 1999, ibid., p. 42-43]

 

« Le coût d'un croisé était très lourd pour sa famille, qui devait gravement s'appauvrir par des ventes de terres ou de biens, et s'endetter par des emprunts ou des mises en gage. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 75]

 

Le Saint-Siège a-t-il voulu se doter d'un deuxième patrimoine de Saint-Pierre ? "Une idée reçue (que l'on trouve dans le néanmoins excellent ouvrage de René Grousset, "L'Histoire des Croisades 1095-1130 L'anarchie musulmane") prétend que le Saint-Siège aurait voulu se doter d'un deuxième patrimoine de Saint-Pierre, d'où les Croisades. En réalité, le pape n'a jamais demandé d'hommage au roi de Jérusalem. C'est-à-dire qu'il n'a jamais songé à établir un lien de dépendance même féodal entre le Saint-Siège et les États latins d'Orient". [Eric Picard, Urbain II, l'éternité en héritage, Magazine Histoire du Christianisme, Dossier les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 39]  

 

Jacques Heers écrit que les chevaliers n'allaient pas en Terre sainte pour s'enrichir, tout au contraire : « ils laissaient derrière eux fiefs et dettes pour se croiser. L'expédition, lointaine, et hasardeuse, exigeait beaucoup. Elle ne pouvait ni s'inscrire dans une tradition ni bénéficier d'expériences. Il fallait tout laisser derrière soi et se confier au destin. Prendre la croix et faire voeu d'aller délivrer le Saint-Sépulcre, c'était rompre avec une vie; c'était s'exclure, pour un temps incertain, de son cadre social et de toutes les communautés. [...] Quant aux chevaliers,... quitter leur leurs terres pour des mois, voire pour des années, allait à l'encontre de leurs intérêts et de leurs habitudes. Ils ne vivaient pas de leurs armes, bien au contraire;... la guerre ordinairement leur coûtait beaucoup; le cheval de combat valait un prix fou et les épées aussi; les perdre (cela arrivait souvent) les pouvait mettre dans l'embarras pour longtemps. » [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 11-12] 

 

L'historiographie matérialiste voit volontiers dans les croisades des facteurs économiques. Si l'appât du gain a pu motiver certains des chefs croisés - l'exemple de Bohémond, fils de Robert Guiscard, le démontre -, "le désir d'acquérir des biens fonciers pouvait plus facilement se satisfaire dans les grandes opérations de défrichement, menées alors en Occident, que dans d'hypothétiques conquêtes de terres bien souvent arides."  [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 10]

 

"La croisade est une aventure meurtrière, onéreuse et incertaine. On s'y engage avec un faible espoir de retour." [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 12]

 

"Certains historiens comme Claude Cahen, considèrent celles-ci (les croisades) comme une réaction lentement mûrie à l'humiliation ressentie depuis quatre siècles devant la conquête musulmane de la moitié du bassin méditerranéen..." [Henri Platelle, Les Croisades: une étape de la question d'Orient, in Magazine Histoire du Christianisme, Dossier Les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 29]  

 

"Les croisades sont avant tout une réponse à l'invasion de la Terre sainte par les Turcs, qui oppressent les chrétiens autochtones et rendent impossible les pèlerinages jusqu'alors bien acceptés". [Marie-Alix Radisson, Aux sources des croisades, la vogue des pèlerinages, in Magazine Histoire du Christianisme, Dossier Les Croisés en Terre sainte 1095-1099, N° 28, juin 2005, p. 34]

Godefroy de Bouillon et les chefs de la Première croisade

Godefroy de Bouillon et les chefs de la Première croisade

La Première Croisade (1095-1099)

 

Au Concile de Clermont, le 18 novembre 1095, le pape Urbain II appelle à la croisade. En Terre sainte, expliquait-il, beaucoup de chrétiens avaient été "réduits en esclavage", les Turcs Seldjoukides détruisant leurs églises, les pèlerins sont empêchés de faire leurs dévotions à Jérusalem. La Reconquista en Espagne, visant à reprendre aux Musulmans les territoires conquis, elle aussi, avait déjà préparé les esprits à l'idée de croisade.

 

Un appel attendu

 

"L'appel d'Urbain II ne pouvait en aucun cas surprendre: certains historiens disent même qu'il ne faisait que répondre à une attente vivement ressentie par un grand nombre de chevaliers qui, par les récits de leurs proches, étaient parfaitement au courant de la situation en Orient et désiraient payer de leur personne... Les évêques et les abbés convoqués au Concile de Clermont le 18 novembre 1095 devaient s'en tenir à des problèmes discipliaires et, entre autres mesures, envisager l'excommunication de Philippe Ier,accusé d'adultère, de simonie et d'usurpation de biens ecclésiastiques... Ce n'est que le dixième jour du Concile, le 27 novembre, que le pape évoqua la terre sainte et le Saint-Sépulcre, les souffrances qu'y supportaient les pèlerins, exhortant alors les chrétiens à se lever nombreux pour aller défendre le pèlerinage, les armes à la main... Le texte de son discours ne nous est pas connu et les chroniqueurs du temps, témoins ou non, puis les historiens par la suite, l'ont simplement reconstitué à leur manière. Mais tous se rejoignent à peu près. Urbain II parla longuement de la profanation de Jérusalem et des Lieux saints "où le Fils de Dieu habita corporellement"; il rappela que Nicée, Antioche, Jérusalem, villes où avaient vécu les premiers chrétiens, étaient maintenant aux mains des "arabes, des sarrasins, des Persans et des Turcs qui détruisaient les églises et immolaient les chrétiens comme des agneaux..." [Jacques Heers, Le pape et les prédicateurs prêchent la première croisade in Les Croisades 1096-1270, Les Dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 42-44 ]  

 

"L'insécurité dont parle urbain II à Clermont est bien réelle". [Jean Richard, Les Croisades 1096-1270Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 157]

 

Il s'agissait de soustraire à la domination des musulmans les Lieux saints de Palestine (aujourd’hui Israël et Palestine), et notamment le tombeau du Christ à Jérusalem aux mains des musulmans depuis 636 sous le califat d'Omar Ier. Un sanctuaire musulman, le dôme du Rocher, fut élevé au-dessus du rocher réputé être le lieu de l'autel du Temple de Salomon. Les chrétiens furent traités avec indulgence, mais lorsque les califes égyptiens fatimides prirent Jérusalem en 969, leur situation devint plus précaire. Les Turcs Seldjoukides qui firent la conquête de Jérusalem en 1078 étaient encore plus intolérants. Le souverain pontife exhorta les chrétiens à "repousser ce peuple néfaste". A Limoges, Angers, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Toulouse et Carcassonne, Urbain II renouvela son appel. Voilà le point de départ d'une entreprise que l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie n'hésite pas à qualifier de magnifique aventure.

 

L'un des motifs des croisades avec le jhihad islamique armé qui chassait les chrétiens de leurs terres fut la destruction de l'église du Saint-Sépulcre. Les croisades, au nombre de huit, se sont achevées en 1270.

 

Une année d'abondances et de bienfaits (1096)

"Urbain II quitta Clermont le 2 décembre suivant. La suite de son itinéraire nous le montrer en diverses villes de la France méridionale, et dès lors la prédication de la croisade se mêle à la dédicace d'une multitude d'églises qui viennent de sortir de terre, car c'est une époque de pleine germination pour le sol de France, qui voit naître notre art roman, en même temps que nos chansons de geste: le 7 décembre, dédicace de l'église de Saint-Flour; consécration ensuite de l'ababtiale Saint-Géraud d'Aurillac; le 29 décembre, consécration solennelle de la cathédrale Saint-Etienne de Limoges, et le lendemain de l'ababtiale Saint-Sauveur dans la même ville. Puis c'est le 10, la consécration du maître-autel dans l'abbaye Saint-Sauveur de Charroux et, le 13 janvier, fête de saint Hilaire, celle d'un autre autel dans le monastère du même nom, à Poitiers. Il en est ainsi un peu partout où il passe, à Angers, à Marmoutiers, à Bordeaux, enfin à Toulouse où, le 28 mai de l'an 1096, on le revoit, avec, à son côté, Raymond de Saint-Gilles, à la consécration solennelle de la collégiale Saint-Sernin. Puis c'est la cathédrale de Maguelonne, celle de Nîmes, et l'autel de la nouvelle basilique de Saint-Gilles du Gard, où il se retrouve le 15 juillet avant de repartir pour Villeneuve-lès-Avignon, Apt, Forqualier et de gagner Milan par les cols des Alpes, au mois d'août 1096. Mais déjà, sur les routes, devançant les rendez-vous assignés par le pape, la croisade avait commencé." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 43]

 

(Suite au Concile de Clermont ) "Et voici que par un miracle qui parut divin, et devait encore exalter les enthousiasmes, à l’affreuse disette et aux fléaux des années passées succéda brusquement une année d’abondances et de bienfaits (1096) ; abondance en blé, en vin, en fruits de toutes sortes, comme si Dieu avait voulu directement favoriser l’œuvre de ceux qui allaient combattre pour Lui." [F. Funck-Brentano, L’ancienne France, le Roi, in Marquis de la Franquerie, La mission divine de la France, ESR, p. 139.]

 

L'expédition de Pierre l'Ermite, la croisade des pauvres (1096)

En 1096, le pape ne se doutait pas de l’enthousiasme et de la ferveur que son appel à la croisade allait susciter parmi les simples citadins et les paysans. En effet, parallèlement à la croisade des barons se forme une croisade des pauvres dont le principal initiateur et prédicateur est Pierre l’Ermite, originaire d’Amiens. Partis les premiers, ces croisés, dirigés par Pierre l’Ermite Avoir traversent l’Europe centrale, commettant nombre d’exactions sur leur passage (notamment en Germanie contre les Juifs). Environ 12 000 d’entre eux atteignent le Proche-Orient mais, mal équipés, ils sont rapidement anéantis par les Turcs à Nicomédie (aujourd’hui Izmit) en octobre 1096.

Le 1er août 1096, l' expédition - la date est incertaine – se trouvait sous les murs de Constantinople. Son expédition avait donc mis un peu plus de trois mois pour franchir la distance des bords du Rhin au Bosphore. Elle était composée d' "une foule incommensurable d'hommes du peuple, avec femmes et enfants, tous les croix rouges sur l'épaule. Leur nombre dépassait celui des grains de sable au bord de la mer, et des étoiles du ciel. Ils s'étaient précipités comme des torrents de tous les pays et avaient envahi l'empire grec en passant par la Dacie… Cela formait une cohue d'hommes et de femmes, comme de mémoire d'homme on n'en avait encore jamais vu". Ainsi s'exprime avec un brin d'exagération mériodonale, la propre fille de l'empereur, Anne Comnène, qui, racontant l'évènement s'est révélée historien de valeur avec toutefois, comme on peut le constater, un penchant pour les effets littéraires. La fille de l'empereur Alexis, Anne, affirme qu'il conseilla à Pierre d'attendre à Constantinople l'arrivée des barons croisés, et que seule l'impatience de celui-ci mena l'expédition à sa perte. D'autres historiens, en particulier l'Anonyme qui a raconté la première croisade, et dont les dires sont généralement exacts, affirme que c'est l'empereur, pressé de s'en débarrasser, qui hâta leur départ, en quoi il avait quelques excuses, car "les Chrétiens se conduisaient bien mal, enlevaient le plomb dont les églises étaient couvertes, si bien que l'empereur irrité donna l'ordre de leur faire traverser le Bosphore…

Le 21 octobre, les malheureux tombaient dans une embuscade tendue par les Turcs, qui en faisaient aussitôt une massacre épouvantable. Après quoi il ne fut que trop facile aux vainqueurs de surprendre le camp de Civitot et d'y tuer au petit bonheur tous ceux qui s'y trouvaient: hommes, femmes, enfants. L'année suivante, Foucher de Chartres, […] contemplait le long du golfe de Nicomédie les tas d'ossements blanchis au soleil, témoins du massacre. On devait en 1101 bâtir de ces ossements, aux dires de la princesse Anne Comnène: "Je ne dis pas un immense tas, ni même un tertre, ni même une colline, mais comme une haute montagne d'une superficie considérable, tant était grand l'amoncellement des ossements." [R. Pernoud, Les hommes de la Croisadeibid., p. 52-54]

 

Des Croisés accueillis en libérateurs (Laurent Vissière)

"L'arrivée victorieuse des Croisés en Terre sainte..., après plusieurs siècles d'oppression musulmane, les populations locales, encore fortement chrétiennes, les accueillent souvent en libérateurs.

Les Byzantins, ... peuvent ainsi se dégager de la terrible menace turque.

Quant aux Arabes, ils maudissent bien sûr "les envahisseurs", mais nombre d'entre eux, notamment les Fatimides, ne voient pas d'un mauvais oeil les successives défaites des Turcs." [Laurent Vissière, in Revue Historia N° 095, Croisade, Mai-Juin 2005, p. 4]

"La croisade populaire n'avait été qu'une agitation anarchique et dangereuse. La Croisade des barons se mettait en mouvement par groupes réguliers.

Divisée en cinq corps principaux, la croisade de la noblesse ne se mit en route que bien après le départ de la croisade des pauvres. Chaque baron levait séparément ses hommes; ceux qu'ils emmènent avec lui ont été équipés à ses frais.

Les routes de la première croisade

Les routes de la première croisade

Le premier corps d'armée qui fut prêt, composé de Lorrains, de Français du Nord, de Wallons, et de Rhénans, était commandé par le duc de Basse-Lotharingie, Godefroi de Bouillon, dont la mère est sainte Ida de Boulogne, grâce aux prières de laquelle on attribue une grande part du succès de cette croisade.

Godefroy de Bouillon - Statue en bronze de Godefroy de Bouillon (Hofkirche Innsbruck)_2006

Godefroy de Bouillon - Statue en bronze de Godefroy de Bouillon (Hofkirche Innsbruck)_2006

"Godefroi de Bouillon était un homme jeune, né dans les environs de Nivelle en Belgique. Il avait les cheveux blonds, les yeux bleus, la voix douce et claire; animé d'une piété profonde et sincère. Il était doué d'une rare énergie, d'un bel esprit de décision. La légende a exalté sa force physique : d'un coup d'épée il vous tranchait un chevalier en deux, de la tête à la selle de son cheval, avec toute sa ferraille. [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, Avec quatre planches hors-texte tirées en héliogravure, Flammarion, Lagny 1934, p. 90]

 

Les chroniqueurs l'appellent "duc de Lorraine" : en réalité, partie importante de l'empire romain germanique, le duché de Basse-Lotharingie, connu peu après sous le nom de duché de Brabant, comprenait sur la rive gauche du Rhin la région ardennaise, le Hainaut, le Brabant, la Hesbaye et le pays de Liège, la Toxandrie (Breda), la région d'Aix-la-Chapelle, plus sur la rive droite du Rhin, la zone en face de Cologne.

Son père était comte de Boulogne et relevait du roi de France. Sa mère, sainte Ida, était soeur de Geoffroy le Barbu, duc de Basse-Lotharingie. Godefroy entra au service de l'empereur Henri IV qui l'investit de la Basse-Lotharingie pour récompenser sa loyauté. Il parlait le français (langue d'oïl) et l'allemand. 

 

Avec Godefroi de Bouillon, partirent pour la Croisade son frère cadet Baudouin de Boulogne (le futur Baudouin Ier de Jérusalem"), vassal du roi de France, leur autre frère Eustache, comte de Boulogne, et leur cousin, Baudouin du Bourg, fils du comte de Rethel (le futur Baudouin II de Jérusalem).

"Godefroy était aussi blond que son frère était brun. Il montrait une simplicité de bon aloi; les chroniqueurs soulignent son extrême piété." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.,, p. 33]

Dans le même groupe, il faut citer encore Baudouin, comte de Hainaut, Garnier de Grez, le comte Reinard de Toul, Pierre de Stenay, Dudon de Conz-Sarrebrück, Baudouin de Stavelot, Henri et Geoffroi d'Esch. Le gros de l'expédition était fourni par les pays wallons. La dignité dont le duc de Basse-Lotharingie était investi dans le Saint-Empire, mais ses barons étaient de la mouvance comme Godefroi de Bouillon, de l'empire, les autres, comme ses frères Baudouin de Boulogne et Eustache, de la royauté capétienne (plusieurs fieffés dans l'un et l'autre pays). Toutefois, dès qu'ils seront établis en Syrie, la mouvance impériale sera oubliée : la royauté fondée à Jérusalem par la maison de Lotharingie-Boulogne sera un royaume français." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 83]

 

Godefroy engagea une partie de ses biens patrimoniaux: le comté de Verdun, des alleux possédés de temps immémorial par les siens et jusqu'au superbe château de Bouillon qui était le berceau de sa famille. Il s'agissait de ventes à réméré, ce qui montre que Godefroy avait l'intention de revenir, non de se fixer en Terre sainte. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 33]

 

Godefroy fit "crier" dans l'armée que tout pillage serait puni de mort. Tout se passe sans incident.

 

Par l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie et la Thrace, Godefroy arriva en vue de Constantinople le 23 décembre 1096.

 

Le deuxième groupe, la croisade normande. 

Composé des Normands d'Italie méridionale et de Sicile, ce groupe était conduit par Bohémond de Tarente.

Bohémond Ier, prince d'Antioche, Merry-Joseph Blondel (1843).

Bohémond Ier, prince d'Antioche, Merry-Joseph Blondel (1843).

Bohémond Ier, animé de l'esprit de conquête de ses ancêtres normands (son père Robert Guiscard, fils de Tancrède de Hauteville, petit seigneur normand termina la reconquête de la Sicile musulmane et tenta la conquête de l'empire byzantin), fut sans doute le moins motivé par l'idéal religieux parmi les chefs de la Croisade (Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-Gilles, Adhémar du Puy). Il fondera la principauté d'Antioche où sa famille régna deux cents ans, durant sept générations de 1098 à 1287, c'est-à-dire environ deux siè­cles. Ce territoire est actuellement partagé entre la Turquie et la Syrie. Dans cette principauté, plus que dans tous les autres états francs du Levant, l'implantation normande fut importante. La majorité des barons inféodés par Bohémond viennent de Normandie où des deux-Siciles. Son neveu Tancrède, qui, quelques années auparavant, avait déjà eu en charge l'administration du territoire, lui succéda. Il reculera les frontières de la Principauté et y ajoutant les villes de Misis, Tarse et Lattakié. Ce personnage pragmatique et souple que ses ennemis de la Djihad islamique appelaient : "le satan d'entre les Francs", sut mériter leur admiration pour son habileté et sa compétence. Son corps repose dans la cathédrale d'Antioche. À sa mort, les Hauteville continuèrent à assumer le destin de la Principauté avec Roger de Salerne (1112-1119) qui vassalisa l'État franc d'Alep, puis Bohémond II (1126-1130) qui fut tué en Cilicie et dont la tête embaumée fut envoyée comme présent au Kalife. Nous savons peu de choses des successeurs de Bohémond. Peu de documents survécurent à l'holocauste qui suivit la revanche islamique de la fin du XIIIe siècle. Bohémond IV, Bohémond V, Bohémond VI régneront de 1201 à 1275. Bohémond IV sera considéré comme un des plus grands juristes de son époque. C'est sous son Principat que furent composées "les Assises d'Antioche" (recueil de lois coûtumières). En 1275, la Principauté subira l'assaut du Sultan Mamelouk, Baïkars qui obligera Bohémond VI à se retirer dans le Comté de Tripoli. En 1287, à la mort de Bohémond VII, les bourgeois de la ville proclameront la déchéance de sa dynastie et affirmeront leur volonté de se "gouverner eux-mêmes". Mal leur en prît : l'année suivante 40 000 cavaliers et 100 000 fantassins mamelouks d'Égypte investissaient définitivement la dernière place franque du Levant, dans un massacre épouvantable. Baïbars Ier, al Malik al Zahir, ancien esclave turc devenu Sultan d'Égypte mettait le point final à deux siècles de domination de la Maison Normande des Hauteville, et rayait pour toujours de la carte, l'existence de la Principauté. C'était la revanche impitoyable de l'Islam, aux compromissions des Francs d'Antioche avec les Mongols. Mais depuis ce temps-là, à cause de cette épopée normande, en dépit des tourments et des péripéties politiques, il existe entre les anciens États francs de la Méditerranée Orientale, la Syrie du Nord et la France, une histoire, des souvenirs et des relations particulières qu'aucune idéologie ou puissance n'a pu effacer. Ce fut l'insigne mérite de Bohémond d'avoir au XIe siècle voulu inscrire une page de notre Histoire sur cette terre "explosive" du Moyen Orient, qui fascina nos aïeux. (Patrimoine-normand.com  )

 

À la nouvelle qui lui parvint début de 1096 que, de France, de Lotharingie et d'Allemagne, de grandes armées occidentales se mettaient en marche vers Jérusalem, Bohémond prépara son départ hâtivement. "On se souvient qu'en 1081 il avait débarqué à Avlona avec Robert Guiscard, battu Alexis Comnène à Durazzo et guerroyé jusqu'en 1085, sans atteindre Constantinople. En coopérant avec les croisés, il entendait rentrer dans ses frais: non pas s'emparer de la capitale de l'Empire, mais réussir là où Roussel de Bailleul avait échoué, c'est-à-dire à se tailler une principauté en Asie mineure, principauté qui servirait à tout hasard de base logistique. Ses propres vassaux et ceux de Roger de Sicile adhérèrent de grand coeur à ce projet; tous étaient d'authentiques descendants de Vikings, ils ne l'oubliaent pas." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 35]

 

"Le normand Bohémond de Tarente incarne le croisé tel que l'ont vu quelques historiens et pas mal de romanciers : aventurier  sans scrupules, coureur d'aventures, brutal et rusé tour à tour, ce ne sont pas de toute évidence les motifs pieux qui l'ont déterminé à rejoindre l'expédition", écrit Régine Pernoud.

Il est le fils de ce Robert Guiscard qui, à lui seul, ou presque, a conquis la Sicile et l'on sent encore en lui toute l'ardeur de ces vikings qui avaient fait trembler l'Europe, lorsqu'ils remontaient le cours des fleuves, pillant, rançonnant, dévastant tout sur leur passage, deux siècles auparavant. Capable de tous les subterfuges pour parvenir à son but, d'une endurance incroyable et d'une énorme cruauté, c'est une vraie force de la nature.

 

Il n'en rendra pas moins certains jours, d'éminents services aux autres croisés en se révélant l'homme de la situation, celui qui ne s'embarrasse pas de scrupules et ne connaît pas non plus de faiblesse. C'est à sa ruse comme à sa ténacité qu'ils durent de prendre Antioche.

 

"Bohémond est l'un des personnages de cette époque dont nous avons un portrait ressemblant. Il fut brossé par Anne Comnène, fille de l'empereur, qui l'a vu de près à Constantinople. Bohémond était grand et fort. Ses cheveux blonds étaient coupés court, ce qui n'était déjà plus la mode parmi les chevaliers occidentaux. De même il ne portait pas la barbe." [François Neveux, L'Aventure des Normands, VIIIe – XIIIe siècle, Collection Tempus, Paris 2015, p. 218]

 

Anne Comnène s'attarde à le décrire : "On n'avait jamais vu auparavant sur la terre des Byzantins, homme pareil à celui-ci, barbare ou grec, car sa vue engendrait l'admiration et sa renommée l'effroi. [...] [I]l avait une si haute stature qu'il dépassait presque d'une coudée les plus grands, et il était mince, sans embonpoint. [...] Il avait la peau très blanche. [...] Sa chevelure était blanche et ne lui tombait pas sur les épaules, comme celle des autres barbares; cet homme en effet n'avait pas la manie des longs cheveux, mais il les portait coupés à l'oreille. [...] Ses yeux bleus exprimait à la fois le courage et la dignité. [...] [T]out cet homme, dans toute sa personne, était dur et sauvage, à la fois dans sa stature et dans son regard, et son rire même faisait frémir son entourage." [R. Pernoud, Les Hommes de la Croisade, Tallandier, Paris 1977, p. 69-70]

 

Avec lui se croisèrent son neveu Tancrède, son cousin Richard de Salerne, Robert de Hanse, Hermann de Cannes, Robert de Sourdeval, Boel de Chartres, Aubré de Cagnano, Onfroi de Monte Scabioso, tous chevaliers normands fieffés en Grande Grèce.

Tancrède de Hauteville-Merry-Joseph Blondel, 1840

Tancrède de Hauteville-Merry-Joseph Blondel, 1840

Ils embarquèrent à Brindes sur l'Adriatique, d'où ils passèrent à Durazzo. Par l'Epire et la Thrace, ils atteignirent Constantinople au mois d'avril 1097. 

 

 

La troisième armée, la Croisade provençale arriva presque en même temps que la Croisade normande. Son chef était Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse et marquis de Provence.

 

Elle prit par la Lombardie, la Dalmatie et l'Epire. Ella arriva sous les murs de Constantinople vers la même époque que les chevaliers de Bohémond et Tancrède, c'est-à-dire en avril 1097.

Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Merry-Joseph Blondel, 1843

Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, Merry-Joseph Blondel, 1843

La quatrième armée, formée de contingents de Français du Nord, de flamands et de frisons, sous la direction du comte Robert de Flandre, prit par l'Italie, la Campanie et l'Apulie, et atteignit le port de Bari sur l'Adriatique.

Parmi elle, le chroniqueur Foucher de Chartres. Elle arriva au rendez-vous général sur le Bosphore en avril 1097 également.

 

Un cinquième corps d'armée composé de Français du Centre et de l'Ouest, sous les ordres de Robert Courteheuse, duc de Normandie, fils de Guillaume le Conquérant, et par son beau-frère Étienne, comte de Blois et de Chartres, arrive à Constantinople en mai 1097.

Pour partir en croisade, le duc de Normandie mit son duché en gage pour cinq ans, contre la somme de dix mille marcs d'argent. [François Neveux, L'Aventure des Normands, VIIIe – XIIIe siècle, Collection Tempus, Paris 2015, p. 204] Il allait dès lors apparaître comme l'un des chefs de la croisade, aux côtés de Godefroy, Raymond et Bohémond.

 

Anne Comnène, la fille de l'empereur byzantin Alexis, englobera tous ces peuples qu'elle ne connaît que de la façon la plus imprécise sous le nom de "Celtes". Historienne byzantine, elle écrira d'eux : "la nation des Celtes est très ardente et très fougueuse, une fois qu'elle a pris son élan, on ne peut plus l'arrêter". [Régine PERNOUD, Les Hommes de la Croisade, ibid., p. 67]

"On a calculé que les troupes faisaient dans les vingt-cinq milles (environ trente à trente-deux kilomètres) par jour en moyenne" [Régine PERNOUD, Les Hommes de la Croisadeibid., p. 64) 

 

Français et Byzantins se défiaient les uns les autres; ceux-ci avaient peur d'être pillés et violentés; ceux-là craignaient d'être empoisonnés ou trahis. Les chevaliers occidentaux paraissaient des êtres brutaux et grossiers aux sujets de l'empereur Alexis, qui de leur côté étaient regardés par les Occidentaux comme des fourbes et des couards. Ils se traitaient réciproquement d'hérétiques, les uns obéissant obéissant au pontife romain, les autres aux patriarches grecs.

 

"Alexis Comnène n'avait souhaité l'arrivée des croisés que dans l'espoir de repousser les Turcs qui venaient de lui arracher, avec la Syrie, la grande, la précieuse cité d'Antioche, qu'il considérait comme le boulevard de son empire; tandis que les Français entendaient ne combattre que pour la foi et demeurer possesseurs des territoires conquis. Dans la suite, les croisés accuseront Alexis Comnène de mauvaise foi, de les avoir trahis et dupés; sur ce point les travaux de Ferdinand Chalandon, venant après ceux des historiens grecs, paraissent bien l'avoir justifié." [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 34; 75] 

Les Occidentaux qualifiaient les Grecs de traitres. Cette réputation remontait aux évènements suite à la déroute de l'armée byzantine à la bataille de Manzikert le 26 août 1071, où Romain Diogène captif, "le parti civil et de la bureaucratie" prit le pouvoir à Constantinople: 

 

"Ce fut alors que l'empereur Michel VII Doukas (1071-1078), pour empêcher les Normands de conquérir l'Anatolie (Turquie actuelle) comme ils avaient conquis la Grande Grèce, fit appel aux Seljûkides. Geste gros de conséquences, car l'établissement définitif de la race turque dans la péninsule date de là", explique René Grousset. [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 46]

 

René Grousset raconte l'évènement : "Tandis que Byzance, depuis la mort de Basile II (1025), ne cessait de reculer en Asie, l'Occident latin, dans la personne des Normands, se mettait en marche vers l'Orient. C'est dans le second quart du onzième siècle que des bandes d'aventuriers normands, descendues du duché de Normandie dans l'Italie méridionale, avaient commencé à enlever ce pays aux Byzantins en même temps que la Sicile aux Arabes. En 1042 un de leurs chefs, Guillaume de Hauteville occupait déjà la Pouille occidentale. Mais c'est à Robert Guiscard qu'est dû l'établissement définitif de l'État normand. Proclamé duc de Pouille et de Calabre en 1059, il enlevait aux Byzantins leurs dernières places italiennes, Otrante, Brindisi (1062), Bari enfin leur capitale, le 16 avril 1071 - l'année même de la bataille de Malâzgerd. Dès lors il n'eut plus qu'une ambition: poursuivre ses conquêtes de l'autre côté u canal d'Otrante. Comme il avait enlevé aux Byzantins leurs thèmes italiens, il entendait maintenant leur enlever l'Épire, la Macédoine et Constantionople elle-même, en attendant, sans doute, d'aller sanctifier son oeuvre en continuant en Asie la lutte contre l'Islam si brillamment commencée par l'expulsion des Arabes de Sicile. [...] L'exemple de Roussel de Bailleul, qui, avec une poignée de Francs, avait réussi à tenir en échec les forces de Bzance et celles des Seljûkides et failli transformer l'Anatolie en principauté normande, était de nature à accroître l'ambition de Robert Guiscard. En mai 1081 Robert débarquait à Avlona. Vainqueur de l'empereur Alexis Comnène sous les murs de Durazzo, le 18 octobre 1081, il s'empara, après un long siège, de cette importante place (21 février 1082). De là, s'enfonçant dans les montagnes de la Macédoine, il avait pris Kastoria et marchait sur Constantinople, lorsque les affaires d'Italie l'obligèrent à rentrer dans ses États, en laissant le commandement de l'expédition à son fils Bohémond, le futur héros de la Première Croisade (avril-mari 1082). Bohémond, deux fois vainqueur d'Alexis Comnène, prit Janina et Arta, en Épire, Okhrida, Veria et Moglena en Macédoine et vint assiéger Larissa en Thessalie. L'empire semblait si près de sa chute - 1082 devançant 1204 ! - qu'Alexis Comnène n'hésita pas à faire appel au seljûkide d'Anatolie, Sulaïman Ibn Qutulmish, qui lui envoya 7000 hommes. Enfin un succès d'Alexis sous Trikala dégagea la Thessalie, Bohémond étant allé chercher des renforts en Italie, Alexis reprit Kastoria (novembre 1083). Robert Guiscard et Bohémond revinrent cependant d'Italie avec les renforts nécessaires et défirent devant Cordou la flotte vénitienne, alliée de Byzance, mais la guerre traîna ensite en longueur sur les côtes de l'Épire et de l'Arcanie jusqu'à ce que Robert mourût d'une épidémie à Képhalonie le 17 juillet 1085. Lui disparu, les Normands évacuèrent leurs conquêtes et rentrèrent en Italie. Mais dans leurs pensée ce n'était là qu'un ajournement. Les successeurs de Robert Guiscard - à commencer par son fils Bohémond - ne devaient jamais oublier la route de Constantinople sur laquelle leur chef s'était avancé jusqu'au coeur de la Macédoine. Cette route, la Première Croisade allait leur fournir l'occasion de la prendre à nouveau. Car pour Bohémond la Croisade - jusqu'à Constantonople et jusqu'à Antioche - ne devait pas être autre chose que cela : la reprise de l'expédition de 1081. Sa mainmise sur Antioche devait le prouver." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 71-72]

Suite à la prise d'Antioche le 3 juin 1098, qui "sauva littéralement les Croisés d'un désastre effrayant", [...] "[l]e lendemain même, la grande armée seljûkide de secours, commandée par le gouverneur de Mossoul Kurbuqa, apparaissait sur l'Oronte.

[...] Dans sa marche sur la Syrie, c'était vraiment tout l'espoir du sultanat seljûkide de Perse qui reposait sur lui. [...] Kurbuqa, renonçant à pénétrer dans la ville par la citadelle, résolut de prendre les défenseurs par la famine. [...] L'investissement complet et la famine la plus cruelle commença à se faire sentir parmi les assiégeants de naguère, devenus assiégés à leur tour. [...]

Certains fugitifs, comme Guillaume de Grandmesnil et Etienne de Blois, qui avaient gagné Alexandrette pour se mettre à l'abri, se rendirent de là en Asie mineure auprès de l'empereur Alexis Comnène. [...] Etienne de Blois et Grandmesnil, répandant autour d'eux la terreur dont ils étaient poursuivis et d'ailleurs désireux de justifier leur fuite, affirmèrent à l'empereur qu'à cette heure Kurbuqa avait dû anéantir la Croisade. Rumeur démoralisante, Alexis Comnène, persuadé que sa marche sur la Syrie n'avait désormais plus de but, rebroussa chemin. Seul le prince normand Guy, frère de Bohémond et  qui servait dans l'armée impériale, essaya d'entraîner celle-ci à une marche hardie vers Antioche, pour sauver la Croisade. Ses généreuses exhortations ne trouvèrent pas d'écho. Le basileus, se fiant aux affirmations réitérées d'Etienne de Blois, regagna Constantinople avec son armée, [...] décision qui n'en était pas moins, au point de vue international, grosse de conséquences. Par la lâcheté et le mensonge d'Etienne de Blois, la croisade byzantine rebroussait chemin au moment où son concours eût été le plus précieux à la croisade franque; le plus précieux aussi à la croisade byzantine elle-même, puisque le basileus renonçait à faire acte de présence en Syrie, c'est-à-dire à faire valoir ses droits sur Antioche à l'heure même où le sort de la ville allait se décider.

La carence ... d'Alexis Comnène en ces journées décisives de juin 1098 devait avoir cette conséquence que la Syrie rédimée serait purement franque et non, comme tout portait à le croire jusque-là franco-byzantine. [...] [L]e monarque byzantin avait, faute de hardiesse militaire, laisser passer l'heure favorable pour venir exercer ses droits. Bohémond, qui, à l'été de 1098, eût été forcé de s'incliner devant l'arrivée du basileus accompagné de ses légions, aura naturellement une attitude toute différente lorsqu'un an plus tard Alexis l'invitera par message à rendre la place, et cela contre simple promesse d'une collaboration à la Croisade. Collaboration bien hypothétique, car, à l'heure même où il parlera ainsi de venir aider les Francs à conquérir la Palestine sur les Fâtimides d'Égypte, Alexis Comnène aura conclu une entente secrète avec ces mêmes Fâtimides, comme le révèlera une lettre de lui au vizir al-Afdal, tombée aux mains des Croisés après la bataille d'Ascalon." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 162-166; 177-178]

Plus tard, lors du siège de Baudoin Ier contre Tyr (novembre 1111), "si le siège de Tyr avait échoué, on le devait à l'absence d'escadres italiennes et à l'insuffisance de la flotte byzantine, seule présente dans les eaux franques. L'ambassadeur byzantin Boutoumitès était cependant resté auprès de Baudoin. [...] Mais toute l'activité des Byzantins tendait à entraîner le roi de Jérusalem dans une action contre les Normands d'Antioche, nullement à concerter une attaque sérieuse contre les Fâtimides, Baudoin, lassé, rompit les négociations avec Boutoumitès qui regagna Tripoli." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 318]

 

De son côté, Bohémond présentait "les Byzantins comme de faux chrétiens, des traîtres envers la Croisade, des complices de l'Islam..." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 371]. Il faisait "observer que la carence du concours byzantin durant la guerre contre les Turcs rendait nul et non avenu le pacte franco-byzantin de 1097." [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 443

 

Lors de l'accord d'avril 1097 d'Alexis Comnène avec les croisés, "Bohémond joua les bons offices. La totalité des terres relevant de l'empire avant le désastre de Mantzikert (1071) devait lui être restituée, y compris Antioche et Édesse. En contrepartie l'empereur s'engageait à coopérer avec les croisés, soit en personne, soit en déléguant le commandement de son armée à l'un de ses lieutenants. Finalement, le comte de Toulouse s'engagea à respecter la vie et les biens de l'empereur, formule passablement ambiguë, mais dont Alexis Comnène dut se contenter.

"Comme on le voit, dès le début de la croisade, régnait un certain désaccord entre les chefs et la méfiance envers Alexis Comnène grandissait. [...] Quant aux modestes chevaliers, aux écuyers, aux sergents et aux archers, ils ne pouvaient oublier les injures et les agressions des Grecs. Ils n'avaient que les mots de perfidie, de trahison à la bouche. Ce climat délétère avantageait Bohémond de Tarente. Il se flattait d'en tirer parti." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 37-38]

 

Décrivant en témoin oculaire la progression de l'armée de Louis VII jusqu'à Antioche, le moine Eudes de Deuil († 1162), chapelain du roi au cours de l'expédition et futur abbé de Saint-Denis ne cache pas son acrimonie contre l'empereur de Constantinople, Manuel Comnène, et contre ses sujets. Il les campe sous les traits de l'hypocrisie obséquieuse, de l'égoïsme libidineux et de la traîtrise congénitale. Sous sa plume, la responsabilité des lourdes pertes humaines en Anatolie leur revient largement. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 71]

Régine Pernoud indique que "l'empereur Isaac Ange envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte en 1187". [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 167] 

 

Inversement, pour Frantz-Funck-Brentano "on parle beaucoup de la perfidie des Grecs et de l'empereur Alexis vis-à-vis des croisés; une étude précise des faits amène à la conclusion que ce sont les croisés qui ont manqué à leurs engagements vis-à-vis du basileus. Sans les secours implorés et obtenus de l'empereur de Constantinople, jamais les croisés ne seraient parvenus en Asie; après quoi, forts des avantages qu'ils avaient obtenus, les croisés ont osé violer les contrats auxquels ils s'étaient soumis en échange. Les travaux de Ferdinand Chalandon ont éclairé ces faits d'une lumière décisive. 'Ce sont les croisés, dit l'éminent historien, qui ont manqué aux engagements pris avec l'empereur. La possession d'Antioche avait pour le basileus une trop grande importance pour qu'il y pût renoncer'. 'D'ailleurs, dit Chalandon, il n'y eut rupture qu'avec Bohémond établi à Antioche contrairement à toutes les promesses faites et devenu ainsi l'ennemi de l'Empire. Les attaques que le nouveau prince (Bohémond) allait diriger tout aussitôt contre les possessions des Grecs devaient amener presque immédiatement la guerre entre l'Empire (byzantin) et la principauté d'Antioche'." [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 75]

 

Guibert de Nogent, estime que les croisés réunis comptaient environ 100 000 hommes d'armes, guerriers à cheval. Foucher de Chartres estime lui aussi le nombre des chevaliers à 100 000.

Achille Luchaire compte que de Nicée à Jérusalem les croisés perdirent 600 000 hommes; ce qui pourrait donner un million de pèlerins partis en armes pour la Terre sainte, chiffre qui concorderait également avec les 100 000 chevaliers en heaume et haubert de Foucher de Chartres et de Guibert de Nogent. Quelques relations du temps décrivent l'arrivée des contingents français et flamands en Italie, en Pouille et en Calabre, dans les terres de Bohémond, portant cousue sur leurs vêtements, généralement sur l'épaule, une croix d'étoffe [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 29-30]

 

Passant en Asie, les barons prennent Nicée puis Antioche. Ils progressent lentement car leurs adversaires sont de redoutables soldats.  

 

Prise de Nicée (26 juin 1097). Et remise de la ville au Byzantins

 

À l'exception du comte de Toulouse et de Tancrède, les chefs croisés avaient prêté serment de fidélité à l'empereur byzantin Alexis Comnène. Ils s'engageaient à lui rendre toutes les anciennes possessions byzantines qu'ils pourraient recouvrer sur les Turcs, de Nicée à Antioche. Ils se reconnaissaient, en terres d'Asie, les vassaux du basileus. En retour, celui-ci s'engageait à les seconder de toutes ses forces, à prendre même la croix, et, s'il ne pourrait les accompagner jusqu'au bout, à adjoindre à leur armée un corps byzantin (ce que fut le corps de Tatikios). Conformément aux termes d'un traité conclu en mai 1097 entre Alexis Comnène et Bohémond, les Croisés entreprirent de chasser les Turcs de Nicée, prise par les Seldjoukides seize ans plus tôt.

 

Bohémond exerçait "les pouvoirs de général en chef, sinon en titre, du moins en fait. Quelle joie pour tous de voir les murs de Nicée inestie de toutes parts ! La plaine était couverte de chevaux luisants, ornés de caparaçons, qui brillaient et sonnaient de la manière la plus agréable. Les raysons du soleil redoublaient d'éclat en se réfléchissant sur les cuirasses; les casques et les boucliers garnis de bronzes doré, jetaient un éclat éblouissant et nos gens, semblables à la tempête, dirigeaient contre les murailles les coups redoublés de leurs béliers. Les Francs opposaient leurs lances aux flèches des ennemis. Du haut des tours de bois on chassait les Turcs de la crête de leurs remparts" [Guibert de Nogent, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 40-41]. L'empereur Alexis avait fourni les machines de guerre, les hautes tours de bois que les assiégeants poussaient contre les murs, les balistes et les pierriers; les remparts furent minés. Le basileus alla jusqu'à renforcer les effectifs des croisés par un corps de ses propres troupes placé sous les ordres de deux de ses meilleurs capitaines.

"Un poète français du XIIIe siècle peint à cette date l'idéal physique du chevalier français : 'Il semble de son corps une grand' tour carrée'. [Baudouin de Sebour, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 40] 

 

Bien que l'attaque fût commencée depuis le 14 mai (1097), l'encerclement ne la ville n'était pas complet. Aussi, est-ce du côté de la porte méridionale de l'enceinte que les renforts trucs envoyés par le sultan Arslân comptaient entrer dans la place. Mais ils furent prévenus par le comte de Toulouse et par le légat Adhémar de Monteil qui, arrivés enfin devant Nicée, venaient prendre de côté leur secteur de siège. Quand les renforts turcs se présentèrent, ils se heurtèrent à Raymond de Saint-Gilles qui les mit en fuit. Les têtes des vaincus, lancées parmi les assiégés propagèrent la démoralisation parmi eux: une force supérieure à la force turque venait de surgir, qui pendant un siècle allait faire reculer l'Islam. Une flotte byzantine envoyée par Alexis Comnène ravitaillait les Croisés. 

Alexis accepta la proposition que lui firent les assiégés de capituler entre ses mains. C'est ainsi que, le jour fixé pour l'assaut (19 juin 1097), les Croisés virent subitement flotter sur le haut des remparts, les étendards de l'empire grec.

 

À l'heure où les Croisés se préparaient à escalader les murailes, ils virent flotter sur les tours les étendards impériaux. Après seize ans d'occupation seldjukide, Nicée était redevenue byzantine (26 juin 1097). Le siège avait duré sept semaines, durant lesquelles, malgré les approvisionnements fournis par l'empereur, les souffrances des croisés avaient été cruelles. Nombre d'entre eux étaient morts de faim. Nicée demeura la propriété du basileus.

Sous les murs de Nicée, les Croisés se reposèrent huit jours. Tous les chefs croisés renouvelleront leur serment de fidélité entre les mains de l'empereur Alexis, à l'exception du seul Tancrède qui continuait à s'y refuser.

 

Le 28 juin 1097, l'armée reprit sa marche vers l'Est. Les Croisés firent mouvement sur le plateau de Phrygie, marchèrent sur Dorylée et Iconium, tandis qu'Alexis Comnène devait exploiter la délivrance de Nicée pour reconquérir sur les Turcs les anciennes provinces de Mysie, de Ionie et de Lydie : et cela aussi était une croisade.

Autour de l'ost en marche, les cavaliers turcs, sur leurs agiles montures, apparaissaient subitement, voltigeant comme frelons autour d'une ruche à miel. Ils leur lançaient des dards et combattaient tout en fuyant, tirant des flèches sur ceux qui les poursuivaient.

Une armée importante amenée par le sultan seljoukide Arslan au secours des Turcs assiégés dans Nicée, rencontra les croisés dans la plaine de Dorylée, le matin du 1er juillet 1097.

 

La bataille de Dorylée (1er juillet 1097)

 

Renseignés par leurs espions, l'émir et le sultan connaissaient la route prise par les croisés et convinrent de les intercepter. Ils croyaient les exterminer en un moment, car personne n'avait pu résister jusqu'ici aux attaques tourbillonnantes de la cavalerie turque ! Le matin du 1er juillet, l'armée de Bohémond fut entourée brusquement par une multitude hurlante. Plusieurs des principaux chefs francs, Godefroi de Bouillon, Raymond, Hugues le Grand, comte de Vermandois, frère du roi de France, avaient momentanément quitté le gros de l'armée avec leurs hommes. Bohémond, qui commanda en cette journée, ne perdit pas son sang-froid. Il jugea d'un coup d'oeil la situation, fit mettre ses cavaliers à terre, disposa ses fantassins et, quand il en était encore temps, envoya un messager à Godefroy de Bouillon.

Les Turcs, au jugement de Foucher de Chartres, étaient 360 000, tous à cheval, armés d'arc et de flèches.

Les Turcs commencèrent l'attaque avec des cris furieux, en faisant pleuvoir sur leurs adversaires une grêle de flèches. Bohémond soutenait les siens avec une rare énergie, mais en dépit de ses efforts, les Chrétiens pour lesquels cette guerre était d'un genre nouveau - hormis peut-être pour Bohémond -, s'étaient repliés vers leurs chariots; et concentrés en leur camp, ils opposèrent une résistance acharnée, quand survinrent Godefroi de Bouillon et Hugues le Grand à la tête de leurs contingents. Alertés, ceux-ci accouraient en toute hâte.

Hugues de France, dit Hugues le Grand, Comte de Vermandois

Hugues de France, dit Hugues le Grand, Comte de Vermandois

L'Anonyme de la croisade signale que les femmes exhortaient les combattants à la défense, leur portaient à boire.

La tactique de la légère cavalerie turque était toujours la même: ne pas attendre le corps à corps avec la lourde chevalerie franque, fuir devant elle, tout en la criblant de flèches à la vieille manière parthe, puis quand les chevaux bardés de fer étaient essoufflés avec leurs cavaliers, faire une brusque volte-face, tomber sur les poursuivants dispersés et hors d'haleine et les massacrer sous le nombre. [R. Grousset, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 462

Les cavaliers trucs étaient assez mal protégés. Au contraire, les chevaliers francs portaient une cotte de maille et les fantassins un gilet de cuir souvent renforcés de macles. Pourtant la multitude des assaillants était telle que les croisés devaient nécessairement succomber. Ce désastre eût, sans le moindre doute, paralysé la croisade et changé le cours des évènements. Mais vers deux heures de l'après-midi - on se battait depuis plus de cinq heures - Godefroy et ses Lotharingiens apparurent. Dès qu'il avait été prévenu par le coureur de Bohémond, il avait foncé au grand galop vers Dorylée. Les autres chefs suivaient à quelque distance. Les croisés reprirent courage, tandis que les musulmans faiblissaient. 

Croisé à cheval

Croisé à cheval

Les chrétiens poussèrent leur attaque, rompant les phalanges turques. C'est à ce moment que le légat Adhémar de Monteil, ci-devant chevalier, joua un rôle capital : il suggéra à Raymond de Saint-Gilles d'envelopper les Turcs au lieu de les attaquer de front. Ceux-ci firent alors connaissance avec la lourde cavalerie franque. Leurs escadrons furent broyés. Craignant d'être encerclé, le sultan et l'émir ordonnèrent la retraite. Ce fut en réalité une débandade. Les Turcs fuyaient par monts et par vaux. Les Croisés firent un butin considérable. Ils s'emparèrent même du trésor de guerre d'Arslan.

 

Cette journée de Dorylée gommait la déroute de l'empereur Romain Diogène à Mantzikert. Les Turcs seldjoukides y perdirent leur réputation d'invincibilité. Le chroniqueur de la Gesta francorum écrit : "Ils croyaient effrayer les Francs par la menace de leurs flèches comme ils ont effrayé les Arabes, les Arméniens, les Syriens, les Grecs. Mais s'il plaît à Dieu, il ne prévaudront jamais les nôtres. À la vérité, ils prétendent que nul à part les Francs et eux, n'a le droit de se dire chevalier.[Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 43-44]

Croisés. Image tirée du film de Ridley Scott, "Kingdom of heaven"

Croisés. Image tirée du film de Ridley Scott, "Kingdom of heaven"

Les combats livrés entre Chrétiens et Sarrasins en Terre sainte ne furent généralement que des combats de chevalerie sur terrain plat; l'infanterie ne commencera à jouer un rôle actif dans les combats qu'avec la fin du XIIIe siècle, après les procédés stratégiques nouveaux introduits par les Flamands.

 

Après leur victoire de Dorylée, les croisés continuèrent leur marche, traversant la petite Arménie où tout avait été intentionnellement dévasté par les Turcs. Ils franchirent le Taurus et se dirigèrent sur Antioche. Ils avaient à passer par un fouillis de cimes hérissées que l'auteur des Gestes nomme "la montagne diabolique", les chaînes parallèles de l'Anti-Taurus aux cols élevés. Ils n'étaient pas vêtus pour de pareilles expéditions. Arrivés en Cilicie, ils se trouvèrent en contact avec des populations chrétiennes qui pourvurent à leurs besoins les plus urgents.

 

La foi et la forte discipline féodale soutenaient l'armée. On y parlait des langues les plus diverses, car il y avait là des Français, des Flamands, des Frisons, des Gallois, des Bretons, des Lorrains, des Rhénans, des Normands, des Écossais, des Anglais, des Aquitains, des Italiens, des Ibères, des Daces, des Grecs et des Arméniens. "Mais si nous étions divisés par tant de langues, nous n'en étions pas moins unis dans l'amour de Dieu". [Foucher de Chartres, cité in F. Funck-Brentano, ibid., p. 49] 

 

La victoire de Dorylée avait eu un retentissement considérable dans le monde musulman. Il n'est pas douteux qu'elle fût connue jusqu'aux confins de la Perse et de la Palestine. Mais l'empire seldjoukide était morcelé de telle sorte que chacun de ses états qui le composaient n'avaient en vue que ses intérêts immédiats. On ne prêtait aucune signification particulière au fait que les envahisseurs portaient une croix sur l'épaule. On les assimilait aux Romains', c'est-à-dire aux Byzantins, ou à des mercenaires que le basileus employaient fréquemment. On estimait donc qu'il s'agissait d'une contre-attaque byzantine, par conséquent d'une guerre de type ordinaire

Conformément aux accords d'avril, les croisés remirent les places qu'ils avaient conquises aux représentants d'Alexis. Les étendards impériaux flottaient de nouveau sur Nicée, Héraclée, Césarée et Mar'ash. En quelques mois, l'empereur avait recouvré les trois quarts de l'Anatolie. L'opération se soldait par des gains inespérés.

Cependant, Tancrède et Baudouin de Boulogne avaient quitté la croisade pour libérer la Cilicie. Ils prirent facilement Tarse, Adana, Marmistra, grâce aux Arméniens. C'est ainsi que Baudouin s'empara sans coup férir du comté d'É desse, le premier état franc qui fut fondé.

 

Siège et prise d'Antioche (3 juin 1098) 

Croisades

De Tarse, les croisés reprirent leur marche à travers la Syrie aride. "Nous n'avions guère à manger que les épines (aloès et cactus) que nous arrachions, dit l'auteur des Gestes. Nos chevaux périrent presque tous et nos chevaliers étaient contraints d'aller à pieds, à moins de chevaucher des boeufs."

Le 20 octobre 1097, l'armée atteignit enfin Antioche, sur la rive gauche de l'Oronte. Capitale de la Syrie et troisième ville de l'empire romain du temps du Christ, Antioche était la ville antique fondée par le successeur d'Alexandre le Grand en Syrie, Séleucos Ier, métropole dont la population fut très tôt à majorité chrétienne suite à l'évangélisation de Saint Barnabé et Saint Paul.  

Le siège d'Antioche dura sept mois, du 21 octobre 1097 au 3 juin 1098. "Il est possible,écrit R.Grousset, que cette interminable immobilisation eût pu être évitée si, dès les premiers jours, les Francs avaient profité de l'effet de surprise pour attaquer la ville."

Albert d'Aix décrit complaisamment l'arrivée des croisés à Antioche "couverts de leurs boucliers resplendissants, dorés, verts, rouges et de diverses autres couleurs, déployant leur bannières d'or et de pourpre, enrichies d'un beau travail, montés sur des chevaux excellents pour la guerre, revêtus de leurs cuirasses et de leurs casques éclatants.

Bohémond de Tarente établit son camp en face de la porte Saint-Paul. Hugues de Vermandois, Robert Courteheuse, Robert de Flandre et Etienne de Blois, entre la porte Saint-Paul et la porte du Chien. Raymond de Toulouse et les Méridionaux, au nord-ouest, ainsi que Godefroy de Bouillon et les Lotharingiens qui firent face à la porte du Duc (ou du Jardin). La Porte du Pont, à lOuest, et celle de Saint-Georges, au sud, permettaient à la garnison de communiquer à l'extérieur. Pour Georges Bordonove, "brusquer l'assaut, comme le suggéra, paraît-il, Raymond de Toulouse, n'avait aucun sens. Les Turcs n'étaient nullement saisis de panique.

[...] Les Turcs effectuèrent plusieurs sorties, soit à la pointe soit au déclin du jour. Ils parvinrent jusqu'au camp des croisés, tuèrent ou capturèrent plusieurs hommes, dont un archidiacre auquel ils tranchèrent la tête; ils prirent même une femme qui fut elle aussi décapitée après avoir été abondamment violée." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 53]

Une expédition de ravitaillement ayant échoué, la famine dans le camp des croisés ne fit que croître. Sans l'aide des Arméniens et des chrétiens syriaques, toute l'armée eut risqué de périr. [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 141-144]

Les Etats latins d'Orient in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 55

Les Etats latins d'Orient in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 55

Antioche sur l'Oronte, construite en étages au flanc du Mont-Cassin, était la capitale de la Syrie entière. Les califes fatimides d'Égypte conquirent la Syrie sur les Chrétiens qui la reprirent en 969, pour la voir tomber entre les mains des Turcs d'Asie (Seldjoukides), mais Antioche même, en ses fortifications défensives, était demeurée aux empereur byzantins jusqu'en 1085, date où s'y installa un prince seldjoukide. D'où l'importance qu'attachait l'empereur Alexis au recouvrement de l'illustre cité grecque.

Les croisés se heurtèrent dans Antioche à une imposante garnison musulmane. La ville était en outre protégée par sa position naturelle, par le cours de l'Oronte et par sa situation à flanc de la montagne; ses murs, renforcés de quatre centre cinquante tours massives, la ceignaient d'un rempart de pierre d'une épaisseur telle qu'un char y pouvait rouler au sommet. 

Cependant, parmi les Francs, la famine devenait de plus en plus affreuse. "Tous les environs, écrit Foucher de Chartres, avaient été épuisés par nos troupes". Les croisés en été réduits à se nourrir d'herbes, d'écorces, de racines; ils mangeaient leurs chevaux, leurs ânes, leurs chameaux, leurs chiens, et jusqu'aux souris et aux rats; ils dévoraient les courroies et les lanières de cuir dont se composaient les harnachements de leurs montures. Pour comble de misère, leurs tentes étaient en loques, pourries, déchirées; nombre d'entre eux n'avaient plus d'autre abri que la voûte étoilée.

Un premier combat, livré le 9 février 1098 sur les bords du lac d'Antioche, entre Turcs et Chrétiens, fut à l'avantage des derniers; de leurs ennemis, ils tuèrent un grand nombre. Ici encore, Bohémond avait su déployer ses belles qualités de vaillant guerrier et d'habile stratège. Il savait qu'entre toutes les places de Syrie que les croisés s'étaient engagés à remettre entre les mains de l'empereur Alexis, Antioche était celle à laquelle celui-ci tenait le plus. Mais Antioche, si belle, si riche, si puissante par ses murailles, constituait un appât irrésistible pour Bohémond; il rêvait d'une principauté indépendante, dont lui, Bohémond, serait le prince et Antioche la capitale. L'exemple de Baudouin de Boulogne prospérant dans sa principauté d'Édesse le hantait. On avait appris qu'à peine veuf il avait épousé une princesse indigène et qu'à la faveur de ce mariage il avait doublé son territoire ! Ayant pris sa décision, Bohémond manoeuvra supérieurement. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 55]

Or, il y avait dans Antioche un émir arménien renégat, mot arabe qui signifie commandant, que les chroniqueurs français de l'époque traduisent par amiral. Il avait la garde de trois tours, des plus importantes pour la défense d'Antioche assiégée. Il se nommait Firouz. Et Bohémond avait trouvé le moyen d'entrer en rapport avec lui. Il lui promit de le faire réintégrer dans la religion chrétienne, puis le combla des plus riches présents. En fait, on verra notre Firouz recevoir à nouveau le baptême, redevenir chrétien, porter le nom même de Boémond, et prendre part à l'expédition des croisés jusqu'à la prise de Jérusalem. Il est vrai que dans la suite il apostasiera une seconde fois, reprendra son nom de Firouz, pour finir sa vie dans le mahométisme, à moins qu'il ne se soit fait chrétien une troisième fois. [F. Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 62-63]

"Le conseil de l'armée décida de chasser 'les folles femmes et servantes de mauvaise vie'. On menaça de châtiments sévères les adultères et fornicateurs, les ivrognes, les joueurs impénitents, et bien entendu les déserteurs. Bohémond était l'inspirateur discret de ces mesures. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 55]

Fîrûz entra en correspondance avec Bohémond, lui offrant, moyennant certains avantages, de lui livrer la tour des Deux-Soeurs." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 159]  

C'est alors que Bohémond insinua à ses pairs, chefs de la croisade, que décidément il ne lui était plus possible de poursuivre la guerre contre les infidèles; les frais en étaient pour lui trop lourds, les dépenses excessives, ses hommes et lui-même étaient épuisés; il se disposait à retourner en Italie. Malice cousue de fil blanc. Elle n'en eut pas moins l'effet attendu. Les chefs de la croisade comprirent que la lutte, en s'éternisant, réduisait de jour en jour toute chance de succès; et ils décidèrent à entrer dans les vues du prince de Tarente. Antioche serait à qui en assurerait la prise. "Pour retenir le prince normand les autres barons, à l'exception de Raymond de Saint-Gilles, lui promirent que, dès qu'Antioche serait prise, on lui en laisserait la possession. [...] Passant outre à la résistance obstinée du comte de Toulouse, les barons, Godefroi de Bouillon le premier, se désistèrent en faveur de Bohémond de leurs droits sur Antioche et lui donnèrent tout pouvoir pour diriger la prise de la ville (29 mai 1098)."  [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 147; 160]

René Grousset narre à cette occasion un stratagème de Bohémond à l'égard des Byzantins : "[C]omme le fait observer Chalandon, la présence au siège d'Antioche du corps byzantin que commandait Tatikios était un obstacle à l'exécution de ce plan. Nul doute que, s'il se trouvait encore là au moment de la prise d'Antioche, le général byzantin exigerait l'exécution des engagements jurés envers le basileus, la remise de la place entre ses mains. Éventualité embarrassante. [...] Pour la faire disparaître, Bohémond [...] affecta de prévenir Tatikios des intentions hostiles que les autres barons auraient nourries contre l'envoyé byzantin : Ceux-ci, accusant Tatikios de les trahir avec les Turcs, étaient à la veille de lui faire un mauvais parti ! L'intrigue, habilement menée, réussit, Tatikios crut Bohémond. Il prit peur et, en janvier ou février 1098, sous prétexte d'aller chercher des secours, il quitta le camp et courut à Saint-Siméon s'embarquer pour Chypre. Le plaisant est que pour remercier Bohémond de ses avis, il lui aurait cédé au nom de son maître les trois villes ciliciennes de Tarse, Adanet Marmistra; Bien entendu, dès qu'il fut parti, Bohémond ameuta toute l'armée contre sa défection. L'opinion des chroniqueurs latins est unanime à ce sujet : 'Tatic' 'Tetigus' a déserté par peur à la nouvelle que les Turcs envoyaient une grande armée au secours d'Antioche. Il devint 'notre ennemi' : 'Cet ennemi s'en alla...' Et avec lui, c'était tout l'empire byzantin qui se déshonorait moralement, perdant, du coup, tout droit à l'exécution du traité de Constantinople. Ce traité, il était rompu par les Byzantins eux-mêmes, du fait de leur 'défection'. Cette défection déliait les croisés de leur serment. Réduits à prendre Antioche à eux seuls, ils pourraient la garder pour eux seuls. La subtile politique de Bohémond avait réussi.

[...] L'homme se présente à nous avec une verdeur exceptionnelle. Certains de ses stratagèmes de guerre ont l'allure de plaisanteries énormes, encore qu'un peu rudes, au demurant fort efficaces." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 147-148]

Bohémond n'était pas seulement rusé comme un renard, il savait aussi se montrer féroce. Les espions infestaient le camp, soit qu'ils se prétendissent chrétiens, soit qu'ils se convertissent, ils renseignaient les assiégés. Les barons voyaient toutes leurs décisions éventées à l'avance. 

'Frères et seigneurs, dit Bohémond, laissez-moi me charger seul du soin de cette affaire ! ...'

À la nuit tombante, comme d'ordinaire, on était occupé à préparer le souper, il fit égorger quelques prisonniers turcs, appela ses bouchers et leur ordonna de les cuire à la broche. Ils allumèrent un grand feu et rôtirent les cadavres comme des moutons. Ceux qui n'étaient pas de service accoururent pour voir cette 'merveille' de leurs yeux. Cette sinistre plaisanterie s'avéra efficace. Tous les espions profitèrent de la nuit pour déguerpir. Ils répandirent le bruit que les croisés étaient 'plus durs que la roche et le fer', qu'ils dépassaient en cruauté les ours et les lions, mangeant leurs proies toutes crues, alors que ceux-là les cuisaient avant de de s'en repaître !" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 56]

L'histoire des espions musulmans nous est rapportée par Guillaume de Tyr. Le chroniqueur ici s'amuse, à la manière de son héros de cette plaisanterie féroce. "L'astucieux chef normand, inaugurait un système de terreur parfaitement calculé, destiné à démoraliser d'avance le monde de l'Islam." [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 149]

"Telle était la réputation de ces 'bêtes fauves' que l'on commençait à dissocier des 'Romains' (les Byzantins) pour les appeler 'Franj' (Francs)!" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 62]

Antioche- Prise d'Antioche, 3 juin 1098, Louis Gallait, 1842, Collection Louis-Philippe

Antioche- Prise d'Antioche, 3 juin 1098, Louis Gallait, 1842, Collection Louis-Philippe

Peu après l'accord intervenu entre les chefs croisés, les Gestes relatent précisément la prise d'Antioche avec l'escalade de Bohémond:

 

Conformément aux ordres de Bohémond, le soir du 2 juin, l'armée croisée affecta de partir à la rencontre de Kurbuqa, l'infanterie filant par le sud du Silpios, les chevaliers remontant le cours de l'Oronte. le change étant ainsi donné aux assiégés, les troupes marchèrent toute la nuit, puis, en silence, avant le lever du jour, elles se rejoignirent et se massèrent sous la Tour des Deux Soeurs où Fîrûz attendait Bohémond. D'après les calculs de M. Bréhier, quatre heures du matin approchaient lorsque l'escalade de la tour commença. Selon Guillaume de Tyr ce serait Bohémond qui aurait le premier atteint la fenêtre où l'attendait Fîrûz. L'anonyme des Gesta francorum précise: soixante Francs grimpant à la première échelle. Toutes les tours du côté sud sont occupées à tâtons, dans la pénombre. Les premiers arrivant, aidés des chrétiens indigènes d'Antioche, ouvrent ensuite au gros de l'armée les portes de la ville, à commencer par la Porte du Pont. [...) Dès la première apaprition des troupes franques dans les rues, les chrétiens indigènes, tant syriens qu'Arméniens, firent cause commune avec elles."  [R. GROUSSET, Histoire des Croisades, I. 1095-1130, ibid., p. 161-162]

 

"Dans la nuit les chevaliers tinrent la plaine, les piétons les montagnes. À l'aurore ils approchèrent des tours dont le gardien (Firouz) avait veillé toute la nuit, Bohémond mit pied à terre et donna ses instructions. Une échelle était appliquée au mur. Soixante des nôtres, environ, l'escaladèrent et furent répartis entre les trois tours, où ils se mirent à crier : 'Dieu le veut!' Alors commença l'escalade merveilleuse. On atteignit enfin le faîte et courut aux autres tours." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 64-65]

 

En attendant, la joie des chrétiens de nouveau maîtres d'Antioche (3 juin 1098), fut de courte durée.

 

Kerbogha

Dès le 5 juin, Kerboga, calife (ou atalabeg) de Mossoul, alerté par Jaghi-Sian, l'émir fatimide qui avait défenu la ville, parut à l'horizon. L'émir de Jérusalem, était venu renforcer son armée avec les troupes dont il disposait, Kerboga avait reçu d'autres renforts encore, en sorte qu'il se trouvait à la tête de forces imposantes, 500 000 ou 600 000 hommes, si nous en croyons les relations. Il aurait sauvé Antioche s'il ne s'était arrêté trois semaines au siège d'Édesse où le comte Baudoin, frère de Godefroi de Bouillon, s'était enfermé.

Après un long siège de huit mois, "les armées croisées, qui sortaient de la ville pour combattre celles de Kurbuqa (ou Kurbuga), étaient accompagnées par une solennelle procession d'évêques, de prêtres, de clercs et de moines, tous en habits sacerdotaux, portant des croix et priant le Seigneur de les délivrer des périls et du mal.

 

D'autres clercs se tenaient sur les murailles, levant aussi des croix vers le ciel, priant et bénissant les croisés.

Quelques heures plus tard, alors que le sort des armes semblait incertain, ils virent "une grande troupe de cavaliers montés sur des chevaux blancs, et portant de blanches bannières, dévalant des montagnes". Ils en furent d'abord effrayés, mais reconnurent bientôt que c'était là l'aide de Dieu et se rappelèrent qu'un prêtre, nommé Étienne, le leur avait prédit; cette puissante armée "était conduite par Saint-Georges et par les bienheureux Démétrius et Théodore".

 

Saint Georges et le dragon, Anton Dominik Fernkorn, Zagreb, Croatie

Saint Georges et le dragon, Anton Dominik Fernkorn, Zagreb, Croatie

Pierre Tudeborde, historien de cette croisade, clerc et croisé lui-même, prend soin d'ajouter: "A tout ceci nous devons croire car de nombreux chrétiens l'ont vu". [Pierre Tudeborde, Historia de Hierosolymitano itinere, éd. J.H. et L.L. Hill, 1977, p. 87, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 110-111] 
 

« [...] L'Église chrétienne des premiers siècles était pacifique et même pacifiste, à l'imitation de Jésus. Elle prônait le refus des armes et de la guerre. [...] Au IVe siècle (l'empire devenu chrétien), face aux invasions barbares, Saint Augustin ébauche une doctrine de la guerre juste: c'est une guerre défensive ordonnée par le pouvoir légitime (l'empereur romain) pour protéger les populations désarmées des attaques des envahisseurs. [...] En 1095, cette idée s'est déjà répandue. Plusieurs chroniques affirment qu'à Antioche, en juin 1098, lors de la bataille victorieuse des chrétiens contre l'armées musulmanes de Kurbuqa (l'Atabeg de Mossoul), les croisés ont reçu le secours des armées célestes dirigées par les saints du paradis. [...] Il a ainsi fallu plus de mille ans pour que l'Église chrétienne, d'abord pacifiste, adopte l'idée d'une guerre sainte. [...] Dans l'islam, en revanche, l'idée de guerre sainte apparaît dès l'origine, cautionnée à la fois par le Coran et par l'attitude même du prophète Mohammed.

 

 

La bataille de Badr, Musée impérial de Topkapi d'Istanbul

[...] Contrairement au Jésus pacifiste de l'Évangile, le prophète Mohammed se comporte en chef d'État et en chef de guerre. La tradition musulmane n'hésite pas à le montrer prêchant la guerre sainte contre ses adversaires. Ainsi, à la bataille de Badr (en Arabie Saoudite), il exhorte ses guerriers. [...] Cette bataille se situe en 624, plus de trois siècles avant le premier indice d'une notion de guerre sainte dans la chrétienté médiévale. [...] La doctrine du djihad guerrier est originelle. Elle existe dès l'époque du Prophète et du Coran. Dans le christianisme, elle est totalement contraire à l'enseignement originel de Jésus et de l'Église des premiers siècles. Elle n'est acceptée dans l'Église occidentale qu'au terme d'une évolution (ou plutôt d'une véritable révolution) de près de mille ans. [...] Le dihad guerrier musulman précède la guerre sainte chrétienne de plusieurs siècles, mais ne semble pas l'avoir inspirée. Le djihad naît et se développe dans un contexte de conquête, par les musulmans, de territoires jadis chrétiens. La guerre sainte chrétienne naît dans un contexte de défense, puis de reconquête de ces territoires. [...] Il s'agit en effet pour les croisés de rendre la chrétienté à Jérusalem, berceau du christianisme, premier des lieux saints chrétiens. » [Jean Flori, Idées reçues sur les croisades, Éditions Le Cavalier Bleu, 2e éd., Paris 2018, p. 23]

 

Foucher de Chartres relate ainsi les faits : "Les Turcs ne laissèrent aux chrétiens que peu de temps pour jouir de leur succès et pleurer leurs morts. Dès le lendemain, le 4 juin 1098, une forte armée attaquait et anéantissait complètement, massacrant jusqu'au dernier homme la petite garnison franque qui gardait le pont de Fer.

 

Le 7 juin, les Turcs achevaient d'investir la place d'Antioche; les croisés se trouvaient alors enfermés dans un piège, assiégés à leur tour, pris entre les camps des ennemis et la citadelle qui leur résistait toujours. Kurbuqa avait rassemblé sous son commandement une troupe considérable et, cette fois, à peu près réalisé l'unité des émirs. L'avaient rejoints l'émir de Damas et même, venu de plus loin mais se sentant directement menacé par les Francs, l'émir Soqmân dont les terres se situaient, pour une large part, en Palestine, dans la région de Jérusalem. Ils arrivèrent à la tête de "cent mille Turcs avec femmes et enfants, avec leurs tiares d'argent et d'or, leurs vêtements précieux, et quantité d'animaux, chevaux, boeufs, boucs, brebis et chameaux". Et Foucher de Chartres, qui se veut le mieux renseigné de tous nos auteurs, de dresser une liste impressionnante de ces chefs "que l'on nomme émirs": pas moins de vingt-huit noms présentés en vrac, sans les identifier d'aucune façon, sans dire d'où ils venaient: Corbogah, Maladucac, Soliman, Maraon, Coteloseniar..." (Foucher de Chartres, éd. F. Guizot, 1825, p. 51).

 

"Mais Kurbuqa s'était d'abord attaqué à Édesse, qu'il estimait indispensable de conquérir avant d'aller plus avant. Il y perdit trois semaines, du 4 au 26 mai, en assauts inutiles et meurtriers, incapables de briser la résistance de Baudouin. Il trouva les Francs maîtres de la ville, assiégés certes, mais à l'abri de hauts murs qui n'avaient rien perdu de leur puissance. Plusieurs attaques en force furent aisément repoussées et lui coûtèrent beaucoup d'hommes. Renforcer le blocus devait payer davantage. Lui-même et ses alliés s'en prirent d'abord aux villes, bourgs et châteaux habités par les chrétiens susceptibles d'aider les croisés. "Ils allèrent attaquer Tell-Mennes parce qu'ils avaient appris que les habitants de ce pays étaient en correspondance avec les Francs et les excitaient à faire la conquête de la Syrie". Ils les frappèrent d'une contribution,... et ils prirent un grand nombre d'otages qu'ils firent expédier à Damas. (Chronique d'Alep in Fragmenta operis Mirât al-Zemân, textes traduits en langue française, p. 580-581).

 

Dans Antioche assiégée, Kerbôga intercepta les communications des croisés avec la mer. Et les horreurs de la famine ne tardèrent pas à reparaître, aggravées par les horreurs de la peste. On mangeait les feuilles des figuiers et de la vigne que l'on faisait bouillir, jusqu'à des chardons; on faisait macérer des peaux desséchées de chevaux, de chameaux, de boeufs, de buffles, pour en faire des aliments. Nombre de croisés se nourrissaient du sang de leurs chevaux dont ils suçaient les veines, ne voulant pas les tuer, car ils s'obstinaient à espérer. Et les désertions reprirent. La nuit du 11 au 12 juin 1098 fait date: elle marque la fuite funambulesque de Guillaume Grandmesnil et de son frère Aubri; de Gui Trousseau, seigneur de Montlhéry, du comte Lambert de Clermont-lès-liége, et de leurs compagnons. Aussi le pape Pascal II, par lettres adressées aux évêques des Gaules en janvier 1099, prononcera-t-il contre eux l'excommunication.

 

La Sainte Lance: la victoire

 

Cependant, la foi soutenait la vaillance des assiégés, fortifiée par des visions et par des rêves mystiques; enfin l'invention de la Sainte Lance, dont le flanc du Christ avait été percé, trouvée le 14 juin 1098, sur les indications d'un prêtre provençal, Pierre Barthélémy, redonna courage à tous. Ce merveilleux épisode est rapporté par des témoins de la croisade, par l'auteur des Gestes et par Raymond d'Aguilers. Saint André serait apparu par trois fois à Pierre Barthélémy, de la suite du comte de Toulouse, pour lui faire connaître l'endroit où, sous l'autel de l'église Saint-Pierre à Antioche, la sainte lance, qui avait percé le flanc du Christ crucifié, serait retrouvée : "Quiconque portera cette lance dans la bataille ne sera jamais vaincu", dit l'apôtre.

Découverte de la sainte Lance. Passages d'outremer

Découverte de la sainte Lance. Passages d'outremer

"Un prêtre nommé Pierre Barthélemy vit en songe l'apôtre André lui prédire la victoire et lui indiquer l'endroit où cette Lance était enfouie; puis les recherches et la découverte, le 14 juin 1098. Deux visions, quelque temps auparavant, avaient été communément acceptées comme miraculeuses: celle d'un clerc français, Etienne Valentin, qui vit le Christ assurer les Francs de son aide si, dans les cinq jours, ceux-ci cessaient de pécher et de forniquer avec les femmes, tant païennes que chrétiennes, et s'ils se rassemblaient tous les matins auprès des autels pour prier et chanter des psaumes" [W. Porges, The Clergy, the Poor and the Non Combattants on the First Crusade, in Speculum, 1946, p. 1-23].

Robert le Moine, autre chroniqueur attentif, décrit avec force détails propres à emporter la conviction, le songe miraculeux où sont apparus, non seulement l'apôtre André, mais le Christ, la Vierge et saint Pierre. Il affirme que ce n'est pas le prêtre Pierre qui a trouvé la lance mais treize hommes, qui fouillèrent le sol de l'église du matin jusqu'au soir. Il rappelle que "la nuit étant venue, il apparut dans le ciel une flamme partant de l'Occident qui alla tomber dans le camp des Turcs." (Robert le Moine, Histoire de la première Croisade, éd. F. Guizot, Paris 1825, p. 406-411).

Adémar de Monteil, le prudent évêque du Puy, représentant le Saint-Siège à la tête de l'armée des Croisés, traita Barthélémy de faible, refusant de le croire; mais Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse à qui Barthélémy appartenait, reçut sa déclaration d'une âme enthousiaste. Il serra le prêtre dans ses bras. On exécuta les fouilles à la place indiquée et la précieuse relique apparut. Allégresse et transports ! Il fut décidé de sortir aussitôt de la ville et de marcher contre Kerbôga. Visiblement soutenue par l'armée du ciel, ce fut alors la première fois que l'armée chrétienne se donna un capitaine. Le choix des chefs de l'armée tomba sur le prince de Tarente, Bohémond, pour une durée de quinze jours. Dans les circonstances le choix ne pouvait être plus heureux. Seul parmi les capitaines des croisés, il s'entendait à faire manoeuvrer la "piétaille".

Avant d'en venir aux mains, le 27 juin 1098, Bohémond envoya cinq messagers à l'émir Kerbôga pour lui enjoindre de se retirer. À leur tête était Pierre l'Ermite, de la croisade des Pauvres qui fut anéantie.Celui-ci parla avec fougue et une autorité dont le Sarrasin ne laissa pas d'être impressionné; mais Kerbôga se ressaisit et fit répondre que les Francs avaient le choix entre leur conversion au Croissant et la mort. Bohémond se résoulut à la bataille décisive.

Pour se préparer au combat, trois jours durant les chevaliers chrétiens jeûnèrent, puis, suivis de la foule des pèlerins, firent de pieuses processions d'une église à l'autre, se confessèrent, communièrent, distribuèrent des aumônes et firent célébrer des messes. La bataille fut livrée le 28 juin 1098. Les croisés étaient dans un état de délabrement pitoyable; nombre d'entre eux à peine vêtus. La plupart des chevaliers marchaient à pied; d'autres étaient montés sur des ânes ou des chameaux; mais ils étaient animés d'une ardeur qui doublait leurs forces.

On peut ici évoquer le rôle important de la femme dans la Croisade. La description de la bataille d'Antioche par Richard le Pèlerin, un jongleur français du Nord de la France, et Graindor de Douai serait à reproduire en entier. Richard en fut spectateur. Son récit s'anime d'un souffle épique. Les Chrétiens sortent d'Antioche, franchissent l'Oronte, pour venir offrir la bataille à Kerbôga.

Les femmes des croisés vont elles-mêmes prendre part à l'action.

Elles se lient leurs guimpes sur le haut de la tête, pour les défendre contre le vent,

Elles prennent des pierres dans leurs manches pour les jeter sur les Sarrasins.

Et les autres d'eau douce emplissent des bouteilles (Chanson d'Antioche, Chant VIII, v. 482.) 

 

La Sainte Lance était portée en tête de l'armée chrétienne par le chroniqueur Raymond d'Aguilers, chapelain du comte de Toulouse, promu au sacerdoce durant le pèlerinage : "J'ai vu moi-même ce que je rapporte, dit-il en sa relation, et je portais la lance du Seigneur".

Évêques, prêtres, clercs et moines, en draps d'Église, portant des croix, sortirent avec les hommes d'armes, élevant au ciel leurs prières et leurs chants.

L'auteur des Gestes, qui prit part à l'action, s'exprime ainsi : "On vit descendre des montagnes des masses innombrables de guerriers montés sur des chevaux blancs et précédés de blancs étendards. Les nôtres ne pouvaient comprendre quels étaient ces guerriers; mais enfin ils reconnurent que c'était une armée de secours envoyée par le Christ et commandée par Saint-Georges, Saint Mercure et saint Demetrius". L'excellent chroniqueur ajoute : "Ceci n'est point un mensonge : beaucoup l'ont vu".

Le camp des Turcs tomba entre les mains des chrétiens avec d'abondantes provisions: or, argent, un nombreux mobilier, et du bétail, boeufs et brebis, des chevaux et des bêtes de somme. Les Chrétiens se trouvaient maîtres de la Syrie entière. Bohémond fit valoir la promesse qui lui avait été faite de lui attribuer la suzeraineté de la ville si elle était prise par ses soins. 

La Syrie souffrant d'une extrême sécheresse, la marche sur Jérusalem sera différée jusqu'en novembre suivant.

Plus tard, Saint-Georges devait encore apparaître aux croisés à la veille de la prise de Jérusalem sur le mont des Oliviers. [F. Funck-Brentano, ibid., p. 67-72; 80]

 

"La découverte de la Sainte Lance suscita l'allégresse générale, un regain de ferveur et d'espérance. Bohémond comprit que c'était l'occasion ou jamais de passer à l'offensive. Il avait discerné un flottement dans l'armée turque. [...] Il était cependant téméraire, sinon même insensé, que de songer à l'attaquer. Ce fut pourtant ce que décida Bohémond. Il sut en convaincre les autres barons. le comte de Toulouse était malade, ce qui simplifia la discussion. [...] Le 28 juin, au matin, il fit sortir son armée par la Porte du Pont et l'aligna face à la colline de la Mahomerie. Il offrait le combat à Kourbouqa. L'armée se réduisait à six escadrons !

 

 

Malgré les conseils de ses émirs, l'atalabeg laissa les croisés prendre leurs positions de combat. Au lieu de lancer ses archers montés, il attendit l'attaque des croisés, persuadé qu'il les exterminerait jusqu'au dernier. Bohémond fit sonner la charge. L'atalabeg tenta une manoeuvre d'enveloppement. Bohémond la déjoua en formant un septième escadron. Les guerriers vêtus de fer enfoncèrent le centre des perses. Les Turcs furent pris de panique. Les Francs les poursuivirent et les massacrèrent impitoyablement." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 61]

 

Selon Jacques Heers, "les Chrétiens sortirent d'Antioche par la porte du Pont. Ils se présentèrent forcément par petits groupes très vulnérables mais Kurbuqa préféra attendre pour les combattre tous ensemble; ils eurent le temps de se rassembler et de se déployer en bon ordre, de l'autre côté de l'Oronte, à l'Ouest. Là encore, ils l'emportèrent par la charge de leur cavalerie, enfonçant les rangs des ennemis dès le premier assaut. Plusieurs chefs turcs firent défection, et, aussitôt, tous prirent la fuite, poursuivis loin de la ville, sans aucune possibilité de se regrouper, complètement débandés, courant dans tous les sens, à la merci des habitants des villages, Arméniens et Syriens chrétiens, qui les massacraient.

 

Les Croisés mirent à sac le camp de Kurbuqa laissé sans défense et ramenèrent dans Antioche un énorme butin: "Grant planté de richèce d'or et d'argent et de pierre précieuses, vaisseaux de diverses façons et tapiz et dras de soie" (cité par René Grousset, Histoire des Croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 105). Plus boeufs et moutons, des provisions de toutes sortes, en si grandes quantité qu'ils ne pouvaient tout porter.

 

"Les croisés étaient sortis du piège, délivrés de l'encerclement, vainqueurs d'une formidable armée, appelée de toutes les villes de Syrie contre eux..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 199-204]

Frédéric Henri Schopin, Bataille livrée sous les murs d'Antioche, Musée du Château, Versailles. "Destiné comme tant d'autres à glorifier la première croisade, ce tableau du XIXe siècle veut décrire l'enthousiasme guerrier des croisés, encouragés par l'évêque brandissant sa crosse, tandis que l'ennemi, le Turc (censé représenter les Sarrasins vaincus) assiste, impuissant à la marche victorieuse des chrétiens" (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p.16)

Frédéric Henri Schopin, Bataille livrée sous les murs d'Antioche, Musée du Château, Versailles. "Destiné comme tant d'autres à glorifier la première croisade, ce tableau du XIXe siècle veut décrire l'enthousiasme guerrier des croisés, encouragés par l'évêque brandissant sa crosse, tandis que l'ennemi, le Turc (censé représenter les Sarrasins vaincus) assiste, impuissant à la marche victorieuse des chrétiens" (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p.16)

À partir de l'épisode d'Antioche, les Croisés ne bénéficièrent plus de la coopération byzantine.

 

"Les croisés cependant ne restaient pas enfermés dans Antioche, mais s'employaient à étendre leurs conquêtes vers le sud pour s'assurer des bases plus solides et de meilleures sources de ravitaillement...

Godefroy de Bouillon alla rencontrer son frère Baudouin à Édesse pour lui porter secours. Puis, il se mit en route, allié à Raymond de Saint-Gilles, pour répondre à l'apper d'Omar, gouverneur arabe de la ville d'Azaz, au Nord-Est d'Antioche, qui s'était révolté contre le Seldjoukide d'Alep et demandait de l'aide. A l'arrivée des Francs, ce dernier abandonna la partie, poursuivi par Godefroy de Bouillon. Omar se reconnut son vassal et lui prêta hommage à la manière des Latins.

S'étant affirmés de façons indiscutable des guerriers redoutables, invaincus encore les armes à la main, les croisés n'éprouvèrent pas de grandes difficultés pour se forger quelques clientèles non négligeables, écrit Jacques Heers dans "La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107" (ibid., p. 204-205).

Raymond de Saint-Gilles, appuyé sur les masses populaires de l'armée, décida la marche définitive sur Jérusalem. près la prise de Jérusalem, il succombera à son tour à la tentation de se créer une principauté, à la manière de Baudouin de Boulogne à Édesse ou de Bohémond à Antioche, il partira entreprendre le siège de Tripoli, mais mourra en 1105, avant d'avoir pu constituer le comté qui échoiera à son héritier, Bertrand de Saint-Gilles.

"La fin de Bohémond de Tarente fut aussi mélancolique que celle de Raymond de Saint-Gilles. Encore celui-ci mourut-il à la tâche et avec l'espoir chevillé au coeur de prendre Tripoli. Tel ne fut pas le cas de Bohémond. Après la bataille de Harrân (1104), le roi d'Alep, exploitant l'affaiblissement de l'armée franque, s'en prit à la principauté d'Antioche. Bohémond ne put l'empêcher d'occuper le territoire à l'est de l'Oronte ! Les Byzantins imitèrent les Alépins et reprirent le port de lattaquié. Bohémond n'avait plus d'argent pour payer ses chevaliers et pour recruter des mercenaires. Désespéré, il décida de partir pour l'Occident afin de demander des renforts. Il confia la régence d'Antioche au fidèle Tancrède. Il se rendit en Italie, puis en France. Il fut reçu avec faste par le roi Philippe Ier, qui lui donna l'une de ses filles en mariage: la princesse Constance, dont la soeur, Cécile, fut fiancée à Tancrède. Bohémond s'était pris d'une haine mortelle contre les Byzantins qui, non seulement ne l'avaient pas secourur, mais lui avaient repris Lattaquié : Ils étaient selon lui traîtres à la chrétienté, complices des Turcs et des Arabes. Il obtint des hommes et de l'argent. Si bien qu'à l'imitation de Robert Guiscard, il vint assiéger Durazzo en 1108. C'était la plus forte place des Byzantins sur l'Adriatique. Une puissante armée encercla bientôt les assiégeants. Bohémond dut se reconnaître vassal du basileus pour la principauté d'Antioche. Fou de rage et de honte, il se retira en Italie, où il mourut en 1111.

[...] Bohémond II (1111-1130) n'était encore qu'un enfant. Après la mort de son père, Bohémond de Tarente, on l'avait emmené en Italie. La régence d'Antioche avait été assumée, en son nom, successivement par ses cousins Tancrède et Roger de Salerne, puis par Baudouin II [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 103-104; 143], qui le mariera avec sa fille, la princesse Alix.

Bertrand de Saint-Gilles recevant la soumission du cadi Fakr-el-Mouk après la prise de Tripoli_ peinture de Charles-Alexandre Debacq, XIXe siècle

Bertrand de Saint-Gilles recevant la soumission du cadi Fakr-el-Mouk après la prise de Tripoli_ peinture de Charles-Alexandre Debacq, XIXe siècle

Les forces des Francs ne dépassaient plus les 25 000 guerriers. Ils longèrent les côtes, pour la facilité du ravitaillement par les navires génois, puis, obliquant sur l'Est, arrivèrent devant Jérusalem le 7 juin 1099, trois ans après leur départ d'Occident.

 

La prise de Jérusalem (15 juillet 1099)

 

Le 7 juin 1099, les Croisés atteignent Jérusalem qu'ils prennent le 15 juillet 1099.

"Début juin (1099), les croisés traversent enfin les ites où a vécu le Christ, et où la population chrétienne, longtemps opprimée par les musulmans, leur fait fête; le 6 juin, ils occupent Bethléem, ce qui paraît de bon augure... Jérusalem apparaît... divisée en quartiers à caractère ethnique et religieux. La population musulmane occupe la moitié sud de la ville, tandis que les juifs se concentrent dans le quartier nord-est, et les chrétiens, tant grecs que syriens, dans le quartier nord-ouest." [L. Vissière, ibid., p. 56]

Croisades

"Dirons-nous leurs transports à la vue de la ville sainte ? Leur premier mouvement fut de se jeter à terre, les bras étendus, pour remercier Dieu de les avoir menés jusqu'au bout. 'Les pèlerins oubliaient leurs fatigues, écrit Albert d'Aix, et hâtaient le pas. En arrivant devant les murs, ils fondaient en larmes.'" [F. Funck-Brentano, ibid., p. 83]

Siège de Jérusalem (1099)

Siège de Jérusalem (1099)

"Foucher de Chartres décrit sommairement la ville sainte telle qu'elle se présenta à ses yeux : 'La ville était située dans un pays montagneux qui manque de rivières, de forêts et de fontaines, à l'exception d'une fontaine au pied du mont Sion, d'où coule par moments suffisamment d'eau, et du torrent nommé le Cédron qui, dans la saison d'hiver, arrose la vallée de Josaphat; mais dans la ville, qui est de dimension moyennes, on compte de nombreuses citernes. [...] Les murailles de l'enceinte sont formées de blocs de pierre carrées, scellées les uns aux autres par du plomb fondu.'

 

"Le 13 juin, les Croisés tentèrent un premier assaut, comptant sur l'effet de surprise. Ils furent sur le point de réussir, mais durent se retirer en laissant de nombreux morts sur le terrain. Ils avaient cru, dans leur foi naïve, écrit Georges Bordonove, que les milices célestes combattraient avec eux!" [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 69] 

 

[...] On amena tout le bois qu'on put trouver, de plusieurs lieues à la ronde pour la construction des échelles à escalader les murs. Le septième jour du siège, les échelles furent dressées et, d'un sublime élan, les Francs se précipitèrent à l'assaut. Vains efforts. Du haut des remparts des sorcières jetaient sur les Francs des incantations; mais ce n'est pas à leurs incantations que nous attribuerons l'échec de cette première attaque : les murs étaient trop élevés. Les assiégeants durent renoncer à s'emparer de la place par escalade. Et l'on se mit à construire des machines et des tours de bois à hauteur des remparts. Mais avec quelle peine ! Car le bois devait être apporté de loin. Et toujours l'horrible torture de la soif." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 83-84]

"Les blasphèmes et les profanations dont les musulmans, du haut des murailles, accueillirent le spectacle de cette procession achevèrent d'animer les croisés à 'vengier la honte (de) Jesucrist'." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130 L'anarchie musulmane, Perrin, Collection Tempus, Millau 2017, p. 217]

"Dès le début de la conquête, les Chrétiens de Syrie avaient constitué pour les Croisés une sorte de 'cinquième colonne' dont l'appoint n'était pas négligeable. Au premier rang parmi ces chrétiens, étaient les Arméniens qui avaient eu terriblement à souffrir, les siècles passés, soit des Byzantins, soit des Turcs qui en avaient fait d'horribles massacres, notamment après s'être emparés de leur capitale d'Ani en 1064. [...] C'est dire que, placés entre deux oppresseurs, les Arméniens virent avec quelque soulagement venir les armées franques. [...] Ils fournirent de l'aide aux armées de Tancrède et lors de la prise de Jérusalem des contingents arméniens combattirent à côté des Francs. Dans la principauté d'Edesse, un réel attachement se manifeste même de la part de la population arménienne pour les comtes qui les gouvernent. Lorsque Jocelyn de Courtenay fut fait prisonnier (1123), c'est avec l'aide de la population arménienne de Kharpout qu'un petit groupe d'hommes résolus – cinquante en tout – parvint à se rendre maître de la ville et, attaquant la garnison, permit à Jocelin de s'échapper. Eux-mêmes allaient payer leur audace de leur vie, car les Turcs revinrent en masse et les massacrèrent jusqu'au dernier.

[...] En dehors des Arméniens, le gros de la population chrétienne en Terre sainte se compose de Syriens ou de Grecs dont la religion est diverse: orthodoxes ou hérétiques de différentes sectes, principalement des monophysites. En dépit du schisme, déclaré une cinquantaine d'années plus tôt, entre l'église de Byzance et le Siège de Rome, les rapports furent cordiaux; ils ne devaient s'envenimer que peu à peu, à la suite des trahisons des Byzantins (l'empereur Isaac Ange envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte en 1187) et surtout après la prise de Constantinople par les Croisés. Enfin, l'essentiel de la population se trouve constitué par les Musulmans." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 166-167]

 

"Dès les premiers jours, les croisés attaquèrent les ouvrages avancés de la défense à coups de marteaux de fer et de pioches, mais ils ne pouvaient rien abattre de cette façon ni tenter aucune surprise. La garnison égyptienne, depuis peu maîtresse de la ville, en avait fait une place rigoureusement gardée et se tenait parfaitement préparée à soutenir un long siège. Tenant conseil, les chefs francs, voyant que l'on ne pourrait songer à prendre Jérusalem d'assaut, décidèrent de renforcer le blocus puis de construire des machines en grand nombre, donc rassembler quantité de matériaux et attendre des secours en hommes, maîtres et ouvriers qualifiés que l'on souhaitait encore plus nombreux. [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 221-222]

 

Les Sarrazins tendent des pièges, infectent fontaines et sources

 

"Très vite, les croisés endurèrent les souffrances de la soif. 'Les Sarrazins tendaient des pièges en infectant les fontaines et les sources. [...] Nous cousions des peaux de boeufs et de buffles dans lesquelles nous apportions de l'eau pendant l'espace de six milles' (Histoire anonyme de la première croisade, éd. L. Bréhier, Paris 1924, p.199). Les hommes que l'on envoyait ainsi dans ce pays effroyable où non seulement l'on ne trouve aucun ruisseau, mais aucune source que très loin, tombaient souvent dans les embuscades des gentils qui leur tranchaient la tête. Ceux qui en revenaient ne rapportaient dans les outres qu'une eau devenue boueuse, à la suite de querelles entre ceux qui voulaient puiser en même temps et, de plus, emplies de sangsues, 'espèce de vers qui glisse dans les mains'. Il fallait donner deux pièces de monnaie d'argent pour une seule gorgée de cette eau, vieille et pourrie, puisée dans 'les marais puants et d'antiques citernes' [Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 324-325, cité in Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 222]

 

Un seul engagement armé durant le siège

 

"Cependant la flotte génoise abordait au port de Jaffa, d'où les croisés purent tirer d'utiles secours. Sur le mont des Oliviers 'qui avait vu Notre-Seigneur monter au Ciel', écrit Albert d'Aix, Pierre l'Ermite multipliait les prédications pour soutenir l'ardeur des pèlerins; puis, il s'efforçait d'apaiser les querelles qui avaient repris parmi les croisés; particulièrement entre Raymond de Saint-Gilles et ses vassaux d'une part, Tancrède et les seins de l'autre.

"L'escadre génoise arrivait providentiellement pour les Croisés, elle leur apportait des vivres et le matériel de siège dont ils avaient le plus besoin. Les Génois et les autres marins latins n'eurent que le temps d'abandonner leurs navires après en avoir débarqué le chargement, les vivres d'abord, puis tout ce qui pouvait servir à la construction des machines de guerre. Ils suivirent ensuite Raymond Pilet et les siens qui convoyèrent tout ce matériel vers le camp croisé devant Jérusalem (19 juin). [...] Ce furent les Syriens chrétiens qui guidèrent les Francs vers les rares sites boisés du pays. Sur leurs conseils, Robert de Flandre et Robert de Normandie partirent dans la montagne avec une caravane de chameaux que l'on chargea de tous les troncs d'arbres abattus. D'autres chroniquers nous apprennent que Robert de Flandre trouva une partie du bois nécessaire en Samarie, sur le territoire de Naplouse, qui, avec ses fontaines et ses jardins, contraste en effet avec la stérilité du massif judéen." Tancrède [...] eut la chance de découvrir dans les souterrains de la banlieue hiérosolymitaine des poutres tout équarries qui, dix mois plus tôt, avaient déjà servi aux Fatimides pour assiéger Jérusalem." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 215]

 

Le 8 juillet, les pèlerins, sur l'exhortation de leurs évêques et de leurs prêtres, organisèrent une grande procession qui fit le tour des remparts. Feu le légat Adhémar de Monteil était apparu à un prêtre provençal (nommé Pierre Didier) pour recommander cette pieuse cérémonie, après un jeûne général.  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I., 1095-1130,, ibid., p. 217] 

Le clergé portait des reliques qu'entourait la lumière des cierges; les chevaliers et les autres combattants suivaient en armes, mais pieds nus; les bannières déployées flottaient au vent; nacaires et buccines sonnaient avec éclat.

'Nous fîmes cela de bon coeur, écrit Raimond d'Aguilers. Et lorsque nous fûmes arrivés sur la montagne des Oliviers, nous nous mîmes à prêcher le peuple :

- Puisque nous avons suivi le Seigneur jusqu'au lieu de son Ascension et que nous ne pouvons pousser au-delà le pèlerinage vers lui, chacun de nous doit dans ce moment pardonner à son prochain afin que Dieu tout-puissant nous fasse également miséricorde.

Et les Croisés de s'embrasser l'un l'autre en se pardonnant mutuellement leurs offenses. Des aumônes furent distribuées par les plus riches. 'Or Dieu fut apaisé, ajoute le chroniqueur, car tout ce qui, jusqu'à ce jour, nous avait fait obstacle tourna de ce moment en notre faveur.'

Jérusalem fut prise le 15 juillet. L'assaut avait duré un jour et demi." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 85]

 

"Une escadre de navires italiens, deux génois sous la bannière des nobles Embriaci, et quatre autres, pisans et vénitiens, vinrent enfin jeter l'ancre devant Jaffa et s'emparèrent de la ville. Ils apportaient de grandes quantités de vivres, des outils, du matériel de siège, du fer et des armes.

 

"Un détachement d'une centaine de chevaliers (croisés), du camp des Provençaux, avec Raymond Pilet et Guillaume de Sabran, réussit à les rejoindre, à charger le tout sur des bêtes de somme, mais fut surpris au retour par des Sarrazins venus d'Ascalon et placés en embuscade. Plusieurs chefs des Francs furent tués sur place (Achard de Montmerle, Gilbert de Trêves, "vaillants chefs des chrétiens et hommes nobles"); les autres s'enfuirent. Cependant, Baudouin du Bourg, alors sorti lui aussi du camp (croisé) pour aller chercher les vivres, les rassembla, revint sur les ennemis fatimides qu'il mit en déroute. Les chrétiens rentrèrent dans leur camp, ramenant leurs chargements et de nombreux prisonniers. Ce fut durant le siège le seul engagement armé." [Jacques Heers, ibid.,, p. 222-223]

 

La construction de machines de siège; la prise de la ville

 

La prise de Jérusalem en 1099 par Émile Signol (1847)

La prise de Jérusalem en 1099 par Émile Signol (1847)

"Les capitaines et les maîtres charpentiers génois étaient à pied d'oeuvre. Un Syrien chrétien leur indiqua où ils pourraient trouver du bois, dans un lieu situé dans les montagnes "vers le pays de l'Arabie". Ce n'était en fait qu'à quatre milles du camp. Robert de Normandie et Robert de Flandre y allèrent, avec des hommes de pied et des chevaliers pour l'escorte; ils firent abattre les arbres et ramenèrent de grands fûts sur le dos des chameaux. Il fallut quatre semaines, "les uns travaillant avec des haches et les autres avec des tarières", pour dresser les machines à lancer les pierres, les hautes tours montées sur roues et les béliers qui, complètement terminés, furent isntallés en face de la porte de David. Aussitôt, on rassembla les jeunes garçons et les vieillards, les jeunes filles et les femmes, pour aller, dans la vallée de Bethléem, chercher de petites branches qu'ils ramenaient sur des mulets ou sur des ânes, ou encore sur leurs épaules; ces fagots servaient à fabriquer des claies, doublées de cuir de boeuf, de cheval ou de chameau, afin d'en recouvrir les machines et de les protéger des traits des ennemis (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 321-322)

 

"Jérusalem fut prise grâce à ces machines et à ces tours. Les grandes tours d'attaque, les châteaux de bois furent placés aux endroits les plus vulnérables de l'enceinte, là où les murs semblaient les moins élevés ou les moins résistants: celle du comte de Toulouse dans le secteur sud, celle de Tancrède face à la porte Saint-Lazare, et celles des autres barons au Nord-Est, près de la porte d'Hérode.

 

"L'attaque décisive dura deux nuits et deux jours. Dans la nuit du 13 juillet et pendant la journée du 14, les assiégés repoussèrent les assauts. Ils disposaient de machines de jet et de grande quantité de feux grégeois (le feu grégois est une invention des Byzantins qui fut reprise par les Arabes).

 

"[...] C'est alors que Godefroy et les siens firent avancer la leur jusqu'au pied même des murailles et, de cette façon, les machines des assiégés qui, "à cause des maisons et des tours qui, à l'intérieur de la cité, les environnaient", ne pouvaient prendre de recul, se trouvaient beaucoup trop près. Leurs pierres volaient bien trop loin, "au-dessus de la machine du duc, ou quelquefois, arrêtées dans leur vol, retombaient sur les murailles et écrasaient les Sarrazins" (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 335).

 

"Le vendredi (15 juillet), sur les neuf heures du matin, les premiers qui prirent possession de l'enceinte, en y plantant l'étendard de la Croix, furent deux Tournaisiens, nommés Leuthold et Engilbert; ils appartenaient aux bandes commandées par Godefroi de Bouillon. Les Sarrasins fuyaient par les ruelles étroites. Un grand nombre d'entre eux se réfugièrent dans le Temple de Salomon où Tancrède leur avait fait dire de se réfugier en leur promettant la vie sauve et leur donnant sa bannière en signe de protection. Le monument en était bondé, la toiture même en était couverte." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 86]

 

"Godefroi lui-même et Eustache de Boulogne les suivirent immédiatement. En même temps les échelles appliquées de toute part livraient passage à des grappes de soldats francs, si bien que la muraille de ce côté fut entièrement conquise.

Sur le toit du Masjid al-Aqsâ (ou Temple de Salomon) s'étaient réfugiés des centaines d'Arabes. Tancrède et Gaston de Béarn qui songeaient évidemment à en tirer une bonne rançon, leur donnèrent leurs bannières comme sauvegarde. Mais le lendemain matin 16 juillet, indique René Grousset, d'autres Francs massacrèrent ces captifs sans tenir compte des ordres du prince normand. 'À cette vue, écrit l'Anonyme, Tancrède fut rempli d'indignation.' [...] [L]es auteurs du massacre non seulement faisaient affront à sa bannière, mais ils le privaient d'une source considérable de profits." [Histoire anonyme, p. 205-207; Albert d'Aix, p. 483. Cf. Chalandon, Histoire de la Première croisade , p. 277, cité in René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 219-220]

 

De son côté, dans le secteur sud, sur le mont Sion, face à la porte de Sion (Bâb al-Nabî Dâwud), le comte de Toulouse Raymond de Saint-Gilles avait rencontré plus de résistance. La résistance des assiégés se prolongea toute la matinée du 15, lorsque le gouverneur fatimide Iftikhâr, avec une poignée de soldats arabes et de mamelouks turcs ou soudanais, opéra sa reddition entre les mains de Raymond, contre promesse de pouvoir se retirer en Égypte avec les siens. "Conformément à son serment, écrit René Grousset, Raymond de Saint-Gilles le fit conduire sain et sauf avec sa troupe jusqu'à Ascalon. La rançon que Raymond put reevoir de l'émir ne mérite nullement le reproche de vénalité que lui adresse Albert d'Aix.

 

Cet exemple et ce que nous avons vu de Tancrède cherchant à couvrir de sa bannière les Arabes réfugiés [...] prouvent que plusieurs des chefs francs avaient assez d'esprit politique pour circonscrire le massacre.

 

Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'ensuite, "durant deux jours (16-17 juillet), la ville est livrée au pillage. Musulmans et Juifs sont massacrés, réduits en esclavage ou chassés. L'entreprise croisée est donc entachée, dès 1099, par cet inutile accès de violence qui a pu obérer définitivement le succès à long terme des buts de la croisade (libérer Jérusalem et sécuriser la région).  "[...] Les échecs (des croisés) étaient ressentis comme des châtiments, pour n'avoir pas servi en bons chrétiens..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 111].

 

Jacques Heers note que trois ans seulement après la prise de Jérusalem, "l'an 1102, le miracle du 'feu sacré' n'eut pas lieu; dans l'église du Saint-Sépulcre, les lampes demeurèrent sans flamme le jour du Samedi saint, et ne s'allumèrent que le lendemain dimanche. C'était, affirmaient les mécontents, le signe évident du courroux divin" [Jacques Heers, ibid., p. 238]

 

"Avant la prise de Jérusalem, les gens de Tripoli et de Beyrouth avaient promis d'ouvrir leurs portes si la ville sainte tombait au pouvoir des Francs. Au lendemain des journées de juillet, ils se gardèrent bien de tenir leur promesse. Le massacre de Jérusalem peut ainsi avoir retardé de plusieurs années la soumission complète du littoral. Il faudra toute l'habileté des rois francs du douzième siècle pour faire oublier les fautes de 1099 et asseoir la colonisation franque sur une politique raisonnée de rapprochement indigène." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 222] 

 

René Grousset relève en revanche qu'"il est certain que le chiffre de soixante-dix mille musulmans tués dans al-Aqsâ, chiffre traditionnellement accepté sur la foi des chroniqueurs arabes, est invraisemblable, car la population hiérosolymitaine tout entière ne l'atteignait pas" [LAMMENS, La Syrie, I, p. 213, cité in René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 220] 

 

"Il est certain aussi que, lors de la procession solennelle du 8 juillet sous les remparts, les Musulmans du haut des murs de la ville avaient, comme à plaisir, insulté la foi des Croisés. [...] De telles profanations accomplies de sang-froid expliquaient peut-être jusqu'à un certain point l'exaspération des vainqueurs dans le tumulte de la bataille. [...] De même encore, si les Croisés mirent le feu à la synagogue après y avoir enfermé les Juifs (Ibn Al-Athir, Hist. orient. I, 199), on peut se rappeler que, lors des massacres de chrétiens, l'élément juif avait naguère fait cause commune avec les égorgeurs fatimides: le sang d'un patriarche de Jérusalem en rappelait le souvenir." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 221] 

 

"Les indications d'un Syrien permirent de retrouver un morceau de la Vraie Croix depuis longtemps enfermé dans un lieu secret. Les Francs le placèrent dans une gaine d'or et d'argent. Et la relique précieuse fut processionnellement portée au Temple." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 88]

 

Après la prise d'Antioche (juin 1098) et jusqu'à la prise de Jérusalem, plusieurs barons s'étaient éliminés soit par la désertion, comme Étienne de Blois et Hugue de Vermandois, soit parce qu'il s'étaient arrêtés en route, ayant jeté leur dévolu sur les terres déjà conquises, comme Baudouin de Boulogne l'avait fait à Édesse - ce qui comme on l'a vu retarda la contre-attaque de Kerboga à Antioche -, comme Bohémond de Tarente l'avait fait à Antioche, comme Godefroy de Bouillon eût bien voulu le faire à Jabala et Raymond de Saint-Gilles à Arqa. Finalement restèrent seuls présents jusqu'au bout Godefroi de Bouillon parce que Saint-Gilles l'avait empêché de s'installer à Jabala, Saint-Gilles parce que Godefroi l'avait à son tour empêché de s'installer à Arqa et à Tripoli, Tancrède, Robert de Flandre et Robert de Normandie. Ensemble, le soir de la prise de Jérusalem (15 juillet 1099), ils montèrent au Saint-Sépulcre pour y faire leurs dévotions." [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 221] 

 

Le 17 juillet, le conseil des chefs décida que des prières seraient adressées à Dieu et des aumônes distribuées aux pauvres, afin que, par intervention céleste, celui qui allait être proclamé roi de Jérusalem fût véritablement le plus digne de ce choix.

 

Pour gouverner la ville, les Francs choisirent Godefroy de Bouillon et non Raymond IV, mais par humilité, le seigneur lorrain refusa le titre de roi pour celui d'"Avoué du Saint-Sépulcre". À sa mort sans héritier en 1100, le choix de son successeur à la tête du royaume est décidé par le cercle des petits vassaux, la "mesnie", ou encore la domus Godefredii. Ce sont eux qui désignèrent le frère de leur maître décédé, Baudouin de Boulogne, comte d'Édesse; ils réussirent à l'imposer contre Tancrède, qui ne cacha pas ses ambitions. [Jacques Heers, ibid., p. 311]

 

"La noblesse de sa race, écrit Foucher de Chartres, sa valeur militaire, sa douceur, sa patience et sa modestie, sans parler de l'élégance de ses moeurs, le désignèrent aux suffrages de 'l'armée de Dieu'". [Frantz Funck-Brentano, Les Croisades, ibid., p. 90]

Godefroy de Bouillon élu roi de Jérusalem, 23 juillet 1099, accepte le tire d'Avoué du Saint-Sépulcre. Federico Madrazo y Kuntz (1838)

Godefroy de Bouillon élu roi de Jérusalem, 23 juillet 1099, accepte le tire d'Avoué du Saint-Sépulcre. Federico Madrazo y Kuntz (1838)

Rapports personnels de Godefroi de Bouillon avec les sheiks arabes

 

À travers toute l'histoire de la Croisade, Godefroi de Bouillon s'est présenté à nous comme l'incarnation du pur esprit 'croisé'. Les autres barons avaient les uns après les autres compris la nécessité d'une politique indigène et coloniale, - Baudouin dès Édesse et Bohémond dès Antioche, puis Tancrède à la prise de Jérusalem, enfin Raymond de Saint-Gilles à Jérusalem aussi (incident de la Tour de David), puis à Ascalon. - Le seul Godefroi, peut-être parce que sa personnalité était moins souple, avait paru répugner à ces compromissions et à ces adaptations. Et voici qu'il n'était pas depuis un placé à la tête du nouvel état franc de Palestine qu'il jetait déjà les bases de la proprement coloniale, écrit René Grousset, qui sera celle de ses successeurs.

Durant le siège d'Arsûf, plusieurs cheiks de la région de Naplouse, dans les montagnes de la Samarie, vinrent lui rendre hommage, lui apportant en tribut les produits de leur terre, du pain, du vin, des olives, des figues, du raisin sec. Ils trouvèrent le duc assis dans sa tente, à même le sol, sans tapis ni drap de soie, seulement appuyé sur un sac de paille. 

Cette simplicité, qui rappelait les premiers compagnons de Mahomet, les frappa vivement. C'était donc là ce conquérant qui avait vaincu les Seljûqides et Fâtimides, soumis la sainte AlQuds ! "Quand ils virent le Duc seoir einsi en bas, trop s'en merveillèrent et commencièrent à demander aus genz qui entendoient leur langage porque c'estoit que (= comment il se faisait que) si hauz princes qui d'Occident estoit venuz et avoit toute troublée la terre d'Orient, toutes genze mortes (= tus) ou prises, et conquis si poissant roiaume, se contenoit si provrement, ne n'avoit desouz lui tapiz ne drap de soie, habit de roi n'avoit mie vestu, entor lui n'estoit mie sergent ne chevalier qui tenissent les espées nues ou les haches danoises; ainz (= mais) se séoit si bas com si ce fust uns home de petite afere ? Li Dux demanda que c'estoit de quoi il dist que ce n'estoit pas honte à home mortel de seoir à terre, car là convenoit à revenir après la mort, et le cors convenoit iluec à hébergier et devenir terre. Quand il oïrent ceste response, moult commencièrent à prisier son senz et s'humilité. D'ilec se partirent, disant que il estoit bien tailliez et façonnez por estre sires de la terre et de gouverner tout le peuple (lui) qui si estoit sanz orgueil et connoissoit la povreté de sa nature." Premiers contacts où l'ascétisme latin et l'ascétisme musulman se trouvaient moins éloignés qu'on n'eût pu le croire.  [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 246-247] 

Croix pectorale, éperons et épée de Godefroy exposés dans la sacristie de la basilique du Saint-Sépulcre (Jerusalem)

Croix pectorale, éperons et épée de Godefroy exposés dans la sacristie de la basilique du Saint-Sépulcre (Jerusalem)

F. Funck-Brentano nous informe que « Godefroi réussit personnellement auprès de l'empereur Alexis qui le prit en affection, se plaisait à l'appeler 'son fils', songea même à faire de lui l'héritier de sa couronne ; mais ces projets, qui eussent assurer le salut commun, échouèrent contre les menées des Guiscard: de Bohémond, de son cousin, Tancrède, et de leurs successeurs. Ceux-ci étaient établis à Antioche, devenue par leur soin, capitale d'une principauté importante.

 

[...] Le noble 'Avoué du saint-Sépulcre' mourut brusquement le 18 juillet 1100, dans sa trente-huitième année.

 

Il devait emporter avec lui dans sa tombe sa politique avisée. »

 

Funérailles de Godefroy de Bouillon, par Edouard Cibot 1799-1877

 

Le trône de Jérusalem fut offert au frère du défunt, à Baudoin de Boulogne, installé en sa principauté d'Édesse." [F. Funck-Brentano, ibid., p. 93-94]

 

Baudouin Ier (1100-1118) fut le premier à porter le titre de "roi de Jérusalem". Du moins eut-il la sagesse de marquer aussitôt par sa manière d'être la tolérance qu'il entendait témoigner aux populations soumises. Baudouin Ier portait la barbe longue et se couvrait de parfums: un pacha en sa puissance souveraine.

 

Avec le successeur de Godefroy, Baudouin Ier est le véritable fondateur du royaume de Jérusalem, un État régi par les principes de la féodalité et la collaboration des pouvoirs temporel et spirituel. Ce qui ne veut pas dire "théocratie", comme dans les pays d'islam, où les deux pouvoirs temporel et spirituel repose sur une même tête : l'Église en effet n'y dirige ni ne gouverne directement mais inspire le gouvernement civil (qui ne possède pas lui-même le pouvoir spirituel), pour que ses lois soient conformes aux commandements de Dieu. [Note du rédacteur. La "laïcité" moderne, principe de séparation des deux pouvoirs temporel et spirituel, n'implique pas que le spirituel ne doive pas inspirer le temporel puisque aujourd'hui la franc-maçonnerie inspire directement les lois de la dite "république" sans que cela gêne le moins du monde les laïcistes. La laïcité n'est donc pas une invention révolutionnaire. À partir de 1789, on a même moins de laïcité qu'avant. On a remplacé l'ancienne direction spirituelle catholique par une autre, la franc-maçonnique. Les ministres sont des hauts francs-maçons payés par l'État. La secte maçonnique elle-même et ses associations sont largement subventionnées par l'État avec l'argent du contribuable. Au Moyen-Âge et sous l'Ancien Régime, au contraire, le clergé était indépendant et n'était pas payé par l'État. Il y avait donc plus de laïcité à cette époque qu'aujourd'hui. Ceci explique sans doute le recul des libertés dans notre pays. Ce nouveau monisme (confusion des pouvoirs temporel et spirituel) explique sans doute aussi le déclin des avancées techniques et scientifiques dans notre pays, le déclassement et le recul civilisationnel.]

Baudouin Ier (tableau de Merry-Joseph Blondel dans la salles des Croisades du château de Versailles, début XIXe)

Baudouin Ier (tableau de Merry-Joseph Blondel dans la salles des Croisades du château de Versailles, début XIXe)

Pour le moment donc, Jérusalem redevint une ville chrétienne et la capitale du nouveau royaume chrétien latin de Jérusalem.

À l'occasion du couronnement de Baudouin Ier, reconnu comme héritier légitime de l'État franc, René Grousset observe déjà un sentiment de « loyalisme dynastique très net envers la maison de Boulogne. » [....] « Une monarchie forte, des institutions dynastiques solides n'étaient-elles pas, ici comme partout où il y avait au Moyen-Âge péril extérieur, la condition de la survie des colonies franques? » [...] Ainsi, « le prestige dynastique agissait déjà, et l'avènement de Baudouin répondait à une nécessité de salut public. » [R. Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 260; 270-271] 

 

Sur-le-champ, Baudouin confia son comté d'Édesse à son cousin Baudouin du Bourg.

 

« Baudouin était en quelque sorte 'né' roi. Son allure, ses attitudes, son comportement, son langage même correspondaient strictement à l'idée que l'on se faisait alors d'un personnage royal. Il savait d'instinct ce qu'il devait faire et n'avait point l'humilité de Godefroy de Bouillon.

 

« Très grand, svelte quoique fortement musclé et charpenté, il était aussi brun de barbe et de chevelure que son frère aîné avait été blond, mais il avait la peau blanche des hommes du nord. Le nez aquilin, le regard impérieux, il imposait d'emblée le respect. Hardi cavalier, il aimait les beaux chevaux et et les galops rapides: sa jument "Gazelle" faisait l'admiration des connaisseurs. Il avait été voué dans sa jeunesse à l'état ecclésiastique; après de bonnes études, on l'avait pourvu de substantiels canonicats à Reims, Liège et Cambrai. [...] C'était un réaliste qui ne s'embarrassait pas de scrupules. On a vu dans quelle condition il s'était approprié le comté d'Édesse (exemple qui hanta Bohémond de Tarente), et comment pour agrandir son territoire il avait épousé Ada, fille d'un prince arménien. Au contraire de Godefroy de Bouillon, il était fort adonné aux femmes, mais dissimulait avec soin ses liaisons. La reine Ada n'était pas elle-même un modèle de vertu. Il ne s'en souciait guère, d'autant qu'elle ne lui avait pas donné d'enfant.

 

« [...] Son autorité s'étendait, en principe au comté d'Édesse et à la principauté d'Antioche. [...] Heureusement pour Baudouin, les États musulmans étaient en proie à l'anarchie. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 87] 

 

La bataille d'Ascalon (12 et 13 août 1099)

 

"En 1099, les croisés n'eurent que peu de temps pour s'organiser et se refaire. Dès le 4 août, trois semaines après la chute de Jérusalem (et l'héroïque victoire contre l'immense armée de l'atalabeg de Mossoul, Kurbuqa), le vizir fatimide al-Afdal lui-même débarquait avec ses troupes à Ascalon.

Godefroy de Bouillon, "qui avait recueilli les bruits qui couraient au sujet des Gentils", en fut aussitôt averti. Les chevaliers restés dans Jérusalem se mobilisèrent vite, préparèrent leurs armes déposées seulement depuis quelques jours, équipèrent à nouveau leurs cheveaux et, "faisant retentir les cors, les trompettes, les harpes et autres instruments, et poussant jusqu'au ciel des cris de joie", se mirent en route au travers des montagnes. Raymond de Saint-Gilles, toujours hostile à Godefroy, tergiversa quelque temps et fit la sourde oreille mais, la nouvelle alarmante se confirmant, il finit par rejoindre les autres troupes. Les croisés affrontaient pour la première fois cette armée venue d'Égypte. Elle les surprit, immense, faite de tant de peuples assemblés dont ils ne savaient que penser: "La race des publicains et la race à la peau noire, les habitants de la terre d'Éthiopie, vulgairement appelés Azopart, ainsi que toutes les nations barbares qui faisaient partie du royaume de Babylone s'étaient donné rendez-vous" (Nombreux récits dans toutes les chroniques, en particulier Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'Outre-Mer depuis l'année 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. F. Guizot, Paris 1824,p. 358-363).

 

Les Égyptiens pensaient arrêter les chrétiens et les distraire un long temps dans leur marche en dispersant dans la plaine, devant eux, de grands troupeaux de chameaux, de boeufs, de buffles et d'ânes offerts au pillage. mais, le duc [Godefroy] et les autres chefs, redoublant de précaution, firent publier, dans toute l'armée, un édit par lequel il était défendu de faire aucune prise avant le combat, sous peine de perdre le nez et les oreilles. Et le lendemain, "dès le premier rayon de l'aurore", ils s'armèrent et attaquèrent, précédés de leurs bannières et des fanfares "faisant résonner en douces modulations les harpes et les autres instruments de musique, et témoignant leur bonheur, comme s'ils se rendaient à un festin". Arnould, patriarche, et tous les prêtres firent sur eux le signe de la croix; ils se fortifièrent dans leur résolution de se battre pour le service de Dieu en confessant leurs fautes, et l'on renouvela 'avec les paroles d'anathème l'interdiction expresse de faire aucune prise et d'enlever le moindre butin avant le combat'.

 

Les musulmans, enfoncés dès les premiers assauts par la charge des cavaliers francs, s'enfuirent de toutes parts, en plein désordre, poursuivis sans relâche loin de leur camp jusque sous les murs d'Ascalon (le 12 août 1099). Longtemps après, ils se lamentaient encore et pleuraient un tel désastre : 'Le fer des chrétiens moissonna l'armée et fit plus de dix mille victimes parmi les fantassins, les volontaires et les habitants' (Chronique d'Alep in Fragmenta operis Mirât al-Zemân, textes traduits en langue française, p. 520). Le vizir lui-même fut trop heureux de trouver refuge dans la ville laissant aux croisés, "bien à regret, sa tente dressée au milieu de celles des siens, et remplie d'une immense quantité d'argent"; et les navires égyptiens qui déjà s'approchaient, portant des machines et des renforts pour aller reprendre Jérusalem, déployant en hâte toutes leurs voiles, gagnèrent aussitôt la haute mer sans s'attarder à recueillir des survivants.

 

Le butin fut considérable: "Ils entrent dans la tente des Turcs, y recueillent des trésors de toute espèce, en or, argent, manteaux, habits, et pierres précieuses connues sous les doux noms de jaspe, saphir, calcédoine, émeraude, sardoine, pierre de Sarde, chrysolite, béryl, topaze, jacinthe et améthyste, et y trouvent encore des ustensiles de mille formes diverses, des casques dorés, des anneaux d'un grand prix, des épées admirables, des grains, de la farine et une foule d'autres choses". Sans compter les profits guerriers, quantité de chevaux et de mulets, d'armes de toutes manières. Et pour beaucoup, l'abondance, la richesse inespérée: "On y trouva aussi des casseroles, des chaudières, des marmites, des lits avec leurs garnitures, des coffres remplis de bijoux et tout ce qui servait de parure" [Robert le Moine, Histoire de la première croisade, éd. F. Guizot, Paris 1825, p. 472] Alors les vainqueurs chargèrent chameaux, chevaux, ânes et jusqu'aux béliers de tout ce qu'ils pouvaient emporter. "Ils livrèrent aux flammes une immense quantité de tentes, de dards répandus dans les champs, d'arcs et de flèches qu'ils ne pouvaient transporter à la Cité sainte et revinrent, pleins de joie, vers cette Jérusalem que les païens se vantaient de ruiner" [Guillaume de Tyr, Histoire des croisades, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 120].

 

Sous la direction de Godefroi de Bouillon, les chrétiens remportèrent une victoire complète sous les murs d'Ascalon (13 août 1099). "Dans leur épouvante, nous apprend l'auteur des Gestes, les Sarrasins grimpèrent aux arbres pour s'y cacher, mais les nôtres, à coups de flèches, de lances ou d'épées, les faisaient choir à terre et les massacraient. [...] Sur les bords de la mer le comte de Saint-Gilles en tua un nombre incalculable. Quelques-uns se jetaient dans les flots, le restant fuyait éperdu." Les Francs rentrèrent à Jérusalem chargés de butin. Sur ces faits se termine le précieux récit des Gesta francorum et aliorum hierosolymitanorum (Gestes des Français et autres pèlerins hiérosolymitains ou Histoire anonyme de la Première croisade)

 

"Ce grand triomphe devait aussitôt se teinter d'inquiétude. Au lendemain même de la bataille, deux des principaux barons, Robert de Flandre et Robert de Normandie, s'embarquèrent à Jaffa, accompagnés d'un nombre considérables de chevaliers et d'hommes de pied. Raymond de Saint-Gilles se joignit à eux avec, lui aussi, toutes ses troupes. Leurs navires réussirent à remonter vers le Nord sans encombre, à faire même escale dans les ports (Acre, Sidon...) encore gouvernés par des émirs, et à gagner Laodicée puis Constantinople. De là, Flamands et Normands prirent la mer pour rentrer en Occident tandis que le comte de Toulouse, se désintéressant désormais de la défense du royaume de Jérusalem, négociait l'appui de l'empereur de Byzance pour combattre Bohémond et lui arracher quelques territoires..." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 279-283]

 

"Si dans ces mois décisifs, les Musulmans n'osèrent bouger, ce fut que le prestige militaire des Francs était dans tout son éclat. Après Dorylée, Antioche, Jérusalem et Ascalon, la journée du Nahr al-Kalb avait achevé d'établir en Syrie la terreur franque", résume René Grousset. [Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 260; 270-271]

Maison Royale de Jérusalem, in Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 190-191

Maison Royale de Jérusalem, in Michel Balard, Les Croisades, éd. MA, Paris 1988, p. 190-191

La rapide installation des Francs en Syrie (Foucher de Chartres)

 

"Occidentaux, nous voilà transformés en habitants de l'Orient. L'Italien ou le Français d'hier est devenu, transplanté, un Galiléen ou un Palestinien. L'homme de Reims ou de Chartres s'est transformé en Syrien ou en citoyen d'Antioche (Foucher)".

 

"Ce texte de Foucher de Chartres a été écrit aux environs de 1120; Foucher avait fait la première croisade en qualité de chapelain de Baudouin Ier et était resté en Terre sainte, où, par conséquent, il avait pu, par expérience personnelle, voir ce qu'il en était de l'installation des Francs en Syrie. Tous les historiens des croisades l'ont plus ou moins cité; c'est à bon droit, car ce texte souligne l'un des faits les plus étonnants dans l'histoire des croisades: la rapide installation des Francs en un pays conquis dans des conditions surprenantes." [R. Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 171]

 

Des victoires miraculeuses compte tenu de la disproportion des forces (Jacques Heers)

 

"Les victoires remportées contre les turcs, à vrai dire inespérées si l'on considère la disproportion des forces, étaient tenues pour des miracles." [Jacques Heers, Les Croisades, Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 48]

 

Une poignée de chevaliers : trois cents chevaliers, deux mille hommes de pied

 

"Les Francs se trouvaient, en juillet 1099, ... [a]rrivés peu nombreux pour assiéger la Ville sainte, Bohémond et Baudoin étant restés dans leurs États de Syrie, ils le furent encore beaucoup moins par la suite. Malgré les mises en garde et supplications, la grande majorité des pèlerins prit vite, les dévotions au Saint-Sépulcre accomplies, le chemin du retour. Les pauvres n'avaient pas vocation à rester et les chevaliers songeaient aux longs mois qui les avaient séparés de leurs familles, de leurs fiefs, de leurs héritages. Ne sont demeurés que ceux qui nourrissaient de sérieux projets d'établissement sur les terres conquises, et ceux très liés, fidèles, clients des chefs qu'ils ne pouvaient abandonner".

 

Chiffrer les uns et les autres, les départs d'un côté et, de l'autre, le noyau dur resté sur place (après la prise de Jérusalem en 1099), serait céder aux facilités de l'invention. Mais tous les auteurs de chroniques et d'histoires insistent longuement sur la faiblesse des effectifs. Les croisés se savaient peu nombreux et prenaient conscience d'une situation qui les mettait à la merci d'une offensive concertée des musulmans. Le départ de plusieurs chefs et de leurs fidèles avait laissé de grands vides et comme un sentiment d'effroi: "En ce tems, presque tuit li barons qui estoient venuz en pélerinage s'estoient jà partiz de la terre et retournés en leur païs. Li duc [Godefroy] à qui l'en avoit baillé le roiaume et Tancrède qui avec lui estoit... estoient tuit povre d'avoir et de gent; à peine poïssent-ils trouver trois cents hommes à cheval et deus mille à piés" (Estoire d'Eracles, L'Estoire d'Eraclès empereur..., vol. 3, 1866, cité par René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 180-181).

 

"Après la victoire d'Ascalon, les croisés partirent massivement, besogne faite, et les chefs principaux, dont Robert Courteheuse et le comte de Flandre, prirent congé de Godefroy. Après leur départ ne restèrent à Jérusalem que trois cents chevaliers et un millier de volontaires, le comte de Toulouse (qui avait fait voeu de mourir en Terre sainte) et Tancrède. Godefroy prit ce dernier comme lieutenant et l'investit de la 'princée' (principauté) de Galilée, à charge pour lui de la conquérir. Tancrède occupa sans combat la ville de Tibériade, dont il fit sa capitale. ... Simultanément Godefroy occupait toute la Judée jusqu'à la Mer morte et au Jourdain; il fortifiait la ville d'Hébron." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 79]

 

Ces chiffres de trois cents (chevaliers) et de deux milles (hommes à pieds) se retrouvent sous la plume de plusieurs auteurs qui les opposent aux milliers d'hommes qui étaient repartis, abandonnant leurs compagnons réduits à de maigres forces, exposés à de si grands périls. Ce ne sont que des approximations et, peut-être même, rien d'autre que des figures de style pour mieux faire comprendre ce désarroi. Mais s'imposait l'impression d'une terrible fragilité: "La sainte terre de Jérusalem n'avait pas assez de monde pour la défendre des Sarrazins". Et chacun de s'interroger, de se demander ce qu'attendaient les ennemis pour se mettre en route et déferler sur les croisés: "Pour quelle raison des centaines de mille de combattants ne se rassemblaient-ils pas, à partir de l'Égypte, de la Perse, de la Mésopotamie et de la Syrie, pour marcher courageusement contre nous ?" Pourquoi ces gens, "aussi nombreux que des sauterelles qui dévorent la récolte d'un champ, ne venaient-ils pas nous dévorer et nous détruire entièrement" ? (Guibert de Nogent, Autobiographie, éd. E.R. Labande, Paris 1981, p. 270) [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., 240-241]

Le Royaume de Jérusalem au XIIe siècle, in Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 150

Le Royaume de Jérusalem au XIIe siècle, in Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 150

Quatre victoires contre les Égyptiens (1099;1101;1102;1105)

 

"Quelques centaines de chevaliers de ce petit royaume franc, isolé de tout, réussirent non seulement à se maintenir contre les tentatives de reconquête des musulmans, mais, en quelques années, à se donner une assise territoriale plus vaste, plus cohérente. Sur le plan militaire, ils mirent à profit leur expérience de combat contre les Turcs et les Arabes, mûrie au cours de longs mois.

 

"A quatre reprises, et seulement à quelques années d'intervalle, en 1099, 1101, 1102 et 1105, le Caire mit en oeuvre une forte armée et une nombreuse flotte pour reprendre la Ville sainte aux Francs, les chasser de Palestine ou, plutôt, les anéantir. Ces quatre offensives, conduites à peu près de la même façon, connurent certes des fortunes diverses, mais toutes se soldèrent par des échecs et ne firent que renforcer le nouveau royaume chrétien.

 

L'attaque de 1101 et victoire de Ramlah (7 septembre 1101)

 

"Et pourtant, malgré les effectifs croisés encore plus réduits, malgré une préparation plus soignée du côté des Egyptiens, la deuxième attaque ne fut pas plus heureuse... Al-Afdal retint son armée quatre mois dans Ascalon avant d'établir son camp dans la plaine de Ramlah; forte, comme la précédente, de plusieurs milliers d'hommes, elle ne trouvait devant elle que quelques trois cents cavaliers et neuf piétons du nouveau roi de Jérusalem, Baudouin Ier... 

"C'était la première fois que paraissait la Vraie Croix. Gérard, évêque de Ramla, la portait. ... Baudouin harangua ses soldats :

'Courage, chevaliers du Christ! Ayez confiance et ne craignez rien. Si vous périssez, vous serez élevés au rang des bienheureux. Si vous remportez la victoire, vous serez glorieux parmi tous les chrétiens. Si par hasard vous songez à fuir, souvenez-vous que la France est loin![Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 89]

Trois des cinq corps francs furent vite détruits et mis en fuite vers Jaffa, mais, le roi, chargeant sur sa jument 'Gazelle,  avec la vraie Croix portée devant lui, parvint à reprendre le dessus et, à leur tour, les Égyptiens abandonnèrent le terrain, fuyant eux, vers Ascalon (le 7 septembre 1101). En rentrant à Jérusalem, chacun racontait ses exploits. Tel chevalier avait abattu un émir qui tentait d'arracher la vraie Croix des mains de l'évêque Gérard. Le roi lui-même avait tué un autre émir qui cherchait à l'atteindre. le butin que l'on rapportait dépassait les espérances.

Peu après, les croisés rencontrèrent un fort parti de cavaliers ennemis qui avaient poursuivi les chrétiens jusque sous les murs de Jaffa et, profitant d'un rude effet de surprise les anéantirent complètement. [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, ibid., p. 283]

 

L'offensive égyptienne de 1102 ou contre-croisade fatimide. Seconde bataille de Ramla. Victoire et Baudouin à Jaffa

 

Baudouin, grisé par sa précédente victoire, manque cette fois de toute prudence. Seule faute peut-être de sa vie politique, mais qui faillit lui être fatale.

 

Le vizir d'gypte, al-Afdal, n'entendait pas rester sur sa défaite de Ramla. Résole à reconquérir la Palestine, il concentra à Ascalon au milieu de main 1102 une nouvelle armée de 20 000 Arabes et Soudanais. 

 

Baudouin, sans envoyer d'éclaireurs pour se renseigner sur le nombre de ses ennemis (ilc royait n'avoir affaire qu'à un millier d'hommes), sans prendre le temps d'appeler à lui les garnisons de la Samarie et de la Galilée, sans même attendre que les 10 000 chrétiens qui se trouvaient à Jaffa l'eussent rejoint, partit sur-le-champ à la rencontre des envahisseurs, avec les seuls compagnons qu'il avait en ce moment à jérusalem aiprès de li, en tout deux cents chevaliers, parmi lesquels les croisés d'Occident qui attendaient leur embarquement, Etienne de Blois, Etienne, comte de Bourgogne, Geoffroi de Vendôme, Hugues de Lusignan, le chancelier Conrad. Toute cette belle chevalerie s'avançait sans ordre ni précaution. Etienne de Blois fit quelques timides observations sur l'imprudence d'une telle chevauchée. mais depuis sa défection sous Antioche au cours de la première croisade, il n'avait pas grande réputation de courage, et Baudouin le rabroua vertement. Ce ne fut qu'en débouchant dans la plaine de Ramla, lorsqu'il découvrit la multitude de l'armée ennemie, que le roi comprit dans quel abîme sa présomption l'avait jeté. Du reste, la retraite même n'était plus possible; la petite troupe, si elle tournait le dois devait être inévitablement rejointe, enveloppée et sabrée par les escadrons ennemis. Donc, Baudouin et ses compagnons firent front. Si rude fut leur réaction qu'un moment les Egyptiens 's'en esbahirent' et faillirent renoncer, ... (mais) bientôt le groupe des chevaliers francs était prestque tout entier massacré. Tués, Gérarc d'Avesnes, Raoul d'Alost, Stabelon, l'ancien camérier de Godefroy de Bouillon, et vingt autres d'entre eux. Le reste des survivants avec le roi Baudouin se réfuigia dans la petite ville de Ramla qui fut bientôt assiégée par toute l'armée égyptienne. Seule la nuit qui tombait empêcha les vainqueurs d'emporter sur-le-champ cette faible défense, mais il était clair que le lendemain c'en serait fait du roi de Jérusalem et de ses derniers compagnons.

 

La fuite nocturne de Baudouin sur Gazelle

Ce fut alors que se produisit d'après Guillaume de Tyr, une romanesque intervention qui apporta le salut. Vers le milieu de la nuit, tandis que Baudouin sur sa couche ne pouvait trouver le sommeil, voilà qu'un chef arabe se présente devant la muraille et demande à lui parler personnellement de toute urgence. On introduit le mystérieux visiteur: c'était ce même sheikh dont Baudouin avait, l'année précédente sauvé et libéré la jeune épouse tombée aux mains des francs lors d'un raid en Transjordanie. Le chevaleresque Arabe s'estimant lé par une dette de reconnaissance avait quitté l'armée fatimide pour avertir Baudouin d'avoir à fuir cette nuit même, car, au matin, toutes les forces égyptiennes donneraient l'assaut à la bicoque de Ramla. Mieux que quiconque Baudouin savait la position indéfendable. Il se rendait compte que sa capture comme sa mort serait la ruine du jeune royaume. Sur l'avis unanime des siens, il fut décidé que le roi essaierait de s'échapper, mieux valant pour lui risquer la mort en rase campagne que de tomber honteusement lors de la chute de Ramla aux mains de l'ennemi. Baudouin, suivi de son écuyer et de trois ou quatre compagnons, courut donc cette suprême chance sur son cheval arabe 'la Gazelle', il s'élança en pleine nuit, au milieu de l'armée fatimide.

Sa fuite fut aussitôt signalée, une nuée de cavaliers ennemis s'engagèrent à sa poursuite: presque tous ses compagnons furent tués ou pris. Pendant ce temps Ramla était pris d'assaut par les Égyptiens avec toute la chevalerie réfugiée dans ses murs (19 mlai 1102). Les Francs périrent ou durent se rendre. Les plus vaillants préférèrent se faire tuer dans une charge dernière. Au cours de cette sortie désespérée le chancelier Conrad excita une telle admiration chez les émirs fatimides qu'il lui firent grâce. Mais Hugues de Lusignan, Geoffroi de Vendôme, le comte de Bourgogne et Étienne de Blois furent massacrés. Le dernier racheta par cette mort glorieuse sa désertion d'Antioche, méritant ainsi la belle oraison funèbre que le consacre l'Estoire d'Eracles. Quatre cents des défenseurs furent massacrés, désarmés. Les trois cents derniers furent envoyés prisonniers en Égypte. Jamais, note Eracles, on n'avait vu un tel massacre de chevaliers en Syrie  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 286-289]

 

Baudoin se sauva, suivi seulement de son écuyer, dans les montagnes, allant par des chemins détournés et se cachant sans cesse pour échapper aux éclaireurs lancés à sa poursuite. On le croyait mort. Ses compagnons avaient presque tous succombé. Gerbod de Winthinc, l'un des compagnons de Baudouin lui ressemblait: les Égyptiens plantèrent sa tête au bout d'une lance et la promenèrent sous les murs de Jaffa, affirmant qu'il s'agissait de Baudouin. 

De toute cette brillante chevalerie échappèrent seuls, Lithard de Cambrai, le vicomte de Jaffa et Gutman de Bruxelles qui, plus ou moins grièvement blessés, purent gagner Jérusalem où il annoncèrent la terrible nouvelle. Ce fut Gutman de Bruxelles, qui rendit du coeur aux Hiérosolymitains, les exhortant à ne pas abandonner la ville sainte avant que la mort du roi Baudouin ne fût confirmée.

Après avoir manqué vingt fois d'être pris par les coureurs égyptiens lancés dans la campagne, Baudouin se rapprochant de la côte à travers la plaine de Saron, mais en évitant Jaffa assiégé, finit, le troisième jour (19 mai 1102), par arriver dans la petite ville d'Arsûf au nord de Jaffa, appelée aujourd'hui Tel Arshaf, une des rares places sur la côte alors aux mains des Francs. Quelques heures après, vers le soir, nouvelle surprise, Hugue de Saint-Omer, sire de Tibériade, arrivait à Arsûf avec le contingent de sa princée de Galilée - quatre-vingts chevaliers d'élite. Le regroupement des forces franques commençait à s'opérer. Le lendemain, Baudouin s'embarqua pour Jaffa avec sa précieuse jument. Pour rassurer les gens de Jaffa, il avait fait déployer en haut du mât l'étendard royal. Là aussi, l'arrivée de celui qu'on croyait mort parut un nouveau miracle : le roi était sauvé, le royaume l'était aussi (20 mai 1102). 

 

Entre-temps débarqua un grand nombre de pèlerins, et le 27 mai, le roi sortit de Jaffa avec toutes ses forces, y compris les pèlerins nouvellement arrivés, à la tête d'une armée rassemblée et reconstituée à grand-peine, infiniment plus faible que celle des musulmans qu'elle allait attaquer. Il attaqua les Égyptiens qui campaient à trois mille de là, dans un petit bois où ils fabriquaient des machines de siège. Bien qu'étonnés d'une telle offensive, les Égyptiens, grâce à leur avantage numérique, voulurent cette fois encore encercler l'armée franque, mais la supériorité tactique s'affirma tout de suite, aussi bien des fantassins qui criblaient l'ennemi de flèches, que du fait des chevaliers bardés de fer. 

Les Égyptiens cédèrent du terrain dès les premiers assauts, sous les traits des archers et la charge des chevaliers francs qui "s'élancèrent semblables à des lions dont la fureur est redoublée au moment où on vient leur enlever leurs petits, combattant à la fois, et de toutes leurs forces, pour leurs femmes et leurs enfants, pour la liberté et leur patrie, le coeur animé d'un courage tout divin et précédés par la miséricorde céleste" (Guillaume de Tyr, Histoire des Croisades, éd. F. Guizot, Paris 1824, p. 94-95).

Figures de style et enthousiasme d'après coup, mais qui traduisent ici chez Guillaume de Tyr, comme sous la plume des autres chroniqueurs du temps, à la fois l'admiration devant l'exploit guerrier et la certitude d'un véritable miracle.

Au bout de quelques heures, l'armée égyptienne tout entière prenait la fuite vers Ascalon. 

Seule l'insuffisance numérique de la cavalerie franque arrêta la poursuite; mais tout le camp fatimide avec ses tentes, ses tissus et ses tapis, ses convois, ses chameaux, son énorme ravitaillement et son numéraire tomba aux mains des Francs. Baudouin revient en triomphe à Jérusalem. La possibilité d'une reconquête fatimide s'évanouit. Le Caire ne reprit l'offensive que trois ans plus tard.

Les années 1104 et 1105 furent décisives pour Baudouin, qui agença de main de maître une opération terre-mer avec une escadre génoise et, le 26 mai, enleva Saint-Jean d'Acre, qui devint le principal port du royaume de Jérusalem par où débarquait les pèlerins et transitait toutes les marchandises. Elle sera occupée par Saladin puis reprise par Richard Cœur de Lion en 1191. La reconquête de la ville en 1291 par le sultan d'Égypte al-Malik al-Ashraf mit fin à la présence des européens en Terre sainte.

 

La contre-croisade fatimide de 1105. Troisième bataille de Ramla (17 août 1105)

 

Cependant, les fatimides d'Égypte n'avait pas renoncé. Pour la troisième fois, l'armée égyptienne se concentra à Ascalon.

L'armée du Caire "s'avança jusqu'à Ramla, renforcée par les contingents damasquins. La bataille se livra devant Ramla le 27 août 1105. Baudouin avait appelé des renforts de Jérusalem, avec le patriarche et la vraie Croix. Le patriarche bénit les étendards et le combat s'engagea aux cris de "Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat!" [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 62], Le Christ vainc, le Christ règne, le Christ commande !. Les archers montés de Damas tourbillonnèrent autour des Francs en les arrosant de flèches, tactique habituelle. Un flottement s'esquissa. Alors, arrachant sa bannière blanche des mains du porte-étendard, Baudouin conduisit la charge. Il balaya les archers damasquins. Puis, regroupant sa cavalerie presque intacte, il enfonça les Égyptiens. Une charge massive de fervêtus produisait un effet identique à celui d'une escadre de chars. La cavalerie légère des musulmans ne put résister au choc. Elle trouva son salut dans la fuite. Le corps d'armée qui avait été envoyé à Jaffa regagna péniblement l'Égypte, avec les rescapés de Ramla. La flotte égyptienne fut assaillie par une tempête et presque entièrement détruite. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 91] 

 

"En août 1105, al-Afdal, toujours vizir, obtenait enfin l'aide de l'atalabeg de Damas qui lui envoyait un millier de cavaliers lesquels rejoignirent à Ascalon l'armée fatimide: cavaliers arabes et fantassins noirs du Soudan. Cette année-là, les Francs ne souffraient plus d'une infériorité numérique aussi grave; le royaume s'était notablement agrandi; Baudouin comptait avec lui un certain nombre de vassaux, des chefs musulmans, même, en particulier un jeune prince seldjouk, prétendant au trône de Damas. Le patriarche de Jérusalem était lui-même venu à Ramlah, portant la vraie Croix, haranguant le peuple pour que tous les hommes valides se moblisent. Dès les premières charges, les Turcs de Syrie s'enfuirent d'abord; les Egyptiens résistèrent plus longtemps mais, finalement, leurs cavaliers reprirent la route d'Ascalon tandis que les fantassins se battaient jusqu'au dernier, tous ou presque tués sur place (27 août 1105). Les Francs emportèrent, une fois de plus, un riche butin et firent prisonniers au moins trois émirs, susceptibles de payer de riches rançons" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 287]

 

À l'été 1108, Baudouin profita de l'arrivée sur es côtes de Palestine d'un grand nombre de marins pisans, génois, vénitiens et amalfitains - corsaires devenus pèlerins - pour essayer d'arracher Sidon à la domination fatimide. Au nombre des défenseurs de Sidon, Albert d'Aix cite des renégats provençaux, anciens soldats de Raymond de Saint-Gilles, passés à l'Islam et qui, du haut de la tour confiée à leur garde, lançaient des ordures à l'adresse de la vraie Croix promenée dans le camp chrétien. Cette tour fut battue, mais sur mer l'arrivée d'une puissanrte escadre égyptienne changea la donne. Les navires italiens eurent le dessous, l'opération manquée, Baudouin leva le siège et rentra à Acre. 

À l'été 1109, Baudouin alla prêter main forte au fils de Raymond de Saint-Gilles, Bertrand, qui s'efforçait de couronner la fondation du comté provençal du Liban en s'emparant de Tripoli. le 12 juillet 1109, la ville se rendit à Baudouin et à Bertrand. Baudouin avait aidé Bertrand à conquérir Tripoli. L'année suivante, Bertrand vint l'aider à assiéger Beyrouth, où Baudouin fit son entrée dans la ville le 13 mai 1110. Ceux des habitants qui sortirent de la ville purent le faire en paix.

 

La croisade norvégienne (1110). Conquête de Sidon

 

À l'été 1110 une escadre de pèlerins scandinaves arriva en Syrie sous la conduite du roi de Norvège Sigurd, fils de Magnus III. Baudouin Ier fit le meilleur accueil au prince norvégien. Il vint au devant de lui, le conduisit en grande pompe de Jaffa à Jérusalem, lui fit visiter les Lieux-Saints, le combla de présents et de souvenirs.

Entrée de Sigurd à Constantinople. Gerhard Munthe: Illustration for Magnussønnens saga. Snorre 1899-edition

Entrée de Sigurd à Constantinople. Gerhard Munthe: Illustration for Magnussønnens saga. Snorre 1899-edition

Les dévotions du pèlerin une fois terminées, le roi lui demanda comme chaque fois que se présentait une escadre chrétienne, d'aider les Francs à s'emparer de quelque port palestinien. Les Norvégiens ayant accepté, Baudouin leur désigna comme objectif la ville de Sidon (Saidâ), la Sajete des chroniqueurs. Sigurd en personne conduisit l'escadre norvégienne faire le blocus du port tandis que Baudouin et son vassal Bertrand, comte de Tripoli, attaquaient la ville par terre à grand renfort de machines (19 octobre 1110). Par surcroît de chance, une escadre vénitienne venait d'arriver en Palestine sous le commandement du doge Ordelafo Falier; les Vénitiens concoururent avec les Scandinaves au blocus du port. Le qâdi de Sidon offrit la ville contre garantie pour les vies et les biens des musulmans, chacun étant libre de rester dans la ville ou d'émigrer. Le qâdi et la plupart des notables avec 5000 personnes se retirèrent à Damas; le reste des habitants demeura dans ses foyers; les paysans de la campagne sidonienne restèrent en masse comme sujets des Francs. Sidon fut donnée en fief  par Baudouin Ier à un chevalier nommé Eustache Garnier ou Grenier, déjà sire de Césarée. Après la prise de Sidon, les Norvégiens remirent à la voile. Ne possédant qu'une armée et pas de marine, une des difficultés les plus graves des Francs était de s'emparer des places du littoral. Ils étaient réduits pour cela à profiter du passage d'une escadre chrétienne.  [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 310-312]

Sur le chemin du retour, Sigurd remonta vers Constantinople, où il fut reçu par l’Empereur Alexis Ier Comnène, que la Saga nomme Kirialax. 

Le retour s’effectue par la route terrestre via la Bulgarie, la Hongrie et le Saint-Empire romain germanique. Sigurd rencontre en Saxe le duc et futur Empereur Lothaire de Supplinbourg. Arrivé dans la Mer Baltique, avant de regagner la Norvège, il rencontre au milieu de l’été 1111 à Heidaby le roi Niels de Danemark.

L'épopée du roi Sigurd Ier servira d'argument à la suite orchestrale d'Edvard Grieg appelée Sigurd Jorsalfar.

 

Victoire de Roger d'Antioche à la première bataille de Tell-Dânîth ou "bataille de Sarmin"(15 septembre 1115). Échec de la contre-croisade seldjûkide

 

À la nouvelle de la perte de Kafartâb, Roger d'Antioche, fils de Roger de Salerne, qui avait été nommé régent d'Antioche à la mort de Tancrède, se prépare à la bataille en reprenant la campagne. Le temps presse trop pour faire de nouveau appel au roi de Jérusalem ou à l'âtâlabeg de Damas. Il se contente de demander l'aide du comte d'Édesse, Baudouin du Bourg, cousin de Baudouin Ier, et va avec lui se poster à Chastel Ruge ou Rugia, à 2 kilomètres à l'ouest de Tell al-Karsh, en face et tout près de Jisr al-Shughr, de l'autre côté de l'Oronte, pour observer les mouvements de Bursuq. La relique de la Vraie Croix est présentée aux escadrons qui, aussitôt, montent en selle et s'ébranlent vers Dânîth. C'était le 14 septembre à l'aube. Roger galopait avec le centre, Baudouin du Bourg, comte d'Édesse avec l'aile gauche; à droite, se trouvaient les Turcopoles, combattants auxiliaires des croisés, souvent composées d'archers, montant des chevaux arabes, équipés et habillés à la turque (troupes constituées au départ de combattants d'origine turque, des seldjoukides christianisés, puis de "poulains", des polos, dans le sens d'enfants, métisses, de pères croisés et de mères chrétiennes d'Orient) ; en arrière-garde chevauchait Robert Fulcoy (Fulcoit) ou Robert fils de Foulque (Filz-Foulque), dit le Lépreux, seigneur de Zerdanâ et du château de Saone. La cavalerie franque, lancée en ouragan, tomba d'abord sur le camp presque vide de défenseurs. Les valets d'armée furent massacrés, le camp emporté en un instant. Évitant de s'attarder au pillage, les Francs s'élancèrent sur les divisions turques qui arrivaient par détachements successifs en ordre dispersé. Bursuq fut bientôt rejeté sur la butte du Tell Dânith que Baudouin du Bourg et Guy le Chevreuil avec l'aile gauche franque prirent d'assaut, le premier de front, le second de flanc. Bursuq faillit être capturé. Désespéré du désastre, le chef turc voulait attendre la mort du martyr au milieu des Francs. À la fin, il s'enfuit. Il fila vers la Jazîra pour regagner la Perse où il ne devait pas tarder à mourir de chagrin. De nombreux détachements turcs avaient cru se sauver en se réfugiant dans les fermes chez les paysans arabes: ils furent complètement dépouillés par ces derniers. Le butin fait dans le camp seldjûkide fut énorme. Rien qu'en numéraire on trouva 300 000 pièces d'or.

 

La journée de Dânith, trop négligée des historiens modernes, se rapproche en importance de la victoire de la Première croisade à Dorylée, où les Croisés de 1097 avaient dès la première rencontre fait plier la force seldjûkide. À Dânith, leurs fils arrêtaient la reconquête seldjûkide de 1115. [René Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 542-545; 547]

 

Accords, politiques d'entente et d'alliance de chefs musulmans se reconnaissant vassaux des Francs (Jacques Heers)

 

"Cette victoire de Ramlah (1105) qui apportait la promesse de longs répits fut fêtée comme le signe manifeste d'une situation nouvelle. En six années, les positions franques s'étaient considérablement renforcées. Ceux de Jérusalem s'étaient forgé un véritable petit royaume, plus solide, tout en nouant des accords avec quelques chefs musulmans qui se reconnaissaient leurs vassaux.

 

"Dans le même temps, d'autres princes ou seigneurs croisés avaient, eux aussi, plus au nord, assuré leurs positions et, malgré rivalités ou dissenssions, leurs "comtés", leurs "princées" formaient autant d'Etat protecteur pour le royaume et, aux moments les plus graves, offraient d'appréciables possibilités de secours [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 287]

 

"Le 25 mars 1100 déjà, les gens d'Arsuf vinrent à composition; ils libérèrent leur malheureux prisonnier, Gérard d'Avesnes, encore en vie, et offrirent de payer tribut (Albert d'Aix, Histoire des faits et gestes de la région d'outre-mer depuis l'année 1095 jusqu'à l'année 1120 après Jésus-Christ, éd. Guizot, Paris 1824, p. 513-518). Peu de temps après, les gouverneurs arabes de trois autres villes maritimes, Acre, Césarée et Ascalon, mandaient des ambassadeurs à Jérusalem pour proposer un tribut annuel de cinq cent pièces d'or, plus des livraisons de chevaux et mulets, si les chrétiens les laissaient exercer leurs commerces en paix et cultiver leurs campagnes. Ce souci des populations arabes de maintenir leurs productions et leurs échanges à bon niveau fut un facteur décisif de leur politiques d'alliances ou d'ententes avec le royaume franc. [...] Les traités conclus alors n'impliquaient généralement pas de soumission, ni politique ni militaire, mais comportaient exclusivement ou presque, des clauses de nature commercial: liberté du trafic et protection contre les brigands en échange d'une promesse de ravitailler Jérusalem et les autres garnisons franques à juste prix" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche 2002, p. 289]

 

"Et René Grousset d'observer, fort justement, que l'Etat de Jérusalem se présentait alors "comme une monarchie franque entourée d'émirats musulmans vassaux" (R. Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris 1934-1936, 3 vol., rééd. 1992, p. 342, cité in Jacques Heers, ibid., p. 298).

Exemple d'alliance Francs-Musulmans: l'alliance de l'émir de Damas Toughtékîn avec les Francs contre l'armée turque de l'émir Boursouq (1115)

 

"En 1115, le sultan de Perse envoya en Syrie une nouvelle armée turque, sous le commandement de l'émir Boursouq, avec l'ordre à la fois de mener à bien la contre-croisade et de ramener à obéissance les musulmans d'Alep et de Damas. Toughtékîn et les autres émirs menacés mesurèrent toute l'étendue du péril. Le rétablissement de l'autorité du sultan sur la syrie musulmane ne pouvait avoir lieu que par leur éviction. Contre la menace du pouvoir central turc ils n'hésitèrent pas à se déclarer solidaires des Francs. On vit donc les chefs de la Syrie musulmane et les princes francs unir leurs forces pour barrer la route à l'armée sultanienne. les coalisés, à l'été de 1115, se réunirent dans la région d'Apamée, sur le moyen Oronte, point central bien choisi pour protéger à la fois Alep et Antioche, Damas et le royaume de Jérusalem. il y avait là le roi Baudouin Ier, le prince Roger d'Antioche, le comte Pons de Tripoli, les émirs d'Alep et l'atâlabeg de Damas, Toughtékîn. La chronique se plaît à nous montrer le turc Toughtékîn et Roger chevauchant côte à côte "comme de bons et loyaux compagnons d'armes" [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 84]

 

Le "racisme" n'existe pas au XIIe siècle

 

"Au fil des années, ces croisés se sont assimilés à la population locale, en épousant des filles arméniennes, grecques ou syriaques, et en donnant naissance à des enfants de culture mixte appelés 'poulains'". 

 

"Déjà nous avons oublié notre lieu d'origine; ici l'un possède déjà maison et domesticité avec autant d'assurance que si c'était par droit d'héritage immémorial dans le pays. L'autre a déjà pris pour femme une Syrienne, une Arménienne, parfois même une Sarrasine baptisée... Tel habite avec toute une belle-famille indigène; nous nous servons tout à tour des diverses langues du pays" (Foucher de Chartres).

 

"... Car, si la religion les oppose aux Sarrasins, la race, elle, n'est pas pour eux un obstacle. Dès qu'une sarrasine est baptisée, aucun chrétien ne refusera d'en faire sa femme. Le concept de race, grâce auquel les trafiquants d'esclaves au XVIe s. tenteront de légitimer leur commerce, n'existe pas pour l'homme du XIIe s. S'il combat le Musulman, du moins le considère-t-il comme son égal: comparée aux méthodes colonialistes du XVIIe s., voire à certains préjugés subsistant au XXe s. et entraînant, par exemple, la ségrégation... Aucun croisé n'hésitera à prendre femme dans la population indigène" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 171]

 

"On assista à plusieurs mariages mixtes. Des seigneurs francs s'allièrent à des princesses libanaises et le souvenir en demeure jusqu'à nos jours, dans les noms de certaines familles libanaises : les Frangié, dont le défunt président de la République Soleiman Frangié, tirent leur nom de l'arabe Franj (Francs), les Douaihy (de Douai, dont plusieurs chevaliers furent originaires), les Bardawil (de Baudouin). On cite même le cas d'une famille libanaise dont l'arbre généalogique remonte à Godefroy de Bouillon" (Malek Chebab in Les Croisades, La rencontre des chrétiens d'orient et des croisés, Les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 137).

 

Exemples de tortures commises par les Musulmans entre la première et la deuxième croisade

 

Il-Ghâzî, l'égorgeur

 

Après la défaite locale du prince d'Antioche Roger contre l'armée turque de l'émir de mardin, Il-Ghâzi, le 28 juin 1119, ce dernier fit traîner nus les prisonniers, à coups de fouet, par files de deux ou trois cents, liés ensemble par des cordes, jusque dans les vignes de Sarmedâ. "Par cette torride journée de juin, ils mouraient de soif. Il-Ghâzi fit apporter des jarres d'eau qu'on plaça à leur portée. Ceux qui s'en approchaient étaient massacrés. Tous auraient péri sur-le-champ s'il n'avait voulu donner à la populace d'Alep le spectacle de son triomphe. La plèbe arabe se joignit aux soudards turcomans, une partie des captifs périrent au milieu des tortures." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 101]

 

Après l'arrivée de Baudouin II et de Pons de Tripoli, les Turcs toujours commandés par Il-Ghâzî battirent en retraite (14 août 1119).

 

"Les Turcs se vengèrent de leur défaite en massacrant les derniers prisonniers encore survivants. Parmi ceux-ci, le seigneur du chateau de Saonne, Robert, comptait pouvoir se racheter en raison d'anciennes relations de courtoisie avec l'atâlabeg Toughtékîn. Mais quand l'atâlabeg le vit arriver, il se leva, mit les pans retroussés de sa robe dans sa ceinture, brandit son épée et trancha la tête du Franc. Les autres prisonniers, attachés à un poteau, servaient de cible aux Turcomans en état d'ivresse. Il-Ghâzî, à la fin complètement ivre comme ses hommes, convia toute la plèbe d'Alep à assister au massacre des quarante derniers captifs. On les égorgea devant les portes de son palais qui furent aspergées de sang." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 102]

 

Balak, l'écorcheur

 

En septembre 1122; le comte d'Edesse Jocelin de Courtenay fut fait prisonnier par le chef turc Balak qui l'enferma dans la citadelle de Kharpout, au fond des montagnes du Kurdistan... Semblable mésaventure arriva au roi de Jérusalem Baudouin II, capturé alors qu'il se livrait à la chasse au faucon dans la vallée du haut Euphrate (18 avril 1123). Il alla rejoindre Jocelin dans les cachots de Kharpout. Jocelin put faire passer un message à ses sujets arméniens d'Edesse, en leur demandant de venir les délivrer. Cinquante d'entre eux parvinrent à s'introduire dans la place et à délivrer les deux captifs avec l'aide de la population arménienne locale. Mais après l'arrivée du chef turc Balak, "les malheureux Arméniens qui s'étaient associés à l'équipée franque furent écorchés vifs ou, liés sur des pieux, servirent de cible à la soldatesque." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 102-106]

 

Des Arméniens déjà massacrés, puis déportés...

 

Après la défaite de Jocelin II d'Edesse, aidé de la population arménienne, contre Nour ed-dîn, cette dernière "fut massacrée par les Turcs en une boucherie sans nom. Ceux quis urvécurent furent vendus comme du bétail sur le marché d'Alep. on les dépouillait de leurs vêtements, et nus, hommes et femmes, on les obligeait, à coups de bâton, à courir devant les chevaux. les Turcs perçaient le ventre de quiconque défaillait et les cadavres jonchaient la route. Déjà les massacres arméniens, suivis de la déportation des survivants..." [René Grousset, L'Epopée des Croisades, Éditions Perrin, Mesnil-sur-l'Estrée 2000, p. 137]

Baudouin du Bourg (Baudouin II) succède à son cousin Baudouin Ier en 1118.

Baudouin II roi de Jérusalem, par Edouard Odier, XIXe siècle

Baudouin II roi de Jérusalem, par Edouard Odier, XIXe siècle

Le règne de Baudouin II (1118-1131) fut l'exacte réplique de celui de Baudouin Ier : une chevauchée continuelle, entrecoupée de combats plus ou moins importants, jalonnée de victoires constamment remises en question, de revers aussi, mais dont il sut limiter les conséquences. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid., p. 125]

 

Le hasard voulut, écrit René Grousset, (nous dirions la Providence) qu'au moment de la mort du roi de Jérusalem Baudouin Ier, mort sans enfant, son cousin Baudouin du Bourg, comte d'Édesse, venait de se mettre en route pour faire ses dévotions à Jérusalem. Guillaume de Tyr nous dit qu'il arriva dans la ville sainte le jour même des obsèques du roi: rencontre qui allait permettre de régler rapidement la succession. Baudouin du Bourg fut élu à l'unanimité roi de Jérusalem, et sacré dans l'église du Saint-Sépulcre le jour de Pâques, 14 avril 1118.

 

Baudouin II était fort pieux. L'Estoire d'Éracles [ou Histoire d'HéracliusChronique d'Ernoul, écuyer de Balian d'Ibelin qui assura la défense de Jérusalem en 1187] nous décrit ses genoux rendus cagneux par la prière; "en oroisons estoit longuement et tant souvent s'agenoilloit que il avoit ès mains et ès genouz une duresce que l'en claime chauz.

Sa vie privée, au contraire de celle de Baudouin Ier, fut irréprochable. Il fut toujours fidèle à son épouse arménienne Morfia, et lui donna quatre enfants, Mélisende, Alix, Hodierne et Ivette. Mélisende épousera Foulque, comte d'Anjou, père des futurs rois de Jérusalem Baudouin III (1144-1162) et Amaury Ier (1162-1173).

 

Il n'en faut pas moins admirer, écrit René Grousset, qu'après deux règne seulement, le principe monarchique se soit trouvé assez solidement enraciné. [R.Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 566; 569; 571; 572; 575]

 

La bataille du Champ du Sang (ou bataille de Sarmada, ou bataille de Balat) : la mort héroïque de Roger d'Antioche (26 juin 1119)

 

Dans cette bataille, le nombre des morts est si grand que le lieu de la bataille prend le nom d’ager sanguinis, le "Champ du Sang" dans le latin des chroniqueurs de l'époque.

Au commencement de l'année 1119, le prince d'Antioche, Roger de Salerne, était sur le point de s'emparer de la grande ville arabe d'Alep. Il-Ghâzî, atabeg d'Alep (1118-1122), envahit le principauté d'Antioche du côté du Roudj, district situé à l'est de l'Oronte. À cette nouvelle, Roger demanda l'aide du roi Baudouin II et du comte Pons de Tripoli. Baudouin et Pons firent aussitôt leurs préparatifs, en insistant pour qu'on les attendît avant d'engager les opérations. Mais les châtelains des terres d'Outre-Oronte, dont les bandes turcomanes détruisaient les récoltes, pressaient Roger d'accourir sans retard. Pour leur complaire, sans attendre les secours qui allaient arriver de Jérusalem et de Tripoli, il se porta avec ses seules forces au-devant des Turcs. Contre plus de 40 000 Turcs il n'avait que cent chevaliers et trois mille fantassins...., écrit René Grousset.

Malgré cette énorme infériorité numérique, la valeur normande, sur le premier choc, faillit faire reculer l'ennemi, mais cet avantage ne dura pas. Les cavaliers turcomans revenaient sans cesse à l'attaque, criblant les Francs de javelots et de flèches. Le goum des turcopoles, qui formait la gauche franque, lâcha pied. L'armée franque, disjointe par la fuite des Turcopoles, écrasée sous le nombre, était presque entièrement détruite. Roger d'Antioche restait seul avec une poignée de fidèles. Ayant refusé d'attendre le roi et le comte de Tripoli, il se savait personnellement responsable du désastre. Il sut mourir en chevalier. "Il ne voulut ni fuir ni regarder en arrière", mais se lança au plus épais des escadrons turcs. Un coup d'épée sur la face, à la hauteur des yeux, lui donna la mort. Il tomba au pied de la Croix. De tant de héros, cent quarante hommes seulement purent se sauver. Il-Ghâzî s'installa dans la tente de Roger pour présider au partage du butin. Quant aux prisonniers, les Turcomans donnèrent cours sur eux à leur sauvagerie native, écrit René Grousset. À coups de fouets, on les traîna nus, par files de deux ou trois cents, liés ensemble par des cordes, jusque dans les vignes de Sarmedâ. Par cette horrible journée de juin, ils mouraient de soif. Il-Ghâzî fit apporter des jarres d'eau qu'on plaça à leur portée. Ceux qui s'en approchaient étaient massacrés. Tous auraient péri sur-le-champ s'il n'avait voulu donner à la populace d'Alep le spectacle de son triomphe. La plèbe arabe se soignant aux soudards turcomans, une partie des captifs périrent au milieu des tortures. [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 114-117]

 

Seconde bataille de Dânith (14 août 1119), victoire de Baudouin II

 

C'était sur le champ de bataille où Roger d'Antioche, quatre ans auparavant, avait écrasé l'armée seldjûkide de Bursuq. Baudouin II, qui venait d'établir son camp sur le Tell Dânith, y apprit la proximité de l'armée turque et le péril que courait Zerdanâ. À l'aube du 13 août la cavalerie légère turcomane commença à se montrer et à tourbillonner autour des Francs en les criblant de flèches. Baudouin donna l'ordres sévères pour que l'armée redoublât de discipline, de cohésion et de vigilance. Le 14 août fut livrée la bataille qui devait décider du sort de la Syrie. Les Turcs, sous les ordres d'Il-Ghâzî et de Tughtekîn avaient la veille au soir transporter toutes leurs forces devant Dânîth. Nous savons qu'ils conservaient une énorme supériorité numérique, écrit René Grousset. Baudouin II, qui avait 700 chevaliers, divisa son armée en neuf corps, parmi lesquels les contingents du comte Pons de Tripoli, fils de Bertrand de Tripoli, occupaient l'aile droite. Les Turcs essayèrent d'abord d'intimider l'armée par un tourbillonnement de cavalerie légère lançant une pluie de flèches et de javelots. la masse franque ayant supporté, impassible, ce harcèlement, ils en vinrent au corps à corps. Ils réussirent à faire plier les troupes provençales qui, sous le comte de Tripoli, tenaient l'aile droite et qu'ils rejetèrent sur le corps d'armée du roi. Pons, cependant, ne s'abandonna pas. Entouré d'un groupe de fidèles, il tint bon au milieu des Turcs qui le débordaient. L'aile droite n'en était pas moins entamée, et les Turcs purent bousculer les lignes de cavalerie que Baudouin avait disposées pour protéger ses fantassins. Ces derniers, chargés en tous sens par les escadrons turcomans, subirent de très lourdes pertes. Baudouin II, avec ses troupes fraîches, rétablit le combat et, par son action personnelle, remporta la victoire. "Il cria à Notre-Seigneur de secourir son peuple, piqua des éperons et se jeta au plus épais de la mêlée." [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 118]

 

Il eut son cheval blessé au col, mais n'avait reçu lui-même aucune blessure. Plus surprenant encore, écrire René Grousset, fut le cas de l'archevêque de Césarée, Ebremar (ou Evremar) qui, sans cuirasse, vêtu de ses ornements sacerdotaux et portant la Vraie Croix, était sorti avec une simple égratignure de la mêlée où il anathématisait furieusement les infidèles. Baudouin II fut vainqueur, Il-Ghâzî et Tughtekîn se retirèrent vers Zerdanâ, Athâreb et Alep. La victoire fut chèrement achetée, mais certaine. Deux à trois mille Turcs tués; parmi les Francs de cinq à sept cents fantassins et cent chevaliers.

 

Pour se venger, les Turcs massacrèrent les captifs. Robert, seigneur de Sahiyûn (Saone) fut fait prisonnier. On l'amena à l'âtâlabeg Tughtekîn qui buvant dans sa tente, se leva, brandit son épée et trancha la tête de Robert. "Ce fut, comme souvent dans l'histoire turque, écrit René Grousset, une boucherie, une boucherie de sang-froid, loin du champ de bataille et après des tortures dignes de l'Extrême-Asie. Les prisonniers attachés à un poteau, servaient de cible aux Turcomans ivres, sous les yeux d'Il-Ghâzî. À d'autres, on coupait les membres, puis on les exposait, vivant encore, dans les rues et sur les places d'Alep. Il-Ghâzî, à la fin, complètement ivre comme ses hommes, convia toute la plèbe alépine à assister au massacre d'une quarantaine de captifs qui n'étaient pas assez riches pour pouvoir payer rançon. On les exécuta en sa présence, devant les portes de son palais, qui furent aspergées de sang." Gautier nous raconte comment l'arrivée d'un beau cheval arabe offert par le sheik Dubaîs interrompit le massacre, Il-Ghâzî ayant éprouvé le désir immédiat de monter son nouveau coursier. [R.Grousset, Histoire des Croisades et du Royaume franc de Jérusalem, I. 1095-1130, ibid., p. 599-605]

Inutiles atrocités. Le roi de Jérusalem avait réparé les conséquences du désastre et, quand il regagna la Palestine, la principauté d'Antioche était définitivement sauvée.

 

Mariage entre Foulque et Mélisende

En 1131, après avoir enterré Baudouin II aux côtés de ses prédécesseurs sur le Calvaire, Foulque d'Anjou (1131-1143) est couronné roi de Jérusalem au Saint-Sépulcre avec Mélisende, fille de Baudouin II, le 14 septembre 1131, en la fête de la Sainte-Croix.

 

Foulque avait alors une quarantaine d'années. Tous ses biographes vantent sa piété, sa loyauté dans ses rapports avec ses vassaux, la correction de ses moeurs. Ce n'était pas de trop à l'heure où l'islam syrien entreprenait avec l'atâbeg Zengi (1127-1146) de réaliser son unité. Ce Turc énergique est aussi dévoué à la guerre sainte islamique que Baudouin Ier a pu l'être à la croisade. Il va réaliser la guerre sainte au bénéfice de sa royauté. Son programme essentiel reste l'unification de la Syrie musulmane, résultat politique qui, une fois atteint, devait assurer aux Musulmans la supériorité militaire sur les Chrétiens. Ce fut l'honneur du roi Foulque de l'avoir compris et d'avoir tout mis en oeuvre pour y faire obstacle.

 

En juin 1137, il vint attaquer la ville de Homs qui dépendait de l'état damasquin, mais le roi Foulque, avec un sens politique fort avisé, s'était constitué protecteur de l'indépendance damasquine. Zengi se retourna alors contre le comté de Tripoli où il vint attaquer la forteresse de Montferrand ou Baarin, au nord-est du Crac des Chevaliers. Le jeune Raymond II, fils de Pons, comte de Tripoli, fit appel au roi Foulque, qui était son suzerain et son oncle. "Le roi, qui était comme le père du pays", dit magnifiquement l'Eraclès, partit aussitôt pour Tripoli. La situation était d'autant plus grave qu'au même moment, le prince d'Antioche Raymond de Poitiers, successeur de Bohémond II, l'avisait que les Byzantins venaient d'envahir subitement la principauté d'Antioche. La vieille question de l'hypothèque byzantine sur Antioche se réveillait au moment précis où la Syrie musulmane commençait son redoutable mouvement d'unité.  Foulque décida de courir au plus pressé, de repousser le Turc, après quoi il irait à Antioche négocier avec le Byzantin. Nous retrouvons ici ce sentiment de la Chrétienté qui a fait la grandeur politique du XIIe et du XIIIe siècle et qui n'était autre chose que la conscience - combien obnubilée depuis les temps modernes ! - de la solidarité européenne.

 

Foulque et Raymond II partirent à marches forcées pour Montferrand-Baarin, dont la garnison assiégée par Zengi et manquant de vivres, ne pouvait tenir longtemps; mais ils furent surpris par Zengi  au moment où ils débouchaient des monts alaouites dans la plaine de Baarin. Une partie de 'larmée fanque avec Raymond II fut faite prisonnière, tandis que Foulque réussissait à se jeter avvec le reste dans Montferrand. Zengi commençai aussitôt le siège de la place. Dans cette situation tragique, le roi parvint à faire tenir une demande de secours au patriarche de Jérusalem, au comte d'Édesse Jocelin II et au prince d'Antioche Raymond de Poitiers, qui se mirent aussitôt en marche pour délivrer Montferrand. Raymond y eut un mérite tout particulier, car Antioche était sur le point d'être assiégée elle-même par les Byzantins: "S'il s'éloignait, il risquait de perdre sa ville, mais son honneur l'obligeait à aller sauver le roi." "À la fin, écrit magnifiquement Guillaume de Tyr, il recommande Antioche à Dieu, et laissant les Byzantins en entreprendre le siège, partit avec ses chevaliers pour délivrer Montferrand." Passage capital qui montre à quel point la monarchie créée par Baudouin Ier et par Baudouin II avait réalisé l'unité morale des colonies franques, puisque, à cette date, quarante ans après la fondation indépendante de la principauté normande d'Antioche, le prince d'Antioche n'hésitait pas à risquer le sort de sa terre pour sauver le roi de Jérusalem.

 

Zengi, se contenant de la conquête de Montferrand, permis à Foulque et à la garnison de se retirer librement avec leurs armes et tous les honneurs de la guerre et rendit même la liberté au comte de Tripoli Raymond II, ainsi qu'aux autres prisonniers francs (10-20 août 1137). Foulque se tira donc avec le minimum de dommages d'une situation pleine d'angoisses.

 

L'alliance damasquine

 

En mai-juin 1138 Zengi se fit céder par les Damasquins la ville de Homs. En octobre 1139 il leur enleva Baalbek, en faisant écorcher le gouverneur qui lui avait résisté et crucifier les soldats de la garnison; mais ces atrocités accrurent l'hostilité des Damasquins contre lui. Quand Zengi vint assiéger Damas en décembre 1139, les damasquins résistèrent avec énergie sous le commandement de leur vizir, un vieux capitaine turc nommé Ounour, "Aynard", comme écrit en francisant son nom, la chronique de l'Éracles. Pour repousser l'invasion, Ounour n'hésita pas à faire appel aux Francs. Il envoya dans ce but au roi Foulque le plus séduisant des ambassadeurs, l'émir Ousâma, de la grande famille arabe des princes de Chaizar. L'émir, qui fit plusieurs voyages auprès de Foulque, n'eut pas de peine à le persuader: si Zengi, qui posséait déjà Mossoul et Alep, s'emparait encore de Damas, la Syrie franque ne tarderait pas à être rejetée à la mer. Comme prix de l'intervention franque, le gouvernement de Damas s'engageait à restituer à Foulque la place-frontière de Paneas ou Baniyas. Foulque, qui avait convoqué l'armée franque pour délivrer Damas, n'eut pas besoin de livrer combat. la nouvelle de son approche, Zengi leva le siège et rentra à Alep (4 mai 1140). L'intervention du roi de Jérusalem avait sauvé l'indépendance damasquine. l'alliance des deux cours devint alors tout à fait étroite. Ounour, accompagné d'Ousâma rendit même visite à Foulque, à Saint Jean d'Acre.

 

Le roi Foulque goûtait ainsi les résultats de sa sage politique musulmane. L'amitié du vizir de Damas le garantissait contre toute attaque venue d'Alep. La grande ville arabe, sauvée par lui, était devenue sa meilleure alliée. Ce fut alors que le plus stupide accident vint terminer le règne. C'était à la fin de l'automne de 1143. La cour se trouvait à Acre. Un jour - sans doute le 10 novembre 1143 - Foulque, chassant et poursuivant un lièvre, son cheval buta et se renversa sur lui en lui écrasant le crâne. le roi resta dans le coma et expira le soir du troisième jour. Il laissait deux jeunes enfants, Baudouin III, âgé de treize ans, et Amaury, qui n'en avait que sept. Baudouin III fut proclamé roi sous la régence de sa mère Mélisende.

 

L'atâbeg d'Alep, Zengi, mis au courant de la situation, vint à l'improviste assiéger et prendre Édesse (28 novembre 1144 - 23 décembre 1144). La chute d'Édesse provoqua en Occident la prédication de la seconde croisade.

Zengi sera assassiné deux ans plus tard par ses pages le 14 septembre 1146, son royaume partagé entre ses deux fils, Ghâzi qui eut Mossoul et Nour ed-Dîn qui eut Alep.

 

[...] Nûr al-Dîn, le nouvel atâbeg d'Alep, avait montré, dès ses débuts qu'il entendait poursuivre avec plus d'esprit de suite le double programme de son père Zengî: unification de la Syrie musulmane, éviction des Francs. L'islamisation définitive d'Édesse, avec massacre systématique de la population arménienne et syriaque, la conquête sur Raymond de Poitiers de Artâh, de Kafarlâthâ et des autres places à l'est du bas-Oronte, avertissaient les Francs que la revanche musulmane descendait du nord-est. [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 242]

 

Le néfaste renversement d'alliance

 

Au mois de juin 1147 un émir du Hauran, révolté contre les gens de Damas, se donna aux Francs. La cour de Jérusalem ne sut pas résister à la tentation. Rompant pour un profit douteux la précieuse alliance damasquine, elle organisa, malgré l'avis des vieux compagnons de Foulque, une expédition au Hauran.

 

La cavalerie turque se joignant aux Arabes, harcelait nuit et jour les envahisseurs. Après avoir atteint Bosra, il fallait battre en retraite, retraite épuisante qui faillit tourner au désastre sans la vaillance du jeune Baudoin III, âgé alors de seize ans, et avait voulu suivre l'expédition. La situation parut si critique que les barons lui conseillèrent de s'enfuir avec la Vraie Croix sur le meilleur cheval de l'armée et de gagner Jérusalem à franc étrier pour échapper à la catastrophe imminente. Noblement, le jeune homme refusa : il entendait partager jusqu'au bout les périls de ses compagnons. Sa détermination sauva sans doute l'armée que son départ eût achevé de démoraliser, tandis que sa présence communiqua à tous son héroïsme. On raconta plus tard qu'une apparition surnaturelle, "un chevalier à la bannière vermeille, monté sur un coursier blanc", avait guidé l'armée chrétienne jusqu'aux frontières du royaume où il disparut mystérieusement. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 134-135; 146; 155; 159-161]

 

Cette retraite, conduite de Bosrâ à Mukeis, au milieu de difficultés inouïes, coupée de feux de brousse, avec le harcèlement incessant de toutes les forces damasquines et alépines, constitue un des plus beaux épisodes de l'histoire militaire de l'Orient latin. Le désastre, côtoyé à chaque instant, avait été évité. Le jeune Baudouin III ramenait son armée invaincue, intacte, plus redoutée que jamais des Turcs. Restait, il est vrai, la grave faute politique commise en dépit des vieux compagnons du roi Foulque, par la rupture de l'alliance franc-damasquine.

 

"Mais ni Francs ni Damasquins ne désiraient élargir le fossé. Tout au contraire, les premiers comme les seconds ne pouvaient que sentir obscurément le besoin de rétablir contre la menace zengide l'entente conclue entre le roi Foulque et Mu'în al-Dîn Unur.

 

Malheureusement, à l'heure où ces vérités s'imposaient,  écrit René grousset, la deuxième croisade allait survenir, qui brouillerait toutes les données de la politique syrienne et à l'esprit colonial, caractérisé par l'alliance damasquine, substituerait une fois encore l'esprit de croisade - au mauvais sens du mot - pour lequel aucune distinction n'existait entre les diverses puissances musulmanes." [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, ibid., p. 222]

La deuxième croisade (1145-1149)

 

Saint Bernard prêche la 2ème croisade. Mais c'est un échec.

Conrad III

En 1144, la perte d'Edesse (1144) prise par l'atabeg de Mossoul, Zengî (1127-1146) est très vivement ressentie en occident et la prédication de Saint Bernard à Vézelay en 1146 pour une croisade limitée aux grands, rencontrant un succès considérable dans toutes les classes de la société, réveille l'esprit de croisade : deux armées se constituent sous la direction de l'empereur Conrad III de Hohenstaufen et du roi Louis VII. L'armée française et l'armée allemande comprennent chacune environ 70 000 hommes. Elles empruntent un itiniraire terrestre, qui suit la route de Godefroi de Bouillon par le Danube, la Serbie, la Thrace et Constantinople, les premiers précédant de quelques étapes les seconds, ce qui ne suffit pas à éviter les propos aigres-doux entre arrières-gardes allemandes et avant-gardes françaises. Odon de Deuil qui accompagnait Louis VII nous peint les croisés allemands comme des pillards et des ivrognes qui prétendaient toujours se servir les premiers. Le chroniqueur byzantin Kinnamos nous rapporte les plaisanteries des Français sur la lourdeur germanique : "Pousse, Allemand!" Conrad III allait en concevoir une vive animosité contre les Français. [René GROUSSET, de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 223-224]

 

Quant aux Byzantins, leurs rapports avec les croisés furent encore plus mauvais qu'au temps de Bohémond. les rixes se multiplièrent et Conrad III, irrité, songea un instant à donner l'assaut à Constantinople. "Il est vrai, écrit René Grousset, que l'empereur byzantin Manuel Comnène trahissait la chrétienté. En guerre quelques mois plus tôt avec les Turcs d'Asie mineure, il s'était, à l'approche de la croisade, hâté de conclure la paix avec eux et il n'allait cesser par la suite de les exciter en sous main contre les croisés.

 

Une fois en Asie Mineure, Conrad III continua à suivre l'ancien itinéraire de Godefroi de Bouillon en vue de la traversée de la péninsule en diagonale, du nord-ouest au sud-est. Mais à hauteur de Dorylée, le 25 octobre 1147, il fut abandonné pendant la nuit par ses guides byzantins. Le lendemain, il se vit assailli par toute l'armée turque. Les chevaux des Allemands étaient exténués par la marche et la soif, les chevaliers étouffaient sous leur lourde armure, tandis que les légers escadrons turcs, tourbillonnant autour d'eux sans accepter le corps à corps, les criblaient de flèches à distance. Conrad III, découragé, donna l'ordre de la retraite, talonné jusqu'à la frontière byzantine par les Turcs qui lui firent subir des pertes énormes. Quand il regagna Nicée, vers le 2 novembre, il ne lui restait pas le quart de son armée.

 

Pendant ce temps le roi de France Louis VII était arrivé le 4 octobre à Constantinople. Parti de Metz en juin 1147, il avait pendant la traversée de l'empire byzantin subi les mêmes avanies que Conrad. Comme Conrad, écrit René Grousset, et en dépit de l'accueil flatteur que lui réserva personnellement Manuel Comnène, il songea, ou plutôt on songea dans son entourage à tenter un coup de main sur Constantinople. Il eut la sagesse d'écarter cette suggestion et à la fin d'octobre passa en Asie avec son armée. Ce fut là, près de Nicée, qu'il apprit le désastre survenu à la croisade allemande dont il recueillit les débris avant d'aller plus loin.

 

La bataille du défilé de Pisidie, bataille du Mont Cadmos, ou bataille de Laodicée (6 janvier 1148)

 

Pour traverser les gorges de la Pisidie (Baba dagh ou Kadmos, contreforts du Kestel dagh, vallée du Gebren Tshaï, région d'Istanoz), tandis que les bandes turques étaient assurées de la complicité des gouverneurs byzantins et guettaient les Francs à chaque gorge, Louis VII avait donné aux siens les ordres de marche les plus stricts, mais le chef de son avant-garde perdit le contact; les Turcs, à l'affût sur les hauteurs voisines, se jetèrent aussitôt dans l'intervalle, et l'armée se trouva coupée en deux tronçons. Les Français, obligés de livrer combat dans des conditions exceptionnellement défavorables, au milieu des gorges ou à flanc de montagne, parmi les précipices, éprouvèrent de très lourdes pertes. Guillaume de Tyr ne cite que quatre barons tués dont Gaucher de Montjoie et Évrard de Breteuil, mais il est certain que nombreux furent ceux qui tombèrent sous les flèches des Turcs ou roulèrent dans les précipices.

Louis VII, un moment isolé de son escorte et poursuivi par un parti de Turcs, réussit, en s'accrochant aux branches basses d'un arbre, à se hisser sur un rocher surplombant d'où il tint tête à l'ennemi. La chronique nous le montre fauchant de son épée rouge de sang les têtes et les mains de ses assaillants qui, découragés, finirent par abandonner la partie.

La nuit venue, après avoir fait des prodiges de valeur, le roi profita de l'obscurité pour rejoindre l'avant-garde de son armée, où déjà on le croyait mort. Cette surprise de montagne, écrit René Grousset, pour meurtrière qu'elle ait été, inspira aux Turcs un respect salutaire pour la bravoure de l'armée capétienne qui put descendre sans incident jusqu'au port d'Adalia (20 janvier 1148). 

Le roi de France doit abandonner les non-combattants et s’embarquer pour Antioche avec ses chevaliers. Les mauvais rapports entre les croisés et Byzance et entre les croisés eux-mêmes ont réduit de trois-quarts les forces de la croisade. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 161-162; et R. Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 235-240]

Louis VII de France dans les défilés de Laodicée en Syrie (1840, Antoine Félix Boisselie), Chateau de Versailles, Salle des croisades

Louis VII de France dans les défilés de Laodicée en Syrie (1840, Antoine Félix Boisselie), Chateau de Versailles, Salle des croisades

En 1148, ce sont finalement de maigres contingents qui parviennent jusqu'en Terre sainte. Et sur place les Francs sont divisés sur les objectifs à atteindre.

 

Le prince d'Antioche, Raymond de Poitiers, conseille d'attaquer Alep puis Édesse. Louis VII souhaite se rendre à Jérusalem. Par un scrupule religieux mal compris, il crut devoir refuser son concours à Raymond de Poitiers. L'arrivée du roi de France avec une armée, il est vrai, réduite, mais ayant conservé ses éléments militaires utiles - barons, chevaliers et sergents montés, débarrassés de la cohue des pèlerins - constituait une occasion unique de briser dans l'oeuf l'état syro-musulman. La chevalerie française était là, à pied d'oeuvre. D'Antioche, où elle se refaisait de ses fatigues anatoliennes, une chevaucée la conduirait sous les remparts de la capitale syro-musulmane, Alep, où la population était déjà frappée de terreur. Raymond n'avait pas à douter du succès. Comme le remarque avec regret Guillaume de Tyr, meilleur juge des évènements que les chroniqueurs de France, ces conquêtes, qui eussent changé la face de la Syrie et le cours de l'histoire, étaient faciles à réaliser si Louis VII avait profité de l'effet de surprise causé par son arrivée.

 

 

Le roi Louis VII part en croisade

 

Après avoir essayé plusieurs fois de convaincre le roi et les principaux barons français de ces vérités d'évidence, Raymond fit une dernière tentative en public auprès de Louis VII entouré de sa cour. Il démontra une fois de plus que la conquête d'Alep et la destruction du royaume zengide vaudraient au capétien une gloire immortelle en même temps qu'elles sauveraient la Syrie franque. Mais Louis VII répondit qu'il n'avait pris la Croix que pour faire le pèlerinage au Saint-Sépulcre et aller défendre Jérusalem - comme si, en cette année 1148, la défense de Jérusalem avait été" sur le Jourdain et non sur l'Euphrate et l'Oronte ! Une totale absence de sens politique, une méconnaissance entière des nécessités locales détournaient l'armée royale de son but et la croisade de sa raison d'être.

 

Louis VII fut reçu à Jérusalem avec la joie qu'on devin Ces assises de la croisade se réunirent à Acre au mois de juin 1148 (24 juin). Jamais on n'avait vu en Orient telle assemblée. Un empreur d'Allemagne et un roi de France y voisinaient avec le roi de Jérusalem. Jamais assemblée aussi imposante ne s'était réunie en Terre sainte. De sa décision pouvait dépendre l'affermissement définitif des établissements latins. Il suffisait pour cela de se rappeler d'où tous les coups étaient partis, d'évoquer la chute d'Édesse, et d'Artésie. Malheureusement, l'Assemblée d'Acre était uniquement hiérosolymitaine. Aucun représentant d'Antioche ni même de Tripoli. L'ascension de la puissance zengide fut totalement oubliée. À en croire Guillaume de Tyr, personne n'aurait seulement évoqué le nom de Nûr al-Dîn. Tout au contraire, on décida d'aller attaquer l'allié naturel des Francs, le vieil ami du roi Foulque, Mu'în-al-Dîn Unur, régent de Damas, utile contrepoids à la puissance montante de Nûr al-Dîn. (23-28 juillet 1148) C'était l'aggravation de l'expédition du Haurân.

 

 

L'échec de l'attaque contre Damas

 

Portrait de Nur al-Dîn

Le vieux vizir de Damas Mu'în al-Dîn Unur n'avait pu faire autrement que d'appeler à l'aider les deux princes znegides, Saïf al-Dîn Ghâzî, atâbeg de Mossoul, et Nûr al-Dîn, atâbeg d'Alep. C'étaient comme jadis Zengî lui-même, les ennemis nés de la dynastie bouride et de l'indépendance damasquine, et le prudent Unur ne l'ignorait pas. Eux non pkus, du reste, car, s'ils se mirent aussitôt en route, joyeux de l'occasion, ils s'arrêtèrent à Homs et posèrent leurs conditions: obtenir leur aide effective, Unur devait accepter au préalable l'entrée àD amas d'un corps d'armée zengide qui prendrait psosession de la citadelle ! En réalité, il est clair qu'une fois l'armée zengide en possession de la forteresse, il serait impossible dobtenir son départ et que la dynastie bouride, comme l'indépendance damasquine, aurait vécu. Unur ne fut pas dupe. Prudemment il différa sa réponse, mais se servit de la menace zengide pour intimider les Francs. Quel beau résultat pour la Croisade que de provoquer l'entrée des fils de Zengî à Damas, c'est-à-dire l'unification de toute la Syrie musulmane sous une dynastie nouvelle et entreprenante, éventualité catastrophique que toute la politique du vieux Foulque s'était employée à écarter !

 

Il était déjà regrettable que la deuxième croisade ait, dès ses premiers pas manqué à sa raison d'être en refusant d'aller attaquer Alep et l'empire zengide. C'eût été un comble qu'elle achevât, en jetant Damas dans les bras des Zengides de faire l'unité de la Syrie musulmane sous le sceptre de Nûr al-Dîn !

 

Menacée d'être prise à revers par une attaque de Nûr al-Dîn et ne trouvant plus à se ravitailler, il ne restait plus à l'armée chrétienne de parti que la retraite. Louis VII et Conrad III s'y résignèrent. Les Francs et les croisés s'accusent réciproquement de la défaite et quittent la Palestine sans autre résultat que de renforcer Nour ad-Din à qui la prise de Damas permit de faire à son profit l'unité de la Syrie musulmane (1154).

 

Conrad III se rembarqua le 8 septembre 1148 à St Jean d'Acre. Louis VII, lui, s'attarda en Palestine plus de six mois jusqu'aux fêtes de Pâques 1149.

 

Sanction de l'échec de la deuxième croisade: la frontière franque reportée de l'Euphrate à l'Oronte

 

L'atâbeg Nur el-Dîn reprit le cours de ses conquêtes. Le 29 juin 1149, il vainquit et tua le prince d'Antioche, Raymond de Poitiers, à la bataille de Fons Murez (ou Maarratha), village situé à 5 km au sud-est de Nepa-Inab.  

 

La bataille de Fons Murez

 

En mai 1149, il vint ravager le territoire de Hârim (Harenc), forteresse située sur la rive oritenatle de l'Oronte, à une quinzaine de kilomètres à l'est du Pont de Fer (Jisr- al Hâdid). Nür al-Dîn sollicita et obtint le concours du vizir de Damas, Unur, qui lui envoya un corps de troupes ous l'émir Buzân - triste conséquence de la folle rupture de l'alliance franc-damasquine par la Deuxième croisade. Raymond de Poitiers convoqua l'armée d'Antioche, mais sans attendre le rassemblement de tous ses barons, il partit en avant-garde avec ce qu'il avait pu rassembler dans on entourage immédiat. Abû Shâma nous dit qu'il avait seulement avec lui, contre les 6000 cavaliers de Nûr al-Dîn, 400 cavaliers et 1000 fantassins. Cette folle chevauchée qui rappelait la dernière expédition du prince Roger, de tragique mémoire, sembla d'abord réussir. Nûr alo-Dîn, croyant avoir  affaire à l'ensemble des forces franques, leva le siège de Nepa.

 

La témérité de Raymond de Poitiers s'accrut de ce succès. Il vint avec sa petite troupe camper en rase campagne à Fons Muratus ou Fons Murez, ou (ou Maarratha), village situé à 5 km au sud-est de Nepa-Inab.

D'après Michel le Syrien, des conseils de prudence furent vainement prodigués au prince d'Antioche par un chef ismâîlien qui, avec ses fidèles, était passé du service de Nûr al-Dîn à celui des Francs. Mais lui méprisa son conseil et, sans intelligence, il donna au milieu des Turcs.

Sûr de sa supériorité numérique, Nûr al-Dîn fit mouvement durant la nuit et cerna la position franque. De nouveau, le chef ismâîlien conseilla à Raymond de se sauve ren abandonnant son armée. Avec noblesse le prince d'Antioche refusa. Quand le jour se leva, Raymond de Poitiers, entouré de masses ennemies, se vit perdu. Éternelle histoire de ces paladins qui, de Roger de Salerne (bataille du Champ du Sang 1119) à Renaud de Châtillon, finiront, à force de témérités insensées, par perdre l'État franc de la Syrie du Nord. Comme eux tous, Raymond de Poitiers, l'irréparable une fois commis, sut mourir noblement. Le récit de l'Éracles, prend de nouveau ici une allure d'épopée. Le prince d'Antioche, ce lion vigoureux, fut tué. Nûr al-Dîn envoya la tête et le bras droit de Raymond au calife de Bagdad. La ville d'Antioche, surprise par cette brusque invasion, fut sur le point d'être emportée.

 

Puis Nûr al-Dîn enleva à la principauté d'Antioche les dernières places qu'elle possédait encore à l'est de l'Oronte, notamment Hârim et Apamée. Antioche elle-même ne fut sauvée que par l'énergie du patriarche Aymeri de Limoges et surtout grâce à la prompte arrivée du jeune roi Baudouin III (il n'avait encore que dix-huit ans), accouru de Jérusalem avec sa chevalerie.

 

Les places du nord (comté d'Edesse) comme Turbessel et Aïntab, trop exposées pour être défendues, furent vendues aux Byzantins, leurs populations arménienne évacuées, au cours d'une retraite mémorable où Baudouin III, rééditant la retraite d'Hauran trois ans plus tôt, fit l'admiration de tous par sa bravoure, et ses qualités de chef lors de la retraite de Aintâb, d'août 1150. La discipline et l'extraordinaire sang-froid du jeune Baudouin permirent de ramener les émigrants sains et saufs à Antioche, dont le convoi, étroitement encadré par les chevaliers, ne subit aucun dommage. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 167]

 

Avec la liquidation du comté d'Edesse, la Syrie franque devait se résigner à reporter ses frontières derrière l'Oronte, heureuse si Nûr al-Dîn ne les franchissait pas et désormais condamnée à la défensive. [René Grousset, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, ibid., p. 262-296]

 

Enfin, le 25 avril 1154, Nûr al-Dîn fit son entrée dans Damas, dépossédant la dynastie locale et annexant le pays: de l'Euphrate au Hauran la Syrie musulmane était unifiée et entre les mains d'un homme fort. 

 

Selon les chroniqueurs, les chevaliers de la deuxième croisade se sont contentés d'un culte extérieur sans incidence aucune sur leurs dispositions profondes. leur foi ne pouvait qu'être défaillante. C'est pourquoi ils se sont trop fiés à leur propre puissance. Une telle arrogance leur a été fatale. Elle leur a valu la punition divine, selon les Annales rédigées en Hollande par les moines d'Egmond : "Ils mettaient leur confiance, non pas dans le Seigneur, mais dans leur propre forces. ... Ils firent vite de comprendre que 'l'homme ne triomphera pas par sa vigueur, mais que ses ennemis seront brisés par le Seigneur.' (I S, 2: 9-10).  [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 78].

 

En Angleterre, Jean de Forde écrit: "Dieu abandonna les faux pèlerins, rase les crânes des orgueilleux et remplit de honte les grands du monde, parce qu'ils ne cherchaient pas le Seigneur de façon authentique, mais qu'ils jalonnaient d'idoles leur pèlerinage."

 

À l'époque où se préparait la croisade, le saint ermite Wulfric († 1154), ajoute Jean, aurait eu la vision de sa catastrophe finale "pour la confusion des orgueilleux." (III, 28) [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 81].

 

Les historiens actuels avancent des raisons de nature politique ou militaire pour expliquer l'échec de la deuxième croisade. Ils avancent entre autres la coordination déficiente des armées de Louis VII et de Conrad III, le ralentissement de la troupe par la foule de pèlerins sans armes, vieillards, femmes et enfants compris, les difficultés du ravitaillement qui en découlent, le timide soutien de l'empereur byzantin Manuel Comnène ou la fin de l'effet de surprise de la première croisade auprès des Turcs, qui savent désormais riposter par des choix tactiques mieux adaptés. [Synthèse récente: Philipps, The Second Crusade: Extending the Frontiers of christendom, 2007 in Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 70].

 

En 1158, Baudouin III se maria avec la princesse Theodora, nièce de l'empereur Manuel Comnène. Lui, jusque-là si volage, l'aima dès lors uniquement jusqu'à sa mort.

 

Mort de Baudouin III, enluminure XIIIe s.

Baudouin III mourut à Beyrouth le 10 janvier 1162, à peine âgé de trente-trois ans, sans doute empoisonné par son médecin. Les gens de la montagne descendaient en foule pour saluer une dernière fois le cercueil; les Arabes eux-mêmes s'inclinaient devant celui qui avait toujours été pour eux un maître juste ou un adversaire chevaleresque. ceux qui proposaient à Nûr al-Dîn de profiter des circonstances pour attaquer les Francs, le grand atâbeg répondit noblement qu'il se ferait un scrupule de troubler le deuil d'un si vaillant guerrier. Ce salut d'un ennemi loyal accompagne Baudouin III dans sa tombe. Le quatrième roi de Jérusalem disparaît à la fleur de l'âge, sans une faute politique, sans une tache. Il avait partout fait reculer Nûr al-Dîn. Il quittait la vie, pleuré des musulmans comme des siens.

 

Couronnement d'Amaury Ier

N'ayant pas laissé d'enfant, son frère Amaury Ier lui succéda (1162). Initialement élective, la couronne du royaume de Jérusalem est devenue héréditaire. Contrairement à son frère Baudouin III, Amaury Ier se montra terriblement porté à la luxure et Guillaume de Tyr gémit sur le nombre des ses adultères.

 

L'Égypte

 

Au nord-est et à l'est, la constitution du grand royaume turco-arabe de Nour ed-Dîn barrait désormais toute possibilité d'expansion. En revanche, les nouvelles arrivant du Caire montraient que la décadence de la dynastie et du régime fâtimides était devenue irrémédiable. Ce n'étaient que tragédies du sérail, conspirations de palais et révolutions de caserne, parmi les intrigues de la Cour peut-être la plus corrompue qui fût jamais. Devant un tel spectacle Amaury Ier (1162-1174) comprit qu'une nouvelle phase de l'histoire des croisades venait de s'ouvrir. Les tentatives franques vers Alep et Damas étaient à jamais terminées. L'ère des croisades vers l'Égypte commençait, et devançant Jean de Brienne (1210-1225) et Louis IX, Amaury orienta l'expansion franque vers la vallée du Nil. L'Égypte allait-elle devenir une dépendance du royaume syrien musulman de Nour ed-Dîn ou un protectorat franc ?

 

Ce fut tout d'abord le protectorat de Nour-ed Dîn qui fut sollicité. L'ancien  vizir égyptien Châwer, chassé par son compétiteur Dirghâm, se réfugia en Syrie musulmane et implora de l'atâbeg l'envoi d'un corps expéditionnaire pour le restaurer dans le vizirat. En avril 1164, Nour ed Dîn chargea de cette mission son meilleur général l'émir kurde Chîrkouh, l'oncle de Saladin. En mai 1164, Chîrkouh apparaissait devant Le Caire, battait Dirghâm qui fut tué dans sa fuite, et réinstallait Châwer dans le vizirat. Mais entre les deux alliés l'accord ne dura guère. La protection de Chrikouh parut bientôt importune à Châwer. Le lieutenant de Nour ed-Dîn ne parlait plus de quitter l''Égypte. Et pour prix du service rendu, il exigeait une contribution de guerre, des provinces entières, s'éternisait dans le pays à la tête de son armée, se conduisait en maître. Excédé de son attitude Châwer n'hésita pas à faire appel aux Francs. Or, à l'appel de Châwer, Amaury Ier accourut. À son approche, Chîrkouh évacua la région du Caire pour s'enfermer dans la place de Bilbeïs. Il y fut assiégé par les forces réunies d'Amaury et de Châwer et se trouvait en assez fâcheuse posture, quand le roi de Jérusalem reçut une mauvaise nouvelle de Syrie: en l'absence de l'armée franque, Nour ed-Dîn avait enlevé la forteresse de Hârim à la principauté d'Antioche et la place frontière de Paneas ou Bâniyâs (août et octobre 1164). Amaury proposa à Chîrkouh d'évacuer l'Égypte, si Chîrkouh lui-même en faisait autant. Chîrkouh qui était à bout de ressources s'estima heureux d'accepter ces conditions. Les deux corps expéditionnaires rentrèrent simultanément en Syrie, tandis que Châwer restait paisible possesseur du pays (novembre 1164). Amaury avait empêché la vassalisation de l'Égypte par les gens de Nour ed-Dîn. C'est ce que ne manquait pas de se dire Chîrkou. De plus, aux yeux de musulmans sunnites orthodoxes comme Chîrkouh et Nour ed-Dîn, la doctrine musulmane chiite, que professaient les califes fâtimides n'était-elle pas une pure hérésie ? Le zèle confessionnel venait ainsi renforcer l'intérêt politique, et ce fut pour toutes ces raisons qu'en janvier 1167 Nour ed-Dîn chargea Chîrkouh d'entreprendre une nouvelle campagne pour la conquête de la vallée du Nil. Châwer, épouvanté, fit pour la seconde fois appel aux Francs. Chîrkouh avait déjà couvert avec son armée la distance qui sépare Damas du Caire. Mais Amaury avec l'armée franque arriva presque sur ses talons (février 1167). Châwer reçut comme un sauveur le roi de Jérusalem.

Amaury réunit à Naplouse le parlement des barons palestiniens et leur exposa la situation : si Nour ed-Dîn, déjà maître de toute la Syrie musulmane, mettait en outre la main sur l'Égypte, c'était l'encerclement et bientôt la ruine de la Syrie franque.

Pour sceller l'alliance avec ses amis francs, Châwer fit recevoir en audience par son maître le calife fâtimide, une ambassade du roi Amaury, conduite par Hugue de Césarée. Guillaume de Tyr nous décrit l'étonnement du baron latin pendant la traversée de ce palais des Mille et une nuits. "Ils traversèrent des galeries aux colonnes de marbre, toutes lambrissées d'or; ils longèrent des bassins de marbre remplis d'eau courante; ils entendaient les gazouillis d'une multitude d'oiseaux exotiques aux couleurs merveilleuses. [...] Un rideau tissé d'or, alourdi de pierreries, fut tiré et le calife apparut sur son trône d'or, vêtu d'un costume d'une richesse inouïe."

 

La bataille de Babeïn (18 mars 1167)

 

"Saladin rex Aegypti", manuscrit du xve siècle

Au centre les Francs, sous Amaury en personne, enfoncèrent l'ennemi, mais ils eurent le tort de se laisser entraîner beaucoup trop loin à la poursuite des fuyards. Quand ils furent de retour sur le champ de bataille, il s'aperçurent qu'à leur aile gauche Chîrkouh avait dispersé l'armée égyptienne malgré les éléments de soutien dont Amaury avait pris soin de la renforcer. le soir tombait. Les détachements rompus de l'armée franco-égyptienne se cherchaient à travers le moutonnement des dunes. Amaury, pour les rassembler, fit dresser sa bannière sur un tertre qui dominait le paysage. Quand il eut regroupé ses gens, ils les forma en colonne serrée et, au pas, marcha droit sur l'armée de Chîrkouh qui essayait de lui barrer la route du Nil. Chîrkouh n'osa pas recommencer le combat: il laissa le passage libre. Plus éprouvé que les Francs, il ne chercha même pas à les devancer sur le chemin du Caire, mais tandis que ceux-ci redescendaient vers la capitale égyptienne, il courut, lui, par un trait de grand capitaine, s'emparer d'Alexandrie, qui lui donnait une base solide en Égypte.

Amaury et Châwer vinrent aussitôt faire le blocus de la grande place maritime. Devant la disette qui en résulta, Chîrkouh résolut de confier la défense d'Alexandrie à son neveu, le jeune Saladin (1138-1193). Il sortit nuitamment de la ville et proposa la paix à Châwer, lui proposant de rendre Alexandrie et de rentrer en Syrie à condition qu'Amaury en fît autant. L'accord fut conclu sur ces bases (août 1167). Il donna lieu devant Alexandrie à des scènes de fraternisation pittoresque entre assiégés et assiégeants de la veille, les habitants venant avec curiosité visiter le camp des Francs où on les accueillit de bonne grâce. Réciproquement les soldats francs eurent licence d'aller en toute liberté se promener à travers la ville. Saladin rendit courtoisement visite à Amaury, dont il fut l'hôte pendant plusieurs jours. Châwer et ses amis, une fois maîtres d'Alexandrie, se mettant  à exercer leur vengeance sur ceux des habitants qui pendant le siège s'étaient montrés dévoués à Saladin, ce dernier fit appel à l'intervention d'Amaury, et le roi de Jérusalem, chevaleresquement, obtint de ses alliés une pleine amnistie pour toute la population. À la demande de Saladin, Amaury fournit même des vaisseaux pour ramener en Syrie les blessés de l'armée de Chîrkou, qui avec le reste de ses troupes reprit par voie de terre le chemin de Damas. Plus encore que la première fois, il était inconsolable d'avoir manqué de si près la conquête de l'Égypte. Au contraire, Amaury qui l'en avait empêché rentra à Jérusalem en triomphateur. Non seulement il avait sauvé l'indépendance égyptienne et arrêté l'unification du monde musulman, mais encore le gouvernement du Caire, pour le remercier de son intervention et s'assurer de son appui ultérieur, avait consenti à lui verser un tribut annuel de cent mille pièces d'or. En cet automne de l'an 1167 un véritable protectorat franc, librement accepté et même sollicité, venait de s'établir en Égypte.

 

Mariage de Marie Comnène et Amaury Ier de Jérusalem.

Pour consolider ce magnifique résultat, Amaury résolut de resserrer l'alliance franco-byzantine. À l'exemple de son prédécesseur Baudouin III, il demanda la main d'une princesse impériale. L'empereur Manuel lui accorda sa petite-nièce, Marie Comnène, qui débarqua à Tyr en août 1667 et dont les noces furent célébrées à Jérusalem le 29 du même mois.

 

Or, la cour de Constantinople ayant suivi la dernière campagne d'Amaury en Égypte en conclut que rien ne serait plus facile aux chrétiens que de s'emparer du pays.. Dès 1168, elle proposa au roi une expédition commune dans ce dessein. Guillaume de Tyr fut l'ambassadeur auprès de Manuel Comnène. Il fut entendu que l'année suivante les forces byzantines viendraient opérer leur jonction avec celles du roi de Jérusalem pour entreprendre la conquête du Delta. Il n'était pas sûr qu'une telle expédition dans l'état du monde musulman fût préférable au protectorat franc, écrit René Grousset, tel qu'il fonctionnait déjà en Égypte. C'était peut-être lâcher la proie pour l'ombre. Au moins fallait-il attendre ce concours. Par une erreur fatale, les Francs, dès octobre 1168, décidèrent d'opérer seuls. Nous savons que dans le conseil de la couronne les Hospitaliers, une partie des barons et tous les pèlerins fraîchement débarqués se prononcèrent avec violence en ce sens. Amaury combattit longtemps ce point de vue. Il finit malheureusement par se laisser entraîner. Il quitta Ascalon le 20 octobre, arriva devant Bilbeis le 1er novembre et prit la ville d'assaut le 4. Le 13 il apparaissait devant la vielle ville du Caire, Fostât. Châwer prit alors un parti désespérée, le même qu'en 1812 Rostopchine à Moscou. Pour empêcher les Francs de s'installer à Fostât, il mit le feu à la ville. Le roi de Jérusalem pouvait maintenant mesurer toute l'étendue de la faute qu'on lui avait fait commettre. Cette attaque contre son ancien protégé Châwer, attaque qui devant le public, prenait des allures d'une trahison, avait fait l'union de toute la population musulmane contre les Francs. Châwer se trouvait désormais livré sans contrepoids à la tutelle de Nur ed-Dîn.

 

Buste de Saladin à la Citadelle du Caire.

De fait, dès l'annonce de l'agression franque, ce dernier avait chargé Chîrkouh de retourner en Égypte. Le vieux capitaine, qui n'attendait qu'une telle occasion, partit à franc étrier. Le 8 janvier 1169, il fit son entrée au Caire où Châwer feignit de le recevoir avec une joie sans mélange. En réalité, l'inquiet vizir cherchait à recommencer son jeu de bascule et à gagner du temps, mais l'heure des ruses est passée. Le 18 janvier Châwer faisait à cheval une promenade jusqu'à la tombe d'un saint musulman. Saladin, neveu et lieutenant de Chîrkou, lui avait offert de l'accompagner. Les deux hommes chevauchaient côte à côte, lorsque, à l'improviste, Saladin saisit son compagnon de route au collet, le désarçonna et le mit en état d'arrestation. Quelques heures après, le malheureux était décapité et Chîrkouh s'installait à sa place dans les fonctions de vizir. Chîrkou étant décédé deux mois après (23 mars 1169), Saladin lui succéda dans le vizirat. Sous ce titre modeste qui respectait l'autorité théorique des califes-fainéants de la maison fâtimide, le jeune héros kurde sunnite était le maitre de l'Égypte. Ainsi, la néfaste expédition franque de 1168 n'avait abouti qu'à un désastre diplomatique aux conséquences incalculables. Au lieu d'une Égypte vassale, et inoffensive, voici que venait de s'installer à la tête de ce pays un jeune chef dont toute l'histoire ultérieure allait révéler le génie, homme de guerre et homme d'état de premier ordre, la plus forte personnalité qu'ait produite la société musulmane pendant toute l'époque des croisades. Et maître de l'Égypte, Saladin continuait à s'y considérer comme le lieutenant de Nour ed-Dîn. L'unité musulmane était ainsi refaite de l'Euphrate à la Nubie. Si on voulait empêcher l'étouffement de la Syrie franque, il fallait à tout prix faire cesser cette situation avant qu'elle ait eu le temps de se consolider. 

 

Saladin en profita pour venir menacer le royaume de Jérusalem du côté de Gaza, tandis que Nour ed-Dîn insultait la grande forteresse franque du crac de Moab. Saladin supprima en septembre 1171 le califat fâtimide du Caire, fit cesser le grand schisme religieux qui divisait l'islam depuis deux siècles, éteignit l'hérésie. Mais désormais, entre le nouveau roi d'Égypte en fait, sinon en titre et Nour ed-Dîn qui continuait à le traiter en simple lieutenant, les rapports ne tardèrent pas à se gâter. Sa foudroyante ascension commençait à porter de l'ombre au vieil atâbeg qui songeait sérieusement à organiser contre le général rebelle une expédition punitive. Saladin, informé de ces intentions, ménageait maintenant les Francs. Quand Nour ed-Dîn l'invitait à collaborer contre eux à une offensive commune, il se dérobait: le royaume de Jérusalem apparaissait au nouveau maître de l'Égypte un État-tampon providentiel contre la vengeance de Nour ed-Dîn. Ces possibilités s'élargirent encore, quand, le 15 mai 1174, Nour ed-Dîn mourut à Damas, en ne laissant comme héritier qu'un enfant de onze ans, Mélik es-Salih. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 184-185; 188-198] 

 

En 1173, le sheik des Ismaîliens auraient, d'après Guillaume de Tyr, manifesté l'intention d'abjurer l'islam et de se convertir avec tout son peuple à la foi chrétienne. Assertion entièrement invraisemblable, écrit René Grousset, surtout si l'on songe que depuis 1169 ce sheik n'était autre que le célèbre Râshid al-Dîn Sinân de Bassora qui devait donner aux Ismaîliens de Syrie leur organisation terroriste. Ce qui est beaucoup plus plausible, c'est que devant la menace que constituaient pour eux la destruction du califat fâtimide et le triomphe de l'orthodoxie sunnite, Sinân et ses affiliés éprouvèrent le besoin de s'appuyer sur les Francs. Comme condition d'un accord contre Nur ed-Dîn, ils demandaient à être affranchis du tribut de 2000 besans que les Templiers établis au sud-ouest de leur territoire, dans la région de Tortose, leur avaient imposé. Amaury accueillit avec grande joie le message du Vieux de la Montagne. La redoutable secte, avec sa discipline de fer et les intelligences secrètes qu'elle possédait dans tout l'Islam, pouvait rendre aux Francs d'inestimables services. Amaury Ier, à qui on a si souvent adressé le reproche de'avarice, n'hésitait donc pas à dédommager de sa cassette les Templiers, tellement il estimait que la renonciation au tribut payé par les Ismaîliens ne pouvait entrer en ligne de compte avec l'immense bénéfice constitué par leur étroite alliance. Amaury avait compté sans les Templiers. Ceux-ci, ennemis jurés des Ismaîliens, résolurent d'empêcher à tout prix le rapprochement. À l'instigation de l'Ordre, l'un d'entre eux, Gautier du Mesnil assaillit et massacra les ambassadeurs ismaîliens au moment où ceux-ci rapportaient au grand maître la réponse favorable du roi. La colère d'Amaury fut terrible. Sur-le-champ on envoya à Eude de Saint-Amand, grand-maître du Temple, deux commissaires, Séhier de Maimendon et Godechaux de Turout, avec ordre de livrer immédiatement le meurtrier. le grand maître refusa. Se plaçant sur un pied d'indépendance à l'égard de la couronne, le Grand Maître ajoutait que nul ne toucherait au templier coupable. Cette tendance des Ordres militaires à s'ériger en États dans l'État était évidemment incompatible avec l'institution monarchique. Un jour viendra, après 1187, où, le pouvoir royal brisé, la royauté étant devenue élective et internationale, l'insubordination du Temple et de l'Hôpital sera une des causes de ruine de la Syrie franque. Amaury se rendit séance tenante à Sidon où résidaient pour lors le Grand Maître et son chapitre, fit assaillir par ses chevaliers l'hôtel du Temple et s'empara par la force du Templier criminel qu'il jeta dans un cachot à Tyr. Quant aux Templiers, l'Estoire d'Eracles nous laisse supposer que si Amaury avait vécu, il aurait entrepris une action auprès du Pape et des chefs de l'Occident pour faire expulser et dissoudre l'Ordre. Amaury Ier devançant de cent trente-cinq ans l'acte de Philippe le Bel !, écrit René Grousset. Notons seulement que si une telle mesure avait été effectivement prise en 1174, treize ans plus tard le désastre de Hattîn et la chute du royaume de Jérusalem auraient sans doute été évités. [René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 570-573]

 

Cependant, le roi de Jérusalem pouvait soit se constituer le protecteur du fils de Nour ed-Dîn contre les convoitises de Saladin, soit partager avec ce dernier la Syrie musulmane. La dissolution de l'empire de Nur ed-Dîn permettait au roi Amaury de revenir à la traditionnelle entente franco-damasquine, c'est-à-dire à la politique de son père, le roi Foulque. Amaury agitait ces pensées quand le mauvais destin de la Syrie franque vint l'arrêter en pleine action. Le 11 juillet 1174, il fut emporté par le typhus à Jérusalem à l'âge de trente-neuf ans. La mort de ce grand roi à un tel moment était un désastre dont l'État franc de Syrie ne devait pas se relever.[René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 184-185; 188-198; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187, ibid., p. 577-578]

 

La mort d'Amaury laissait le champ libre à Saladin. Celui-ci en profita pour régler à sa guise la succession de Nour ed-Dîn. Le 25 novembre 1174, il se présenta devant Damas, y fit son entrée sans rencontrer de résistance et annexa la grande ville. Homs et Hamâ eurent le même sort. À l'exception d'Alep qu'il laissa jusqu'en 1183 aux faibles héritiers de Nour ed-Dîn, il était maître de la Syrie musulmane comme de l'Égypte. Le royaume franc de Jérusalem se voyait du jour au lendemain désormais encerclé par une puissante monarchie militaire. Et pour recueillir sa succession, Amaury ne laissait qu'un fils de treize ans, le jeune Baudouin IV. Il fut sans difficulté reconnu roi et sacré dans les trois jours au Saint-Sépulcre. L'adolescent, sur qui en ces heures graves reposaient les destinées de la France d'Outre-Mer, s'annonçait comme l'un des plus brillants représentants de cette dynastie d'Anjou qui en Occident s'épanouissait alors dans les Plantagenêt.

 

C'était nous dit Guillaume de Tyr, un enfant charmant et remarquablement doué, beau, vif, ouvert, agile aux exercices du corps, déjà parfait cavalier. D'une grande rapidité d'esprit et d'une excellente mémoire ("jamais il n'oublia une insulte et moins encore un bienfait"), il nous apparaît comme le plus cultivé des princes de sa famille. Dès l'âge de neuf ans on lui avait donné pour précepteur le futur archevêque Guillaume de Tyr, humaniste et arabisant, historien et homme d'État, qui allait par la suite devenir son chancelier, et nous savons par le témoignage du maître que l'élève profitait admirablement de ses leçons, notamment dans les lettres latines et dans l'étude de l'histoire, qui le passionnait.

 

Mais dès les premières lignes du portrait ému que Guillaume de Tyr trace ainsi de son royal élève, on sent percer une profonde tristesse. Cet enfant si beau, si sage et déjà si cultivé était secrètement atteint du mal horrible qui lui valut son surnom de Baudouin le Lépreux. Guillaume nous raconte comment on s'aperçut du malheur, un jour que le jeune prince jouait avec d'autres enfants, fils des barons de Jérusalem. "Il arrivait que dans l'ardeur du jeu ils s'égratignaient les mains, et alors les autres enfants criaient. Seul le petit Baudouin ne se plaignait pas. Guillaume s'en étonna. L'enfant répondit qu'il ne sentait rien. On s'aperçut alors que son épiderme était réellement insensible. On le confia aux mires, mais leur art se révéla impuissant à le guérir. "C'étaient bien les premiers symptômes de la terrible maladie qui, d'années en année, devait faire de cet adolescent plein de vaillance un cadavre vivant.

 

Le règne du malheureux jeune homme, de 1174 à 1185 - avènement à treize ans, décès à vingt-quatre - ne devait donc finalement être qu'une lente agonie, mais une agonie à cheval, face à l'ennemi, toute raidie dans le sentiment de la dignité royale, du devoir chrétien et des responsabilités de la couronne en ces heures tragiques où au drame du roi répondait le drame du royaume. Et quand le mal empirera, quand le Lépreux ne pourra plus monter en selle, il se fera encore porter en civière sur le champ de bataille et l'apparition de ce moribond sur cette civière mettra en fuite les Musulmans.

Non moins clairvoyant au conseil, si les barons avaient toujours écouté sa précoce sagesse, bien des catastrophes eussent été évitées. Mais en raison de son état, il fut trop souvent obligé, même parvenu à l'âge d'homme, de remettre le pouvoir entre leurs mains, ou plutôt d'assister à leurs querelles sans réussir à leur imposer son royal arbitrage. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 199-201; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187, ibid., p. 579]

 

Représentation médiévale du couronnement de Baudouin

De la deuxième à la troisième croisade

 

"En 1160, Renaud de Châtillon écumant la Syrie de ses brigandages fut fait prisonnier et conduit à Alep où il devait passer seize années de captivité.

 

"Lorsqu'il fut libéré en 1176, bien des changements s'étaient produits dans le royaume de Jérusalem. Et d'abord, sa propre femme, Constance d'Antioche, était morte douze ans auparavant. Renaud, qui ne tenait Antioche que de son fait, ne pouvait plus prétendre à son ancienne principauté; il ne tarda pas à épouser 'la dame du Krak', soit Stéphanie ou Etiennette de Milly, qui lui apportait en dot sa seigneurie lointaine, la terre d'Outre-Jourdain - la transjordanie -, avec les châteaux du Krak de Moab (Kérak) et de Montréal (Chaubak) situés au-delà de la mer Morte et sur le passage des caravanes allant de Damas au Caire. En soi, c'était là une intelligente utilisation du seigneur brigand, que de lui confier ces places lointaines, 'marches-frontières', dont la conservation exigeait un guerrier de valeur; mais son éloignement le rendait aussi dangereux, en le mettant hors de portée de l'autorité royale, et cette indépendance allait avoir de fâcheux résultats." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 132]

 

"Dans le même temps, le roi de Jérusalem, était Baudouin IV (1174-1185, fils d’Amaury), l'enfant lépreux, dont l'héroïsme poussé au sublime maintenait seul le précaire royaume de Jérusalem que menaçaient autant les divisions intérieures (à commencer par ses deux beaux-frères, Guy de Lusignan, puis Onfroy de Toron) que la constitution d'une nouvelle unité musulmane réunissant Égypte et Syrie dans la main d'un héros tel que Saladin." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 132-133]

 

En 1163, "la plus belle et la mieux connue de ces constructions est évidemment le Krak des chevaliers… À plusieurs reprises les forces musulmanes tentèrent de réduire le krak, qui semblait résumer à lui seul la force franque. Déjà le sultan Nouer-el-Din, maître d'Alep et d'Édese, et fort de l'échec de la deuxième croisade, avait essayé de s'en emparer. Il venait d'anéantir les armées du prince d'Antioche Raymond, celle de Jocelin d'Édesse, et marchait de succès en succès lorsqu'il installa son camp devant le krak. La garnison était réduite à des effectifs squelettiques et sa reddition paraissait assurée; or, un jour, sur l'heure de midi, alors que seuls quelques gardes veillaient dans l'écrasante chaleur, les chevaliers surgirent, équipés de pied en cap, et bousculèrent d'un coup, avant même qu'elles fussent revenues de leur surprise, les troupes du Sultan, qu'ils poursuivirent jusque sur les bords du lac de Homs. Ce combat de bosquet qui en 1163 libéra le krak, reste l'un des faits d'armes les plus étonnants des croisades. Saladin lui-même devait plus tard échouer devant le krak." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 185-186]

 

"(Saladin) On l'imagine volontiers sous l'aspect d'un conquérant auréolé par ses victoires, de haute taille et de superbe allure. Or, il était petit et offrait une apparence de fragilité. Il portait une barbe courte et régulière. Il avait un visage pensif. Sa courtoisie était extrême, mais il avait le coeur d'un lion et l'esprit d'un héros. [...] La vieille race kurde donnait en lui ses fruits; son insolente vigueur s'était affinée pour donner un être vraiment supérieur, tirant se force de l'intelligence." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 237-268] "Avec lui l'élément kurde, c'està-dire indo-européen, s'emparait de l'hégémonie dans le monde musulman. [...] Fraîcheur d'un sang nouveau, vigueur de cette race montagnarde des Kurdes que la décadence abbâsside n'avait même pas effleurée et qui, dans un Islam de Bas-Empire, apportaient une réserve d'énergie et comme une sève de jeunesse, sans la sauvagerie de l'élément turc : cet avènement d'une dynastie indo-européenne, diraient les mythologues de l'ethnicisme, d'une famille de highlanders, dirons-nous plus simplement, devait renouveler la face de l'Islam égypto-syrien." René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 511]

 

1177 : La bataille de Montgisard, le plus grand fait d'armes des Francs 

 

Le 18 novembre 1177, c'est la victoire de Montgisard. Saladin est défait par le jeune roi lépreux Baudouin IV, qui n'avait que 17 ans.

 

Les effectifs

 

« Il n'avait sous la main que quatre cents hommes. Ramassant ce qu'il put rallier de gens, il se porta avec la Vraie Croix au-devant de l'envahisseur. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 204-205]

 

« L'armée égyptienne était forte de vingt six mille hommes : huit mille cavaliers d'élite, dont mille habillés de jaune safran formaient la garde personnelle du sultan, et dix-huit mille cavaliers ordinaires. [...] Baudouin ne disposait que de quatre cents chevaliers et d'un millier de fantassins. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 279]

 

« Au témoignage d'Ernoul (Estoire de Eracles), répétons-le, le roi Baudouin IV ne disposait que de cinq cents chevaliers, et encore faut-il comprendre dans ce chiffre les chevaliers de l'Hôpital et du Temple. » [René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 618]

 

« 500 chevaliers contre les 30 000 hommes de l'armée de Saladin à Montgisard » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 98]

 

« 500 chevaliers auxquels se joignirent 80 Templiers (en tout 3000 combattants) contre 30 000 Mamelouks au moins, groupés autour de Saladin... » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 156]

 

« Les Templiers qui formaient la garnison de Gaza furent prévenus à temps et se joignirent à lui. Guillaume de Tyr cite le grand maître du Temple (Eudes de Saint Amand), au premier rang des barons qui accompagnèrent Baudouin IV dans sa chevauchée, qui avec lui quatre-vingt frères à armes, et les princes Baudouin de Rames (=Ramla), seigneur de la terre de Montgisard près de laquelle on se trouvait, et Balian d'Ibelin, son frère, Renaut de Saiete (de Sidon), Jocelin d'Edesse, oncle du roi et sénéchal, comte sans comté. [Mais aussi Renaud de Châtillon (Pierre Aubé, Un croisé contre Saladin, Renaud de Châtillon, Fayard, 2007, p. 162), l'hospitalier Roger de Moulins. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 281]

 

Le lieu : MONTGISARD.

 

La date : le vendredi 18 novembre 1177.

 

« Sur ces entrefaites débarqua en Palestine avec une imposante escorte un croisé illustre, le comte de Flandre Philippe d'Alsace. Depuis Robert II, le héros de la première croisade, jusqu'à Thierry d'Alsace, la Flandre avait joué un rôle magnifique dans l'histoire de la Syrie franque. Justement, à cette heure, l'empereur byzantin Manuel Comnène, exécutant les promesses faites au feu roi Amaury, annonçait l'envoi d'une Armada pour coopérer avec les Francs dans une nouvelle descente en Égypte. Mais Philippe refusa de participer à une expédition qu'il jugeait hasardeuse. Sans doute l'échec final du roi Amaury n'était-il guère encourageant. Il n'en est pas moins vrai que c'était en Égypte seulement que l'empire de Saladin pouvait être ébranlé, à condition, bien entendu, que Francs et Byzantins coopérassent cette fois avec une égale ardeur aux opérations. La cour de Constantinople, éclairée par les évènements, était enfin décidée à faire tout l'effort nécessaire, mais, malgré les supplications pathétiques du Roi Lépreux, Philippe d'Alsace s'obstina dans son refus. Les amiraux byzantins, rebutés, se rembarquèrent. Quant à Philippe, au lieu d'attaquer Saladin au point vulnérable, dans le Delta, il partit guerroyer dans la Syrie du nord, non sans emprunter d'office à Baudouin IV les meilleures troupes du royaume. Saladin s'aperçut que, de ce fait, la Palestine se trouvait dégarnie de défenseurs. Quittant aussitôt l'Égypte avec sa cavalerie, il conduisit un raid foudroyant sur Ascalon, le principal boulevard de la puissance franque au sud-ouest. 

 

Saladin incendiant une cité. Guillaume de Tyr, Historia

« Dans cette situation angoissante le jeune roi fut héroïque. Son armée prêtée au comte de Flandre, guerroyait loin, entre Antioche et Alep. Il n'avait sous la main que quatre cents hommes. Ramassant ce qu'il put rallier de gens, il se porta avec la Vraie Croix au-devant de l'envahisseur. Si rapide fut sa marche qu'il devança Saladin à Ascalon. À peine y était-il entré, que l'armée égyptienne, forte de vingt-six mille homme, l'y investissait.

 

« La situation des Francs paraissait si désespérée que Saladin, négligeant leur misérable petite armée dont la reddition ne semblait qu'une question d'heures, décida, en laissant devant elle, vers Ascalon, de simples rideaux de troupes, de marcher droit sur la Judée, peut-être même jusqu'à Jérusalem vide de défenseurs. Au passage, à travers la plaine qui s'étend d'Ascalon à Ramla, il brûlait les bourgs et pillait les fermes, en laissant ses escadrons s'enrichir de la rafle de tout un pays.

 

« L'avant-garde de Saladin, conduite, nous dit Guillaume de Tyr, par un renégat arménien, avait déjà, dans la nuit du 23 au 24 novembre, couru jusqu'à Ramla, qu'elle trouva évacuée :  Baudouin de "Rames" était allé avec ses hommes d'armes rejoindre le roi à Ascalon, tandis que les femmes et les non-combattants s'étaient réfugiés partie à Jaffa, partie au château de Mirabel (Majdal Yâbâ), à une vingtaine de km au nord de Ramla. Après avoir brûlé Ramla, l'abant-garde aiyûbide alla assiéger Lydda (Ludd) dont les habitants, criblés de flèches et se sentant hors d'état de défendre le rempart, commençaient à se réfugier en suppliants dans l'église de Saint-Georges. Les coureurs aiyûbides arrivèrent jusqu'à Calcaille (Qalqiliya), à quelques 28 km au nord de Lydda, entre Arsûf et Naplouse.

 

« L'effroi, nous dit Guillaume de Tyr, était tel par tout le pays chrétien que non seulement les gens de la plaine philistine ou de la plaine d'Esdrelon, mais aussi les habitants des châtaux de la montagne judéenne jugeaient la résistance impossible. À Jérusalem même régnait la panique. Les plus énergiques bourgeois de la ville ayant été capturés avec l'arrière-ban, les chrétiens étaient prêts, à la première apparition des forces musulmanes, à évacuer la ville basse pour se réfugier dans la Tour de David. Jamais peut-être le royaume franc n'avait, depuis sa fondation, couru pareil péril. Saladin, lui-même, avec le gros de son armée, se préparait à marcher sur Jérusalem. [...] "Les troupes du Sultan, constate Ibn al-Athîr, pillaient, tuaient, faisaient des prisonniers, brûlaient et se dispersaient dans la contrée pour y faire des courses. Comme aucune armée de Francs ne se montrait et qu'il ne se rencontrait personne pour défendre le pays, les Musulmans, pleins d'espoirs, concevaient plus de confiance et se répandaient sans crainte de tous côtés." Grisé par le succès, Saladin montrait une cruauté inaccoutumée. On l'avait vu, au départ d'Ascalon, réunir les prisonniers et leur faire trancher la tête.

 

« Témoignage d'Ibn al-Athia : 'Les troupes du sultan pillaient, tuaient, faisaient des prisonniers, brûlaient et se dispersaient dans la contrée, pour la razzier. [...] La fumée des incendies montait de tous les points de l'horizon. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 280-281] 

 

« Dans sa marche triomphale et sans obstacle, il (Saladin) était arrivé, d'après certains chroniqueurs , près de Tell Djézer (Gezer), le Montgisard des Francs, d'après d'autres, seulement devant Tell Séfi, la Blanche-Garde des croisés, à l'entrée de la vallée des térébinthes [8 km au sud-est de Ramla. Selon la Bible, c'est dans cette vallée que David combattit Goliath... C'est aussi à cet endroit dénommé Gezer, que lors de la révolte des Maccabées, mentionnée dans les livres des Macchabées; Judas Maccabée, après sa victoire à Emmaüs, poursuivra ce qui reste de l'armée grecque séleucide. NdCR.], et il se mettait en devoir de faire traverser par son armée le lit d'un oued, lorsque, à sa stupéfaction, il vit surgir au-dessus de lui, du côté où il s'y attendait le moins, cette armée franque qu'il croyait réduite à l'impuissance derrière les murailles d'Ascalon (25 novembre 1177).

 

« C'est qu'il avait compté sans Baudouin IV. Dès que celui-ci, du haut des tours d'Ascalon, eut constaté le départ de Saladin, il avait pris du champ avec sa petite armée; mais, au lieu de suivre l'ennemi sur la grande route de Jérusalem, il avait fait un crochet vers le nord, le long de la côte, pour se rabattre ensuite droit au sud-est, sur la piste des Musulmans.

 

« Il suffit de regarder une carte pour constater que Baudouin IV décrivit ainsi un arc de cercle d'environ 65 km pour venir surprendre l'ennemi par le nord, alors que ce dernier le croyait toujours immobile au sud-ouest

 

« [...] En d'autres circonstances la chevalerie franque eût sans doute hésité devant son incroyable infériorité numérique, mais l'ardeur des premiers croisés animait le Roi Lépreux. "Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles, écrit Michel le Syrien, inspira le roi infirme. Il descendit de sa monture, se prosterna face contre terre devant la croix et pria avec des larmes. À cette vue le coeur de tous les soldats fut ému, ils jurèrent sur la croix, de ne pas reculer et de regarder comme traître quiconque tournerait bride. Ils remontèrent à cheval et s'avancèrent contre les Turcs qui se réjouissaient, pensant avoir raison d'eux. En voyant les Turcs dont les forces étaient comme la mer, les Francs se donnèrent mutuellement la paix et se demandèrent les uns aux autres un mutuel pardon. Ensuite ils engagèrent la bataille. Au même instant, le Seigneur souleva une violente tempête qui enlevait la poussière du côté des Francs et la jetait au visage des Turcs. Alors les Francs comprenant que le Seigneur avait accepté leur repentir, prirent courage, tandis que les Turcs tournaient bride et s'enfuyaient."

 

« Avant le combat, Baudouin d'Ibelin vint réclamer au roi l'honneur d'engager l'action : 'Sire, je vous demande la première jouste!'. Lui et son frère Balian II d'Ibelin se montrèrent dignes d'un tel honneur, car ce furent eux, qui par leur charge furieuse rompirent l'armée aiyûbide. Guillaume de Tyr, de son côté, nous montre Baudouin IV et ses trois cents chevaliers plongeant et se perdant un instant dans la cohue des forces musulmanes, qui tentaient de se rallier au milieu de l'oued.

 

« Même récit épique chez le chroniqueur syriaque Michel, patriarche de l'église jacobite, qui, est Guillaume de Tyr, contemporain des évènements : "[Le Seigneur eut pitié des chrétiens. Tout le monde avait perdu espoir, car le mal de la lèpre commençait à paraître sur le jeune roi Baudouin qui s'affaiblissait, et dès lors chacun tremblait.] Mais le Dieu qui fait paraître sa force dans les faibles inspira le roi infirme..."

 

Charles-Philippe Larivière, La Bataille de Montgisard, 1177

 

« Au premier rang se dressait la Vraie Croix, portée par l'évêque Aubert de Bethléem; elle devait, une fois de plus, dominer la bataille et plus tard les combattants chrétiens devaient avoir l'impression qu'au milieu de la mêlée elle leur était apparue immense, au point de toucher le ciel. [...] Les Musulmans, qui pensaient d'abord les étouffer sous le nombre, commencèrent bientôt à perdre contenance devant la furie française. "Le passage, dit le Livre des deux jardins, était encombré par les bagages de l'armée. Soudain surgirent les escadrons des Francs, agiles comme des loups, aboyant comme des chiens; ils chargèrent en masse, ardents comme la flamme. Les Musulmans lâchèrent pieds." Saladin, le sultan d'Égypte et de Damas, avec ses milliers de Turcs, de Kurdes, d'Arabes et de Soudanais, fuyait devant les quatre cents chevaliers de l'adolescent lépreux...

 

Fuite éperdue, jetant bagages, casques et armes, ils galopaient à travers le désert d'Amalek, droit vers le ruisseau d'Égypte et le Delta. pendant deux jours Baudouin IV ramassa sur toutes les pistes un butin prodigieux, puis il rentra à Jérusalem en triomphal arroi. De fait, écrit René Grousset, jamais plus belle victoire chrétienne n'avait été remportée au levant et, en l'absence du comte de Flandre et du comte de Tripoli, tout le mérite en revenait à l'héroïsme du roi dont les dix-sept ans, triomphant pour un instant du mal qui rongeait son corps, s'égalaient à la maturité d'un Godefroi de Bouillon ou d'un Tancrède.

 

« Les Francs [...] dans une charge furieuse pénétrèrent jusqu'à Saladin. Celui-ci faillit être tué. "J'ai vu ce jour-là, racontait-il par la suite, un chevalier courir sur moi à fond de train, sa lance dirigée contre ma poitrine; il était suivi de deux compagnons qui me visaient comme lui; j'allais être atteint lorsque trois de mes officiers foncèrent sur ces cavaliers et prévinrent leur choc sans laisser à mon agresseur le temps de me frapper." (Deux Jardins, p. 112.) La fidélité de ces mamelûks sauva Saladin.

 

« Le neveu de Saladin, Taqî al-Dîn, essaya d'abord d'arrêter la charge des Francs. Mais le propre fils de Taqî al-Dîn, Ahmed, fut massacré après avoir abattu un chevalier. Ses cavaliers repoussés, se dispersèrent. Antérieurement, écrit René Grousset, l'autre fils de Taqî al-Dîn, Sâhinshâh, avait fait défection et était passé à l'ennemi à l'instigation d'un habitant de Damas, protégé des Francs, qui lui avait laissé entendre que ceux-ci l'aideraient à obtenir, dans les dépouilles de Saladin, le royaume d'Égypte. Ce détail montre que, même sous le régime de Saladin, les Francs avaient conservé des intelligences dans la population damasquine et jusque dans la propre famille de Saladin.

« [...] Saladin ordonna enfin la retraite sans cesser de combattre, sauvé par la nuit qui tombait, mais perdu avec les débris de son armée sans eau et sans vivres dans les solitudes de l'ancien Siméon et de l'ancien Amalek, puis vers les sables de la péninsule sinaïtique. Ce fut une fuite éperdue : là-dessus, tous les témoignages concordent.

 

« Lorsque le sultan rentra au Caire, en décembre 1177, il ne lui restait qu'une centaine de cavaliers. Des groupes de fuyards parvinrent ensuite en Égypte ; ils ne représentaient pas le dixième de l'armée qui avait envahi le royaume de Jérusalem un mois avant. C'était plus qu'une bataille perdue, une défaite totale.

 

Saint Georges terrassant le dragon, palazzo San Giorgio (Gênes)

« Ernoul raconte que maints chevaliers et sergents qui avaient pris part à la bataille eurent l'impression que la Vraie Croix grandissait jusqu'à toucher le ciel. Il raconte aussi que des chevaliers sarrasins qui avaient été capturés, demandèrent qui était ce chevalier aux blanches armes qui les avait pris après avoir fait grand carnage des leurs. On leur répondit que c'était saint Georges, dont, la veille, ils avaient ruiné l'église. René Grousset voyait avec raison dans Montgisard la plus grande victoire remportée par les Francs, depuis le début des croisades. Jamais, en tout cas, un si petit nombre d'hommes n'avait triomphé d'une armée aussi nombreuse et redoutable que celle de Saladin. Quel n'eût été le destin du royaume de Jérusalem si Baudouin IV n'avait pas été lépreux, s'il avait vécu plus longtemps ! », écrit George Bordonove.

 

Baudouin profita de sa victoire pour mettre la Galilée à l'abri des incursions venues de Damas.

  

[René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 204-207; René Grousset , de l'Académie française, Histoire des Croisades II. 1131-1187 L'équilibre, Éditions Perrin, Collection Tempus, Millau 2016, p. 617-630; Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 279-283]

 

Trois ans plus tard, en 1180, une trêve est signée entre Baudouin IV, le Roi lépreux, et Saladin qui « conclurent une trêve renouvelable, ce qui dans le droit franco-musulman de l'époque équivalait à la paix. En somme pendant ces trois années le Roi Lépreux avait tenu tête au redoutable sultan, et l'accord de 1180 consacrait le statu quo. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 208-209] 

 

Les évènements suite à la mort du roi lépreux

 

En août 1182, Saladin tenta de prendre Beyrouth pour couper les États latins en deux, mais ce fut un échec. En 1186, un an après la mort de Baudouin (1185), la loi salique ne jouant pas à Jérusalem, Guy de Lusignan devint roi de Jérusalem (1186-1192) par son mariage avec Sibylle, la soeur de Baudouin IV.

 

Parallèlement, les évènements qui se déroulent après 1180 font bien ressortir ce qu'on pouvait attendre d'un guerrier brigand tel que Renaud de Châtillon: il commença par faire merveille à la bataille de Montgisard (1177), "l'exploit le plus étonnant des croisades". Mais, trois ans plus tard, au mépris des trêves qui garantissaient la sécurité des caravanes allant à La Mecque, en pleine paix avec Saladin, il se jeta sur l'une d'elles et rentra dans sa seigneurie du Krak, avec butin et prisonniers. Lorsque Baudouin apprit cette agression, il fut consterné; il ordonna à son vassal de relâcher sans tarder ses captifs et d'aller faire amende honorable devant Saladin. Renaud s'y refusa. Ni menaces, ni prières ne purent l'atteindre. Ce qui ne l'empêchera pas, lorsqu'en représailles de ses actions, l'armée du Caire viendra envahir la Transjordanie, d'adresser au roi un appel suppliant.

 

Une série de combat s'en suivra, qui sans la vaillance du jeune roi et l'extrême rapidité de ses mouvements stratégiques aurait dès cet instant compromis gravement les possessions franques. On aurait pu croire un moment que la leçon avait profité au terrible seigneur d'Outre-Jourdain. Mais il était de toute évidence incapable de résister à l'attrait d'un pillage et cette fois nourrissait une opération de grand style; les racontars que l'on colportait sur les richesses fabuleuses entassées dans les villes saintes du 'prophète' : La Mecque et Médine, hantaient son imagination. L'idée lui vint d'étendre jusque-là ses opérations. Au service de ce projet il conçut un stratagème qui constitue un véritable exploit tant du point de vue technique que du point de vue militaire. Il fit construire une flotte en transjordanie, qu'il transporta en pièces détachées, à dos de chameaux, jusque sur la mer Rouge dans le golfe d'Aqaba ; là les galères furent remontées une à une et prirent la mer, près de Suez, vers Aïlat dont il avait fait le siège. Ces cinq galères, après avoir tenu la mer pendant quatre mois (fin 1182- début 1183), allèrent piller jusqu'à Aden, sur les côtes de l'Égypte et du Hedjaz; tour à tour un vaisseau de pèlerins revenant de La Mecque, deux navires marchands du Yémen furent capturés. "Grande fut la terreur des habitants de ces contrées", écrivirent les historiens arabes. Le butin s'entassait sur les bêtes de somme, et Renaud n'était plus qu'à une journée de marche de Médine lorsqu'il fut arrêté et sa flottile réduite par la forte escadre égyptienne qu'avait envoyée contre lui Saladin. Mais, autant que la terreur, il avait suscité, par ses coups de main, l'indignation des Musulmans, et réalisé désormais contre la Syrie franque l'unanimité des Musulmans. Saladin vint faire le siège du krak de Moab où était rentré Renaud, "le loup embusqué dans la vallée", comme le nomme les historiens orientaux.

 

Ci-dessous, trois videos extraites du film Kingdom of heaven, ou Le Royaume des Cieux montrant une charge de la cavalerie franque à Kérak, l'entrevue entre Saladin et Baudouin IV et la désastreuse bataille de Hattin :

« C'est alors que se place l'épisode chevaleresque que nous rapportent les chroniques... Les malheureux habitants du bourg de Kérak allaient être massacrés par les Mamelouks (novembre 1183); une fois de plus, l'intervention de Baudouin IV - la lèpre l'avait alors rendu aveugle et il n'était plus qu'un cadavre ambulant qui se faisait porter en civière, mais demeurait à la tête de l'armée - sauva Kérak... Et Saladin en reprit vainement le siège l'été suivant.

« C'est un nouvel acte de brigandage - il devait être le dernier - commis par Renaud de Châtillon qui allait déclencher le drame final de la Terre sainte, le désastre de Hattin. Au moment même où, en 1184, Saladin proposait une trêve de trois ans, une caravane s'en retournait d'Égypte à Damas; elle transportait la propre soeur de Saladin. Renaud de Châtillon ne peut se tenir de faire main basse sur ces richesses. Cette fois, le sultan jura de le tuer de sa propre main. Il devait tenir parole.

 

« Au même moment - il était dit que dans l'entourage de l'admirable roi lépreux rien ne serait épargné pour faire contraste avec sa sagesse et son incroyable valeur - le propre beau-frère de Baudouin, celui qui, par son mariage avec Sibylle, était devenu le futur héritier du royaume, commettait lui aussi un acte impardonnable de sauvagerie: il massacrait les Bédouins tributaires du roi et qui, protégés par lui en vertu de conventions passées dès les premiers temps du royaume de Jérusalem, faisaient paître leurs troupeaux à proximité d'Ascalon.

Croisades

« Il s'agissait en réalité d'un acte de basse vengeance contre Baudouin IV qui, conscient de l'incapacité de Guy de Lusignan, cherchait à lui retirer la 'baylie', la régence du royaume, et contre lequel il se trouvait désormais en révolte ouverte. C'est sur la nouvelle de cet acte lamentable que devait se clore le règne du roi Lépreux: il convoqua ses vassaux à Jérusalem, remit en leur présence le pouvoir au comte Raymond III de Tripoli et mourut le 16 mars 1185. Il avait vingt-quatre ans. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 132-135]

 

« C'est sous l'action concertée de ces trois hommes (Gérard de Ridefort, Renaud de Châtillon et du patriarche de Jérusalem, Héraclius, personnage en tout point digne des deux premiers...) que Guy de Lusignan réussit à se faire élire roi par surprise. [...] Le nouveau roi de Jérusalem n'allait pas tarder à révéler sa personnalité, ou plutôt son absence de personnalité; influençable, velléitaire, il était à la merci de son entourage; cet entourage étant ce qu'il était, on pouvait tout redouter. Ce fut le pire qui arriva. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 138]

 

Saladin "le décapiteur" : le désatre d'Hattîn, la décapitation des chevaliers prisonniers, dont 230 Templiers (1187)

 

« Le kurde Saladin, sultan du Caire, préparait une opération de représailles contre le pillage de la caravane opéré par Renaud de Châtillon, et le 1er mai 1187, Gérard de Ridefort lançait inconsidérément (en dépit des avis contraires du maître de l'Hôpital et du maréchal du Temple), contre sept mille Mamelouks, cent quarante chevaliers qui (vu le nombre) furent évidemment immédiatement massacrés. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 138]

 

Puis, début juillet 1187, ce fut sous couleur de venger les morts, la marche fatale vers Hâttîn (en Galilée) : l'armée follement engagée dans les collines arides, sans eau, sans ombre, et l'attaque décidée finalement sous l'influence de Gérard de Ridefort et par ordre du roi Guy de Lusignan à l'encontre du Conseil des barons.

Cette armée engagée dans les pires conditions, offrit aux Sarrasins une cible facile; il suffit d'un feu de broussailles rabattu par le vent pour étouffer littéralement les malheureux, et, tandis que Raymond III et ses hommes réussissaient une percée désespérée dans les rangs Turcs, tout le reste tomba au pouvoir de Saladin. Celui-ci eut la générosité d'épargner le roi qu'il reçut dans sa tente pour finalement le tuer de ses mains. Puis le Sultan fit attacher au poteau d'exécution, un à un, chacun des deux cent trente Templiers qui avaient été faits prisonniers. A chacun tour à tour était offerte la possibilité d'avoir la vie sauve à condition de "crier la loi" (d'embrasser la religion musulmane...) Pas un seul n'y consentit et tous eurent successivement la tête tranchée... Chose curieuse, Gérard de Ridefort, le grand maître (de l'Ordre du Temple), échappa seul à ce traitement et eut la vie sauve, et l'on allait voir par la suite ce que l'on n'avait jamais vu encore et ce qu'on ne reverra plus dans les annales du Temple: Gérard livrant le château de Gaza, appartenant aux Templiers, en échange de sa propre libération; c'était aller contre l'un des serments sur lesquels reposait la vie de la terre sainte, mais Gérard n'en était pas à un parjure près... Dans l'ordre, on l'accusait d'avoir "crié la loi". » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 139]

 

La bataille d'Hattin, Gravure de Gustave Doré pour l’Histoire des Croisades de Michaud (1885)

 

« ...Il est certain, au témoignage des chroniqueurs arabes, qu'il [Saladin] avait assisté en personne au massacre des prisonniers chrétiens après Hattîn, notamment des Templiers, tous décapités..." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 161]

 

La chute de Jérusalem

 

Saladin (Kingdom of Heaven)

L'armée franque anéantie, la Vraie Croix aux mains de Saladin, ce devait être un jeu ensuite pour le vainqueur de s'emparer successivement de toutes les villes dont la conquête, une centaine d'années auparavant, avait coûté tant de sang et de larmes : Acre, le 10 juillet, Jaffa et Beyrouth le 6 août, Césarée, Sidon et Ascalon, enfin la ville sainte elle-même, Jérusalem, le 2 octobre (1187).

 

Balian d'Ibelin (Film de Ridley Scott, Kingdom of Heaven)

Le Royaume franc de Jérusalem survit; mais sa capitale est transportée à Acre, Saladin acceptant de laisser aux Francs la bande côtière de Tyr à Jaffa, et un accès aux Lieux Saints.

 

« On aurait pu croire après l'anéantissement de l'armée franque, que la Terre sainte était entièrement perdue pour les Chrétiens. Pourtant sa survie allait se prolonger pendant cent ans encore (jusqu'à la chute d'Acre et des autres places fortes en 1291).

 

« À Jérusalem même, la capitulation fut négociée par Balian d'Ibelin († 1193) qui arma chevaliers des bourgeois pour que la ville offrît au moins un semblant de résistance; mais ce n'est que grâce aux renforts arrivés d'Europe que cette résistance, concentrée à Tyr, puis à Acre, put opposer un front efficace aux armées de Saladin. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 139]

 

Balian rendant Jérusalem à Saladin

George Bordonove a rapporté l'audience entre Saladin et Balian.

« Balian proposa de rendre la place, avec pour la population la vie sauve et la possibilité de se retirer librement. Saladin refusa. Il exigeait une reddition inconditionnelle. Se souvenant de l'abominable massacre qui avait ensanglanté la prise de Jérusalem en 1099, il dit : - "Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui furent tous tués ou réduits en esclavage ! J'égorgerai les hommes et des femmes je ferai des esclaves !" - "Quand nous verrons que la mort est inévitable, répliqua Balian sur le même ton, nous tuerons nos fils et nos femmes, nous brûlerons nos richesses et nos meubles, nous ne vous laisserons pas un dinar ou un dirhem à piller, ni un homme ou une femme à réduire en captivité. Quand nous aurons terminé cette oeuvre de destruction, nous renverserons le Qubbat al-Sakhra, le Mesjid al-Aqsa et les autres Lieux saints de l'islam. Après quoi nous massacrerons les cinq mille prisonniers musulmans que nous détenons et nous égorgerons jusqu'au dernier toutes nos bêtes de somme et nos animaux. Enfin, nous sortirons tous à votre rencontre. Alors il ne sera pas tué un seul des nôtres qui n'ait tué auparavant plusieurs des vôtres. Nous mourrons couverts de gloire ou nous vaincrons !"

 

« Cette fermeté impressionna Saladin. Il savait combien il était imprudent de pousser les chrétiens à bout et de quel exploit ils étaient capables quand on les acculait au désespoir. Au fond, il estimait Balain d'Ibelin et comprenait son attitude, mais il ne voulait pas perdre la face. Il proposa donc que les habitants se rendissent 'à merci', c'est-à-dire sans conditions, mais avec la faculté de se racheter. [...] Chaque homme paierait dix besants; chaque femme, cinf besants; chaque enfant, un besant. [....] Saladin consentit un rachat global de sept mille personnes pour trente mille besants. Les 'rachetés' avaient le choix entrer rester à Jérusalem et s'exiler en emportant ce qu'ils pouvaient. Les autres, les irrédimés, tomberaient en esclavage. [...] Saisi de compassion, Saladin libéra cinq cents pauvres. Son frère, Malik al-Adil, en libéra mille, au nom d'Allah.

 

« Des milliers de chrétiens purent rester à Jérusalem, en versant une taxe supplémentaire de capitation: c'étaient des Grecs et des Syriens accoutumés aux Musulmans; ils conservèrent leurs boutiques et leurs ateliers, et ne furent pas autrement inquiétés. Les trois quarts des habitants avaient pu se racheter. Quinze mille tombèrent néanmoins en servitude et furent parttagés entre les vainqueurs. Le marché aux esclaves de Damas en fut tellement encombré que les cours tombèrent au plus bas. Un homme valait le prix d'une paire de sandales !

 

« [...] Quand il (Saladin) fit son entrée à Jérusalem, il veilla à ce que ne produisit aucun désordre. Les îlots habités par les chrétiens furent protégés. [...] La grande croix dorée qui surmontait le dôme de celui-ci (le Palais de Salomon, ou "Temple de Salomon", appelé Mesjid al-Aqsa par les Musulmans) fut solennellement abattue. [...] Des exaltés supplièrent Saladin de détruire les églises chrétiennes et surtout de raser le Saint-Sépulcre. - "Pourquoi, leur dit-il, ruiner et détruire, alors que le but de leur adoration est l'emplacement de la Croix et du Sépulcre, et non pas l'édifice extérieur ? Le sol en serait-il nivelé, les communautés chrétiennes ne cesseraient pas de s'y rendre. Quand le calife Omar conquit Jérusalem dans les premières années de l'islam, il maintint ces sanctuaires."

 

« [...] Les églises avaient été fermées provisoirement. Saladin n'avait pas l'intention de supprimer les pèlerinages. Il pensait même [...] prélever une taxe sur les pèlerins selon un usage séculaire. Pour combler les vides, il invita les Juifs à revenir à Jérusalem. Ils se réinstallèrent joyeusement dans cette ville qui pour eux était sainte. Les croisés les en avaient chassés: ceux du moins qui avaient échappé au massacre de 1099. » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 318-319]

 

Régine Pernoud a relevé la trahison de l'empereur Byzantin à l'occasion de la chute de Jérusalem: « L'empereur Isaac Ange (1185-1195 / 1203-1204) envoya ses félicitations à Saladin après la chute de la Ville sainte. [...] Les rapports jusque là cordiaux entre l'Église de Byzance et le Siège de Rome devaient s'envenimer peu à peu à la suite des trahisons des Byzantins et, surtout, après la prise de Constantinople par les croisés (1204). » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, ibid., p. 167]

 

Richard Coeur de Lion, Roi plantagenêt d'Angleterre (1189-1199)

Dans tout l'Occident, ces nouvelles allaient semer l'alarme et provoquer une émotion favorable à un regain d'attention pour la défense de ce que la Chrétienté considérait comme son fief: la Terre sainte, où le Christ avait vécu, était mort et ressuscité. Richard prit la croix un des premiers – dès le lendemain du jour où parvint la nouvelle – des mains de l'évêque Barthélemy de Tours.

 

Les Croisés, bâtisseurs de forteresses

 

« Une terrible infériorité numérique compensée par leurs murailles et leurs tours" (R. Pernoud)

 

« Et si contre toute attente, les royaumes francs purent survivre plus de cents à la catastrophe d'Hatîn qui avait anéanti leur armée et livré Jérusalem à Saladin, ils le durent pour une bonne part aux forteresses dont les croisés avaient jalonné leurs conquêtes...

 

« Ces forteresses ne formaient pas seulement un système de défense: elles permettaient aussi d'établir une chaîne de communications, chose impensable en un pays où les combattants dispersés devaient pouvoir correspondre au milieu d'une population hostile ou peu sûre.

 

« On a nié qu'elles aient constitué un véritable système défensif; et il est hors de doute que les premières tout au moins furent construites au hasard des circonstances, mais hors de doute aussi, le fait qu'une fois en possession d'une large part de la contrée les croisés s'appliquèrent à les organiser en véritables réseaux et qu'entre les châteaux et les villes fortifiées on pouvait correspondre de façon plus rapide que par les courriers, grâce au système rudimentaire de télégraphie optique dont les sémaphores ont été les derniers témoins avant la découverte de la radio, et qui existait d'ailleurs en Occident, par exemple pour la défense des ports et des places maritimes; à Marseille les différents 'farots' qui signalaient les écueils de la côte à l'usage des pilotes correspondaient aussi entre eux, d'une colline à l'autre, par des signaux lumineux pendant la nuit et des colonnes de fumée pendant le jour (l'une des collines surplombant le Vieux-Port en a tiré son nom: le Pharo).

"Une nef templière". Sur leurs grands navires aux noms évocateurs, la "Rose du Temple", le "Faucon du Temple", les Templiers ont transporté des milliers de pèlerins en Terre sainte. Illustration de Pierre Joubert (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 43)

"Une nef templière". Sur leurs grands navires aux noms évocateurs, la "Rose du Temple", le "Faucon du Temple", les Templiers ont transporté des milliers de pèlerins en Terre sainte. Illustration de Pierre Joubert (in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 43)

« Ainsi sur la côte palestinienne, le port de Jaffa communiquait avec .. et la forteresse d'Ibelin avec Montgisard et Blanche-Garde, tandis que Blanche-Garde servait de relais entre Ascalon et le château de Beth-Gibelin. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 176-177]

 

« Pendant longtemps, on a attribué à l'influence musulmane ce développement de l'art des fortifications, et ce fut un des lieux communs de l'histoire de l'art que l'origine arabe ou byzantine de l'architecture militaire en Occident, précisément à la suite des croisades. Le premier archéologue qui soutint la thèse contraire fit hausser les épaules; il s'appelait T.E. Lawrence. Aujourd'hui, on a reconnu la justesse de ses remarques et restitués aux croisés l'implantation en Orient de tout un système défensif qu'ils allaient être amenés à perfectionner sans cesse sous la poussée des circonstances. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 183-184]

 

 

La troisième croisade (1189-1193)

Le roi Richard d'Angleterre (1189- 1199)

Le roi Richard d'Angleterre (1189- 1199)

« Après la défaite d'Hattîn (4 juillet 1187), [...] les États latins sont presque entièrement reconquis par le musulman : Jérusalem et le Saint-Sépulcre sont perdus. De leurs vastes territoires du début du XIIe s., les Francs ne conservent que tyr, Tripoli, Antioche et quelques forteresses isolées comme le krak des chevaliers. Cette défaite fait scandale.

 

« Le pape Grégoire VIII incite les chrétiens au repentir et décide une nouvelle croisade. Il s'efforce de réconcilier Philippe Auguste et Henri Plantagenêt, roi d'Angleterre. Il fallut attendre que Richard Coeur de Lion succédât à ce dernier pour qu'un semblant de paix permît à ces deux princes d'accomplir leur 'pèlerinage'. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, éd. Pygmalion, Paris 1992, p. 327]

 

« En réalité, Philippe Auguste considérait Richard comme son subordonné, en tant que vassal pour ses domaines continentaux (démembrements du Regnum francorum), tandis que Richard s'estimait au moins son égal, car l'étendue de ses domaines, de ses revenus et de ses forces militaires était supérieure à celle de son suzerain. » [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, Alfred J. Andrea, John France, Helen Nicholson, William L. Urban, Collectif, Histoire universelle, Evergreen, Köln 2008, p.  81]

 

« Le 11 décembre 1189, Richard Coeur de Lion s'embarque pour la croisade (3ème).

 

« Pour faire rentrer de l'argent pour la croisade, il 'se trouve peut-être le premier souverain à avoir songé à des ventes d'offices. Le mécanisme était simple: déposer baillis et vicomtes, puis exiger d'eux qu'ils se rachètent, faute de quoi ils étaient jetés en prison… Et tout lui était vendable, aussi bien puissance, domination, comtés, vicomtés, châteaux, villes, butins et autres semblables… Les évêques n'échappaient pas à la règle… Si bien que, selon Benoît de Peterborough, il amassa un immense trésor en argent, plus qu'aucun de ses prédécesseurs ne semble en avoir possédé. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 90-91]

 

Frédéric Barberousse (1122-1190)

Dans le même temps, "Frédéric Barberousse, empereur germanique, qui avait provoqué Saladin en duel par une lettre du 26 mai 1188, dont le rendez-vous était fixé au 1er novembre dans la plaine égyptienne de la Zoan, s'était mis en route, le 11 mai 1189. Il emmenait une armée de cent mille hommes (dont 20 000 chevaliers), disent les chroniqueurs, en tout cas disciplinés, bien équipés.

 

Après avoir quitté Ratisbonne, il traversa la Hongrie et se dirigea vers Constantinople, itinéraire classique. Mais Isaac Ange était désormais l'ennemi des latins. Il était en guerre contre le roi de Sicile, ami de Frédéric Barberousse. Et surtout, il avait signé un traité d'alliance avec Saladin contre le sultan de Qonya. [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327]

 

« Isaac Ange [...] s'était [...] allié avec Saladin, car il voyait en Frédéric un danger pour sa position militaire. Quand Frédéric envoya des ambassadeurs pour négocier son passage dans l'Empire, Isaac les fit emprisonner. » [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, ibid., p.  84]

 

« [...] Isaac Ange ne pouvait empêcher les Allemands de traverser son Empire : leur armée était « trop puissante ! Mais il fit son possible pour entraver leur marche. Il exigea des otages. Il prétendit imposer à Frédéric Barberousse la rétrocession des territoires qu'il conquerrait en Terre sainte. Il emprisonna sous un mauvais prétexte un envoyé allemand. Le clergé byzantin appelait à la lutte contre les envahisseurs étrangers. Frédéric Barberousse ne se laissa pas impressionner. Il menaça (le premier) d'assiéger Constantinople. En premier avertissement, il s'empara d'Andrinople, qui fut dévastée (novembre 1189).

 

« L'idée que Constantinople est un obstacle au succès de la croisade fait son chemin en Occident : prendre la ville est l'objectif de la croisade avortée d'Henri VI en 1197. Le projet est au centre des évènements de 1203-1204 qui voient la 'déviation' de la quatrième croisade vers la capitale byzantine. » [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p.75]

 

« Épouvanté, le basileus céda. Et en février 1190, les deux empereurs conclurent un traité de paix autorisant Frédéric à continuer son voyage vers la Terre sainte (traité d'Andrinople de mars 1190) . Les Allemands franchirent le Bosphore à la fin de mars 1190 et se dirigèrent vers Qoniya (Konya). Isaac Ange avait infiltré des agents dans l'armée de Frédéric. Il tenait Saladin informé des étapes de l'ennemi : cela ressort avec la plus grande netteté des chroniques arabes ! » [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327; [Les Croisades, Sous la direction de Thomas F. Madden, ibid., p. 84]

 

Après avoir traversé la Hongrie, la Serbie, la Bulgarie et l'Empire byzantin, les forces croisées arrivèrent en Anatolie (actuelle Turquie), aux mains du sultanat de Roum. Le sultan turc d'Iconium, ennemi de Saladin, avait déjà promis à Frédéric de le laisser passer librement mais, quand les Turcs attaquèrent les forces allemandes, les harcelant continuellement par des embuscades et des tactiques de guérilla, les Allemands, à leur tour, lancèrent des attaques contre toutes les forces turques qu'ils pouvaient trouver sur leur passage. Et Barberousse accusa le sultan d'avoir rompu leur accord. 

 

Le 7 mai 1190, une armée turque fut détruite par un détachement croisé conduit par le duc de Souabe et le duc de Dalmatie, près de Philomelium, causant semble-t-il 4 174 morts dans les rangs turcs.

 

Frédéric Barberousse lors de la troisième croisade

Les Croisés continuèrent leur marche jusqu'à Iconium (Konya), où ils arrivèrent le 13 mai. Lors de la bataille d'Iconium, capitale du sultanat de Roum, où les Croisés arrivèrent le 13 mai, les Allemands et Hongrois, vainqueurs, mirent la ville à sac (14 mai / 18 mai 1190). Frédéric Barberousse accorda un repos de cinq jours à ses hommes, puis marcha vers la Cicilie (arménienne). Les sources turques attribuent la victoire des croisés à une charge fulgurante de la cavalerie lourde croisée. La bataille rangée avec l'armée turque s'avéra beaucoup plus difficile, et il fallut toute l'énergie de l'empereur lui-même pour que l'armée principale des Turcs soit défaite. Il aurait dit à ses soldats : "Mais pourquoi tardons-nous, de quoi avons-nous peur ? Le Christ règne. Le Christ vainc. Le Christ commande." [Kenneth M. Setton, Robert Lee Wolff et Harry W. Hazard, A History of the Crusades, Volume II: The Later Crusades, 1189–1311, 1962, p. 113]

Saladin sentit alors vaciller sa fortune. Il commença  à démanteler les murs des ports syriens, de sorte qu'ils ne pussent être utilisés par les croisés contre lui. 

 

Or, le 10 juin 1190, alors qu'il progressait vers Antioche, Frédéric Barberousse se noya accidentellement dans le Sélef, un petit fleuve de Cilicie dans les valons du Taurus, aux portes de la Syrie.

« [...] Découragés, délivrés de la discipline de fer qu'il leur imposait, ils (les Allemands) refusèrent d'obéir à Frédéric de Souabe, son fils. Les uns s'embarquèrent à destination de l'Europe. Les autres - c'étaient les plus nombreux - se laissèrent capturer ou immoler comme des moutons." [Georges Bordonove, Les Croisades et le Royaume de Jérusalem, ibid.p. 327] Les circonstances de la mort de Frédéric Barberousse sont mal connues : on a rapporté entre autres qu'il avait voulu se rafraîchir, après l'échauffement de la bataille, en prenant un bain ; d'après d'autres sources, son cheval se serait affolé lors de la traversée du fleuve et Frédéric aurait été emporté au fond par le poids de son armure.

Quoi qu'il en soit, la croisade allemande s'était volatilisée.

 

« Avec la croisade impériale se répand l'idée que Constantinople constitue pour les chrétiens d'Occident un obstacle sur la route de Jérusalem. Le projet de conquête de la capitale byzantine formulé dès 1189 par Frédéric Ier Barberousse, repris par son fils Henri VI en 1196, est mis en oeuvre par les croisés en 1204. » [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 106] 

 

Le 8 juin 1191, Richard Coeur de Lion arrive avec sa flotte à Saint-Jean d'Acre, où Philippe Auguste l'attend déjà.

 

 

Philippe et Richard enlèvent Saint Jean d’Acre (Vendredi 12 juillet 1191) :

Philippe Auguste participa brièvement à la 3e croisade en participant à la récupération de Saint Jean d'Acre (1189-1191). 

Le 20 avril 1191, le roi de France Philippe Auguste débarque au voisinage d’Acre avec ses troupes. Le roi d’Angleterre Richard Cœur de Lion et le grand-maître templier Robert de Sablé le rejoignent le 8 juin, avec 25 galères, après s’être emparé de Chypre. 

« On vit les croix et les drapeaux se dresser sur les murs de la ville », écrit un chroniqueur arabe, Abou-Shama.

« Le chroniqueur (trouvère) Ambroise rappelle triomphalement ce qui s'est passé quand les Sarrasins avaient fait la conquête d'Acre:

"Il y avait quatre ans que les Sarrasins avaient conquis Acre, et je me rappelle nettement qu'elle nous fut rendue le lendemain de la fête de saint Benoît malgré leur race maudite. Il fallait voir alors les églises qui étaient restées dans la ville, comme ils avaient mutilé et effacé les peintures, renversé les autels, massacré les croix et les crucifix par mépris de notre foi pour satisfaire leur incroyance et faire place à leurs mahomeries (mosquées)…

Plusieurs assauts furent tentés, les 14, 17 et 22 juin ainsi que les 2 et 11 juillet. Le 15 juillet, la flotte de Richard Cœur de Lion coula le dernier navire égyptien, interdisant définitivement le ravitaillement de la ville. Le 3 juillet, averti par les habitants d’Acre qu’ils ne pourront plus tenir longtemps, Saladin tenta de forcer le blocus en attaquant les camps croisés, mais échoua. Il accepta les négociations, mais refusa les exigences des croisés, qui demandaient la restitution de la Vraie Croix et du royaume de Jérusalem dans ses frontières antérieures à 1187, contre la libre sortie de la garnison, ainsi que la restitution de la Sainte Croix, le paiement d'une rançon et la libération des prisonniers chrétiens. Une négociation s’engagea entre les croisés et la garnison qui, malgré l’opposition de Saladin, ouvrit les portes de la ville.

« Les troupes de Saladin s'éloignèrent, non sans transformer la région en désert sur leurs passages.

« Jusqu'à Caïpha, les vignes, les arbres fruitiers furent coupés, les forteresses ou cités, petites ou grandes, détruites… Parcourant les anciennes églises d'Acre qui avaient été converties en mosquées, l'évêque de Vérone, Alard, l'archevêque de Tyr, les autres évêques, de Chartres, de Beauvais, de Pise, et généralement tous ceux qui avaient été présents, se mettaient en devoir de purifier les sanctuaires et de rétablir partout le culte chrétien. Des messes solennelles furent célébrées dans les églises réconciliées, tandis que l'armée s'employait à réparer les murs et à relever les maisons détruites. 

« Il fut décidé que tous ceux qui pouvaient prouver que telle ou telle maison leur avait appartenu se la verrait restituer; d'autre part ils y hébergeraient les chevaliers qui avaient combattu pendant tout le temps où ceux-ci demeureraient au service de la Terre sainte. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, ibid., p. 147-149]

« Faire le désert devant l'armée chrétienne est désormais la seule tactique de Saladin. Lorsqu'il regagne Jérusalem, à la fin de ce mois de septembre, il rase non seulement Ascalon, mais encore le château de Ramla et l'église de Lydda qui se trouvait sur la route...

« Les habitants [d'Ascalon], atterrés par la nouvelle que leur ville allait être détruite et qu'ils devaient abandonner leurs demeures, poussaient de grands cris et vendaient à vil prix tout ce qu'ils ne pouvaient emporter. […] Une partie d'entre eux partit pour l'Égypte, une autre pour la Syrie. Ce fut une épreuve terrible pendant laquelle se passèrent des choses épouvantables. » [Beha el-Din, chroniqueur arabe cité in Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 171]

 

Philippe Auguste quitta la Palestine en août.

Le 20 août 1191 Richard donna l'ordre de décapiter 2700 prisonniers Sarrasins, suite à l'échec des négociations avec Saladin (lequel avait lui-même fait décapité les Francs défaits à Hattîn en 1187). Récit de l'évènement:

« On attendait la remise des prisonniers pour le 9 août suivant, selon les accords passés avec l'armée assiégée au moment de sa reddition...

« On attendait que soit rendue la Vraie Croix et effectuée l'échange des prisonniers. Mais ce jour-là, Saladin manda aux Chrétiens qu'ils lui donnassent un autre jour, car il n'avait pas encore préparé ce qu'il devait. Nos gens qui avaient grand désir d'avoir la sainte Croix et de voir délivrer les prisonniers, le lui accordèrent.

« Quand vint au jour qui fut désigné entre eux, les rois et la chevalerie et toutes les gens d'armes furent préparés. Les prêtres et les clercs et les gens de religion furent revêtus et tous déchaux [pieds nus] sortirent de la cité en grande dévotion et vinrent au lieu que Saladin avait désigné. Quand ils furent là et crurent que Saladin allait leur rendre la sainte Croix, il revint sur la promesse qu'il leur avait faite. Ceux qui virent cela se tinrent moult engignés [se considérèrent comme dupés]. Grande douleur il y eut entre les chrétiens et maintes larmes y furent ce jour répandues...

« Une seconde date, le 20 août, avait été fixée pour l'échange des prisonniers et la reddition de la Vraie Croix. Une rencontre avait été projetée entre Richard et le frère de Saladin. Or, le roi, ce jour-là, avec quelques compagnons, sortit sur les fossés, mais attendit inutilement le porte-parole annoncé. La tension et l'impatience de Richard avaient atteint leur limite; sans parler de la charge que représentaient la nourriture et la surveillance des prisonniers...

« Il commanda qu'on lui amenât les Sarrasins qu'il avait pris en sa partie dit le Continuateur de Guillaume de Tyr… Comme on les lui amenait, il les fit mener entre les deux armées des chrétiens et des sarrasins. Et ils étaient si près que les sarrasins les pouvaient bien voir. Le roi commanda aussitôt qu'on leur dût couper les têtes hardiment. Ils y mirent mains et les occirent à la vue des sarrasins. Un affreux massacre. Benoît de Peterborough raconte que Saladin en avait fait autant aux esclaves chrétiens et il est certain, au témoignage des chroniqueurs arabes, qu'il avait assisté en personne au massacre des prisonniers chrétiens après Hâttin, notamment des templiers, tous décapités…

« On évalue à 2700 le nombre de prisonniers ainsi exécutés. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 160-161]

 

La bataille d'Arsouf (7 septembre 1191)

 

Bataille d'Arsouf, par Eloi Firmin Feron (tableau du XIXe siècle)

 

Le mois suivant, le 7 septembre 1191, Richard vainquit Saladin dans la palmeraie d'Arsouf. Il s'agit de la première victoire croisée depuis 14 ans, la dernière datant de 1177 (Montgisard). 

Les forces de Richard résistèrent aux nombreuses charges de cavalerie sarrasines ayant tenté de détruire la cohésion de l'armée croisée. Les Sarrasins continuèrent à avancer, jusqu'à ce que Richard rallie ses forces avant de victorieusement contre-attaquer.

Voici la narration de cette bataille par René Grousset :

"La colonne franque, faisant mouvement du nord au sud, progressait le long de la côte, ravitaillée d'étape en étape par la flotte chrétienne, maîtresse de la mer. L'armée de Saladin suivait une marche parallèle, du côté des collines, cherchant à profiter de la moindre faute pour harceler ou surprendre Richard. 'La cavalerie et l'infanterie des Francs, écrit el-Imâd, s'avançaient sur la plage, ayant la mer à leur droite et notre armée à leur gauche. L'infanterie formait comme un rempart autour des chevaux, les hommes étant vêtus de corselets de feutre et de cottes de mailles si serrées que les flèches ne pouvaient pénétrer. Armés de fortes arbalètes, ils tenaient nos cavaliers à distance.' Le cali Behâ ed-Dîn raconte avoir vu un soldat franc qui arborait jusqu'à dix flèches plantées dans le dos de son corselet sans s'en émouvoir le moins du monde. Quant aux chevaliers, ils chevauchaient au centre de la colonne et n'en sortaient que pour des charges soudaines, quand il s'agissait de dégager les fantassins ou de forcer le passage. 'Les Turcs, les gens du diable enrageaient, rapporte Ambroise, parce qu'avec nos armures nous étions comme invulnérables; ils nous nommaient les gens de fer.' Si la supériorité des Francs résidait dans leurs armures et leur discipline, les Musulmans avaient pour eux leur extrême mobilité. À chaque instant l'épopée d'Ambroise nous montre les cavaliers Turcs survenant à toute bride, sur leurs chevaux prompts comme la foudre, lançant sur la colonne franque une salve de flèches et disparaissant, insaisissables, dans un nuage de poussière.

 

En dépit de ce harcèlement, la colonne franque progressait dans un ordre strict, sans se laisser rompre ni attirer loin de sa route. On passa sous le Carmel, on atteignit Césarée que Saladin, désespérant de la défendre, avait fait détruire; on arriva devant Arsouf: ce fut là, dans les jardins qui précèdent le bourg, que le sultan avait décidé d'arrêter les Francs. En quelques instants l'armée chrétienne se vit encerclée par les mamelouks. 'Devant les émirs s'avançaient les trompettes et tambours frappant sur leurs instruments et hurlant comme des démons : on n'aurait pas entendu Dieu tonner. Après la cavalerie turque venaient les nègres et les Bédouins, fantassins agiles et prompts derrière leurs légers boucliers. Tous visaient aux chevaux, pour démonter nos chevaliers.' 

En cette torride journée du 7 septembre, dans la palmeraie d'Arsouf, les Francs, environnés par l'armée de Saladin, leurs chevaux tués et eux-mêmes criblés de flèches, se crurent un instant perdus. Comme en 1187, lors de la fatale chevauchée de Hâttin, le combat semblait engagé dans les pires conditions. 

Après avoir décrit le tourbillonnement des archers montés de l'Islam, la grêle de flèches qui s'abattait sur la colonne franque dans un nuage suffocant de poussière, le vacarme infernal des tambours égyptiens, les hurlements de toute cette 'chiennaille', Ambroise avoue 'qu'il n'y avait dans l'armée chrétienne aucun homme assez hardi pour ne pas souhaiter d'avoir fini son pèlerinage.' Dans la chaleur et la poussière torride d'un nouvel Hâttin...

Mais Richard Coeur de Lion n'était ni un Renaud de Châtillon, ni un Guy de Lusignan. Médiocre politique au Conseil, il devenait sur le champ de bataille l'incarnation même du génie de la guerre. Aux Hospitaliers de l'arrière-garde qui lui avouaient être à bout, il donna impérieusement l'ordre de tenir - et ils tinrent. Cependant, la défensive coûtait trop cher, les archers musulmans tuant à distance les chevaux francs. Richard prépara une charge enveloppante qui eût dû amener la capture ou la destruction complète de toute l'armée musulmane. 'Il était convenu qu'avant l'action on placerait à trois échelons six trompettes qui sonneraient à l'improviste la charge de toute notre chevalerie.' L'impatience d'un Hospitalier ne permit pas le développement de la manoeuvre. On eut simplement une charge directe. [...] Ce fut une charge en trombe, qui balaya tout. Béhâ ed-Dîn, qui se tenait aux côtés de Saladin, a laissé de cette scène une vision d'épouvante: 'Alors la cavalerie franque se forma en masse et, sachant que rien ne pouvait la sauver qu'un effort suprême, elle se décida à charger. Je vis moi-même ces cavaliers, tous réunis autour d'une enceinte formée par leur infanterie. Ils saisirent leurs lances, poussèrent tous à la fois un cri terrible, la ligne des fantassins s'ouvrit pour les laisser passer et ils précipitèrent sur nous. Une de leurs divisions se précipita sur notre aile droite, une autre sur notre aile gauche, une troisième sur notre centre, et tout chez nous fut mis en déroute....'

Revanche des anciens désastres qui nous vaut sous la plume du poète Ambroise un page d'épopée : 'Les chevaliers de l'Hôpital qui avaient beaucoup souffert chargèrent en bon ordre. Le comte Henri de Champagne avec ses braves compagnons, Jacques d'Avesnes avec son lignage chargèrent aussi. le comte Robert de Dreux et l'évêque de Beauvais, chargèrent ensemble. Du côté de la mer, à gauche, chargea le comte de Leicester, avec tout son échelon où il n'y avaient point de couards. Ensuite chargèrent les Angevins, les Poitevins, les Bretons, les Manceaux et tous les autres corps d'armée. Les braves gens ! Ils attaquèrent les Turcs avec une telle vigueur que chacun atteignit le sien, lui mit sa lance dans le corps et lui fit vider les étriers. Quand le roi Richard vit que la charge, sans attendre son ordre, s'était déclenchée, il donna de l'éperon et se lança à toute vitesse sur l'ennemi. Il fit en ce jour de telles prouesses qu'autour de lui, des deux côtés comme devant et derrière, il y avait une traînée de Sarrasins tués, et que les survivants, à sa vue, s'écartaient largement pour lui faire place. On voyait les corps des Turcs avec leurs têtes barbues, couchés comme des gerbes.'

La victoire d'Arsouf eu un retentissement énorme. Elle effaçait le désastre d'Hâttin. Elle ramenait la supériorité militaire sous les bannières franques. La force avait de nouveau changé de camp. [....] Saladin fut le premier à le comprendre. Renonçant dès lors à affronter Richard Coeur de Lion en rase campagne, il se concentra, à la manière bédouine, de faire le désert devant lui.

[....] Quant à Jérusalem même, le sentiment unanime de l'armée voulait qu'on en entreprît aussitôt le siège. Par trois fois Richard s'en approcha de si près qu'on crut revenues les heures merveilleuses de juillet 1099. À la Noël de 1191 il n'était plus qu'à 20 kms de la ville sainte. [....] Mais à la surprise générale, Richard fit faire demi-tour.

[...] Il ramena son armée sur la côte, et, dès ce moment, commença des pourparlers officieux avec Saladin. [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 256-262]

Après la victoire d'Arsouf, Richard dirige son armée sur Jaffa. "La place et le port avaient été complètement démantelées sur l'ordre de Saladin, et il était évidemment utile de les relever et de les fortifier à nouveau. Jaffa devait être, par la suite, le port d'embarquement le plus utilisé par les Croisés, et l'on sait comment Tel-Aviv, qui fait suite immédiatement à la vieille ville, reste aujourd'hui, le point par lequel on aborde normalement en Israël, à proximité de Lod, où a été établie l'aéroport, qui se trouve donc proche de l'antique cité de Lydda: un point d'accès qui semble redevenu traditionnel aujourd'hui comme aux XIIe et XIIIe s. Les travaux de reconstruction allaient être lents et occuper l'armée plus de deux mois. Il est vrai que les ouvriers qui y travaillaient demeuraient sur le qui-vive, et que la surveillance devait être incessante. [...] Vers la fin d'octobre 1191, Jaffa était à peu près reconstruite. Une partie de cette cité des croisés subsiste aujourd'hui encore. Il est vrai qu'elle allait être à nouveau fortifiée par Saint-Louis, un demi-siècle plus tard." [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 174-175]

 

En 1191, en Europe, le frère de Richard, Jean (sans terre) (1199-1216), conspira pour s’emparer du trône d’Angleterre. Philippe en profita pour annexer le Vexin normand. Ayant vent de la trahison, Richard revint en Angleterre mais fut capturé par le duc d’Autriche qui le livra à l’empereur germanique Henri IV. Richard pardonna à son frère, à son retour en Angleterre (1194).

 

L'historien Joshua Prawer a bien mis l'accent sur l'importance de la prise d'Acre qui allait rester la capitale de ce qu'on a continué d'appeler le "royaume de Jérusalem" pendant un siècle exactement, de 1191 à la chute définitive de 1291.

 

La bataille de Jaffa du 27 juillet 1192 au 8 août 1192

 

Suite à l'assassinat de Conrad de Montferrat, roi consort de Jérusalem, le 28 avril 1192 par deux membres de la secte des Assassins, Richard réussit à arbitrer les conflits politiques qui divisaient les Francs de Syrie-Palestine en reconnaissant Henri de Champagne (1192-1197) comme roi de Jérusalem et en donnant, en compensation, Chypre au roi déchu Guy de Lusignan (qui avait été défait à Hattin en 1187). Richard réussit à reprendre la quasi-totalité du littoral mais il lui fallut renoncer à Jérusalem (4 juillet 1192). Le 6 juillet 1192, Saladin en profita pour attaquer Jaffa. Le 5 août il fut défait par Richard devant Jaffa.

 

« En juillet 1192 le roi venait de remonter vers Beyrouth en ne laissant à Jaffa qu'une faible garnison. Profitant de son éloignement, Saladin se jeta à l'improviste sur cette dernière ville (26 juillet). [...] Le 1er août, ils (les Francs) se préparaient inévitablement à capituler, lorsque dans les premières lueurs de l'aube, une flotte chrétienne apparut à l'improviste devant Jaffa. C'était le roi Richard qui, miraculeusement prévenu, accourait sur des galères génoises avec les premières troupes qu'il avait pu rassembler. Ce fut alors qu'on vit ce qu'était le roi d'Angleterre. L'épopée d'Ambroise nous a laissé de cette scène un tableau inoubliable. Sans attendre l'accostage, Richard, l'écu au cou, une hache danoise à la main, saute dans la mer avec de l'eau jusqu'à la ceinture, court au rivage, le nettoie de Musulmans, pénètre dans la ville, trouve la foule des ennemis en train de piller les maisons, en fait un horrible carnage, puis, donnant la main à la garnison délivrée, il se précipite avec elle sur l'armée de Saladin dont il enlève le camp et qu'il met en fuite jusqu'à Yazour.

 

"Le roi, chante Ambroise, fit dresser sa tente à l'endroit même d'où Saladin avait fui. Là campa Richard le Magne. Jamais, même à Roncevaux, paladin n'accomplit un pareil exploit.

Béhâ ed-Dîn, de son côté, nous a transmis les mordantes plaisanteries du roi aux Musulmans vaincus : 'Votre sultan est le plus grand souverain qu'ait eu l'Islam et voici que ma seule présence le fait décamper ! Voyez, je n'ai même pas une armure; aux pieds, de simples chaussures de marin. Je ne venais donc pas le combattre ! Pourquoi s'est-il enfui ?" 

 

Richard à la bataille de Jaffa

 

« Cependant Richard ne disposait à Jaffa que de deux mille hommes dont seulement une cinquantaine de chevaliers, d'ailleurs démontés. Sa faiblesse numérique inspira aux ennemis l'espoir de prendre leur revanche. 

«  Dès qu'elle avait pu se ressaisir à Yazour, l'armée musulmane avait ressenti toute la honte de sa panique du 1er août; elle apprenait que la petite troupe de richard, avec une folle insouciance, campait hors les murs de Jaffa. Sabrer ces piétons semblait facile. Dans la nuit du 4 au 5 août, la cavalerie musulmane se mit en marche à la clarté de la lune, en direction du camp anglais. [...] Un Génois, qui s'était écarté dans la lande, vit briller des armures et donna l'alarme. Réveillés en sursaut, Richard et ses gens eurent à peine le temps de sauteur sur leurs armes; plusieurs durent combattre à demi nus. En ligne serrée, un genou en terre pour être plus solides, leurs écus fichés devant eux, la lance inclinée en arrêt, ils reçurent sans rompre, dans la clarté de l'aube, la charge furieuse des escadrons musulmans. Richard, en âte, avait dissimulé entre les piquiers autant d'arbalétriers. Dès que les cavaliers ennemis, leur première charge s'étant brisée sur les piques, virevoltèrent pour se reformer, les arbalétriers tirèrent tuant les chevaux et jetant le désordre dans les escadrons. Toutes les charges de Saladin se brisèrent devant cette tactique précise. En vain, derrière les rangs, le sultan exhortait-il ses hommes.

 

"La bravoure des Francs était telle, note Béha ed-Dîn, que nos troupes, découragées, se contentaient de les tenir cernés, mais à distance...' Alors, contre cette armée démoralisée, Richard Coeur de Lion passa à l'attaque. 'Il se lançait au milieu des Turcs et les fendait jusqu'aux dents. Il s'y lança tant de fois, leur porta tant de coups, se donna tant de mal, que la peau de ses mains en creva. Il frappait avant et arrière et de son épée se frayait un passage partout où il la menait. Qu'il frappât un homme ou un cheval, il abattait tout. C'est là qu'il fit le coup du bras et de la tête ensemble d'un émir bardé de fer qu'il envoya droit en enfer. Et quand les Turcs virent ce coup, ils lui firent une si large place qu'il revint. Dieu merci, sans dommage. Mais sa personne, son cheval et son caparaçon étaient sur couverts de flèches qu'on eût dit un hérisson."

 

« La bataille avait duré toute la journée du 5 août. Au soir, la victoire des croisés était complète. Devant le roi d'Angleterre et sa poignée de héros l'armée musulmane battait en retraite avec Saladin humilié et découragé. » [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 262-263]

 

Le récit de Régine Pernoud :

« Sachant que Richard n'avait guère avec lui que deux milles hommes, dont seulement une cinquantaine de chevaliers – sans chevaux, puisqu'en se portant sur Jaffa, on n'avait pas pris le temps de les faire embarquer - , il résolut de prendre sa revanche. Au petit matin, un Génois de la flotte de secours, s'étant un peu éloigné du campement, vit au loin, à la lueur indécise de l'aube, briller des armures; il donna l'alarme. Richard, réveillé en sursaut, disposa en hâte sa petite troupe, tout en jurant de décapiter de ses mains le premier qu'il verrait céder; il les fit placer en alternant piquiers et arbalétriers, chacun de ceux-ci aidé d'un sergent qui rechargeait une seconde arbalète tandis qu'on tirait la première. La charge des cavaliers ennemis se brisait sur les piques; tandis qu'ils se repliaient pour une seconde charge, la pluie de traits d'arbalètes s'abattait dru, tuant les chevaux et les hommes. 'La bravoure des Francs était telle que nos troupes, découragées par leur résistance, se contentaient de les tenir cernés, mais distance'. En vain Saladin lui-même tentait-il de les encourager. Richard lui-même se lança alors à l'attaque, frappant tant, et de tels coups, déclara Ambroise, que la peau des mains lui creva… Lorsqu'il en revint, "sa personne, son cheval et son caparaçon étaient si couverts de flèches qu'il ressemblait à un hérisson…"

« Au soir de ce 5 août, Saladin et les restes de son armée se replièrent sur Yazour, puis sur Latroun, plus que jamais découragés; ils avaient été battus à plus de dix contre un.... » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 191]

En 1984 le groupe britannique de heavy metal Saxon composa une chanson en l'honneur des Croisés du roi Richard Coeur de Lion, dont les paroles résument bien la mentalité des croisés, les "Seigneurs de guerre de l'Angleterre" :

Paroles: 

 

{Croisé}

 

(Celui qui ose combattre les sarazins)

 

Croisé, Croisé, s'il te plaît emmène-moi avec toi

Les batailles s'étendent jusque loin dans l'Est

Croisé, Croisé, ne me laisse pas seul

Je veux chevaucher dans ta quête

J'attends, j'attends, d'être à tes côtés

Pour combattre avec toi par-delà la mer

Ils appellent, ils appellent, je me dois d'y être

La Terre Sainte doit être libre

 

[Refrain]

Combat pour la juste cause

Crois ce qui est vrai

Croisé, le seigneur du Royaume

Combat pour la juste cause

Avec toute ta puissance

Croisé, le seigneur du Royaume

 

Nous marchons, nous marchons, vers un pays loin de notre

patrie

Personne ne sait qui en reviendra

Pour l'amour du domaine chrétien, nous prendrons notre

revanche

Sur les païens de l'est

Nous les chrétiens arrivons, avec nos épées fermement

tenues

Unis par la foi et la cause

Les Sarazins païens ne vont pas tarder à goûter de notre

acier

Nos étendards vont se dresser à travers le pays

 

[Refrain]

 

A la bataille, combattre, les hordes de Sarazins

Nous suivons le roi guerrier

En avant, galopons vers le combat

Nous portons le signe de la croix

Les seigneurs de guerre de l'Angleterre, chevaliers du

Royaume

Rependant leur sang dans le sable

Croisé, Croisé, la légende est née

Le futur honorera tes exploits

 

[Refrain]

 

(Viens Croisé commençons la bataille)

 

[Refrain 2] (x 2)

Combat pour la juste cause

Crois ce qui est vrai

Croisé, le seigneur du Royaume

 

"Il (Richard) conclut avec Saladin, le 3 septembre 1192 une paix de compromis, basée sur la carte des opérations."  [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 265]

 

La trêve conclue avec Saladin (Paix de Jaffa). C'est la signature d'une trêve de trois ans, qui : 

- accorde aux chrétiens la possession de la bande côtière, depuis le nord de Tyr jusqu'au sud de Jaffa; cette cité si vaillamment défendue allait demeurer à travers le temps le lieu normal de débarquement des pèlerins: encore aux XIVe et XVe s., quand la Terre sainte aura été perdue, on y voyait arriver des pèlerinages dont les membres s'abritaient dans les grottes de la côte en attendant d'obtenir les sauf-conduits nécessaires pour pouvoir s'engager sur la route de Ramla, puis de Jérusalem…

- autorise dorénavant les Francs et tous les Chrétiens à rendre librement visite aux Lieux saints sans avoir à payer taxes ou droits de douanes quelconques... [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 192] Mais Jérusalem est laissée aux Musulmans.

- "La capitale du 'royaume de Jérusalem' était désormais Acre, tandis qu'un autre royaume franc était établi à Chypre conquise sur les Byzantins par Richard Cœur de Lion. Successivement, Henri de Champagne (1192-1197), Amaury de Lusignan (1197-1205), Jean de Brienne (1210-1225), portèrent le titre de 'rois de Jérusalem', que prit ensuite Frédéric II, roi de Sicile, lui-même débarqué à Acre en 1228, qui réussit par le traité de Jaffa de 1229, à se faire restituer les trois villes saintes de Jérusalem, Bethléem et Nazareth, mais sa présence en Terre sainte avait aussi été un ferment de guerre civile qui éclata aussitôt après son départ : entre 1229 et 1243 l'histoire de la Syrie franque est celle des luttes entre 'Francs' et 'Impériaux'.

 

« Il semble certain, écrit Régine Pernoud, que n'eût été la défection du roi de France (qui rembarque à Tyr le 31 juillet 1191), la Ville sainte fût retombée entre les mains des chrétiens, et le sort du monde en eût été changé. On peut, au moins en partie, attribuer l'hésitation du roi d'Angleterre, au fait qu'il s'est senti seul. Pour agir, il lui fallait être sûr de la victoire. Pour agir, mais non pour combattre, puisque dans toutes les rencontres ses forces étaient inférieures à celles de Saladin – largement inférieures même, lors de la dernière bataille, celle qui sauva Jaffa, laquelle à peine reconquise, allait être perdue. En cette circonstance d'ailleurs, sa tactique avait tenu du génie, non seulement en raison du sang-froid dont elle témoigna, mais aussi parce qu'elle présentait une parade parfaite aux escadrons turcs dont il connaissait à fond les méthodes. Mais – et Richard en était conscient – la prise de Jérusalem représentait un exploit si exceptionnel qu'il fallait être sûr du succès, et d'un succès durable; ce qui impliquait des forces d'occupation nombreuses, dont il se trouva privé par suite de la défection des Français.

 

« La reconquête d'Acre et de Jaffa était inestimable; si le royaume franc de Terre sainte a pu survivre à lui-même pendant un siècle exactement – de 1191 à 1291 – , c'est bien grâce aux exploits qui l'ont permise. On voit s'esquisser une Méditerranée chrétienne, permettant les voyages et les échanges, prolongeant les capacités de résistance des populations menacées par l'avance turque et retardant ainsi les grandes destructions". Que l'on songe à la grande basilique Sainte-Sophie de Constantinople, "à ces tonnes de maltes d'or et d'émaux, à ce morceaux de 'tesselles', martelés avec opiniâtreté pour être déversés Dieu sait où ! Deux siècles et demi de survie pour une telle merveille, c'est déjà beaucoup dans l'histoire de l'humanité…

 

« La geste de Richard Cœur de Lion aura permis cette survie et beaucoup d'autres. En fait ni lui ni les croisés qui marchaient à sa suite ne sont les vrais responsables des troubles qui durant le XIIIe s., allaient affaiblir et parfois même ensanglanter le précaire royaume franc. Les fauteurs de désordres ont été les négociants dont les rivalités mercantiles ont allumé des discordes, voire des guerres, en cette même cité de Saint-Jean d'Acre si durement conquise et où les chevaliers de l'Hôpital élevèrent un splendide château qui n'aura été dégagé qu'en notre temps. "Guerre, commerce et piraterie / Font une trinité indivisible" disait Goethe. Et c'est cette néfaste trinité là, qui devait épuiser les restes du royaume, proie facile pour les Mamelouks à la fin du XIIIe s.

 

« L'action de Richard, reprise et consolidée par Saint-Louis aura valu ce répit aux arabes chrétiens, aux Libanais, aux Arméniens, aux Grecs eux-mêmes, en dépit de la prise de Constantinople par les latins en 1204. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 193-195]

 

Jusqu'en 1291, « on pourrait croire que l'existence de la Syrie franque, minuscule royaume enchâssé dans l'immense territoire musulman qui va de l'Iran au Maroc, des bords de la Caspienne à ceux de l'Atlantique, s'est déroulée dans des combats incessants; pourtant Jean Richard a fait remarquer qu'en près d'un siècle (1192-1291) le royaume de Syrie compta quatre-vingt ans de paix. » [Le royaume latin de Jérusalem, p. 161, cité in Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 246] 

 

Le 9 octobre 1192 Richard rembarqua à Chypre et rentra en Europe.

 

Le 28 février 1193 Saladin mourut à Damas.

 

« La troisième croisade avait partiellement réparé les dégâts de Hâttin. La Ville Sainte n'ayant pas été reconquise, la capitale de l'état franc était désormais Saint-Jean- d'Acre. [...] Il se réduisait au littoral de l'ancien royaume, avec Saint-Jean d'Acre, Caïffa, Césarée, Arsuf et Jaffa, plus la moitié des fiefs de Ramla et Lydda. »  [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 344] 

 

« Quoi qu'il en soit, le départ de Philippe Auguste était un gage donné aux armées musulmanes et à Saladin. La défection du roi de France et d'une partie de ses troupes était un coup sensible porté à l'élan comme aux possibilités des armées chrétiennes. Cette défection pèsera lourd sur la mémoire de Philippe Auguste, et celle de Richard s'en trouvera, par contraste, rehaussée d'une gloire singulière. » [Régine Pernoud, Richard Cœur de Lion, Fayard, Mesnil-sur-l'Estrée 1988, p. 157]

 

La quatrième croisade (1202-1204)

 

Geoffroi de Villehardouin, (v. 1150-v. 1213), chroniqueur français, fut l'historien et l'un des principaux chefs de la quatrième croisade. Cette croisade fut détournée de son but, la délivrance de Jérusalem, et aboutit en 1204 à la prise de Constantinople. La Conquête de Constantinople, chronique en prose et en français (contre le latin) , sans doute rédigée vers 1207, analyse les responsabilités des protagonistes de la croisade. L'œuvre apparaît comme la simple justification d'un des chefs de la croisade, qui étaient d'avoir failli à la mission et d'avoir ruiné l'empire chrétien ; les propos de Villehardouin seraient de la sorte empreints de partialité. Si l'on peut y relever des omission, l'ouvrage, par sa clarté et sa précision, relate néanmoins des faits importants au regard de l'histoire.

 

En 1198, Innocent III lance un appel à la croisade pour la délivrance de Jérusalem. Il invite les princes d'Occident à s'unir. Aucun grand souverain n'y répond mais cet appel rencontre un vif succès auprès des chevaliers et des gens du peuple. Venise s'est engagé à fournir les navires nécessaires.

 

« Cette 4ème croisade engageait surtout les Latins dans une querelle dynastique byzantine... » [Jacques Heers, Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 83]

 

En effet, Alexis Ange, fils d'Isaac II, l'empereur détrôné de Constantinople, pria les croisés d'intervenir afin de restaurer son père, moyennant la somme de 200 000 marcs d'argent et la promesse d'une armée de 10 000 hommes pour les aider à prendre Jérusalem. Les croisés prennent Constantinople et fondent l'Empire latin d'Orient qui existera jusqu'en 1261.

 

Le 17 juillet 1203, les Croisés prirent Constantinople une première fois : Isaac II fut rétabli sur le trône par les Vénitiens et règna avec son fils Alexis Ange (1203-1204+) mais celui-ci sera assassiné par Alexis V (1204), qui mit la cité en état de défense et évidemment refusa de verser aux croisés les sommes promises.

 

Une nouvelle fois les croisés prendront la cité : le 12 avril 1204, c'est la prise et le saccage de Constantinople. Cette fois les croisés pillent la cité et massacrent la population. Alexis V est exécuté pour régicide par les Latins.

 

« Ils ne tardèrent pas à se faire excommunier par le pape... » [Régine Pernoud, Les saints au Moyen Age, la sainteté d'hier est-elle pour aujourd'hui ?, Plon, Mesnil-sur-l'Estrée 1984, p. 242]

 

Mais cette prise de Constantinople par les croisés est en quelque sorte une revanche pour les Vénitiens: en 1182, la population constantinopolitaine s'était soulevée et avait massacré tous les Latins... (Un fait qu'on oublie de préciser aujourd'hui quand on évoque le sac et le pillage de Constantinople par les Croisés.)

 

En 1204, l’Empire byzantin se transforma en « Empire latin de Constantinople ».

 

De la 4e à la 5e croisade

 

Avril 1205 Mort d'Amaury II.

 

La couronne de Jérusalem revint à la fille qu'Isabelle avait eue de Conrad de Montferrat : Marie, âgée de 14 ans, la régence fut confiée à son oncle Jean d'Ibelin, seigneur de Beyrouth.

 

Le 14 septembre 1210 Jean de Brienne épousa Marie de Montferrat; le 3 octobre, les époux furent sacrés roi et reine de Jérusalem dans la cathédrale de Tyr.

 

En 1212, c'est la Croisade des enfants, expédition de croisade populaire menée par des gens du peuple voulant partir en Terre sainte pour délivrer Jérusalem, à l'image des croisades de chevaliers. Elle se compose de deux cortèges qui partent simultanément d’Allemagne et de France. L'entreprise impressionne par sa mobilisation et son rayonnement spirituel mais ne rencontrent pas le succès : le cortège germanique se dispersa à Gênes (Italie) ; quant au cortège français, on en perd la trace après une entrevue avec Philippe II Auguste à Paris. Certains chroniqueurs affirment cependant que ce cortège serait allé jusqu'à Marseille.

 

D'autres croisades populaires, initiées sans l'appui des puissants et même souvent contre eux, ont existé comme la Croisade des pastoureaux en 1251 et 1320.

 

La cinquième croisade (1217-1221)

 

Conduite par Jean de Brienne (1172-1237), roi de Jérusalem (1210-1225). 

En 1213-1215 Innocent III annonce la croisade durant le 4e concile de Latran.

Jean de Brienne, roi de Jérusalem (1210-1225)

À l'automne 1217, arrivés à Saint-Jean d'Acre, les Croisés sont en désaccords avec Jean de Brienne. Celui-ci préconise la conquête de l'Égypte afin d'obtenir, par négociation, la restitution de Jérusalem et des territoires de l'ancien royaume. Les Croisés décident d'harceler les musulmans de Syrie-Palestine mais n'aboutissent à rien, ils se rallient à la stratégie du roi et se mettent sous son commandement. Le but était d'attaquer et conquérir le royaume ayoubide d'Égypte pour échanger les territoires conquis contre les anciens territoires du royaume de Jérusalem se trouvant sous contrôle ayoubide.

 

« En cette année 1218, les clés de Jérusalem se trouvaient au Caire. L'empire musulman, tel que Saladin l'avait constitué en unissant Alep et Damas à l'Égypte, était invulnérable du côté de la Syrie : en présence d'armées ennemies tenant la campagne, il était trop dangereux pour les chrétiens de s'aventurer pendant des mois loin de la côte, sur l'aride plateau de Judée, en vue du siège long et difficile d'une place forte comme Jérusalem. Richard Coeur de Lion [...] avait dû en convenir face à Saladin. [...] Ce n'était pas en Judée, c'était en Égypte, dans les grasses plaines du Delta, que l'empire musulman était vulnérable. possédant la maîtrise de la mer, les Francs pouvaient sans trop de difficulté s'emparer des grands ports égyptiens, Alexandrie ou Damiette, et au moyen de ce gage, obtenir par voie d'échange la rétrocession de Jérusalem. » [René GROUSSET, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 280]

 

En décembre 1217, les Francs abandonnent le siège de la forteresse du mont Thabor.

 

« Le 29 mai 1218, l'armée de Jean de Brienne débarque à Damiette, qu'elle prend le 24 août 1218. Selon l'expression du Livre des Deux Jardins, c'étaient les clés de l'Égypte qui tombaient aux mains des Francs. Trois jours après, le vieux sultan Mélik el-Adil en mourait de chagrin. Le fils aîné du sultan, Mélik el-Kâmil, qui lui succéda, prépara dans le plus grand secret une contre-attaque. Le 9 octobre il fit passer le Nil à son armée, la cavalerie sur un point de fortune, les fantassins en barque, et attaqua à l'improviste le camp chrétien. le coup faillit réussir, les Francs se trouvant en effet complètement surpris. Ce fut Jean de Brienne qui rétablit la situation. À la première rumeur, il sauta à cheval et avec trente compagnons courut aux avant-postes. Il tomba sur l'infanterie musulmane qui débarquait par grappes, en nombre tel 'qu'il en fut tout ébahi.' Toute la berge du Nil en était couverte. Ces bataillons pénétraient dans le camp d'un côté pendant que, de l'autre, leur cavalerie débouchait du pont, tout était perdu. Jean et ses trente chevaliers n'avaient plus le temps de retourner sur leurs pas pour donner l'larme. Jouant le tout pour le tout, le roi chargea avec ses trente héros, en renouvelant les exploits de Richard Coeur de Lion. "Il enleva son cheval, lui fit franchir d'un bond le fossé du camp et se lança au galop dans la masse de l'infanterie musulmane. Dans les rangs ennemis il aperçut un émir de haute taille, armé du haubert et brandissant un étendard bleu à croissant d'or. Jean piqua des éperons, pointa sa lance et atteignit l'émir d'un coup si terrible qu'il lui rompit le haubert, 'lui creva le coeur' et l'étendit raide mort. À cette vue, les Musulmans reculèrent en désordre vers le Nil pour regagner à la nage leurs embarcations.

 

« [...] Les prévisions de Jean de Brienne commencèrent alors à se réaliser. Avant même que Damiette eût été prise, le sultan d'Égypte Mélik el-Kâmil, d'accord avec son frère Mélik el-Mouazzam, sultan de Damas, offrit aux Francs la rétrocession de Jérusalem contre l'évacuation du Delta. Le roi Jean de Brienne, les barons de Syrie et les croisés français furent unanimes à accepter ces propositions. Malheureusement, à la fin de 1218 était arrivé devant Damiette le cardinal-légat Pélage qui avait aussitôt revendiqué le commandement. Pélage se présente à nous comme le mauvais génie de la cinquième croisade. [...] Le Saint-Siège dont il allait trahir la confiance, devait, à la fin de la campagne, le blâmer sévèrement de toute sa conduite. Déjà à Constantinople en 1213, il avait par son intransigeance fait échouer le programme que lui avait confié le pape Innocent III pour la réconciliation de l'Église grecque et de l'Église romaine. Cet espagnol intolérant, plein d'orgueil et de fanatisme, se montrait aujourd'hui sous Damiette tel qu'on l'avait vu en Romanie, 'dur de caractère, d'une sévérité insupportable envers tous, fastueux, insolent, se présentant comme investi de toutes les prérogatives de la Papauté, vêtu de rouge des pieds à la tête avec jusqu'à la housse et aux brides de son cheval la même couleur.' Quand on lui parla d'évacuer l'Égypte pour obtenir Jérusalem, il s'indigna : il voulait et Jérusalem et l'Égypte ! [Ce qui était une violation du but limité fixé par le pape Urbain II en 1095 lors de la Première croisade] [...] Appuyé par les Templiers, il imposa silence à Jean de Brienne et déclara rejeter les propositions du sultan. Et il ordonna de pousser avec plus d'ardeur le siège de Damiette. [...] Dans la nuit du 5 novembre 1219 ils (les Francs) s'emparèrent par escalade d'une des maîtresses tours et à l'aube la ville elle-même fut prise.

 

La prise de Damiette était l'oeuvre personnelle de Jean de Brienne, qui avait préparé et dirigé l'assaut. Néanmoins, Pélage pouvait en revendiquer le bénéfice, puisque c'était grâce à lui qu'au lieu d'accepter les propositions du sultan, on avait persévéré dans l'attaque de la place: le légat se trouvait avoir eu raison contre le roi. Son orgueil s'en accrut, ainsi que ses prétentions au commandement unique. [...] Entre ses gens, des Italiens pour la plupart, et les chevaliers français qui s'étaient rangés dy côté de Jean de Brienne, se produisirent des rixes, des combats de rue, Jean, plein d'amertume, saisit le premier prétexte pour quitter Damiette et rentrer en Syrie (29 mars 1220). Pélage, comme il l'avait voulu, restait donc seul dans Damiette à la tête de la croisade. Son orgueil ne connut plus de bornes. Depuis la conquête de la ville, il se croyait un grand capitaine. En réalité, sa suffisance n'allait pas tarder à mettre l'armée en péril. Il oublia notamment de maintenir devant Damiette une escadre d'observation, faute grave, car la maîtrise de la mer était indispensable au succès de l'expédition. Les Égyptiens de hâtèrent d'en profiter pour construire une flotte destinée à intercepter les communications entre Damiette et Saint-Jean-d'Acre. Des informateurs (sans doute des Coptes) prévinrent à temps le légat, mais celui-ci refusa d'ajouter foi à leurs paroles. [...] L'information était pourtant si exacte que, quelques jours après, les navires égyptiens prenaient la mer et commençaient entre Damiette et les ports chrétiens une guerre de course qui causa aux Francs des préjudices énormes.

 

« Cependant une fois encore, le sultan el-Kâmil proposa aux Francs de leur restituer tout le territoire de l'ancien royaume de Jérusalem s'ils lui rendaient Damiette. De nouveau Pélage fit rejeter la proposition.

« Quand les messages venus d'Égypte apportèrent la nouvelle à Philippe Auguste, le roi de France, nous dit Ernoul, pensa que le légat était devenu fou : "Il pouvait échanger une seule ville contre tout un royaume, et il a refusé!"

 

« Pélage ne s'en tint pas là. Dans les derniers jours de juin 1221,il décida d'aller conquérir Le Caire. À Acre, Jean de Brienne jugea d'un coup d'oeil la situation : "On lance l'armée dans une aventure où on va tout perdre !" Désespéré, mais n'écoutant que son devoir, il s'embarqua aussitôt, le coeur plein de sinistres pressentiments, pour rejoindre l'armée. Le 7 juillet il débarqua à Damiette. L'ordre de marche était déjà sonné par Pélage. Toute l'armée s'ébranlait vers le sud, en direction du Caire. "Ceux qui firent prendre cette décision aux Francs, dit énergiquement la chronique d'Ernoul, leur firent proprement décider d'aller se noyer!" On arrivait en effet à l'époque où, chaque année, les Égyptiens ouvrent les écluses à l'inondation du Nil. D'après l'histoire des patriarches d'Alexandrie, Jean de Brienne essaya une dernière fois d'arrêter Pélage. Celui-ci l'accusa de trahir. "Je m'associerai donc à votre marche, répliqua Jean, mais que Dieu nous juge!"

 

« L'armée franque, au sortir de Damiette, s'engagea dans le triangle des terres basses, véritable 'île', que bordent au nord le lac Menzalé, à l'ouest la branche orientale du Nil et au sud le canal du Nil appelé Bahr es-Séghir. Sur le Nil la flotille égyptienne, embossée entre Le Caire et Damiette, interceptait les communications par eau et coupait le ravitaillement des Croisés. Or le légat, persuadé qu'on allait entrer immédiatement au Caire, n'avait fait emporter qu'une quantité de vivres dérisoires. D'autre part, à la bifurcation du Nil et du Bahr es-Séghir, le sultan el-Kâmil venait d'élever la puissante forteresse de Mançoura qui, à l'abri derrière ce dernier courrier d'eau, en défendait le passage, comme elle barrait la route du Caire. Les Croisés commençaient à se rendre compte de l'impasse où ils s'étaient engagés, quand se produisit le drame final: les coupèrent es digues et l'eau envahit la plaine, ne laissant aux Francs qu'une étroite chaussée au milieu de l'inondation. 

« Pélage - on était le 26 août - se décida alors à battre en retraite. Mais la crue montait toujours et, en arrivant à hauteur de Baramoun, il fallait bien reconnaître qu'on ne pouvait plus avancer. "Les Francs auraient voulu combattre, mais leurs soldats, de l'eau jusqu'aux genoux, glissaient dans la boue sans pouvoir atteindre l'ennemi qui les criblaient de flèches." Le légat, éperdu, implore alors l'aide de Jean de Brienne qu'il a si cavalièrement traité jusque-là. "Sire, pour l'amour de Dieu, montrez maintenant votre sens et votre valeur !" - "Seigneur légat, seigneur légat, répond Brienne, puissiez-vous n'être jamais sorti de votre Espagne, car vous avez conduit la Chrétienté à sa perte. Et maintenant vous me demandez de sauver la situation, ce qu'il n'est plus au pouvoir de personne, car vous voyez bien que nous ne pouvons nui joindre l'ennemi pour combattre, ni continuer notre retraite, ni même camper au milieu de toute cette eau. Du reste, nous n'avons de ravitaillement ni pour nos chevaux ni pour nos hommes."

« Il ne restait aux Croisés qu'à offrir à Mélik el-Kâmil la reddition de Damiette, en s'estimant heureux si, à ces conditions, ils pouvaient opérer leur sauvetage (30 août 1221). Par bonheur, le nouveau sultan d'Égypte comptait parmi les esprits les plus politiques et les plus libéraux de cette glorieuse dynastie kurde, politique autant que son père el-Adil, [...] libéral et généreux autant que son oncle, le grand Saladin.

« [...] Mélil el-Kâil, saisi de compassion, fit aussitôt envoyer aux Francs les vivres nécessaires. 'Ces mêmes Égyptiens, dont nous avions naguère massacré les parents, que nous avions dépouillés et chassés de chez eux, avoue Olivier de Cologne, venaient maintenant nous ravitailler et nous sauver quand nous mourions de faim et que nous étions à leur merci... L'armée chrétienne tirée de son impasse, se rembarqua sans encombre après avoir rendu Damiette à el-Kâmil. Jean de Brienne regagna Saint Jean-d'Acre au milieu de l'estime générale. Quant à Pélage, l'auteur responsable du désastre, il eut, à son retour en Italie, à subir un blâme sévère du pape, qui, après avoir évoqué toute l'affaire, donna entièrement raison à Jean. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 280-287]

 

Malgré la prise de Damiette, cette cinquième croisade est un échec. L'échec de la cinquième croisade obligeait les Francs à réexaminer tout le problème du levant. Une attaque directe sur Jérusalem était, depuis Richard Coeur de Lion, jugée impossible. la diversion et la prise de gages en Égypte n'avaient abouti qu'à la capitulation du corps expéditionnaire.

 

« Jean de Brienne, de son mariage avec la reine de Jérusalem Marie de Montferrat, maintenant décédée, n'avait qu'une fille, alors âgée de onze ans. (La loi salique ne s'appliquant pas en Terre sainte) C'était cette enfant qui, par sa mère, se trouvait l'héritière légitime de la couronne de Jérusalem. Jean n'ayant été reconnu roi qu'à titre de prince consort. Il n'avait que vingt-huit ans. Honorius III et Hermann von Salza eurent l'idée de lui faire épouser Isabelle. Frédéric accueillit ce projet avec empressement. [...] Jean de Brienne donna sans discuter son assentiment au mariage. [...] Le souverain de l'Allemagne et de la Sicile n'allait-il pas engager toutes les forces de l'Occident dans la défense et la récupération de la Terre saine, reprendre Jérusalem,[...] ? Ainsi songeait le vieux roi. [...] Mais quand en quittant l'Italie, il vint, tout joyeux, faire part de la bonne nouvelle à Philippe Auguste, l'accueil glacial que lui fit le Capétien commença à lui faire concevoir quelque doute. Le profond politique qui venait d'édifier la France des Gaules n'avait pas été long à comprendre que le mariage impérial était la mort de la France du levant. Alors que la paputé se laissait prendre aux séductions de Frédéric II, [...] [l]a Syrie latine, malgré son caractère théoriquement international, était en fait, depuis longtemps, par la race comme par la civilisation, une terre française et le mariage de l'héritière de ses rois avec l'empereur souabe ne pouvait que la dénationaliser.

 

[...] la pauvre petite impératrice-reine n'était guère plus heureuse. Frédéric, qui, malgré les quatorze ans de sa novuelle épouse, avait hâté la consommation du mariage, la trompait déjà. D'après les chroniques franques, Jean de Brienne la trouva un jour tout en larmes parce que Frédéric venait de violer une de ses cousines, arrivée de Syrie avec elle. Jean s'en alla crier son indignation au coupable "et lui dit que, si ce n'était par peur du péché, il lui planterait son épée dans le corps." L'empereur l'obligea alors à "vider la terre". Quant à la malheureuse Isabelle, l'adolescente précocement initiée aux tristesses de la vie, elle allait mourir en couches à seize ans, le 4 mai 1228. Mais comme elle laissait un fils, le futur Conrad IV, héritier légitime du trône de Jérusalem, Frédéric put continuer à administrer au nom de cet enfant les terres d'Outre-Mer. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 289-293]

 

 

La sixième croisade (1228-1229)

 

Frédéric II à la croisade

En 1227, Frédéric II de Hohenstaufen dit "l’Antéchrist" de son vivant, empereur et Roi de Sicile (1212-1250) est excommunié par Grégoire IX parce qu'il tardait à partir en croisade.

 

En 1228, l'expédition organisée par l'empereur germanique a pour but de reconquérir les territoires du royaume de Jérusalem perdus depuis la conquête de Saladin.

 

Le banquet de Limassol

 

En juillet 1228, Frédéric se rendant en Syrie, fit escale à Chypre. Le seigneur de Beyrouth Jean d'Ibelin, fils aîné de Balian d'Ibelin, vint le recevoir avec la plus grande déférence au port de Limassol (21 juillet 1228).

«  Frédéric affecta la plus franche amitié, et l'invita, avec toute la noblesse chypriote, à un banquet magnifique, à Limassol même. Le sire de Beyrouth, qui se rappelait la fâcheuse déconvenue de Jean de Brienne, n'était pas sans se douter que ces caresses cachaient aussi quelque perfidie.[...] À la fin du festin les gardes de Frédéric surgirent, l'épée au poing, derrière les convives, et lui-même leva le masque. Sans préambule, il somma Jean d'Ibelin de lui rendre des comptes pour sa gestion des affaires de Chypre et, sur le continent, de remettre aux Impériaux la place de Beyrouth. La première demande tendait à conférer à l'empereur, roi de Jérusalem, la suzeraineté sur le royaume de Chypre avec la régence de l'État insulaire; la seconde à dépouiller le chef de la noblesse française du levant de son fief personnel. À l'appui de ses prétentions, Frédéric invoquait le droit impérial germanique. Il était impossible de signifier plus nettement que les droits et coutumes des deux royaumes français d'Orient se trouvaient abolis par le rattachement à l'Empire.

 

Jean d'Ibelin se leva. Avec une courtoise mais inébranlable fermeté, il invoqua les lois des royaumes français du levant. Il ne répondait de ses titres de propriété sur Beyrouth que devant la cour des notables du royaume de Jérusalem, à Saint Jean d'Acre, de sa gestion dans l'île que devant la cour de Chypre, à Nicosie. Contre les projets de l'absolutisme impérial, il proclama les droits et les libertés de la noblesse française, héritière de l'ancienne dynastie de Jérusalem et qui n'entendait pas laisser traiter la France du Levant comme une simple marche germanique. [...] Devant l'argument de droit féodal opposé à ses théories de droit romain, le César germanique se laissa aller à toute sa brutalité : "J'avais déjà entendu dire que votre langage est moult beau et poli et que vous êtes moult sage et subtil de paroles, mais je vous montrerai bien que toute votre éloquence ne prévaudra pas contre ma force !"

 

[...] Les barons chypriotes consentirent à reconnaître l'empereur comme suzerain de leur roi. En revanche ils refusèrent d'ajouter à cette suzeraineté globale une prestation d'hommage direct et personnel à Frédéric. La netteté de cette distinction juridique empêchait l'empereur d'établir à Chypre le gouvernement absolutiste qu'il rêvait. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 300-304]

 

En 1229, Frédéric récupérera Jérusalem, Nazareth et Bethléem par la "diplomatie" au traité de Jaffa du 18 février 1229. 

 

 - Les Lieux saints de l'islam demeuraient aux musulmans; or, ces Lieux saints comportaient la mosquée d'Omar, le Templum Domini et la mosquée al-Aqsa, le Templum Salomonis (Temple de Salomon qui avait été la "maison" des Templiers), ce qui renforça l'animosité des Templiers contre l'empereur excommunié.

- D'autre part, les murailles de la Ville de Jérusalem ne devait pas être relevées, ce qui la laissait ouverte à tous les périls...

«  Dès la date de 1229, en fait, les Sarrasins de la région s'y livraient à un pillage en règle. le seul appui dont devait jouir Frédéric II était, en dehors de l'entente nouée par lui avec les musulmans et notamment le sultan d'Égypte, celui des chevaliers Teutoniques. Leur grand maître, Hermann de Salza, assista seul au couronnement de Frédéric, couronnement fort réduit car l'empereur prit la couronne royale au Saint-Sépulcre et, comme plus tard devait le faire Napoléon, se la posa lui-même sur la tête (18 mars 1229)... Le surlendemain arrivait à Jérusalem le légat du pape qui s'empressa de mettre en interdit la Ville sainte et son roi excommunié. Frédéric II devait se venger de ces affronts en assiégeant, à Acre. Finalement il allait se rembarquer hâtivement le 1er mai suivant, poursuivi par une émeute populaire. » [Régine Pernoud, Les Templiers, Presses Universitaires de France, Que Sais-je ? Vendôme 1996, p. 65]

 

René Grousset relate ainsi l'évènement :

 

«  [Q]uand Frédéric II quitta Acre pour regagner l'Italie, le 1er mai 1229, son départ donna lieu à des scènes pénibles, tant les éléments guelfes étaient montés contre lui. Conscient de son impopularité, il était allé s'embarquer à l'aube, presque furtivement, accompagné des seuls barons. mais son départ fut éventé. Comme il traversait le quartier des halles pour descendre au port, bouchers et bouchères, accourus sur le pas de leur porte, l'injurièrent grossièrement en lui jetant des tripes et de la fressure au visage. Jean d'Ibelin et le connétable Eude de Montbéliard n'eurent que le temps de se précipiter pour empêcher la populace de se livrer contre lui à de pires violences. Il s'embarqua plein de haine et, après un second arrêt en Chypre, fut de retour en Italie le 10 juin 1222.

 

[...] Telle fut le lamentable épilogue d'une croisade qui, somme toute, avait brillamment réussi, puisque seule d'entre toutes les expéditions similaires depuis 1190, elle avait rendu Jérusalem aux chrétiens. [...] S'il [Frédéric] avait assez bien pénétré la psychologie musulmane, il n'avait rien compris à la psychologie de l'élément français. Cet élément si facile à s'attacher avec un peu de bonne grâce (Richard Coeur de Lion en est la preuve), il l'avait heurté de front par un mélange de duplicité et de brutalité qui avait "cabré" l'opinion. [...] Il partait sous les huées, ne laissant derrière lui qu'une traînée de haine et une semence de guerres civiles. [...] Saint Louis viendra, perdra tout et ne recueillera que respect et bénédiction. Qu'avait-il donc manqué à cette brillante intelligence, à ce précurseur des temps modernes ? Sans doute un peu de bonté chrétienne, de détente et d'amour. » [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 319-320]

 

Lorsque Jean mourut (1236), la Syrie franque, comme le royaume de Chypre, était pratiquement soustraite au césarisme frédéricien. le baron français avait triomphé du saint Empire romain germanique. [René Grousset, L'Épopée des Croisades, Éditions Perrin, Collection Tempus, Malesherbes 2017, p. 323]

 

En 1244, Jérusalem fut définitivement reprise par les Turcs. 

Le sultan Baïbars (1260-1277) devait enlever les principales places fortes: Césarée (1265), Jaffa (1268), Antioche (1268, puis le krak des chevaliers (1271). Après lui, le sultan Qalaoun, en 1289, s'emparait de Tripoli, et son fils et successeur, Al-Ashraf, par la prise d'Acre le 28 mai 1291), mettait fin, définitivement, au royaume franc de Syrie." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 13-14]

 

"Excommunié et déposé au concile de Lyon (1245), l'empereur, au soir de sa vie, se contente de fournir quelques approvisionnements pour la croisade de Saint-Louis et de demander au roi capétien que ses conquêtes éventuelles aillent au royaume de Jérusalem." [Michel Balard, Les Croisades, ibid., p. 108] 

 

 

De la Sixième croisade à la septième croisade

 

1238 Mort du sultan al-Kâmil. La trêve conclue entre Frédéric et al-Kâmil expire en juillet 1139.

 

En novembre 1239 les croisés sont défaits Gaza; les Musulmans reprennent Jérusalem. Rétrocédée en 1241 à la Paix dite d'Ascalon, Jérusalem sera définitivement perdue en 1244, prise et pillée de fond en comble par les Kharezmiens.

 

Sous l'empereur latin Baudouin II (de Courtenay), de nombreuses reliques chrétiennes de Constantinople furent vendues au roi de France Louis IX. Parmi ces objets se trouvait la sainte Couronne d'épines (Chaque vendredi de carême la Sainte Couronne est exposée à Notre Dame de Paris).

 

En août 1238, le roi Saint Louis (Louis IX) accueillit cette relique solennellement à Paris et en 1241 – le premier morceau de la Sainte Croix. Un an après furent apportées à Paris une pierre du Saint-Sépulcre, des morceaux de la sainte Lance et de la sainte Eponge. Afin de conserver ces objets sacrés, la Sainte-Chapelle fut construite au centre de Paris, dans l'île de Cité. Ce sanctuaire existe toujours. En 1804, après la fermeture de la Sainte-Chapelle, la sainte Couronne d'épines et les morceaux de la Sainte Croix furent transférés, à la demande instante de l'archevêque de Paris, à la cathédrale Notre-Dame où ils sont toujours conservées. Tous les vendredis du Carême, habituellement dans l'après-midi, la sainte Couronne d'épines est exposée à la vénération, et le Vendredi Saint, on expose aussi les morceaux de la Sainte Croix. Tous les autres jours, l'accès aux reliques est fermé.

 

En octobre 1240 arrive à Acre la croisade anglaise menée par Richard de Cornouailles.

 

Le 23 avril 1241 la paix d'Ascalon rétrocède aux Francs Jérusalem et Bethléem.

 

Le 23 août 1244, les Kharezmiens prennent et pillent de fond en comble Jérusalem laissée sans défense, c'est la perte définitive de la cité sainte.

 

Le 17 octobre 1244, lors du désastre de La Forbie, les Kharezmiens anéantissent l'armée de campagne franque composée essentiellement de Templiers, d'Hospitaliers et de Teutoniques.

Débarquement de Saint-Louis à Damiette en Égypte (6 juin 1249). Tableau de Rouget, XIXe siècle. Musée du Château, Versailles, in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 74

Débarquement de Saint-Louis à Damiette en Égypte (6 juin 1249). Tableau de Rouget, XIXe siècle. Musée du Château, Versailles, in Patrick Huchet, Les Templiers, De la gloire à la tragédie, éd. ouest-France, 2002, p. 74

La septième croisade (1248-1254), croisade de Saint-Louis

 

C'est la "croisade de Louis IX de France ".

 

1226 Mort de Louis VIII. Louis, aîné des cinq fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, qui n'a que douze ans à la mort de son père, règnera sous la régence de sa mère de 1226 à 1236. Cette dernière, très pieuse, lui enseignera comment devenir un bon chevalier chrétien, capable de discuter de théologie et de conduire une armée, d'imposer sa volonté aux barons après avoir lavé les pieds des pauvres.

 

1244 Saint Louis fait vœu de croisade.

 

1245 Concile de Lyon: proclamation de la croisade.

 

1248-1254 Septième Croisade, Blanche de Castille reprend le gouvernement du royaume. Louis IX ayant fait le voeu de partir, désirant libérer Jérusalem, choisit la voie maritime.

 

Croisades

25 août 1248 Les Français s'embarquent à Aigues-Mortes; ils arrivent à Chypre le 17 septembre et y passent l'hiver.

 

5 juin 1249 Débarquement des Francs à Damiette : prise de la ville.

 

12 février 1250 Difficile victoire de Mansourah : l'avant-garde de l'armée dirigée par Robert d'Artois est anéantie, mais la victoire revient quand même aux Francs.

Récit de la bataille de Mansourah (Régine Pernoud)

 

Récit de la Bataille de Mansourah par Régine Pernoud [Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 302-305 ]:

 

"Le téméraire Robert d'Artois (le frère du roi), à la recherche de l'exploit isolé, de l'action d'éclat et par goût du panache, incarne le mauvais génie de l'expédition. C'est lui d'abord qui décide le roi, contre le conseil des barons, à porter l'offensive sur Babylone (Le Caire), au lieu d'aller d'abord assiéger Alexandrie, où l'armée eût été plus facilement ravitaillée, grâce au port...

 

"Or, sitôt que le comte d'Artois eut passé le fleuve, lui et tous ses gens se lancèrent sur les Turcs qui s'enfuyaient devant teux. Les templiers lui mandèrent qu'il leur faisait grand affront, quand, devant aller après eux, il allait devant; et ils le prièrent de les laisser passer au premier rang comme il avait été réglé par le roi.

 

"Mais Robert d'Artois tenait à attirer sur sa personne les honneurs de la journée. Il poussa son cheval, et les templiers piqués au vif, s'élancèrent après lui, "piquant des éperons qui plus, plus, et qui mieux, mieux".

 

"Ainsi tout l'ordre de bataille se trouvait compromis, l'avant-garde lancée dans une mêlée follement imprudente dans la cité de Mansourah, tandis que le gros de la troupe était encore au-delà du fleuve. C'était vouer l'entreprise entière au pire désastre. Un instant l'attaque de Robert d'Artois sembla réussir.

 

"Dans le camp égyptien, où l'on ignorait tout de la maoeuvre de l'armée royale, ce fut la panique et l'émir Fakhr-al-Din, surpris dans son bain, n'eut que le temps de sauter à cheval et fut tué d'un coup de lance.

 

"Eût-il su s'arrêter en cet instant, Robert d'Artois avait effectivement les honneurs de la bataille.

 

"À ce moment précis lui arrivèrent dix chevaliers envoyés par son frère pour lui donner ordre de s'arrêter.

 

"Sans vouloir rien entendre, refusant d'obéir, il reprit sa charge et s'élança follement dans les rues de Mansourah.

 

"Mais à la tête de la cavalerie mamelouke, arrivait le fameux Baïbars dont le nom n'allait pas tarder à devenir célèbre dans les annales aussi bien franques qu'orientales...

 

"La poignée de chevaliers français fut balayée aussi bien que les Templiers qui les suivaient, et chacune des ruelles étroites de la ville fut bientôt pour ces malheureux autant d'embuscades dans lesquelles ils furent massacrés comme des bêtes prises au piège. Bientôt les Mamelouks victorieux passaient eux-mêmes à l'attaque, et le gros de la troupe royale subissait leur assaut dans les conditions les plus défavorables, avant qu'aient pu se former les corps de bataille, et tandis que l'arrière-garde, confiée au duc de Bourgogne, était encore au-delà du fleuve.

 

"Ainsi un accès de démesure avait-il anéanti l'effet de cette traversée à laquelle l'armée égyptienne était loin de s'attendre et mis la croisade au bord de la défaite.

 

"On peut dire que nous étions tous perdus en cette journée, si le roi n'avait payé de sa personne", écrit Joinville.

 

"Seule, en effet, la valeur personnelle du roi devait sauver la situation.

 

"C'est en cet instant que le chroniqueur nous trace de lui l'inoubliable portrait Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 303):

 

"Et vint le roi avec tout son corps de bataille à grands cris et à grand bruit de trompettes et de timbales; et il s'arrêta sur un chemin en chaussée.

 

"Jamais je ne vis si beau chevalier car il paraissait au-dessus de tous ses gens, les dépassant à partir des épaules, un heaume doré sur la tête, une épée d'Allemagne en main.

 

"Valeur de corps et bonté d'âme", l'idéal chevaleresque est parfaitement personnifié ici en la personne du roi.

 

"C'est effectivement, en cette journée, son courage personnel autant que ses prouesses qui sauvent la situation.

 

"Tout est à retenir dans cette page si admirablement retracée par le chroniqueur: tout, et aussi la belle humeur dont lui et ses compagnons font preuve en des circosntances désespérées.

 

"Joinville nous raconte qu'à cet instant, critique entre tous, il s'avise qu'un ponceau (un petit pont), jeté sur un ruisseau, est resté sans défenseur; il propose au comte de Soissons de s'employer à le garder, car, "si nous le laissons, les Turcs s'avanceront sur le roi par-deça, et si nos gens sont assaillis par deux côtés, ils pourront bien succomber". Tous deux donc défendent le ponceau, tenant héroïquement, assaillis tantôt par des jets de feu grégeois, tantôt par les grêles de flèches sarrasines ("Je ne fus blessé de leurs traits qu'en cinq endroits", raconte calmement le sénéchal)…

 

"Pour en finir, la victoire reste à l'armée royale, victoire durement payée, mais qui leur permet de tenir dans Mansourah.

 

"Décimée par une dure victoire, l'armée allait être ensuite, sous le ciel implacable, en proie à l'épidémie. Saint-Louis lui-même fut atteint du typhus... Bloquée par une flotille qui interceptait tout convoi de ravitaillement entre Damiette et le camp chrétien, l'armée dut enfin capituler" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 305]

 

Le 5 avril 1250, les croisés entament une retraite sur Damiette.

 

L'année 1250 marque aussi l'avènement des sultans mamelouks en Egypte.

 

Le 7 avril de la même année 1250, Louis IX est fait prisonnier par les Égyptiens.

 

"Les conseillers du sultan éprouvèrent le roi pour savoir si le roi leur voudrait promettre de livrer quelques-uns des châteaux du temple ou de l'Hôpital ou des châteaux des rois du pays...

 

"Et ils le menacèrent, lui disant que puisqu'il ne le voulait pas faire, ils le feraient mettre à la torture.

 

"A ces menaces le roi leur répondit qu'il était leur prisonnier, et qu'ils pouvaient faire de lui à leur volonté.

 

"Quand ils virent qu'ils ne pouvaient vaincre le bon roi par des menaces, ils revinrent à lui, et lui demandèrent combien il voudrait donner d'argent au sultan, et avec cela s'il leur rendrait Damiette.

 

"Le roi alors répondit que si le sultan voulait prendre de lui une somme raisonnable de deniers, il demanderait à la reine qu'elle les payât pour leur délivrance.

 

"Et ils dirent: "Pourquoi ne voulez-vous pas vous y engager ?"

 

"Le roi leur répondit qu'il ne savait si la reine (Marguerite de Provence) le voudrait faire, parce qu'elle était la maîtresse..." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 297]

 

Le 6 mai 1250, les Francs restitue Damiette aux musulmans; Saint-Louis est libéré moyennant une lourde rançon.

 

Perte définitive de Jérusalem par les latins. De 1250-1254, Saint-Louis conclut une alliance avec les Mamelouks qui libèrent les derniers prisonniers et, en échange d'une alliance contre les Ayyubides de Syrie, promettent la restitution de Jérusalem, Bethléem et presque tout le territoire de l'ancien royaume en deçà du Jourdain. Cependant, comme rien de décisif n'a été obtenu, les Mamelouks font la paix avec les Syriens à l'instigation du calife, en 1253. Saint Louis renforce le dispositif défensif de Terre sainte, restaure les fortifications des places côtières qui restaient aux Francs (Acre, Césarée, Jaffa, Sidon), rétablit l'entente au sein de la principauté d'Antioche, divisée par les querelles familiales, et enfin réconcilie cette dernière avec les Arméniens.

 

Il négocie des trêves avec les princes musulmans avant de repartir pour la France (1254).

 

Le 24 avril 1254, Saint-Louis rentre en France. Il "porte au Puy la statue miraculeuse de Notre Dame que le Sultan lui a donnée et que la tradition dit avoir été sculptée par le prophète de l'Ancien Testament Jérémie, lorsque poursuivi par la haine des siens, il se serait retiré en Égypte annonçant la destruction des idoles par un Dieu qui naîtrait d'une Vierge... Le 3 mai, la statue est portée processionnellement pour remercier Marie du retour du Roi de la Terre Sainte [Marquis de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'histoire de France, Éditions Résiac, Montsûrs 1994, p. 76]

 

"Notre-Dame du Puy était pour le peuple croyant au Moyen Age un peu ce qu'est pour celui d'aujourd'hui Notre-Dame de Lourdes. Les pèlerinages s'y succédaient, attirant au coeur de la France, dans ce cadre extraordinaire de roches volcaniques, des files interminables où se mêlaient les gens de tous états, serfs, moines, seigneurs ou prélats, pieds nus et cierges en main. C'est là, dans la ferveur de cette foule qu'accueillait une cathédrale alors neuve, prolongée par son grand porche, son cloître et ses annexes où les pèlerins trouvaient un abri, qu'avait pour la première fois résonné l'antienne du Salve Regina, longtemps appelée l'hymne du Puy." [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p 29]

 

L'infériorité numérique: constant problème des Croisés (George Bordonove)

 

"... le problème constant des rois de jérusalem tenait à l'infériorité numérique de leur armée. Il n'est pas exagéré de dire que, face à la marée turque ou arabe, renouvelée sans cesse et quasi inépuisable, les Francs n'étaient qu'une poignée... Leur idéal, leur pugnacité, la qualité de leur armement, les avantages de leur tactique ne compensaient pas toujours les pertes sévères qu'il leur arrivait de subir... La population du royaume (y compris la principauté d'Antioche, les comtés d' Édesse et de tripoli) est généralement, et très approximativement, évaluée à un million d'âmes. Les Francs représentaient à peine cent mille personnes. Ces derniers étaient d'anciens croisés venus d'occident qui étaient restés en Terre sainte et s'y étaient mariés (parfois avec des musulmanes converties à la foi catholique)... [Georges Bordonove in Les Croisades (1096-1270), Les dossiers Historia, Éditions Tallandier, Saint-Amand 1999, p. 130. Ce volume réunit des textes parus dans Historia Spécial numéro 4 (mars - avril 1990), numéro 39 (janvier - février 1996) et numéro 53 (mai - juin 1998), ainsi que des compléments, annexes et inédits.]

 

"Une prospérité sans précédent"

 

"Nous avons été des Occidentaux, écrit Foucher de Chartres, nous sommes devenus des orientaux; celui qui était romain ou franc est devenu galiléen ou habitant de Palestine; celui qui habitait Reims ou Chartres se voit citoyen de Tyr ou d'Antioche. Nous avons déjà oublié les lieux de notre naissance; déjà ils sont inconnus à plusieurs de nous, ou du moins ils n'en entendent plus parler. Ceux qui étaient pauvres dans leur pays, ici Dieu les fait riches".

 

"Les récits des chroniqueurs musulmans (Usâma, Ibn-Jobaïr) confirment les assertions de Foucher de Chartres. Ces chroniqueurs ne peuvent s'empêcher de souligner les bienfaits de la cohabitation entre les musulmans et les chrétiens, l'esprit de justice des seigneurs francs et de leur roi, la prospérité du royaume de Jérusalem... tout montre qu'en dépit de l'état de guerre presque permanent, le royaume de Jérusalem connaissait une prospérité sans précédent. Elle était imputable au rétablissement des échanges commerciaux entre l'Orient et l'Occident" [Georges Bordonove in Les Croisades, les dossiers Historia, Saint-Amand 1999, p. 130-131]

 

Les Croisés mettaient en valeur les terres d'Orient (Jacques Heers)

 

"Il est certain, dit Jacques Heers, bien que cela soit généralement occulté ou dit seulement par allusion [...], que cette croisade et les suivantes ne furent pas seulement le fait de chevaliers, de seigneurs fonciers; elles ont également engendré d'importants déplacements de paysans et d'artisans de tous les métiers qui, en s'installant si loin de chez eux, ont créé en Orient de nouveaux villages et mis en culture des terres qui, jusque-là, servaient de parcours aux troupeaux des nomades...." [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche (Sarthe) 2002, p. 14]

 

Les indigènes n'étaient pas 'pressurés' par les Francs (Jean Richard)

 

Ils gardent leurs coutumes et continuent de s'administrer eux-mêmes (Jean Richard)

 

"Comme l'écrit l'historien des croisades Jean Richard, "ce serait une erreur de considérer les indigènes comme une masse de tenanciers et d'artisans pressurés par la race franque dominante... Les Musulmans bénéficient comme les autres de ce trait propre à la mentalité du temps qui fait que chaque individu est jugé selon le droit particulier du groupe social auquel il appartient, ce qui ne favorise pas l'unification: ils gardent leurs coutumes et continuent à s'adminsitrer eux-mêmes... [Jean Richard cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 167]. On est donc loin du cliché du fanatique croisé barbare, exploiteur et oppresseur des musulmans...

 

Des musulmans, maîtres de leurs habitations et de leur administration (Ibn Djobaïr)

 

Le témoignage le plus frappant à ce sujet est celui souvent cité, du voyageur arabe Ibn Djobaïr, résolument hostile aux Francs et qui écrit néanmoins, à la date de 1184, racontant le voyage qu'il fit alors de Damas à Acre: "Nous avons quitté Tibnin (Toron) par une route longée cosntamment de fermes habitées par des Musulmans qui vivent dans un grand bien-être sous les Francs – puisse Allah nous préserver de semblalbe tentation! Les conditions qui leur sont faites sont l'abandon de la moitié de la récolte au moment de la moisson et le paiement d'une capitation d'un dinar et sept qîrâts, plus un léger impôt sur les arbres fruitiers. Les Musulmans sont maîtres de leurs habitations et s'administrent comme ils l'entendent... Telle est la constitution des fermes et bourgades qu'ils habitent en territoire franc... (Ibn Djobaïr cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168)

 

Justice des Francs et tentations des Musulmans de s'installer dans leurs seigneuries (Ibn Djobaïr)

 

"...Les cœurs de nombreux Musulmans sont remplis de la tentation de s'installer ici [...], quand ils voient la condition de leurs frères dans les districts gouvernés par les Musulmans, ajoute-t-il, c'est que, dans les pays gouvernés par leurs coreligionnaires, ils ont toujours à se plaindre des injustices de leurs chefs, tandis qu'ils n'ont qu'à se louer de la conduite des Francs [...], en la justice de qui ils peuvent toujours se fier..." [Ibn Djobaïr cité dans Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168]

 

Cet hommage rendu par un voyageur Arabe à la justice des Francs en 1184 [l'admirable roi lépreux Baudouin IV (1174-1185) doit y être pour beaucoup...], est précieux à rappeler dans le contexte actuel où les Croisés sont présentés comme des seigneurs injustes, cupides et oppressifs... Et le texte indique bien qu'il n'y a eu aucune spoliation de la population indigène au profit des vainqueurs.

 

Pas de spoliation de la part des Francs (Ibn Djobaïr)

 

Le texte (d'Ibn Djobaïr) indique qu'il n'y a eu aucune spoliation de la population indigène au profit des vainqueurs... On peut comparer leur sort à celui de tous les métayers, et la taxe personnelle qu'ils versent à tous les seigneurs (1 dinar et 7 qîrâts, correspondant à un besant équivalent de 12 francs-or) est loin d'être excessive.

 

Le même voyageur écrit plus loin: "Nous nous sommes arrêtés dans un bourg de la banlieue d'Acre. Le maire qui était chargé de la surveillance était musulman; il avait été nommé par les Francs et préposé à l'administration des cultivateurs habitant l'endroit". Ainsi on leur faisait confiance même pour l'administration. Et l'on a pu citer tel cadi arabe, un nommé Mansour Ibn Nabil, à qui le prince d'Antioche, Bernard III, avait confié l'administration de toutes les affaires musulmanes dans la région de Lattakieh" [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 168-169]

 

Jacques Heers écrit lui aussi que "contrairement à une idée encore trop souvent admise, ces commerces lointains (en Orient) n'étaient pas, pour les hommes d'affaires des villes portuaires d'Italie, une activité fondamentale dont aurait dépendu leur prospérité et celle de leur ville. Nous en avons beaucoup exagéré l'importance et d'autres négoces comptaient bien plus: ceux des produits alimentaires (blés, vins, huiles) et ceux de la laine. De toute façon, il ne semblait pas nécessaire de conquérir la Terre sainte pour s'assurer un meilleur ravitaillement en produits orientaux. Jérusalem et les autres villes de Palestine étaient alors peu visitées par les grands marchands, musulmans ou chrétiens; leur production en objets de prix restait relativement pauvre, et les caravanes qui amenaient les épices de l'Asie lointaine passaient par d'autres routes, soit vers l'Egypte, soit par Damas et Cosntantinople. Au moment où le pape et les évêques prêchaient la croisade, les hommes d'affaires italiens, fréquentaient déjà assidûment depuis quelques décennies, ces marchés du Caire, d'Alexandrie et de Byzance; ils en connaissaient les routes et les pratiques; ils y avaient obtenu des garanties et même, à Constantinople, des comptoirs situés dans la ville. Attribuer une influence décisive aux marchands "capitalistes" italiens, à leurs ambitions effrénées et à leur soif de profits, c'est privililégier une seule optique et, en outre, méconnaître la géographie des routes et des négoces de cette époque... En tout état de cause, ...ces grands marchands, ...ni dans ces années mille, ni en d'autres occasions aussi riches de perspectives nouvelles (lors des grandes découvertes atlantiques, quatre cents ans plus tard, par exemple), ne furent des aventuriers. Risquer des investissements et des énergies vers des horizons non encore explorés, aux ressources incertaines, ne pouvait les intéresser. Ce qui leur convenait, c'était poursuivre leurs affaires sur des routes et des marchés parfaitement connus, inventoriés, qui avaient fait leurs preuves. La croisade était forcément une aventure; ce n'était pas la leur" [Jacques Heers, La Première Croisade, Libérer Jérusalem 1095-1107, Collection Tempus, La Flèche (Sarthe) 2002, p. 14-15]

L'Apparition d'une tolérance dans la pratique du culte musulman de la part des Croisés

 

"Enfin, ce n'est pas une mince surprise que de le dire, toujours dans la même relation, émanant, nous l'avons dit, d'un écrivain particulièrement hostile aux croisés, la mention de deux mosquées à Acre, converties en églises, mais où les Musulmans ont le droit de continuer à se réunir et d'y prier tournés vers La mecque selon leurs habitudes anciennes... Ce n'est pas une exception puisque le même fait est rapporté par un autre écrivain arabe, Ousamah, qui atteste que, se trouvant à Jérusalem, il a pu faire ses prières dans une mosquée transformée en chapelle, mais où ses coreligionnaires avaient néanmoins l'autorisation de venir prier selon leur culte (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169).

 

L'accusation d'idolâtrie fut portée contre les Templiers par Clément V puis Jean XXII...].

 

L'établissement de relations amicales (Régine Pernoud)

 

Enfin, les exemples abondent, cités par les historiens occidentaux comme Foucher de Chartres et par des Musulmans comme Ibn-al-Qalanisi, de relations amicales qui sont établies un peu partout en Palestine entre les populations, notamment les populations rurales et les vainqueurs... [donc là aussi, on est loin du cliché des croisés fanatiques, oppresseurs et exploiteurs...]

 

La note juste, en ce domaine, semble avoir été fournie par l'historien Claude Cahen, lorsqu'il écrit: "L'établissement de la domination franque n'a pas dû se traduire dans les peuples indigènes par un grand bouleversement. Une classe supérieure nouvelle se substitue à l'ancienne, pour se superposer à la société rurale antérieure: ignorante des conditions du sol, elle s'en remet naturellement à cette société du soin d'en continuer l'exploitation au profit des nouveaux maîtres, mais selon leurs propres traditions" (Claude Cahen cité dans Régine Pernoud Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169).

 

Des Musulmans, fiscalement mieux traités que les Chrétiens (Régine Pernoud)

 

Chose curieuse, on a pu relever que, du point de vue fiscal, les Musulmans se trouvaient mieux traités que les populations chrétiennes, car celles-ci étaient assujeties au paiement de la dîme envers les églises, à laquelle les Musulmans n'étaient pas astreints... Les Arméniens disposés à venir s'installer à Jérusalem se seraient plaints de cette inégalité des conditions. Tout cela indique un régime beaucoup plus tolérant qu'on n'a coutume de l'imaginer...

 

Il ne sera pas rare de voir des indigènes dans l'entourage immédiat des barons. Le roi baudouin Ier eut ainsi pour chambrier un Sarrasin qui, nous raconte le chroniqueur, était son familier, et en qui le roi se fiait plus qu'à tous les autres. Il avait été sarrasin, mais il avait autrefois demandé le baptême, par grande volonté de bien faire, semble-t-il, si bien que le roi en eut pitié; il le fit baptiser, le tint sur les fonts et lui donna son nom; puis il le reçut en sa mesnie (maisonnée)... Mal lui en prit d'ailleurs, car beaucoup plus tard, cet homme tenta de l'empoisonner... On voit même le chevalier Renaud de Sidon se faire accompagner d'un musulman – qui, lui, n'est pas baptisé – pour lui servir d'"écrivain". D'ailleurs le personnage de l'interprète, du "drogman", était trop indispensable aux seigneurs francs dans l'administration de leur nouveau domaine pour qu'ils hésitent à en recruter; mais, dans bien des cas, on s'aperçoit qu'ils leur accordent volontiers leur confiance, et cela montrer qu'une familiarité inattendue a pu naître entre Francs et Sarrasins" (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 169-170)

 

Joinville (1225-1317), sénéchal héréditaire de Champagne, auteur de la Vie de Saint-Louis (rédigée entre 1305 et 1309, plus de cinquante ans après la septième croisade), est conscient que si la croisade n'a rien conquis, elle a, pour le moins, accordé un sursis de quarante ans aux États latins. [Martin Aurell, Des Chrétiens contre les croisades, XIIe – XIIIe siècle, ibid., p. 303]

 

De la septième à la huitième croisade

 

Février 1258 Les mongols descendants de Gengis Khan prennent et mettent à sac Bagdad : fin du khalifat abbasside.

 

Septembre 1260 Prise de pouvoir du sultan mamelouk Baîbars; Victoire des Mamelouks sur les Mongols à Aîn Jalûd; Les Mongols rejetés de Syrie par les Mamelouks; les Francs ont autorisé les musulmans à traverser leurs États pour se porter au-devant des envahisseurs tartares.

 

27 février 1265 Prise de Césarée par les Mamelouks.

 

1268 Les Francs perdent Jaffa, Beaufort, Antioche et Baghras.

 

1269 Croisade aragonaise menée par les bâtards du roi d'Aragon, Fernando Sanchez et Pedro Fernandez.

 

 

La huitième croisade (1270)

 

Mars 1270, Saint Louis prend la croix voulant tenter de convertir le sultan et évangéliser les musulmans, mais la peste sévit sur toute l’armée...

 

Le 2 juillet 1270 Les troupes françaises quittent Aigues-Mortes.

 

Le 18 juillet 1270, Saint-Louis Débarque à Tunis; la peste frappe les Croisés.

La mort de Saint Louis

 

Saint Louis eut une fin de missel et de vitrail. Les nouvelles d’Orient étaient mauvaises, le royaume chrétien de Jérusalem s’en allait par morceaux : il voulut empêcher que l’œuvre de deux siècles fût anéantie.

 

Mais l’enthousiasme des croisades était tombé.

 

L’ardeur de la renaissance religieuse aussi.

 

Avec Saint Louis les croisades allaient finir : à peine arrivé à l’endroit où avait été Carthage (Tunis), le saint roi comme l’appelait déjà la renommée, mourut de la peste à l'âge de 55 ans, samedi 25 août 1270, "à 3 heure de l' après midi comme Jésus Christ" note son chroniqueur Jean de Joinville, en répétant le nom de Jérusalem, que personne n’entreprendrait plus de délivrer après lui.

 

Son amour du Seigneur inspira à Saint Louis de faire élever plusieurs chapelles, entre autres, la Sainte-Chapelle, souvent considérée comme un chef d’œuvre de l’art gothique, pour recevoir, abriter et honorer des reliques de la Croix et de la Passion, ramenées de la Croisade.

 

Sainte-Chapelle

 

Protecteur des opprimés, redresseur de torts, "le chêne de la sagesse" reçut de Dieu le don du discernement, l’art de gouverner, en plus d’un cœur intelligent et sage. Cette intelligence du cœur lui permit, sans lui faire abdiquer son devoir de juge, d’envelopper sa fermeté de miséricorde. La force d'âme du roi mourant, dans un camp ravagé par la peste, fit plus pour sa renommée que n'eût fait une éphémère victoire. Il fut canonisé en 1297 par le pape Boniface VIII (alors en conflit avec son neveu Philippe IV le Bel qu’il excommuniera en 1303). Sa fête est le 25 août.

 

"Pour couronner les hommages rendus à la Mère de Dieu chaque samedi, il [Saint-Louis] avait désiré mourir ce jour-là, et cette grâce lui fut accordée par Marie qui, le samedi 25 août, le reçut et le couronna au paradis..." [Marquis de la Franquerie, La Vierge Marie dans l'histoire de France, Éditions Résiac, Montsûrs 1994, p. 78]

 

 

"Songez à saint Louis, qui se faisait représenter sous une voûte bleue constellée d'étoiles (les fleurs de lys), symbole du ciel, et qui refusait les terres que lui donnait l'Empereur germanique pour le remercier de lui avoir été favorable dans un arbitrage, parce qu'il estimait que ce terres n'étaient pas "françaises" – théorisant même la "puissance bornée", c'est-à-dire les frontières...

 

"L'aspiration du Roi saint (comme d'ailleurs le Roi David, le modèle biblique du "bon roi") n'était pas la conquête, la dimension géographique, mais le respect des héritages, le perfectionnement intérieur, la fidélité à son modèle, à son Être, et non à son avoir" (Paul-Marie Coûteaux).

 

Enracinement de l'idée "c'est une chance d'être français" (Pierre Chaunu)

 

 

« L'idée que c'est une chance d'être français s'enracine entre le XIIe et le début du XIVe s. Elle est exprimée par l'image mythique de saint Louis sous son chêne qui fait régner la justice.

 

« "À qui se pourront désormais les pauvres gens clamer / Quand le bon roi est mort qui tant les sut aimer ?", tels sont les mots qui accompagnent l'annonce de sa mort à Tunis en 1270. Ils résument l'idée de paix et de justice que doivent incarner le roi de France et ses conseillers, quand ils sont fidèles. » [Pierre Chaunu, Éric Mension-Rigau, Baptême de Clovis, baptême de la France, De la religion d'État à la laïcité d'État, Éditions Balland, Paris 1996, p. 126]

 

À l’intérieur du royaume, Louis IX , très soucieux de la justice, organise une section judiciaire de la cour du roi, interdit les guerres privées dans ses domaines (ce qui favorise la paix intérieure) et supprime le duel judiciaire. Il fonde plusieurs hôpitaux, notamment l'Hôtel-Dieu pour les pauvres et les Quinze-Vingts pour les chevaliers victimes de mauvais traitements durant les croisades.

 

En Europe, à la mort de saint Louis, l’Etat français dont les traits principaux sont fixés, a pris figure au dehors: il est sorti victorieux de sa lutte contre les Plantagenêt [par une sage politique de paix familiale qu'un peu peu plus tard, le brutal Philippe IV le Bel bouleversera, suscitant la Guerre de Cent Ans], la menace allemande a été conjurée et maintenant, l’Angleterre (provisions d’Oxford 1258, le roi doit partager le pouvoir avec un conseil de barons) et l’Allemagne sont en pleine révolution.

 

La fin des états latins d'Orient

 

Le prince Edouard d'Angleterre est arrivé trop tard pour participer à la croisade de Louis IX à Tunis. Avec un petit millier d'hommes, il participe à de petites expéditions. Mais sans l'aide des Mongols, la croisade n'obtient que peu de résultats.

Face au manque de moyens, Edouard remarque à Acre en direction de l'Europe le 22 septembre 1272 pour prendre la succession de son père Henri III. La neuvième croisade prend fin. Saint-Jean-d'Acre tombe en 1291.

Croisades

En 1302, l'île d'Arouad à trois kilomètres des côtés syriennes, le dernier bastion chrétien tenu par les Templiers est abandonné. Les autres tentatives de reconquête échouent, tout espoir est définitivement perdu.

 

Le sultan Baïbars avait fait ses premières armes contre Saint Louis à la bataille de Mansourah; personnalité violente que celle de ce Turc de Russie (il était originaire de Crimée).

Le sultan Baïbars que sir Steven Runciman appelle le diable, fit décapiter toute la population de Safad à qui il avait promis la vie sauve en échange de sa reddition. Il massacra les adultes et réduisit en esclavage les enfants du village chrétien de Qara entre Homs et Damas qu'il suspectait d'être en contact avec les Francs. "Quand les chrétiens d'Acre envoyèrent des émissaires pour obtenir la permission d'enterrer les corps, il refusa de façon grossière, leur disant que s'ils voulaient des dépouilles de martyrs, ils en trouveraient chez eux. Pour mener à bien sa menace, il marcha vers la côte et tua chaque chrétien qui tombait entre ses mains." (Runciman, vol. 3, p. 321)

 

À propos de la capture d'Antioche en 1268, Runciman rapporte que "même les chroniqueurs musulmans étaient choqués par le carnage qui avait suivi."

 

 

Le 7 avril 1271, le mamelouk Baîbars s'empare du krak des Chevaliers.

 

"Une série d'assassinats l'avait amené à occuper le trône d'Égypte et désormais, sous l'assaut des Mamelouks menés par ce prodigieux soldat, les forteresses franques tombaient l'une après l'autre: Césarée, Arsouf, Saphed, Jaffa, Beaufort avaient été en trois ans (1265-1268) réduites par lui à capituler lorsqu'il entreprit ce siège d'Antioche qui allait faire tomber entre ses mains la plus belle palce forte de la Syrie du Nord, la ville imprenable qui avait coûté tant de sang et d'efforts aux premiers croisés.

 

"Un être pareil ne pouvait que concevoir de guerre que totale. Sa lettre au comte de Tripoli, Bohémond VI, rapportée par plusieurs chroniqueurs arabes, ne laisse aucun doute sur la manière dont il entendait les opérations: "Tu dois te souvenir de notre dernière expédition contre Tripoli… Comment les églises ont été blayées de dessus la surface de la terre, comment la roue a tourné sur l'emplacement des maisons, comment se sont élevs sur le rivage de la mer des monceaux de cadavres qui ressemblaient à des péninsules, comment les hommes ont été tués, les enfants réduits en esclavage, comment les gens libres sont devenus esclaves, comment les arbres ont été coupés de manière qu'il n'en restât que la quantité nécessaire pour le bois de nos machines… Comment ont été mis au pillages ces richesses et celles de tes sujets, y compris les femmes, les enfants, les bêtes de somme; comment ceux de nos soldats qui étaient sans famille se sont trouvés tout à coup avec femmes et enfants, comment le pauvre est devenu riche, le serviteur s'est fait servir et le piéton a trouvé sa monture"…

 

"Et d'énumérer les épisodes du récent siège d'Antioche: "Ah! Si tu avais vu tes chevaliers foulés aux pieds des chevaux, ta ville d'Antioche livrée à la violence du pillage et devenue la proie de chacun, tes trésors qu'on se distribuait par quintaux, les dames de la ville qu'on vendait une pièce d'or les qutre! Si tu avais vu les églises et les croix renversées, les feuilles des Evangiles sacrés dispersées, les sépulcres des patriarches foulés aux pieds! Si tu avais vu le Musulman ton ennemi marchant sur le tabernacle et l'autel, immolant le religieux, le diacre et le prêtre, le patriarche! Si tu avais vu tes palais livrés aux lammes, les morts dévorés par le feu de ce monde avant de l'être par celui de l'autre, tes châteaux et ses dépendances anéantis, l'église de Saint-Paul détruite de fond en comble!...

 

"Que face à pareil ennemi, les Francs de Syrie n'aient pas su faire taire leurs discordes et cesser leur fureur de tournois, on a quelque peine à le concevoir. Le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu, multipliait les avertissements et s'entendait répondre par certains barons "qu'il cessât de leur faire un épouvantail avec ces bruits de guerre"; mais dans le même temps lui-même ne faisait rien pour mettre fin aux rivalités entre le Temple et l'Hôpital Saint-Jean.

 

Ce n'est qu'au tout dernier moment, face à la catastrophe, que toutes ces forces dispercées se réunissent enfin et contribuent pour la dernière fois à un exploit héroïque encore qu'inutile.

 

Le jeudi 5 avril 1291, le sultan Al-Ashraf, qui venait de monter sur le trôen d'Egypte, entreprenait le siège de Saint-Jean d'Acre (en représailles, à l'acte de sauvagerie commis par les croisés italiens fraîchement débarqués contre les malheureux marchands syriens qui fréquentaient le bazar de la ville).

 

Acre était la dernière place demeurée aux mains des Francs depuis la prise de Tripoli par le sultan Qalaoun (26 avril 1289). L'armée du siège comportait 60000 cavaliers et 160000 fantassins à pied et seulement 800 chevaliers; en tout la place renfermait environ 35000 habitants. Les péripéties du siège nous ont été racontées par un témoin oculaire, que l'on appelle le templier de tyr, dont le récit a été repris vers 1325 par Gérard de montréal:

 

Le sultan fit former ses tentes et ses pavillons fort près l'un de l'aute; ils tenaient du Toron jusque vers la Samarie, que toute la plaine fut couverte de tentes et la tente du Sultan qui s'appelle dehliz était sur un toron (monticule) plus haut, là où il y avait une belle tour et jardins et vignes du Temple… Huit jours, il demeura devant Acre sans rien faire… et au terme de ces huit jours ils dressèrent et assirent au point leurs engins, que les pierres qu'ils jetaient pesaient un quintar (mesure italienne, environ 150 livres). Le sultan disposait d'une puissante artillerie: quatre grandes pierrières dressées chacune contre les principales tours de la ville; ils commencèrent par l'investissement de celle que l'on appelait Tour maudite…

 

C'est ensuite l'entrée des Sarrasins dans la ville: dames et bourgeoises, et religieuses et autres menues gens allaient fuyant par les rues, leurs enfants en leurs bras, et étaient pelureuses et éperdues, et fuyaient à la amrine pour se garantir de mort; et quand les Sarrasins les rencontraient, l'un prenait la mère et l'autre l'enfant, et les portaient de lieu en lieu, et les partaient l'un de l'autre… et quelques fois la femme était emmenée et l'enfant allaitant en était jeté par terre, que chevaux le foulaient et ainsi était mort; et de telles dames avaient qui étaient grosses et étaient si distraites (étouffées) en la presse qu'elles mouraient sur pied, et la créature qui était en son corps aussi… Aussi sachez que les Sarrasins mirent le feu aux engins et aux gardes, que toute la terre alluma le feu…

 

Au milieu de ces scènes de carnage, meurt celui qui incarnait la résistance de la cité, le grand maître du Temple, Guillaume de Beaujeu… Les chevaliers allaient tenir dix jours encore dans la tour d'Acre. Le Temple tint dix jours et le sultan fit parler à ceux s'ils se voulaient rendre… et lui mandèrent qu'ils se rendraient par ainsi qu'il les fit conduire par auveté là où ils voudraient aller. Et le sultan le leur octroya et envoya au Temple un amiral qui mena avec lui quatre mille hommes à cheval dedans le Temple. Ils virent tant de gens et de peuple, et voulurent prendre els femmes qui leur plaisaient et ahontir; les Chrétiens ne le purent souffrir, et mirent mains aux armes et coururent sus aux Sarrasins et tous les tuèrent et massacrèrent, que nul n'en échappa vif, et se mirent en volonté de défendre leurs corps jusqu'à la mort.

 

Ils ne pouvaient se méprendre en effet sur l'issue de la lutte déclenchée par un dernier geste de chevalerie, pour défendre les femmes tombées entre les mains des vainqueurs. Le combat reprit donc. Le sutan leur manda une seconde fois qu'il savait bien que par la folie de ses hommes furent-ils morts et par leur outrage et qu'il ne leur savait nul mal gré et qu'ils pouvaient sortir sûrement à fiance (en confiance). Le Maréchal du Temple, qui fut franc prud'homme…, eut foi au sultan et sortit vers lui; et demeurèrent dans la tour quelques frères qui étaient navrés. Aussitôt que le sultan tint le maréchal et les gens du Temple, il fit tailler la tête à tous les frères et à tous les hommes. Cet acte de barbarie, au mépris de la parole donnée, déclanche le troisème et dernier épisode de la lutte: … et les Sarrasins entrèrent à tant de gens dedans la tour que les étançons qui la soutenaient faillirent; et la pierre tomba et ceux des frères du Temple et les Sarrasins qui dedans étaient furent morts; et même dans sa chute la tour versa vers la rue et écrasa plus de deux mille Turcs à cheval. Et ainsi fut prise la cité d'Acre…" (Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 313-318).

 

1277 Mort de Baîbars.

 

27 avril 1289 Prise et destruction de Tripoli: Les Mamelouks du sultan égyptien Qalaoun investissent la cité croisée Tripoli, "l'une des plus prospères des royaumes latins" : la ville est rasée.

 

« Une atroce tuerie s'en était suivie. Le chroniqueur Aboul Fida nous l'a rapportée en ces termes: "Les habitants s'enfuirent du côté du port mais bien peu purent s'embarquer; la plupart des hommes furent tués, les femmes et les enfants réduits en esclavage. Quand on eut fini de tuer, on rasa la ville jusqu'au sol; près de la vielle était un îlot où s'élevait une église de saint Thomas. Une foule énorme s'y était réfugiée. Les Musulmans se précipitèrent dans la mer à cheval ou atteignirent l'îlot à la nage. Tous les hommes qui s'y trouvaient furent égorgés. Je me rendis quelque temps après sur cet îlot et le trouvai rempli de cadavres en putréfaction; il était impossible d'y demeurer à cause de la puanteur. » [Régine Pernoud, Les hommes de la Croisade, Taillandier, Mayenne 1977, p. 128]

 

1289 Le Krak des chevaliers est conquis par le sultan mamelouk Qalawûn.

 

18 mai 1291 Les Mamelouks pénètrent dans Saint-jean-d'Acre; le couvent des Templiers résiste jusqu'au 28.

 

1291 Chute d'Acre : disparition des Etats latins de Terre sainte.

 

Été 1291 Évacuation des autres places fortes de Palestine.

 

1299 Les Mongols entrent à Damas.

 

1303 Les templiers abandonnent l'îlot de Rouad.

 

1307 Philippe IV le Bel fait arrêter les Templiers de son royaume.

 

15 août 1310 Les Hospitaliers sont maîtres de Rhodes.

 

22 mars 1312 Le pape Clément V prononce la suppression du temple dans sa bulle Vox in excelso.

 

2 mai 1312 La bulle Ad providam décrète la transmission de tous les biens du Temple à l'Hôpital de Saint-Jean.

 

18 mars 1314 Jacques de Molay, dernier grand maître de l'ordre du Temple, périt sur le bûcher dressé à Paris sur l'Île aux Juifs.

 

 

Tout l'Orient, l'Égypte, l'Afrique du Nord, l'Espagne (terres chrétiennes) avaient été envahis par les arabes et convertis par le fer et le feu à l'Islam. Ceux qui refusèrent de se convertir furent soumis à des régimes d'humiliation (dhimmitude des juifs et des chrétiens).

CONCLUSION

 

Les croisades furent des entreprises de refoulement d'invasions militaires (musulmanes) en terres chrétiennes. 

Les croisades des Francs en Orient (et à la Reconquête en Espagne, on oublie de le dire) furent des guerres de libération (de terres anciennement chrétiennes) et non de conquête - comme on s'efforce depuis trop longtemps de nous le faire accroire - avec un objectif limité: libérer l'accès au Saint-Sépulcre.

 

1. « Les musulmans s'étaient traîtreusement parjurés par les destructions massives des églises, dont en particulier celle de la Résurrection, et par les persécutions qu'ils faisaient subir aux chrétiens, dont l'interdiction de construire de nouvelles églises. L'avenir de la présence chrétienne en Terre sainte était fortement menacé.

2. « Un pays frère chrétien, ce qui restait en fait de la Nouvelle Rome, ... avait demandé de l'aide. Puisque la menace seldjoukide était réelle, tout refus aurait équivalu à de la non-assistance.

3. « Il ne s'est jamais agi d'"impérialisme", de "colonialisme" ou de conversion forcée des musulmans, mais toujours seulement de la survie des chrétiens d'Orient et de la sécurité des pèlerins d'Occident vers Jérusalem.

 

Egon Flaig

« Egon Flaig, professeur d'histoire ancienne à l'université de Greifswald s'en fit l'écho dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 septembre 2006, en constatant ceci : "Urbain II avait vu juste. Si Constantinople était tombée dès 1100 (au lieu de 1453 NdCR.) alors l'énorme puissance militaire de l'armée turque se serait abattue sur l'Europe centrale avec 400 ans d'avance. La richesse et la diversité de la culture européenne n'auraient alors probablement pas vu le jour : pas de constitutions de cités libres, pas de débats législatifs, pas de cathédrales, pas de Renaissance, pas d'essor des sciences ! puisque dès cette époque-là, dans le monde islamique, disparaissait le modèle - grec - de la libre pensée. Le jugement de Jacob Buckhardt - 'Une chance que l'Europe unie ait lutté face à l'islam' - signifie simplement que nous devons aux Croisés à peu près autant qu'aux victoires défensives des Grecs contre les Perses." » [Michael HESEMANN, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 183-184] 

 

4. Les Croisades n'ont pas conquis définitivement le tombeau du Christ à la Chrétienté, mais elles ont réussi à en rendre l'accès libre et à le protéger contre toute profanation. Elles ont préservé l'Europe de la domination de l'Islam, ont affaibli les féodalités, fait progresser l'unité nationale, élargi le champ des connaissances et des idées, développé le commerce et l’industrie, permis l'éclosion de la culture et de la civilisation européenne moderne.

5. Loin d'accroître la haine contre les Infidèles, elles ont développé la pratique de la tolérance et ont eu de magnifiques conséquences politiques et sociales. Elles ont élargi le champ des connaissances et des idées, développé le commerce et l'industrie.

 

« Les croisades furent une des pages les plus nobles et valeureuses de notre histoire, avec des hommes de grande foi, tels Godefroy de Bouillon, Baudouin IV, Saint Louis, et tant d'autres chevaliers anonymes ou moins connus.

 

« Au point de vue politique, les Croisades eurent un résultat imprévu et indirect, mais bien certain, résume Jean Guiraud en 1912 : elles accentuèrent l'Ascension du Tiers-État vers la liberté. L'absence des seigneurs permit aux bourgeois des villes de se constituer en communes et aux habitants des campagnes de proclamer leur liberté. Souvent aussi, les seigneurs ayant besoin d'argent soit pour s'équiper, soit pour réparer les pertes vendirent aux riches commerçants des chartes communales, aux serfs qui pouvaient les payer des chartes d'affranchissement. Cet affaiblissement de la féodalité profita à la royauté qui exerça sur ses vassaux une autorité plus étroite. Ces progrès de la royauté mirent de l'ordre dans la société jadis morcelée à l'excès. Bientôt les grands ports de la France et de l'Italie créèrent des établissements aux Échelles du levant pour faciliter le commerce, y fondèrent des colonies et des consulats, et généralisèrent dans toute la Méditerranée orientale, la mer de Marmara et la Mer noire, ce qu'avaient déjà tenté, avant l'an mil, les marchands de Sarlerne et d'Amalfi. L'élargissement de l'univers amena un élargissement des sciences et de l'esprit humain lui-même. les progrès des connaissances géographiques influèrent sur les progrès des idées et de la civilisation. [...] Voilà le tableau qu'auraient dû esquisser les manuels scolaires pour donner une idée sommaire de l'influence considérable qu'ont exercé les croisades sur les institutions, la civilisation, l'agriculture, le commerce et l'industrie.

« [...] Trois siècles après la fin de la présence des Croisés en Terre sainte, "c’est encore le patriotisme chrétien, l’amour de la civilisation, l’appel du pape qui précipita les chrétiens contre les Turcs à la bataille de Lépante (1571), et c’est par l’institution d’une fête catholique (Notre-Dame du Rosaire), c’est pour l’extension de la dévotion du Rosaire que cette victoire est célébrée dans l’Europe tout entière comme une nouvelle victoire de la Croix sur le Croissant, de la civilisation européenne sur la civilisation asiatique.

 

« Et lorsque le dernier des croisés, le roi de Pologne, Sobieski, accourut au secours de Vienne assiégée par les Turcs (1683), il le fit avec le désir exclusif de servir la cause de Dieu et de la civilisation chrétienne. À ceux qui lui montraient les mauvais procédés à son égard de l’Empereur Léopold, dont il allait sauver la capitale, à Louis XIV qui, par des raisons politiques, essayait de le détourner de cette expédition, il se contenta de répondre que le service de Dieu le poussait à défendre Vienne, la chrétienté tout entière. Le pape souligna le caractère religieux de la victoire de Sobieski en commémorant le succès de cette "quatorzième croisade" par l’institution de la fête du Saint Nom de Marie. Voilà ce que n’auraient pas dû oublier ou s’ils le savent, passer sous silence, les auteurs de manuels scolaires qui veulent assigner au grand mouvement des croisades des raisons uniquement vulgaires et leur enlever leur caractère d’épopée chrétienne et de victoire de la civilisation. [...] La civilisation gréco-latine d'Occident, la société chrétienne issue de l'Évangile ont été sauvées, du XIIe au XVIIe siècle, par cinq siècles de croisades. [...] Nous recueillons maintenant le bénéfice des longs combats qu'ont livré, de Godefroy de Bouillon à Sobieski, les chrétiens groupés sous l'étendard de la Croix; les millions d'hommes qui ont lutté pendant des siècles ont valu au christianisme et à la civilisation la victoire définitive dont le XXe siècle est le témoin. » [Jean GUIRAUD, Histoire partiale, Histoire vraie, éditions Beauchesne, 1912, p. 260-263; 253-256]

 

Au plan religieux, « le choc des croisades a ébranlé Byzance et créé une brèche irréparable entre les chrétientés d'Orient et d'Occident. Le schisme de 1054 n'avait été qu'un accident de parcours dans les relations difficiles entre les deux parties de l'Église. La prise de Constantinople en 1204, le pillage de la 'mère des villes' par les croisés ont fait du schisme une réalité durable et uni les populations orthodoxes dans la haine des Occidentaux. Ni les conciles d'union – Lyon II en 1274 et Florence en 1439 – ni les démarches des empereurs byzantins en Occident ne peuvent réduire la fracture. […] Byzance implore l'aide de l'Occident contre les Turcs. L'Occident exige l'union des églises avant d'envoyer des secours. La rupture de 1204 est encore aujourd'hui une réalité. »  [Michel Balard, Les Croisades]

 

« Ainsi le musulman espagnol Ibn Jubayr, qui traversa vers 1180 l'Outremer pour accomplir son pèlerinage à la Mecque, était même d'avis que ses frères dans la foi vivaient mieux sous l'empire des chrétiens que dans les territoires islamiques : "Les terres, villages et fermes demeurent entre les mains des musulmans. Beaucoup de ces hommes se demandèrent si leur sort n'était pas meilleur que celui de leur frères des régions musulmanes. Car ces derniers souffrent de l'injustice de leurs frères dans la foi, tandis que les Francs [les Croisés] les traitent comme des égaux." Cela fut, hélas, bien trop vite oublié au cours des siècles suivants... » [Michael HESEMANN, Les Points Noirs de l'Histoire de l'Église, ibid., p. 191]

 

Dans le débat sur les croisades, deux points positifs sont à retenir : le développement du concept de "guerre juste" repris par les décrétistes (décret de Gratien, 1140) et développé par Saint Bernard, concept qui a ensuite été repris et sécularisé dans le concept moderne de la légitime défense. Sans les moines et sans les papes, pas de légitime défense. Mais pas de conventions de Genève non plus aujourd'hui.

Sans les croisades, l'expansion de l'islam étant ce qu'elle était au XIe siècle, l'Europe aurait été musulmane au siècle suivant. La Renaissance, l'humanisme, l'actuelle culture européenne, le mouvement pour plus d'égalité, les droit de la femme, la civilisation européenne elle-même n'eurent pu éclore. Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître aux croisades une dette ou une influence directe.

« Les croisades, avec leurs ombres et leurs lumières, ont été une formidable épopée. On a bien le droit d’y rêver. » [Croisades : la grande épopée, Par Jean Sévillia [05 juillet 2003] ]

 

 

Les chevaliers de l’ordre du Temple chantaient le « Da Pacem Domine » avant d'aller à la bataille. Ce chant magnifique était entonné comme une prière pour obtenir une victoire décisive. 

« Da Pacem Domine » est l’incipit de deux différents textes latins. Nous pourrions le traduire par « Donne la paix, Seigneur », et la plupart des paroles sont inspirées du Psaume 122. Les Templiers, chevaliers chrétiens du Moyen Âge dont la première mission était de défendre les lieux saints, entonnaient ce chant en temps de guerre.

(Aleteia)

Notes

 

[1] Quatre mythes à propos des Croisades, Paul F. CRAWFORD. Cet article paru au printemps 2011 dans la Intercollegiate Review a été rédigé à une date où l’"État Islamique" (Daech) n’était pas encore paru.

[2] L'expédition avortée en Mer rouge de Renaud de Châtillon en 1182–83, ne peut pas être comptée, car elle n'avait clairement aucun espoir d'atteindre l'une ou l'autre ville.

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 07:39
Ne soyez pas dupes - Karl Marx était un totalitaire haineux dont les idées ont tué des millions de personnes

9 juillet 2018 ( LifeSiteNews.com ) - La pensée de Karl Marx, un agitateur politique allemand dont la théorie du "socialisme scientifique" a fait des ravages dans le monde pendant la plus grande partie du XX e siècle, semble avoir été reléguée aux oubliettes de l'histoire après la chute des régimes communistes du bloc de l'Est de 1989 à 1991. Après des décennies de massacres de masse qui ont fait des dizaines de millions de victimes et l'oppression totalitaire de centaines de millions d'autres, la réputation du marxisme avait été détruite presque complètement, en assurant apparemment sa disparition finale.

 

Cependant, un regain d'intérêt pour la pensée de Marx est en cours depuis 2008, lorsque la crise économique mondiale a conduit de nombreuses personnes à remettre en question la viabilité du système capitaliste, toujours objet principal de la critique marxiste. Maintenant, le 200 e anniversaire de la naissance de Marx (le 5 mai) est salué ouvertement par les penseurs du courant dominant et même par le clergé catholique comme une cause de commémoration respectueuse, sinon de célébration pure et simple.

 

Le New York Times a publié une approbation ouverte de la pensée de Marx, "Joyeux anniversaire, Karl Marx. Vous aviez raison !" Dans lequel un professeur de philosophie loue la "critique impitoyable de Marx de tout ce qui existe" et félicite les militants pour l'application de la théorie des classes marxistes à la race et au genre.

 

Le journal de gauche britannique Guardian a également salué Marx dans un article récent commémorant son anniversaire, mais il était plus circonspect dans son ton, affirmant qu'il avait prophétisé les excès du capitalisme moderne, mais concernant sa solution pour "en sortir" comme "moins utile."

 

Les commémorations officielles de l'anniversaire de Marx ont également contribué à l'atmosphère festive. Le gouvernement allemand a émis un timbre-poste commémoratif avec une image de Marx sur un fond rouge. Le gouvernement de la Chine, qui est encore officiellement marxiste alors qu'il est capitaliste, a payé pour l'érection d'une statue de Marx dans sa ville natale de Trèves, en Allemagne.

 

Le président chinois Xi Jinping, qui prônait la renaissance du marxisme en Chine pour renforcer son régime de plus en plus dictatorial, a fait un discours en avril sous le portrait du saint communiste, louant Karl Marx comme "le plus grand penseur des temps modernes", ajoutant: "Nous devons continuellement améliorer la capacité d'utiliser le marxisme pour analyser et résoudre des problèmes pratiques."

 

Étonnamment, même des ecclésiastiques catholiques de haut rang, comme le cardinal Reinhard Marx, louent ouvertement les écrits du communisme comme "fascinants", estimant que le manifeste communiste de Karl Marx a "une énergie" et "une grande langue" qui "l'impressionne". Le cardinal Marx est proche du pape François, qui a fait à la fois des déclarations positives et négatives sur le marxisme, contribuant ainsi à une atmosphère d'ambiguïté sur le sujet.

 

En 2015, le pape François a accepté avec joie ce marteau et cette faucille communiste avec un crucifix de son ami le président bolivien Evo Morales

 

Marx était-il simplement un idéaliste égaré qui aimait les pauvres?

 

Serait-il possible de réhabiliter l'image de Karl Marx plusieurs décennies après la chute des États communistes du bloc de l'Est, pour distinguer l'idéologie communiste de Marx des gouvernements totalitaires qui l'ont adoptée au XXe siècle? Marx était-il un idéaliste aux yeux étoilés cherchant la justice pour les pauvres et les opprimés, un humanitaire bien intentionné dont les idées ont été plus tard appropriées par les tyrans en herbe? Peut-il maintenant être réexaminé à la lumière de la pureté de sa pensée et donné son dû en tant que réformateur bienveillant?

 

Les marxistes ont longtemps prétendu que la Russie soviétique et la Chine maoïste étaient de faux représentants du "socialisme scientifique" de Marx, que leur application de la rhétorique marxiste était en réalité un détournement de la théorie marxiste authentique. Cependant, cette thèse ne peut survivre que dans un environnement d'ignorance presque totale concernant le cadre philosophique et l'activisme politique de Marx. En réalité, Karl Marx a toujours été reconnu, même de son temps, comme un totalitaire cynique et impitoyable dont les ambitions étaient de devenir le dirigeant dictatorial d'une Allemagne communiste.

 

Bien que l'imagination populaire conçoive Marx comme un croisé contre l'injustice sociale, Marx lui-même a raillé de telles notions. En fait, la philosophie politique de Marx était fondée sur la notion que le bien et le mal sont des concepts en constante évolution dictés par les conditions matérielles de l'existence humaine plutôt que des réalités éternelles auxquelles les êtres humains doivent aspirer. Il détestait les tendances moralisatrices de son âge, ainsi que les appels à des notions abstraites de vérité et de justice, et s'enorgueillissait d'un cynisme impitoyable qui faisait de l'intérêt de classe le standard ultime de la légitimité morale.

 

Comme le sophiste Thrasymaque dans la République de Platon, Marx était un relativiste moral qui croyait que les principes moraux sont déterminés par les intérêts de la classe qui contrôle chaque système économique. Les acteurs du système jouent simplement les rôles que le système leur assigne. C'est pourquoi Marx évitait presque toujours le langage de la moralité dans ses écrits, et prétendait plutôt fonctionner comme un prophète de l'inévitable avènement du communisme qui, selon lui, devait amener le développement final de l'histoire, avec son propre code moral.

 

Marx a exprimé cette morale fondée sur la classe dans son Manifeste communiste en 1848, en attribuant les normes morales traditionnelles à la classe capitaliste ou à la "bourgeoisie" et en la comparant à la vision du monde communiste "prolétarien". "Le droit, la morale, la religion sont pour lui (le prolétaire) tant de préjugés bourgeois, derrière lesquels se cachent autant d'intérêts bourgeois", déclara Marx, ajoutant plus tard: "Les idées dominantes de chaque époque ont toujours été les idées de sa classe dirigeante."

 

"Mais ne vous disputez pas avec nous tant que vous appliquez, à notre abolition voulue de la propriété bourgeoise, la norme de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc.", écrivait Marx. "Vos idées mêmes ne sont que le fruit des conditions de votre production bourgeoise et de votre propriété bourgeoise, de même que votre jurisprudence n'est que la volonté de votre classe faite pour tous, volonté dont le caractère et la direction sont déterminés par les conditions économiques. d'existence de votre classe."

 

Marx croyait que l'histoire humaine se dirigeait inexorablement vers le communisme athée et matérialiste, et qu'il était le chef d'une élite éclairée destinée à en prendre la charge. Dans le processus, il croyait que la religion serait abolie, que la famille serait éliminée comme une institution désuète, que les femmes seraient partagées entre les hommes comme concubines communales, et que toutes les forces de la production matérielle seraient placées entre les mains d'un état totalitaire dirigé par une avant-garde révolutionnaire qui prétendait représenter les classes opprimées de la société.

 

Marx a assuré à ses lecteurs que, suite à cette transformation, que son état totalitaire dépérirait pour être remplacé par une utopie démocratique sans distinctions de classe. Cependant, les citoyens des États marxistes attendent en vain ce paradis promis au fil des décennies, croupissant sous le fouet de leurs maîtres communistes alors que le monde capitaliste continue de prospérer et de croître économiquement, en contradiction avec les prédictions de Marx.

 

Le plan de Marx pour remplacer "l'opium" de la religion par l'état communiste

 

Un aspect fondamental de la théorie de Marx, tirée du philosophe Feuerbach, était l'affirmation que la religion n'était en réalité qu'une projection des idéaux de l'homme sur lui-même. À cela, il ajoutait l'affirmation que le christianisme était comme une forme "d'opium" donnée aux peuples d'Europe pour satisfaire leur désir d'une société parfaite, désir qui serait finalement satisfait par le communisme. En conséquence, la religion ne serait plus nécessaire.

 

Comme l'écrivait Marx dans sa Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, "l'homme, qui n'a trouvé que le reflet de lui-même dans la réalité fantastique du ciel, où il cherchait un Superman, ne se sent plus disposé à trouver la simple apparence de lui-même, le non-homme ["Unmensch"], où il cherche et doit chercher sa vraie réalité." 

 

"La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d'un monde sans cœur et l'âme des conditions sans âme", poursuit Marx. "C'est l'opium du peuple. L'abolition de la religion comme le bonheur illusoire du peuple est la demande de leur vrai bonheur. Leur demander d'abandonner leurs illusions sur leur condition, c'est leur demander d'abandonner une condition qui nécessite des illusions. La critique de la religion est donc en germe, la critique de cette vallée de larmes dont la religion est le halo."

 

Cependant, c'était l'utopie promise du communisme marxiste qui fonctionnait comme un "opium" des masses qui vivaient sous les régimes totalitaires du 20ème siècle, qui promettaient constamment que le paradis communiste arriverait bientôt, même si des millions étaient asservis et mouraient de faim, et que des millions d'autres étaient soumis à une tyrannie absolue sans pareil dans l'histoire de l'humanité. Entre-temps, les régimes marxistes ont démantelé l'Église catholique et d'autres institutions religieuses, détruit de nombreuses églises ou en ont fait des musées et ont exécuté ou emprisonné leurs ministres dans des camps de concentration.

 

Marx se réjouit de la destruction du mariage, de la famille et de la communauté par le capitalisme

 

Marx prétendait avoir découvert les lois de l'histoire en découvrant les contradictions internes à chaque étape historique du développement économique, se déplaçant finalement de la féodalité au capitalisme et finalement au communisme. Chaque système précédent crée les conflits de classe qui finissent par lâcher la ruine de ce système et inaugurent le suivant, jusqu'à ce que le communisme abolisse finalement toutes les différences de classe et que la "dialectique de l'histoire" touche à sa fin.

 

L'analyse de Marx de ce qu'il considère comme les contradictions internes du capitalisme peut le faire apparaître comme un critique moral, alors qu'en réalité Marx ne fait guère plus qu'une série d'observations dépassionnées sur ce qu'il considère comme les lois inexorables de l'histoire économique.

 

En fait, quand Marx semble critiquer le capitalisme, il exprime en fait son admiration, même lorsqu'il discute de ses tendances destructrices, qu'il considère comme des formes de progrès conduisant à une utopie communiste. Le capitalisme, pour Marx, est nécessaire à l'émergence du communisme, et est donc un développement positif.

 

Marx était heureux de constater que les économies capitalistes avaient créé un système de production de masse qui avait privé les petits entrepreneurs et les agriculteurs de leurs professions et réduit l'emploi dans les petites villes et les zones rurales, envoyant ainsi de plus en plus de gens dans les rangs la classe ouvrière urbaine ou "prolétariat". Le résultat était que les gens abandonnaient leurs petites communautés et perdaient leur propriété privée, devenant rien de plus que des locataires atomisés et des employés dans le "lien de trésorerie" de la société capitaliste.

 

Le résultat, a observé Marx, était que les femmes et même les enfants ont été chassés du marché, et que les familles ont été forcées de louer leurs maisons. Tout le monde était devenu une marchandise et avait perdu son identité de membre de la famille et de la communauté. Ils étaient maintenant devenus une masse amorphe d'ouvriers, sans un sens de la famille ou de la communauté, un collectif anonyme prêt à saisir les moyens de production et à les démocratiser, et à créer l'état communiste de Marx.

 

"La bourgeoisie, partout où elle a le dessus, a mis fin à toutes les relations féodales, patriarcales et idylliques", écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste communiste. "Elle a impitoyablement déchiré les liens féodaux hétéroclites qui liaient l'homme à ses 'supérieurs naturels', et il ne restait plus d'autre lien entre les hommes que l'intérêt personnel, que le "paiement en espèces". Il a noyé les extases les plus célestes de la ferveur religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, du sentimentalisme philistin, dans l'eau glacée du calcul égoïste.

 

C'est pourquoi Marx a parlé ouvertement dans le Manifeste Communiste de soutenir les capitalistes ou la "bourgeoisie" dans leur révolution contre les formes plus anciennes de la société - il a vu dans leur mouvement un grand pas vers l'établissement du communisme. Il a même ouvertement appuyé le libre-échange et l'abrogation des lois protectionnistes britanniques en 1848 parce qu'il espérait qu'elles accéléreraient la 'destruction' de la société par le capitalisme international et rapprocheraient le monde du communisme.

 

"En général, le système de protection de nos jours est conservateur, tandis que le système de libre-échange est destructeur", a déclaré Marx dans un discours à l'Association démocratique de Bruxelles en 1848. "Il rompt les vieilles nationalités et pousse l'antagonisme du prolétariat et la bourgeoisie à l'extrême. En un mot, le système de libre-échange accélère la révolution sociale. C'est dans ce seul sens révolutionnaire, Messieurs, que je vote en faveur du libre-échange."

 

Marx se moquait de ceux qui s'opposeraient au but communiste de l'abolition du mariage en faveur d'une 'communauté de femmes' en prétendant cyniquement que la 'bourgeoisie' partageait déjà les femmes et que le communisme régulariserait simplement la situation.

 

"Le mariage bourgeois est, en réalité, un système de mise en commun des femmes et, tout au plus, ce qu'on reprocherait aux communistes, c'est qu'ils veulent introduire, en substitution d'une communauté hypocritement cachée, une communauté de femmes ouvertement légalisée", a écrit Marx dans le Manifeste communiste.

 

Marx a cherché à diviser la société en classes en guerre, encourageant l'envie et la division sociale

 

Marx reconnut que lui et d'autres communistes ne venaient pas de la classe prolétarienne, mais venaient de la "bourgeoisie". En fait, le plus grand supporter de Marx était le propriétaire de l'usine Frederick Engels, qui a passé des décennies à financer les activités politiques et intellectuelles de Marx. entreprises capitalistes, et a écrit de nombreuses œuvres popularisant le marxisme. Cependant, Marx considérait le prolétariat comme incapable de s'organiser et croyait que lui et ses compagnons de voyage, contrairement à d'autres membres de la classe bourgeoise, étaient une race spéciale avec la capacité de transcender leur statut social et de rejoindre les rangs du prolétariat, comme leurs dirigeants.

 

Pour accepter le leadership marxiste, la classe ouvrière devrait d'abord se voir comme une classe opprimée, victime de la bourgeoisie et ayant besoin de libération. Le but de Marx, d'Engels et de leurs disciples était d'inculquer aux prolétaires une "conscience de classe" en les encourageant constamment à s'identifier comme membres d'un groupe victime, et à voir tous les propriétaires d'entreprise comme leurs ennemis d'exploitation, qui étaient les voleurs de leur salaire en profitant de leur entreprise.

 

Marx a écrit un ouvrage entier en plusieurs volumes, Le Capital, pour prouver que les profits capitalistes n'étaient rien d'autre que de la "plus-value" prise par les propriétaires d'entreprises qui n'ont apporté aucune valeur aux produits produits par leurs travailleurs. Ceci est devenu la Bible de la nouvelle religion matérialiste et athée de Marx.

 

La peur et la haine inculquées aux partisans des partis politiques inspirés par le marxisme faciliteraient le système brutal de répression et de contrôle absolu de l'État qui accompagnerait toujours le triomphe de ces partis dans la politique nationale ou la lutte révolutionnaire. Les gouvernements marxistes utilisent à ce jour les notions d'antagonismes de classe et de théories des conspirations capitalistes internationales contre leurs régimes pour justifier leur politique tyrannique et rationaliser les échecs de leurs régimes.

 

L'héritage de l'approche de Marx en matière d'organisation politique est devenu l'héritage commun des partis politiques socialistes du monde entier. Aux États-Unis, les militants inspirés par le marxisme cherchent constamment à instiller la "conscience de classe" dans une variété de groupes "opprimés", qui sont encouragés à se considérer comme des victimes perpétuelles dépendantes des dirigeants politiques socialistes, seuls capables de protéger eux et parlent pour eux.

 

Comme dans le cas de Marx, d'Engels et de leurs compatriotes, les dirigeants autoproclamés de ces groupes de victimes ne sont généralement pas eux-mêmes membres de ces groupes, mais viennent des élites mêmes qui sont considérées comme les "oppresseurs". Elles sont généralement blanches, les hommes de la classe moyenne supérieure avec des enseignements universitaires d'élite, nés dans des familles de privilégiés.

 

Le nouveau "prolétariat" visé par les néo-marxistes sont les minorités raciales et ethniques, les femmes, les homosexuels, les personnes "transgenres" et d'autres groupes dans lesquels ils espèrent susciter le ressentiment et une forme oppositionnelle d'identité de groupe. Toutes les formes de hiérarchie, et en particulier la structure hiérarchique de la famille, sont décrites comme n'étant rien d'autre que des formes d'oppression de classe, qui doivent être éliminées en faveur des institutions de l'État socialiste.

 

Les résultats sont les mêmes que dans le marxisme classique : la cohésion sociale diminue, la confiance et la bonne volonté sont détruites, les institutions naturelles fondamentales diminuent en faveur du pouvoir totalitaire de l'État et la société se dirige vers une polarisation politique dangereuse.

L'idéologie de Marx a été reconnue comme totalitaire même en son temps

 

L'association de Karl Marx avec le totalitarisme des régimes communistes ultérieurs n'était pas un accident de l'histoire résultant d'un abus de son héritage intellectuel, comme on l'imagine populairement. Au contraire, il est né directement de la propre pensée de Marx, si bien qu'il était déjà reconnu comme un totalitaire en son temps.

 

Le critique principal de Marx était le socialiste et anarchiste Mikhail Bakounine, qui avait été un compagnon de route de Marx, mais qui l'a finalement désavoué et a commencé à avertir les autres socialistes des dangers totalitaires de son idéologie, plusieurs décennies avant la Révolution russe d'octobre 1917.

 

Bakounine identifia très tôt le marxisme comme une religion, notant le culte fanatique autour de Marx, qui renforça son efficacité malgré le petit nombre de ses disciples.

 

"Marx a naturellement réussi à créer une école communiste, ou une sorte de petite église communiste, composée d'adeptes fervents et répandue dans toute l'Allemagne", a écrit Bakounine dans le marxisme, la liberté et l'État. "Karl Marx jouit naturellement d'une autorité quasi suprême dans cette Église, et pour lui rendre justice, il faut avouer qu'il sait gouverner cette petite armée d'adhérents fanatiques de manière à toujours augmenter son prestige et son pouvoir sur l'imagination des travailleurs de l'Allemagne."

 

L'avertissement de Bakounine à propos de la tyrannie potentielle du "peuple" proposé par Marx, qui administrerait toute la vie économique et politique du pays, offre une prédiction presque parfaite du totalitarisme dégradant que produira le marxisme au XXe siècle :

 

Dans l'État populaire de Marx, il n'y aura, nous dit-on, aucune classe privilégiée. Tous seront égaux, non seulement du point de vue juridique et politique, mais du point de vue économique. Au moins, c'est ce qui est promis, bien que je doute beaucoup, compte tenu de la manière dont il est abordé et de la voie que l'on souhaite suivre, si cette promesse pourrait jamais être tenue. Il n'y aura donc plus de classe privilégiée, mais il y aura un gouvernement et, notons-le bien, un gouvernement extrêmement complexe, qui ne se contentera pas de gouverner et d'administrer politiquement les masses, comme le font aujourd'hui tous les gouvernements, mais les administrera également économiquement, en concentrant entre ses mains la production et la juste répartition des richesses, la culture des terres, l'établissement et le développement des usines, l'organisation et la direction du commerce, enfin l'application du capital à la production par le seul banquier, l'État. Tout cela exigera une connaissance immense et beaucoup de "têtes débordantes de cervelle" dans ce gouvernement. Ce sera le règne de l'intelligence scientifique, le plus aristocratique, despotique, arrogant et méprisant de tous les régimes. Il y aura une nouvelle classe, une nouvelle hiérarchie de scientifiques et de savants réels et supposés, et le monde sera divisé en une minorité gouvernante au nom de la connaissance et d'une immense majorité ignorante. Et puis, malheur à la masse des ignorants!

 

Un tel régime ne manquera pas de susciter un très grand mécontentement dans cette masse et, pour le maintenir en échec, le gouvernement éclairé et libérateur de Marx aura besoin d'une force armée non moins considérable. Car le gouvernement doit être fort, dit Engels, pour maintenir l'ordre parmi ces millions d'analphabètes dont le soulèvement brutal serait capable de détruire et de tout renverser, même un gouvernement dirigé par des têtes débordantes de cervelle...

 

Les avertissements de Bakounine sont largement restés lettre morte, et son mouvement a finalement été vaincu par les marxistes. Sa version anarchiste du socialisme, fortement représentée dans le mouvement "républicain" de l'Espagne pendant la guerre civile du pays dans les années 1930, a été mise en oeuvre par les marxistes beaucoup plus ordonnés et militaristes dirigés par les admirateurs du régime de Joseph Staline en Russie soviétique. Aujourd'hui, l'anarchisme bakouniniste vit principalement dans les marmonnements du critique politique utopique Noam Chomsky, qui défend souvent les régimes marxistes tout en cherchant à prendre ses distances par rapport à leur comportement destructeur.

 

L'idéologie marxiste a réduit en esclavage et tué des millions au XX e siècle

 

Les prédictions de Bakounine se sont avérées terriblement dans les régimes communistes ratés du XXe siècle, qui ont transformé des États-nations entiers en camps de prisonniers géants dans lesquels chaque aspect de la vie était sous le pouvoir absolu d'une tyrannie bureaucratique impitoyable. Dans certains pays, comme la Corée du Nord, le Vietnam, la Chine, le Venezuela et Cuba, des millions de personnes continuent à dépérir sous les formes d'oppression les plus cruelles imaginables, tout cela grâce à l'idéologie de Marx.

 

En Russie, l'Union soviétique communiste a commencé par annuler une élection populaire qui répudiait le régime communiste, exécutant la dynastie des Romanov qui avait gouverné le pays pendant des siècles, abolissant le système démocratique existant et imposant un État totalitaire et unitaire qui persécutait impitoyablement les chrétiens et autres dissidents.

 

En 1927, l'Union Soviétique a commencé à arrêter des millions de citoyens sur des accusations forgées de toutes pièces, les envoyant dans des camps de travaux forcés où ils ont été massacrés en grand nombre, comme décrit dans l'Archipel du goulag d'Aleksandre Soljénitsyne. Des millions d'autres ont été rassemblés et simplement exécutés purement et simplement. Dans les famines délibérément créées par le régime en Ukraine soviétique, jusqu'à dix millions de personnes sont mortes de faim. Les estimations du nombre total de victimes civiles par les persécutions du gouvernement soviétique sont difficiles à calculer, mais elles varient généralement entre 10 à 20 millions de personnes.

 

Le régime communiste chinois, qui a pris le pouvoir en 1949, a même réussi à dépasser les atrocités de l'Union soviétique. Après avoir tué des millions de personnes pour réaliser la collectivisation agricole, le dirigeant communiste Mao Zedong a commencé en 1958 ce qu'il a appelé le "Grand Bond en avant", un projet désespérément impossible de dépasser l'Occident capitaliste dans la productivité par l'industrialisation forcée.

 

Après avoir examiné les archives du gouvernement chinois sur la période, Frank Dikötter, professeur de sciences humaines à l'Université de Hong Kong et professeur d'histoire moderne de Chine à l'Université de Londres, a conclu que pas moins de 45 millions de Chinois ont été asservis, affamés, ou battus à mort pendant le grand bond en avant. En outre, un tiers de l'immobilier du pays a été démoli dans le processus. Jusqu'à 1,5 million de personnes supplémentaires sont mortes dans des purges ultérieures, comme la "Grande Révolution Culturelle Prolétarienne" de la fin des années 1960.

 

La cruauté meurtrière du régime communiste chinois ne s'est toutefois pas terminée avec la mort de Mao. Avec l'encouragement des États-Unis, le gouvernement communiste chinois a créé la fameuse "politique de l'enfant unique" dans les années 1970, ce qui entraîne des avortements forcés pour ceux qui dépassent les quotas de fécondité du gouvernement. Dans le cadre de la politique de l'enfant unique, plus de trois cent millions d'enfants à naître ont été assassinés par le gouvernement. Les filles sont ciblées de manière disproportionnée et il semblerait que 30 millions d'hommes chinois ne puissent plus trouver d'épouse. Le pays maintient aussi un grand nombre de camps de prisonniers dans lesquels il place des chrétiens et des membres d'autres groupes religieux qui refusent de se soumettre à son idéologie totalitaire.

 

Les autres pays qui ont suivi le sillage de la Russie ont produit des résultats tout aussi horribles. Le dictateur communiste cambodgien Pol Pot est connu pour avoir tué entre 13 et 30% des huit millions d'habitants du pays en l'espace de seulement quatre ans, de 1975 à 1979. Le régime de la Corée du Nord, inspiré par le marxisme et officiellement communiste jusqu'à récemment, maintient un culte absolu du gouvernement dans lequel la moindre expression de préoccupation peut confiner une personne et sa famille à l'internement dans des camps de détention brutaux. Le gouvernement coréen a réduit des millions de personnes à la famine au cours des dernières décennies. Le gouvernement du Venezuela, qui proclame ouvertement sa fondation marxiste, a détruit la démocratie et l'économie du pays, entraînant une augmentation de la faim, de la famine et des migrations massives vers d'autres pays sud-américains.

 

L'âme sombre de Marx exprimée dans la poésie satanique et dans la négligence de sa famille

 

Quel genre d'âme produirait une philosophie matérialiste aussi impitoyable qui provoquerait la misère, l'oppression et le meurtre de masse à une échelle jamais vue dans l'histoire humaine? La réponse, tout simplement, est une âme très sombre, une âme qui semblait littéralement être livrée au diable.

 

Bien que Marx ait commencé sa vie comme un chrétien luthérien apparemment sincère, rempli d'ambition pour améliorer l'état de l'humanité, il subit une transformation radicale lorsqu'il étudia à l'Université de Berlin, où il fut influencé par les philosophes idéalistes allemands GFW Hegel et Ludwig Feuerbach. Leurs idées l'ont conduit à abandonner sa croyance en la vérité éternelle en faveur d'un panthéisme évolutionniste qui déifie l'humanité.

 

Alors que Hegel voyait l'histoire humaine comme le développement progressif de la parfaite conscience de soi et de la réalisation de soi de Dieu, Feuerbach avait poussé les idées de Hegel un peu plus loin, affirmant que le christianisme n'était rien d'autre que l'homme cette perfection, re-concevant Dieu comme rien de plus qu'un idéal humain. De telles notions ont été facilement adoptées par les "jeunes hégéliens" radicaux et matérialistes de l'université de Berlin, dans les rangs desquels Marx s'enrôla avec enthousiasme.

 

Marx a écrit à son père en 1837 pour décrire sa conversion de l'idéalisme plus spirituel de Kant et Hegel à un culte athée et matérialiste du "réel": "Un rideau était tombé, mon saint des saints était déchiré, et de nouveaux dieux avaient être mis à leur place. . . . Je suis arrivé au point de chercher l'idée dans l'actualité même. Si les dieux avaient auparavant habité la terre, ils étaient maintenant transformés en son centre."

 

C'est à cette période que Marx commença à se livrer à la célébration hédoniste des réjouissances et de l'ivrognerie, écrivant des poèmes sombres et maniaques qui invoquaient les thèmes démoniaques et mélangés de l'amour romantique et du meurtre cruel.

 

Dans un poème intitulé "Invocation de l'un dans le désespoir", Marx brandit le poing au divin, promettant la "vengeance" et la défaite de Dieu lui-même, alors qu'il règne sur son trône, infligeant la "plus noire agonie" au monde.

 

Donc, un dieu m'a tout arraché

Dans la malédiction et la crémaillère du Destin.

Tous ses mondes sont allés au-delà du rappel!

Ne me reste que la vengeance !

 

Sur moi-même, je vais fièrement me venger,

Sur cet être, qui a intronisé le Seigneur,

Fais de ma force un patchwork de ce qui est faible,

Laisse mon meilleur moi sans récompense!

 

Je construirai mon trône au-dessus de ma tête,

Froide, formidable sera son sommet.

Pour son rempart: la peur superstitieuse,

Pour son Marshall - l'agonie la plus noire.

 

...

 

Et l'éclair du Tout-Puissant doit rebondir

De ce géant de fer massif.

S'il apporte mes murs et mes tours,

L'éternité les élèvera, provocante.

 

Dans "le violoneux" (The Fiddler), Marx invoque joyeusement l'inspiration du Diable lui-même:

 

"Pourquoi est-ce que je bricole ou les vagues sauvages rugissent?

Qu'ils pourraient battre le rivage rocheux,

Cet oeil soit aveuglé, ce sein gonflé,

Le cri de cette âme mène à l'enfer. "

 

...

 

"Alors, je plonge, plonge sans faillir

Mon sabre sang-noir dans ton âme.

Cet art que Dieu ne veut ni ne veut,

Il saute au cerveau des brumes noires de l'Enfer.

 

"Jusqu'à ce que le coeur soit ensorcelé, jusqu'à ce que les sens reviennent:

Avec Satan, j'ai conclu mon marché.

Il craie les signes, bat le temps pour moi,

Je joue la marche de la mort rapidement et gratuitement.

 

La représentation macabre de Marx d'une romance empoisonnée qui se termine par la mort est d'autant plus terrifiante à la lumière des terribles souffrances qu'il infligerait à sa femme, Jenny von Westphalen. Dans le poème "Amour nocturne", il écrit:

 

Frénétique, il la tient près,

Regard sombre dans ses yeux.

"La douleur te brûle ma chère,

Et à mon souffle tu soupires.

 

"Oh, tu as bu mon âme.

La mienne est ta lueur, en vérité.

Mon bijou fait briller ta suffisance.

Brille, sang de la jeunesse. "

 

"Tu as bu du poison, Amour.

Avec moi, tu dois partir.

Le ciel est sombre au-dessus,

Je ne verrai plus le jour.

 

En frissonnant, il l'attire près de lui.

La mort dans la poitrine plane.

La douleur la poignarde, la transperce profondément,

Et les yeux sont fermés pour toujours.

 

Les ténèbres de l'âme de Marx s'étendirent à sa malheureuse famille en exil en Angleterre après la fuite de Marx d'Allemagne en 1849. Les mauvais traitements infligés par Marx à sa famille étaient présagés dans sa jeunesse par son style de vie universitaire hédoniste et la négligence de sa petite-amie d'alors. Jenny von Westphalen, qui était si flagrante que le père de Marx Heinrich le réprimanda à ce sujet dans une lettre qui suggérait que son fils était possédé par le diable, et prédit la future misère de sa famille:

 

Parfois je ne puis me débarrasser d'idées qui m'éveillent en moi des appréhensions douloureuses et de la peur quand je suis frappé comme par la foudre par la pensée: votre cœur est-il en accord avec votre tête, vos talents? A-t-il de la place pour les sentiments terrestres mais plus doux qui, dans cette vallée de la douleur, sont si fondamentalement consolants pour un homme de sentiment? Et puisque ce cœur est manifestement animé et gouverné par un démon non accordé à tous les hommes, ce démon est-il céleste ou faustien? Serez-vous jamais - et ce n'est pas le moindre doute douloureux de mon cœur - serez-vous jamais capable d'un bonheur véritablement humain et domestique? Volonté . . . Êtes-vous jamais capable de donner le bonheur à ceux qui sont autour de vous?

 

Les craintes de Heinrich étaient fondées. Bien que Marx fût extrêmement talentueux et reçût ​​une éducation prestigieuse à l'Université de Berlin, il dépensa peu d'efforts dans des entreprises rémunératrices, préférant consacrer son temps à son obsession frénétique de l'idéologie communiste et attaquer ses innombrables concurrents intellectuels dans le mouvement socialiste mondial. Le peu de revenus reçus par Marx provenait de son maigre travail journalistique et des dons et prêts de ses admirateurs capitalistes, en particulier Engels.

 

Marx était souvent déprimé et rempli d'apitoiement sur lui, se plaignant de sa situation financière personnelle dans sa correspondance avec des amis. Il était un alcoolique chronique dont les accès violents d'ivresse le menaient à des bagarres verbales et physiques avec ceux qui osaient être en désaccord avec ses doctrines très nuancées. Un rapport de police prussien sur la famille de Marx indiquait qu'il se baignait et se toilettait rarement, vivant une vie de Bohème dans son appartement délabré et clairsemé.

 

Dans l'atmosphère malsaine des bidonvilles de Marx, quatre de ses sept enfants moururent en bas âge. De ses trois filles qui ont survécu jusqu'à l'âge adulte, qui étaient totalement dévouées à Marx et complètement endoctrinées dans son idéologie athée et matérialiste, deux se sont suicidées et une est morte d'un cancer dans la trentaine.

 

Malgré tout, la femme de Marx, Jenny, l'a soutenu et l'a aidé dans son travail sans relâche. Cependant, cela n'a pas suffi à dissuader Marx de ce qui semble avoir été une relation sexuelle avec la femme de ménage de la famille, qui a finalement donné naissance à un enfant qui s'est révélé plus tard être le sien. Engels semble avoir pris la faute sur lui pour la grossesse, et a obtenu un foyer d'accueil pour l'enfant.

 

Finalement, Jenny Marx a contracté la variole et a subi une terrible défiguration faciale en conséquence. Elle est devenue déprimée et fâchée, fatiguée de l'existence appauvrie de sa famille et de la croisade idéologique obsessionnelle de Marx.

 

Karl Marx a vécu assez longtemps pour voir la mort de sa femme et de l'une de ses filles, Jenny Longuet, toutes deux atteintes de cancer, en 1881, qui l'ont dévasté psychologiquement. Il est mort deux ans plus tard et ses funérailles ont été suivies par un petit nombre de personnes.

 

En trois décennies, les deux filles restantes de Marx s'étaient suicidées après avoir passé leur vie dans l'activisme communiste.

 

Eleanor Marx s'est suicidée lorsqu'elle a découvert, à l'âge de 43 ans, que son petit ami marxiste, avec qui elle vivait mais qui ne s'était jamais marié, avait secrètement épousé une jeune actrice un an plus tôt. Laura Marx et son mari marxiste Paul Lafargue se sont suicidés en 1911 après que le couple eut décidé qu'ils étaient trop vieux et faibles pour offrir leur service au mouvement communiste. Paul a laissé une note expliquant ses motivations, qui se terminait par: "Je meurs avec la suprême joie de savoir qu'à un moment donné, la cause à laquelle j'ai été consacrée pendant quarante-cinq ans triomphera. Vive le communisme!"

 

Vladimir Lénine, le futur dictateur impitoyable de l'Union Soviétique, connaissait personnellement Laura et Paul Lafargue. Selon l'épouse de Lénine, Nadezhda Kroupskaïa, en apprenant leur suicide, Lénine lui dit : "Si vous ne pouvez plus travailler pour le Parti, vous devez être capable de faire face à la vérité et de mourir comme les Lafargues."

 

Kroupskaïa a ajouté:

 

Et il (Lénine) voulait dire par-dessus leurs tombes que leur travail n'avait pas été vain, que la cause qu'ils avaient lancée, la cause de Marx, avec qui Paul et Laura Lafargue avaient été si étroitement associés, grandissait et s'étendait à l'Asie lointaine. À cette époque, la vague du mouvement révolutionnaire de masse augmentait en Chine.

 

La "cause de Marx" - la religion matérialiste, collectiviste et centrée sur l'homme à laquelle la famille Marx avait consacré sa vie - s'étendrait en effet en Asie et en couvrirait une grande partie dans le sang et les larmes de dizaines de millions de victimes.

 

Karl Marx a écrit un jour : "Tous les grands faits et personnages historiques du monde apparaissent, pour ainsi dire, deux fois. . . la première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce." Que le deuxième centenaire de la naissance de Karl Marx soit l'occasion d'une réflexion vraie et fidèle sur la vie, le travail et l'héritage de l'homme, qu'on peut dire à juste titre l'intellectuel le plus destructeur de tous les temps. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons éviter la répétition burlesque du chapitre tragique de l'histoire de l'homme connu sous le nom de "communisme".

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7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 15:19

À l’occasion du bicentenaire du retour de la statue équestre d’Henri IV au Pont-Neuf, en présence du maire du 1er arrondissement M. Legaret et de l’Amicale du 5e régiment d’infanterie, le duc d’Anjou Louis de Bourbon, prétendant légitimiste au trône de France, a donné une interview exclusive à Boulevard Voltaire. Source

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